TROIS MODÈLES DE DÉVELOPPEMENT ET DE GOUVERNANCE
La démocratie sous plusieurs formes
Il existe plusieurs formes de la démocratie pouvant être appliquées dans un régime politique. Au Québec, nous pouvons ressortir trois sortes de démocraties utilisées au sein du régime politique québécois : la démocratie représentative, la démocratie directe et la démocratie sociale.
La démocratie représentative
La démocratie représentative s’instaure dans les pays où le peuple élit ses représentants qui viennent siéger à différents échelons (commune, région, nation) et prennent des décisions en lieu et place du peuple (vote des lois et vote du budget) et uniquement dans l’intérêt à court, moyen et long terme de ce peuple (Lakehal, 2005 : 130). Le Québec utilise cette forme de démocratie depuis l’introduction du régime parlementaire dans le HautCanada et le Bas-Canada (1791). Le Québec est, selon la Loi constitutionnelle de 1867 (Acte de l’Amérique du Nord britannique), une démocratie représentative de type parlementaire dans le sens que les citoyens élisent les députés de l’Assemblée nationale du Québec à tous îes quatre ou cinq ans. L’Assemblée nationale adopte les lois dans ces champs de compétence en vertu des articles 92,93 et 94 de la Loi constitutionnelle de 1867.
La démocratie directe
Le deuxième type de régime politique est la démocratie directe. Les décisions importantes, relatives à la communauté entière, sont prises directement par l’ensemble de la population. Le référendum est une forme de démocratie directe, mais les régimes politiques ayant adopté ce mode d’expression du peuple reconnaissent à ce dernier d’autres droits, comme l’initiative populaire, le veto populaire, la révocation des élus par les électeurs (LakehaL 2005 : 129). La démocratie directe est présente au Québec en vertu de la « Loi sur la consultation populaire » (L.R.Q., chapitre C-64.1). Cette loi permet au gouvernement de consulte la population par référendum sur une question approuvée par l’Assemblée nationale ou sur un projet de loi. Le Québec a tenu trois référendums depuis I960. Il y a eu le référendum de1980 sur la souveraineté-association, le référendum de 1992 sur l’Accord de Charlottetown et le référendum de 1995 sur la souveraineté-partenariat.
La démocratie sociale
Le troisième type de régime politique présent au Québec est la démocratie sociale. Ce type de régime complète la démocratie représentative (expression des intérêts individuels) en reposant sur la concertation des grands acteurs sociaux (expression des intérêts collectifs) (Lévesque, mai 2004).
L’introduction des intérêts collectifs dans le cadre d’une démocratie sociale dont les modalités d’exercice seront définies par l’État de manière à rendre possible la mise en perspective de ces divers intérêts, non pour les nier mais pour établir des compromis qui prendront sens dans le cadre de l’intérêt général (Lévesque, mai 2004 : 6).
Ce type de démocratie est présent depuis la mise en place d’un « modèle québécois » axé sur le partenariat. La concertation devient importante entre l’État et les acteurs sociaux. La création de sommets socio-économiques (1977,1979, 1982 et 1996) permet de trouver un consensus pour le développement économique du Québec. Des organismes régionaux de concertation voient le jour : les Centres locaux de développement (CLD), des corporations de développement économique communautaire (CDEC) et des conseils régionaux de développement (CED).
La démocratie deliberative
Nous ajoutons un type de régime politique : la démocratie deliberative. Ce mémoire vise à voir si la modernisation de l’État québécois permet l’introduction d’instruments inspirés de la démocratie deliberative. Ce type de régime existe lorsqu’un régime politique donne énormément d’importance aux débats en Élisant participer systématiquement la société civile. Le débat tient lieu de moments préalables à toute tentative d’action des institutions (Lakehal, 2005 : 129). Par exemple, il existe un outil de participation qui est fort utilisé dans plusieurs pays. Les jurys de citoyens qui délibèrent pour déterminer la culpabilité, ou la non-culpabilité, d’un individu accusé devant une cour de justice. Cette théorie a été développée en Europe, par des penseurs comme Jûrgen Habermas, et aux États-Unis, par certains écrits de John Rawîs avec sa « théorie de k justice ».
