Trois évaluations d’actions de lutte contre les discriminations

Fondements théoriques de la discrimination

    Pour lutter contre les discriminations, il est essentiel d’en connaître l’explication. Dans la littérature économique, deux grandes théories ont cherché à expliquer les fondements de la discrimination. La première, proposée par Becker (1957) sur le marché du travail repose sur les préférences discriminatoires exogènes de la part de certains employeurs à l’encontre des membres d’un groupe sociodémographique étranger. Selon cette théorie, les employeurs discriminants ne cherchent pas seulement à atteindre ce qui devrait être leur objectif principal, à savoir la maximisation de leur profit. Ils sont également animés par la satisfaction de leurs préférences à s’associer avec les membres du même groupe démographique qu’eux, et recherchent ainsi à maximiser leur utilité. Pour Becker, les entreprises discriminantes vont finir par disparaître du marché, car ces employeurs devront payer «une prime salariale» aux travailleurs du même groupe qu’eux pour les attirer. Ces entreprises auront donc des coûts salariaux plus élevés et par conséquent feront moins de profits que les entreprises non discriminantes. Cependant, ces prédictions de Becker ont été trop optimistes car des études empiriques ont montré une persistance de la discrimination sur le marché du travail. Pour expliquer ce phénomène, Becker a prolongé son modèle en 1971: les préférences d’autres agents ont été considérées. Il existe deux autres types d’agents dont les préférences sont susceptibles de manifester un goût pour la discrimination: les travailleurs d’une part, qui ne veulent travailler qu’avec des collègues issus de leur groupe sociodémographique et les consommateurs d’autre part, qui préfèrent aussi n’être en contact qu’avec des salariés de leur groupe. Dans le premier cas, la conséquence est une segmentation verticale du marché du travail et dans le second cas, une segmentation horizontale. Les préférences des employeurs, ou celles de leurs salariés et clientèle conduisent les recruteurs à ne pas recruter des membres du groupe démographique étranger pour occuper certains emplois. Sur le marché du logement, cela correspond au cas où les propriétaires ou les agents immobiliers refusent de louer ou de vendre leur bien à un demandeur issu d’un groupe sociodémographique distinct sur la base de leurs préférences personnelles ou celles des autres clients du même groupe. La limite de cette approche est l’absence de fondement à l’aversion. Une seconde explication théorique, la discrimination statistique, se produit en présence d’une imperfection d’information sur le groupe sociodémographique victime de discrimination. Sur le marché du travail, elle repose sur l’hypothèse selon laquelle l’employeur n’observe pas parfaitement les caractéristiques productives des candidats au moment du recrutement. Cette théorie en information imparfaite a été développée et modélisée en 1972 par Arrow et Phelps. Pour les évaluer, l’employeur, n’observant qu’imparfaitement la productivité courante et future du candidat à l’embauche au moment du recrutement, représentée par ses compétences professionnelles, sa motivation, la qualité de son travail, va se fonder sur les caractéristiques observables et objectives du candidat (ses diplômes, ses expériences passées, etc.). Le recruteur forme également son jugement à partir de ses croyances réelles ou supposées sur la moyenne et la dispersion des caractéristiques productives inobservables du groupe auquel appartient le candidat considéré et à ce titre discriminé. En effet, selon Heckman (1998), si la composante inobservable de la productivité est de moyenne identique dans deux groupes démographiques mais de variance différente, les employeurs favoriseront les candidats du groupe au sein duquel la variance est la moins élevée s’ils candidatent à des postes peu qualifiés. La probabilité de sélectionner un candidat capable d’occuper ce type de poste est plus élevée dans ce groupe car il est composé d’individus ayant une productivité inobservable proche de la moyenne. En revanche, si les candidats postulent à des emplois fortement qualifiés, les recruteurs favoriseront les candidats du groupe au sein duquel la variance est la plus élevée car seul ce groupe comprend un certain nombre d’individus pourvus d’une productivité très élevée. Un accès différencié de deux groupes démographiques peut reposer en partie sur la perception qu’ont les recruteurs de la variance comparée de la composition inobservée de la productivité au sein des deux groupes démographiques. Dans l’accès au logement, un demandeur est victime de discrimination statistique par exemple si le propriétaire ou l’agent immobilier refuse de lui louer ou vendre son bien sur la base d’un manque d’informations parfaites sur le candidat telle que sa capacité à payer son loyer. De nombreuses études ont permis de mettre en évidence l’existence de comportements discriminatoires à l’encontre d’un ou de plusieurs groupes sociodémographiques dans l’accès à un marché particulier, de mesurer leur ampleur, mais également d’identifier l’origine de ces comportements discriminatoires. Ce dernier aspect a fait l’objet de plusieurs travaux empiriques mobilisant principalement la méthode du testing.

