Importance des véhicules dans notre société
« L’importance des routes ne nous apparaît que lorsque nous désirons nous rendre à un lieu et qu’elles n’existent pas ou lorsqu’elles sont momentanément fermées à cause de catastrophes naturelles, de travaux, etc » (Abrégé de l’histoire des routes de Jean Billard). L’Homme les auraient façonnées au moment de sa sédentarisation au Néolithique, il y a environ 10 000 ans. Elles servent à relier généralement un point d’intérêt à un autre (e.g., deux villes). Aujourd’hui, la route est l’une des infrastructures indispensables à notre société puisqu’elle permet le libre déplacement des Hommes et des marchandises. Ainsi, avec l’augmentation des flux de circulation et le développement des sociétés, les routes se sont multipliées et se sont rencontrées. En 2010 l’ensemble du réseau routier de la planète représentait environ 40 millions de kilomètres et plus d’un milliard de véhicules sont en circulation dans le monde (Comité des Constructeurs Français d’Automobiles). Aujourd’hui, il y aurait plus d’un véhicule en circulation pour 7 personnes sur la planète. En 2050, au moins 25 millions de kilomètres de nouvelles routes sont prévus (Laurance et al., 2014) et selon les Nations Unies, le parc automobile mondial devrait atteindre 3 milliards de voitures ce qui reviendrait à un peu moins d’un véhicule pour trois personnes. Ainsi, la conduite d’un véhicule motorisé devient quasiment indispensable dans notre société. Mais en quoi consiste une tâche de conduite et quels sont les mécanismes utilisés par les conducteurs pour réaliser un déplacement ?
Accidentologie aux intersections
L’intersection est l’une des infrastructures les plus complexes que les automobilistes, les piétons, les cyclistes et les autres usagers de la route rencontrent quotidiennement. Les accidents aux intersections sont nombreux avec des conséquences souvent graves. Les travaux réalisés par Page et Chauvel (2004) dans le cadre du projet européen PREVENT, ont permis d’identifier les manœuvres les plus accidentogènes au niveau des intersections. On peut constater que les deux manœuvres les plus dangereuses sont la traversée d’intersection où le conducteur n’est pas prioritaire et le tourner à gauche en coupant le flux de véhicules arrivant en face. Ces deux manœuvres sont à l’origine respectivement de 34% et 21% des accidents survenant à une intersection. Dans les deux cas de figure, le deuxième véhicule impliqué dans l’accident effectuait une manœuvre de franchissement d’intersection. Par ailleurs, le tourner à gauche en coupant le flux de véhicules arrivant en face est à l’origine de 12% des accidents. Les accidents liés à une manœuvre de tourne-à droite sont quant à eux beaucoup moins fréquents et représentent seulement 2% des accidents en intersection. D’après ces chiffres, les manœuvres de traversée et de franchissement d’intersection sans changement de direction semblent particulièrement difficiles à négocier. Connaître les risques majeurs associés à une collision à une intersection et identifier les différents facteurs susceptibles d’affecter le comportement de conduite des automobilistes pourraient permettre, à l’avenir, d’éviter de nombreux accidents graves.
Vitesse d’arrivée du/des véhicule(s) croisé(s)
Certains travaux ont étudié l’incidence de la vitesse de déplacement du véhicule observé sur la perception des automobilistes (i.e., Carel, 1961 ; Schiff & Detwiler, 1979 ; Mc Leod & Ross, 1983 ; Cavallo & Laurent, 1988 ; Berthelon & Mestre, 1993 ; Dewing, Duley & Hancock,1993 ; Arnone, 1994 ; Caird & Hancock, 1994 ; Van Loon, 2010). Les résultats indiquaient que plus la vitesse de déplacement du véhicule observé au moment de l’occlusion était importante, plus les participants réalisaient un jugement précis du temps d’arrivée de ce véhicule à l’intersection (e.g., Schiff & Detwiler, 1979 expérience 1 ; Mc Leod & Ross, 1983 ; Cavallo & Laurent, 1988 ; Figure 1.4a). D’après l’étude de Mc Leod et Ross (1983), la précision de l’estimation du temps d’arrivée du véhicule observé indiquée par les automobilistes augmenterait jusqu’à une vitesse maximale de 80 km/h (Figure 1.4b). Pour les vitesses supérieures à cette valeur, la précision de l’estimation du temps d’arrivée du véhicule observé serait d’environ 70% (figure 1.4b).