Pour Habermas la délibération est un moyen d’organiser la démocratie différemment. La délibération est une manière alternative d’organiser la démocratie en permettant une discussion collective, ouverte au plus grand nombre de citoyens et déterminé par ses caractéristiques argumentatives dans le but d’atteindre un consensus (Habermas, 1997, 1998). Dans « Paix et démocratie : Le droit des peuples et îa raison publique », Rawîs considère que la démocratie deliberative comporte trois éléments essentiels. Le premier est l’idée de la raison publique sachant que toutes les idées de ce genre ne sont pas identiques.
Le second élément est un système d’institution démocratique qui spécifie le cadre des corps législatife délibératifs. Le troisième est constitué par îa connaissance des citoyens et leur désir d’adopter la raison publique et de réaliser son idéal dans k conduite politique. Le projet de délibération de Rawls vise principalement à actualiser, selon les événements historiques, l’idéal d’un État de droit en conformité avec ses principes de base. De plus, Rawls admet qu’une institution peut mettre en place des forums de discussion ou des assemblées publiques comme les commissions d’enquête. Ces forums sont un moyen de discussion afin d’améliorer l’État de droit démocratique et les principes constitutionnels d’une société. Ils permettent d’informer le public sur de grands enjeux touchant de près la société. Il reste que ces forums ne peuvent être permanents (Rawls, 2001 et 2006).
Bien qu’il y ait d’autres penseurs qui ont participé au développement de cette « théorie deliberative» comme notamment Joshua Cohen. Dans «Deliberation and Democratic Legitimacy», il explique que le concept de politique deliberative doit adopter une procédure idéale de délibération et de décision en respectant les institutions sociales.
Les résultats de la délibération
II y a deux avantages de la démocratie deliberative qui reviennent régulièrement dans les théories décrites précédemment :
• Inclusion d’une pluralité d’acteurs en facilitant la participation à un forum de discussion pour l’ensemble des personnes intéressées.
• Valorisation du débat et de la négociation afin de trouver un consensus.
Le premier avantage fait en sorte que le citoyen n’est plus perçu comme un électeur qui vote à tous les quatre ans, mais aussi comme un participant capable de s’exprimer sur divers sujets dans la sphère publique. En effet, la «démocratie deliberative» vise à augmenter la participation des citoyens dans l’espace public. La société peut se dire démocratique lorsque les décisions sont prises par la délibération publique de tous ses membres, selon les diverses théories délibératives. Cohen mentionnait que : « les délibérations sont inclusives et publiques. En principe, nul ne peut en être exclu ; toutes les personnes susceptibles d’être concernées par les décisions prises ont des chances égales d’y participer.» (Cohen, 1989: 22-23 ; dans Habermas, 1997: 330-331). Le citoyen peut être impliqué dans le processus de décision d’un État en ayant la chance de participer à un forum de délibération.
Le deuxième point commun, le «modèle délibératif», cherche à trouver dans le meilleur des cas, un consensus. L’obtention de celui-ci doit être obtenu par le biais d’un échange d’arguments persuasifs : « une situation de discussion égale et libre, illimitée en durée, contrainte seulement par l’objectif de consensus, qui doit être atteint par « la force du meilleur argument » (Mouchard, 2002 : 135). La démocratie deliberative vise à valoriser le débat et la négociation entre les participants. Un bon système délibératif se caractérise par la particqsation de groupes ou d’individus qui peuvent revendiquer des avantages, mais non pas seulement en vertu de ce qu’ils sont ou de ce qu’ils croient. Ces individus ou ces groupes doivent utiliser des arguments soutenus par une vue plus large que celle de leur simple intérêt. Habermas met un poids important sur les participants en exigeant qu’ils soient capables à aller au-delà de leur propre situation et de leur contexte social particulier (Habermas, Î997). Pour la conception de Rawls, il est nécessaire que les individus se voient comme participants à un ensemble plus grand, comme l’espace public, en essayant de trouver un consensus (Rawls, 2001 et 2006) .
L’implantation de la démocratie deliberative au Québec
La multiplication des mécanismes deliberates au Québec
Nous avons vu trois formes de démocratie mis en pratique par le Québec : la démocratie représentative, la démocratie directe et la démocratie sociale. Nous avons approfondi un type de démocratie, la démocratie deliberative, dans le but de voir si elle est applicable dans la province. Sur le plan institutionnel, l’État québécois a développé des instruments délibératifs atteignant les deux objectifs décrits précédemment. Nabil Amara et Jean Crête, dans «Politiques publiques: le Québec comparé», indiquent que les méthodes consultatives implantées un peu partout dans le monde commencent à s’imposer au Québec. Elles reposent sur l’idée que les participants sont des citoyens actifs et responsables plutôt que des usagers passifs d’un service public. En conséquence, les nouvelles méthodes doivent laisser une grande place à la délibération au lieu de se centrer sur des aspects plus traditionnels comme la représentation des intérêts (Amara, Crête,
2006:138).