Preuves empiriques sur les fondements théoriques de la discrimination liée à l’origine dans l’accès au logement

   Certains auteurs s’intéressent aux fondements de ces discriminations dans l’accès au logement. Des chercheurs montrent que le fait de fournir des informations plus positives dans le contenu de la candidature telle que la situation professionnelle et financière a permis de réduire l’écart entre les candidats minoritaires et majoritaires, mettant ainsi en exergue une discrimination statistique (Bartoe et al, 2016 en République Tchèque). D’autres trouvent que le fait de fournir ces renseignements ne réduit pas le niveau de discrimination, montrant ainsi que la discrimination est liée aux préférences des propriétaires et agents immobiliers (Carlssson et Eriksson, 2014 en Suède). En France, Bunel et al (2017) montrent, sur une expérience conduite en 2016 à Paris, que mentionner sur sa candidature un signal de stabilité professionnelle et financière augmente les chances d’obtenir un rendez-vous de visite de logement des candidats d’origine française seulement par rapport aux candidats arabomusulmans. Ils montrent que pour un individu d’origine maghrébine, le signal positif de stabilité financière ne compense pas le signal négatif de l’origine. Cette discrimination ne semble pas induite par une imperfection de l’information liée au risque de loyers impayés, mais, pour l’essentiel, par les préférences discriminatoires des offreurs ou celles réelles ou supposées des résidents proches du logement (Combes et al. 2016). Dans leur testing réalisé dans les 50 plus grandes aires urbaines de France, Le Gallo et al, (2017) montrent, contrairement à l’étude de Bunel et al (2017), qu’indiquer un signal de stabilité professionnelle et financière (avec un statut de fonctionnaire) réduit significativement la discrimination liée à l’origine. Ce résultat suggère une discrimination statistique à l’encontre des candidats arabo-musulmans et d’origine d’Afrique subsaharienne dans les 50 plus grandes aires urbaines de France.

Ce que peut être une action de lutte contre les discriminations

      Une action de lutte contre les discriminations peut prendre plusieurs formes, diverses et variées. C’est :
Action 1 : Mettre en place un système de quotas qui consiste à mieux traiter une partie de la population, que l’on juge systématiquement désavantagée. C’est l’exemple de la loi du 10 juillet 1987 qui impose aux entreprises de plus de 20 salariés d’employer au moins 6% de travailleurs handicapés.
Action 2 : Imposer le CV anonyme, qui permettrait d’éviter que les candidats dont le profil ne correspond pas exactement aux attentes des recruteurs soient éliminés avant même d’avoir eu la possibilité de se défendre en entretien.
Action 3 : Mettre en place des mesures d’accompagnement qui passent par les institutions publiques (Défenseur des droits) ou associations (SOS racisme) : accompagnement personnalisé et renforcé des personnes potentiellement discriminés dans leur recherche d’emploi ou de logement, actions de sensibilisation…. Cela peut prendre aussi la forme d’un soutien financier tel que les actions subventionnées par la région Île-de-France dans le domaine de la lutte contre les discriminations entre janvier 2008 et mars 2012.
Action 4 : Réformer des conditions de prise du congé parental, en rendant obligatoire le congé de paternité sur une partie de sa durée repose sur la volonté d’égaliser, entre les hommes et les femmes, aux yeux des employeurs, le risque d’avoir un enfant, et ainsi de lutter contre les inégalités et les discriminations entre femmes et hommes sur le marché du travail.
Action 5 : Dissuader les entreprises à discriminer par l’annonce de la mise en place d’une mesure officielle de test de discrimination d’envergure nationale. Lors de son discours du 22 mai 2018 pour améliorer la vie dans les quartiers, le président Emmanuel Macron annonçait que le testing sera généralisé, dans le but vérifier les comportements et s’assurer qu’il n’y a pas de discrimination à l’embauche. Les entreprises du SBF120 seraient soumises à ce test.
Action 6 : Mettre en place un dispositif financier tel que l’aide à l’embauche « Emplois francs » qui est attribuée à toute entreprise qui recrute, en CDI ou en CDD de 6 mois minimum, un demandeur d’emploi ou un adhérent à un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) résidant dans une des zones QPV éligibles (Quartiers prioritaires de la politique de la ville).
Action 7 : Inciter les personnes habituellement discriminées à l’entreprenariat pour contourner les discriminations sur le marché du travail.
Action 8 : Réformer les concours externes de la fonction publique  en mettant en œuvre différentes mesures dans les politiques de recrutement (changement dans les épreuves et leur barème, nouvelles règles de constitution des jurys, sensibilisation de ces derniers aux stéréotypes, utilisation croissante de grilles explicites d’évaluation et introduction de chartes et de labels diversités) dans le but de prévenir et de favoriser la disparition des inégalités d’accès à la fonction publique.
Action 9 : Rappeler aux potentiels discriminants le cadre légal et des sanctions auxquelles ils encourent en cas de pratiques discriminatoires afin qu’ils modifient leur comportements. Cette liste est non exhaustive. Seules quelques-unes de ces actions ayant pour objectif de lutter contre les discriminations ont été évaluées. Cette thèse s’intéresse à l’évaluation des actions 7, 8, et 9. Nous présentons dans ce qui suit les effets et les limites des autres actions?