Caractéristiques du/des véhicules(s) observé(s)
Dans la littérature de nombreuses études ont analysé l’incidence de la taille des véhicules croisés sur des tâches de jugement des automobilistes (e.g., Eberts & MacMillan, 1985 ; Dewing et al, 1993 ; Caird & Hancock, 1994 ; Caird & Hancock, 2002 ; Horswill & Wann, 2005 ; Gould et al., 2013 ; Crundall et al., 2008 ; Crundall et al., 2012). Dans ces études les conducteurs pouvaient croiser des motocyclettes, des voitures et parfois des camionnettes. Les résultats de ces études indiquaient que plus la taille du véhicule observé était importante (e.g., camionnette), plus le participant avait tendance à sous-estimer le temps d’arrivée de ce véhicule sur l’intersection (e.g., Dewing et al, 1993;. Caird & Hancock, 1994; Caird & Hancock, 2002; Horswill et al. , 2005) et à estimer que le véhicule observé est proche de lui (i.e., Eberts & MacMillan, 1985). Cependant, dans toutes les études citées ci-dessus (à l’exception d’Eberts & MacMillan, 1985) la manipulation de la taille du véhicule était directement liée au type de véhicule croisé. Ainsi, la co-variation du facteur taille et du facteur type de véhicule croisé ne permet pas, de distinguer les effets respectifs de chacun des deux facteurs. Il est vrai que, à notre connaissance, très peu d’études ce sont intéressées au facteur « type ». De plus, une étude de référence (i.e., Schiff, 1965) ne révèle aucun effet significatif de ce facteur. En effet, dans ces travaux l’expérimentateur a étudié les comportements d’évitement de différentes espèces animales (e.g., crabe, grenouille, poule, chat, Homme) en fonction du grossissement et de la forme (i.e., cercles, rectangles, étoiles) d’une ombre projetée au-dessus d’eux. Les résultats montraient les mêmes réactions d’évitement à la menace indépendamment de la forme chez plusieurs espèces, y compris les humains. Toutefois, des travaux récents ont montré que le jugement d’un temps de collision serait en partie affecté par des images ayant des teneurs émotionnelles différentes (Brendel, De Lucia, Hecht, Stacy & Larsen, 2012 ; Vagnoni, Lourenco & Longo, 2012 ; Brendel, Hecht, De Lucia & Gamer, 2014). Dans ces études les participants devaient estimer le temps de contact entre eux et une image approchant. Cette image pouvait avoir une valence négative (i.e., images menaçantes ou visage en colère), neutre (i.e, personnes, objets, plantes ou visages neutres) ou encore positive (i.e., images érotiques ou visages souriants). Le terme valence désigne la qualité agréable ou désagréable d’un stimulus. Les résultats montraient que les participants sousestimaient plus fortement le temps d’arrivée d’une image à valence négative qu’une image à valence neutre (i.e., Brendel et al., 2012). Par contre ils sous estimaient avec la même intensité un stimulus négatif et positif ayant un degré d’excitation identique. D’après ces auteurs le mécanisme sous-jacent serait l’interaction entre le degré d’excitation et la valence du stimulus observé. En conséquence, le jugement du temps d’arrivée d’un véhicule approchant une intersection est susceptible d’être affecté aussi bien par le facteur taille que le facteur type de véhicule croisé. Il nous semble nécessaire de contrôler indépendamment ces deux facteurs expérimentalement pour lever l’ambiguïté liée à leurs effets respectifs.
La traversée d’intersection : quel niveau d’analyse pour étudier cette tâche perceptivo-motrice ?
La traversée d’intersection est une tâche perceptivo-motrice complexe. D’un point de vue général, la notion de complexité doit être appréhendée à la fois par une approche holistique et par une approche systémique. Ainsi, l’interaction de multiples éléments produit des émergences, permettant au système complexe de développer des propriétés spécifiques que l’on ne peut pas déduire à partir de la connaissance du fonctionnement de chacun des éléments qui le constituent. Edgar Morin (1995) le résume très bien dans la phrase suivante : « Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot complexus, ce qui est tissé ensemble. Les constituants sont différents, mais il faut voir comme dans une tapisserie la figure d’ensemble ». La résolution d’un système complexe passe par un changement de niveau de description pour révéler l’émergence de nouvelles propriétés (Schéma Stratégique du CNRS, 2002). En d’autres termes, plusieurs niveaux d’analyse spatiotemporels peuvent être utilisés pour réaliser des études (e.g., micro, meso, macro pour le niveau spatial et de la nanoseconde au siècle pour le niveau temporel). En 1979, James J. Gibson fait part de l’état de sa réflexion à propos des systèmes perceptifs. Pour lui, la vision est quelque chose de fascinant et mystérieux. Pour la comprendre il a étudié la