Le rôle de l’État s’est transformé puisqu’on est passé « d’une intervention étatique, en principe externe à la société civile, à une intervention arrimée à divers lieux de deliberations en interface avec les élus » (Lévesque, 2003 : 8). Autrement dit, l’État québécois ne prend plus de décisions uniîatéraies sans consulter, au préalable, la société civile dans divers lieux de délibération, dans le domaine du développement économique et régional Ces endroits permettent aux participants d’écouter les positions des uns et des autres. De plus, ces lieux permettent aux participants d’apprendre à persuader les autres en fournissant des raisons que les autres peuvent accepter (Lévesque, mai 2004). Le but de la création de telles instances est de reconnaître une participation de plusieurs acteurs (les syndicats, les groupes de femmes, les coécrivîtes locales, les communautés culturelles, les mouvements communautaires, etc.) dans le développement économique et social de la province.
Qu’est-ce qu’une commission d’enquête ?
L’adoption de la Loi sur les Commissions d’enquête (1964), par l’Assemblée nationale du Québec, marque une modernisation du processus d’enquête publique. Durant les années 1960, tes commissions d’enquête se sont modernisées dans leur composition et leur fonctionnement. Ainsi, les commissaires (président d’une commission) ne sont plus des juges et des avocats, mais ils représentent diverses professions. Les budgets des commissions ont été augmentés considérablement et exigent la participation de spécialistes et d’experts. Bien que les commissions d’enquête aient existé avant la Révolution tranquille, cette loi permet d’institutionnaliser le système d’enquête publique. Elle est constituée de 17 articles faisant en sorte qu’une commission peut être créée par le gouvernement en vertu d’un décret du lieutenant-gouverneur en conseil (conseil des ministres).Les commissions d’enquête ont généralement les fonctions de donner des avis sur une question générale importante et de faire des enquêtes sur une affaire controversée. Les commissions d’enquête utilisent un processus de consultation directe, au moyen d’audiences publiques, permettant à la population, groupes structurés surtout, de faire entendre leurs voix et leurs propositions. Les commissions ne se limitent pas uniquement à certaines questions de justice et de droit constitutionnel. Elles touchent généralement l’ensemble des sujets comme l’agriculture, la santé, l’éducation, la langue etc.
Les commissions sur l’avenir du Québec : Un outil de délibération unique au Canada
Les premiers signes d’un dispositif délibératif à grande échelle sont apparus avec la création des commissions sur l’avenir du Québec (1995). Celles-ci sont considérées comme un vaste forum public dont le but est de provoquer une réflexion avant le référendum sur la souveraineté du Québec. Ces commissions ont changé la définition traditionnelle d’une commission pour permettre une discussion à vaste échelle sur une question particulière touchant à l’avenir constitutionnel du Québec au sein du Canada. Cet exercice de délibération est le plus important jamais vu dans la province jusqu’à ce jour. Plus de 50 000 personnes ont participé aux commissions régionales et itinérantes. Il s’agissait d’environ 1% de la population totale du Québec à cette époque. Avant 1995, le niveau de participation dans une commission ne dépassait guère une centaine de personnes. Nous pouvons identifier trois caractéristiques qui différencient les commissions sur l’avenir du Québec avec les autres commissions d’enquête antérieures : la décentralisation de leur processus, Fitinérance de leur fonctionnement, le populisme de leurs références (Larocheîle, 2000).
La décentralisation était mise en évidence dans le préambule du décret, puisque le gouvernement avait créé seize commissions régionales en plus de deux commissions réservées aux jeunes et aux personnes âgées. Le but était de rejoindre le plus grand nombre possible de personnes, dont les jeunes et les aînés, en créant une structure dans chacune des régions de la province : « Attendu que, pour ce faire, il est souhaitable de mettre sur pied des commissions itinérantes pour chacune des régions du Québec et pour certains groupes de citoyens » (Commission de l’Estrie sur Favenir du Québec, 1995 :41).