Les principaux avantages du testing

    Le premier avantage de la méthode du test de correspondance consiste à neutraliser les biais de sélection et l’hétérogénéité habituellement inobservée. Le testing permet d’éliminer les risques de biais de sélection dans la mesure où les deux candidats sont fictifs et qu’ils postulent simultanément sur les mêmes annonces. Leur différence d’accès au logement ne peut donc pas provenir d’une auto sélection, d’une différence de motivation, de biais d’apparence ou de différences dans l’effort de recherche. Ensuite, il n’existe pas d’hétérogénéité inobservable car toutes les caractéristiques qu’il est habituel de mentionner dans une demande de visite, et qui sont justement celles sur la base desquelles les individus sont sélectionnés à cette étape du recrutement, sont choisies par le chercheur, égalisées et donc observables. Un second avantage du testing consiste à produire des données qui n’existent pas par ailleurs. Les enquêtes auprès des personnes ne peuvent être utilisées pour mesurer une discrimination effective : les candidats à l’accès au logement n’ont pas accès aux informations sur leurs concurrents, et ne peuvent donc pas avoir l’assurance qu’ils ont été victimes de discrimination ou non ; les déclarations des employeurs ne peuvent pas non plus être considérées comme fiables, a priori, parce que la discrimination est illégale, ce qui les inciterait à nier son existence. Enfin, une difficulté particulière s’ajoute aux précédentes sur la thématique de la discrimination liée à l’origine en France. Les possibilités offertes de mesure sont limitées par l’absence de statistiques sur l’origine ethnique (Héran, 2010). Le testing contourne chacune de ces difficultés et permet d’identifier une discrimination liée à l’origine en la signalant par la consonance du prénom et du nom.

Les principales limites du testing

      Une première limite porte sur la question éthique. Celle-ci est centrale dans le cas des expérimentations sociales avec protocole d’assignation aléatoire mais elle se pose également dans un testing. Elle tient au fait que l’identification de pratiques discriminatoires est établie en renonçant au principe de loyauté vis-à-vis des agences immobilières. Sans nier l’existence de cette question éthique, elle doit être mise en regard des coûts de tous types engendrés par l’existence de la discrimination pour la société et de l’impossibilité d’en évaluer certains aspects autrement que par testing. La seconde et sans doute principale limite du testing tient au fait que ses résultats ne sont pas directement généralisables car les données collectées ne sont pas représentatives de l’ensemble du marché du logement. Ils portent, au plus, sur un petit nombre d’annonces et de localités. S’inscrivant dans le temps et dans l’espace, ils peuvent notamment être sensibles à une éventuelle saisonnalité sur le marché. De surcroît l’étude porte uniquement sur la première étape de la transaction et elle peut donc minorer la mesure des discriminations réelles sur le marché. Une troisième limite tient au coût logistique des opérations de testing, qui nécessitent des moyens humains et matériels non négligeables pour construire les données une à une. Ce type d’opération de collecte des données nécessite également du temps.

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Table des matières

Introduction générale
I- Définition de la discrimination
II- Fondements théoriques de la discrimination
III- Preuves empiriques de l’existence de discriminations sur le marché du travail et le marché du logement
III-1. La discrimination en raison de l’origine
III-2. La discrimination en raison de la réputation du lieu de résidence
III-3. La discrimination en raison du sexe
IV- Dispositifs de remédiation
IV-1. Ce que peut être une action de lutte contre les discriminations
IV-2. Les effets des dispositifs de discrimination positive (Action 1)
IV-3. Les effets des dispositifs de modification d’information (Actions 2 et 3)
IV-4. Les effets des initiatives associatives ou territoriales (Action 3)
V- Apport et problématique générale de la thèse
VI- Méthode d’analyse
VII- Plan de thèse
Chapitre 1 : Reprendre une entreprise: Une alternative pour contourner les discriminations sur le marché du travail ?
I- Introduction
II- Protocole de collecte des données
III- Résultats
III-1. Mise en évidence des discriminations
III-2. Déterminants de la probabilité de recevoir une réponse non négative
III-3. Impact sur la mesure des discriminations
III-4. Discrimination par les goûts ou discrimination statistique
IV- Conclusion
V- Annexes
Chapitre 2 : Évaluer l’impact de la réforme de professionnalisation des concours du ministère de l’Éducation Nationale sur les inégalités d’accès et biais d’évaluation des jurys liés au sexe et au lieu de résidence
I- Introduction
II- Les changements suite à la réforme de professionnalisation des concours des premiers et seconds degrés du Ministère de l’Éducation Nationale
III- Données et statistiques descriptives
IV- Stratégie d’estimation de l’impact de la réforme des épreuves de concours
V- Résultats
VI- Conclusion
VII- Annexes
Chapitre 3 : Évaluer l’impact d’un courrier officiel de sensibilisation sur la discrimination liée à l’origine dans l’accès au logement
I- Introduction
II- Le libre choix du lieu de résidence : enjeux de politiques publiques
III- Discrimination dans l’accès au logement : que nous apprennent les testings ?
IV- Méthodologie : le protocole de l’étude
V- Caractéristiques de l’échantillon : statistiques descriptives
VI- Résultats
VII- Discussion
VIII- Conclusion
IX- Annexes
Conclusion générale
I- Contributions
II- Limites et perspectives
Bibliographie

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