physique, l’optique, l’anatomie. Il pensait qu’en mettant en relation des connaissances provenant de champs disciplinaires distincts une théorie de la perception émergerait et qu’il pourrait la soumettre au test de l’expérimentation. Mais plus il comprenait le fonctionnement de l’œil et du cerveau plus les énigmes s’approfondissaient. Il comprit alors que « Les experts en optique connaissaient la lumière comme radiation, mais non comme illumination. Les anatomistes connaissaient l’œil comme organe mais ne savaient pas ce qu’il pouvait faire. Leurs savoirs étaient inutiles. Ils pouvaient créer des hologrammes, prescrire des lunettes, et guérir des maladies oculaires – et ce sont là de brillantes réussites – pourtant, ils ne pouvaient expliquer la vision » (i.e., Gibson, 1979). Pour cela il est important de bien définir le niveau de description auquel on se réfère pour réaliser des études sur la perception. Pour étudier une tâche de traversée d’intersection, il faut étudier le système dans son intégralité afin de pouvoir comprendre le comportement spécifique de l’automobiliste. Dans le cas d’une traversée d’intersection, le système complexe étudié serait composé de trois principaux éléments : le conducteur, son véhicule et son environnement. Chaque élément est lui-même constitué de multiples éléments (e.g., système nerveux, muscles, etc. pour le conducteur ; volant, moteur, etc. pour la voiture ; route, voitures, etc. pour l’environnement), qui eux-mêmes sont composés de nombreux éléments, etc. Nous avons choisi pour observer au mieux les comportements produits d’utiliser une échelle de grandeur significative pour l’Homme englobant le système dans son ensemble, ainsi qu’une échelle temporelle adaptée à la tâche que le conducteur doit réaliser, qui est de quelques secondes. Pour cela l’approche Ecologique de la perception et de l’action parait être une bonne candidate, car elle a pour objet l’étude des interrelations établies entre les organismes vivants et les milieux dans lesquels ils évoluent. Le paradigme écologique s’intéresse au contrôle perceptif du déplacement. Ce cadre théorique a pour but d’identifier les mécanismes qui sous-tendent la production d’une action à partir des relations qui s’établissent entre l’agent (e.g., le conducteur) et l’environnement.
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Table des matières
Introduction générale
1. Cadre général
1.1. Importance des véhicules dans notre société
1.2. Accidentologie de la conduite automobile
1.3. La conduite automobile, une activité complexe
1.4. Le cas particulier des intersections
1.4.1. Définition
1.4.2. Accidentologie aux intersections
1.4.3. Tâches et paradigmes les plus fréquemment utilisés
1.4.4. Les différents facteurs de risque aux intersections
a. Contraintes liées à la tâche à réaliser
a.1. Vitesse d’arrivée du/des véhicule(s) croisé(s)
a.2. Distance de disparition du véhicule croisé
a.3. Temps de disparition du véhicule croisé
a.4. Déplacement de l’automobiliste
a.5. Conclusion
b. Contraintes liées à l’environnement
b.1. Géométrie de l’intersection
b.3. Caractéristiques du/des véhicules(s) observé(s)
b.4. Conclusion
c. Contraintes liées au couple conducteur-véhicule
1.4.5. Limites du paradigme d’extrapolation du mouvement
2. Cadre théorique
2.1. La traversée d’intersection : quel niveau d’analyse pour étudier cette tâche perceptivomotrice ?
2.2. L’approche écologique de la perception et de l’action
2.2.1. Le système agent-environnement
2.2.2. Le couplage perception-action
a. Le cycle information-mouvement
a.1. Gain en précision en cours d’exécution du mouvement
a.2. Evolution opposée des patrons de variabilité inter-essais des variables de contrôle et d’ajustement
a.3. Métaphore d’un contrôle en forme d’entonnoir
b. Le cycle perception-actuation
2.3. Cycle information-mouvement et tâche de traversée d’intersection
2.3.1. Paradigme utilisé
2.3.2. Les différents facteurs de risque
a. Contraintes de la tâche à réaliser
a.1. Offset
a.2. Taille de la fenêtre-inter-véhiculaire
a.3. Vitesse d’approche des véhicules croisés
b. Contraintes environnementales
b.1. Facteur de la géométrie de l’intersection
b.2. Taille des véhicules bornant la fenêtre inter-véhiculaire
c. Contraintes propres au couple conducteur-véhicule
2.4. Problématique de ce travail
3. Premier chapitre expérimental : Perception versus Perception-Action
4. Deuxième chapitre expérimental : Les marqueurs du couplage information-mouvement
5. Epilogue
5.1. Principaux résultats
5.2. Synthèse et problématisation
5.3. Perspectives
5.3.1. ADAS et comportement de conduite
5.3.2. ADAS et tâche de guidage visuel
5.3.3. Développement d’un ADAS innovant
5.3.4. Applications d’un ADAS basé sur un mode perceptif
Bibliographie
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