La Commission du Saguenay-Lac-Saint-Jean sur l’avenir du Québec est un exemple concret de ces déplacements pour permettre au plus grand nombre possible de citoyens de participer. Elle est allée dans plusieurs villes et villages : 18 séances tenues dans 10 municipalités de la région. (Commission du Saguenay-Lac-Saint-Jean sur l’avenir du Québec, 1995)
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I: EXISTE T-IL UN « MODÈLE QUÉBÉCOIS »?
1.1 CLIN D’ŒIL RAPIDE: DE LA RÉVOLUTION TRANQUILLE À NOS JOURS
1.1.1 La modernisation de l’État québécois (Î960-1970)
1.1.2 La consolidation de l’État québécois (1979-1980)
1.2.3 La remise en question de la société québécoise (198G-)
1.2 LA CONSTRUCTION DUN « MODÈLE QUÉBÉCOIS »
1.3 TROIS MODÈLES DE DÉVELOPPEMENT ET DE GOUVERNANCE
1.3.1 Le modèle fordiste
1.3.2 Le modèle patenarial
1.3.3 L’émergence d’un nouveau modèle
1.4 LE DÉBAT SUR LE « MODÈLE QUÉBÉCOIS »
1.5 CONCLUSION
CHAPITRE II: L’ÉMERGENCE DE LA DÉMOCRATIE DELIBERATIVE AU SEIN DES MODÈLES QUÉBÉCOIS
2.1 LA DÉMOCRATIE SOUS PLUSIEURS FORMES
2.1.1 La démocratie représentative
2.1.2 La démocratie directe
2.1.3 La démocratie sociale
2.2 LA DÉMOCRATIE DELIBERATIVE
2.2.1 Les résultats de la délibération
2.3 L’IMPLANTATION DE LA DÉMOCRATIE DELIBERATIVE AU QUÉBEC
2.3.1 La multiplication des mécanismes délibératifs au Québec
2.3.2 Qu’est-ce qu’une commission d’enquête?
2.2.3 Les commissions sur l’avenir du Québec: un outil de délibération unique au Canada
2.4 CONCLUSION
CHAPITRE III: POURQUOI A-T-ON CRÉÉ DES COMMISSIONS SUR L’AVENIR DU QUÉBEC?
3.1 LA CRÉATION DES COMMISSIONS SUR L’AVENIR DU QUÉBEC
3.2 LE MANDAT ET LE MODE D’OPÉRATION DES COMMISSIONS
3.2.1 Le corpus des commissions sur l’avenir du Québec
3.3 L’AFFRONTEMENT HISTORIQUE ENTRE DEUX POSITIONS
3.3.1 Les arguments de la thèse souverainiste
3.3.2 Les arguments de la thèse fédéraliste
3.4 UNE COMMISSION POUR UNIR LA POPULATION
3.5 CONCLUSION
CHAPITRE IV: LES COMMISSIONS SUR L’AVENIR DU QUÉBEC: LES RÉSULTATS OBTENUS
4.1 LES THÈMES ABORDÉS DURANT LES COMMISSIONS RÉGIONALES ET LA COMMISSION NATIONALE
4.1.1 La souveraineté
4.1.2 Les droits des citoyens
4.1.3 Les orientations de développement pour le Québec
4.1.4 La décentralisation
4.1.5 Les relations du Québec avec le Canada et la communauté internationale
4.1.6 Le préambule
4.2 CONCLUSION
CHAPITRE V: L’ANALYSE DES SÉANCES PUBLIQUES DES COMMISSIONS SUR L’AVENIR DU QUÉBEC: LA PRÉSENCE DE DEUX CLIVAGES
5.1 LA PRÉSENCE DE DEUX CLIVAGES
5.1.1 L’incompréhension envers le projet du gouvernement
5.1.2 Un débordement des objectifs fixés par l’État
5.1.3 Les causes de ce débordement: Perte de confiance des citoyens envers les gouvernements
5.2 DES RÈGLES PRÉDÉTERMINÉES POUR LA DISCUSSION DANS LES RÉGIONS URBAINES
5.2.1 La rigueur technocratique de quatre commissions
5.2.2 L’encadrement de la délibération
5.3 CONCLUSION
CONCLUSION: LES COMMISSIONS SUR L’AVENIR DU QUÉBEC: UN EXERCICE UTILE
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