Travailler la compétence émotionnelle par l’écoute musicale

Un obstacle à l’apprentissage ?

                 Comme précisé dans l’introduction, les émotions sont souvent vues par les enseignants comme un obstacle pédagogique. Dans la théorie de Jérôme Bruner,  au moins deux des six fonctions de l’étayage5 semblent avoir pour objectif de « contourner » les émotions ressenties par l’élève pour lui permettre d’apprendre : le contrôle de la frustration (aider l’élève à ne pas abandonner suite à des difficultés) et l’enrôlement (susciter chez l’élève une motivation, possiblement par des moyens affectifs). Les émotions sont bien vues ici comme un obstacle aux apprentissage que l’élève ne peut franchir sans l’aide d’une interaction de tutelle. C’est cette notion d’obstacle qui conduit les enseignants à opposer émotions et apprentissages : on chercher à amener l’élève à se placer dans une posture de réflexion où il oublie momentanément ses émotions et se consacre pleinement à la compréhension d’un apprentissage. On retrouve cette notion dans la théorie du multi-agenda de Dominique Bucheton: parmi les cinq postures de l’élève, on en retrouve deux ou l’élève se laisse « perturber » par ses émotions et ne peut rentrer dans l’activité : la posture du refus (l’élève refuse de faire par frustration, désespoir, appréhension, opposition à l’enseignant) et la posture ludique créative (l’élève détourne l’activité proposée pour en tirer du plaisir, de la joie). Les postures restantes demandent à l’élève ne pas se laisser «déborder» par ses émotions pour pouvoir rentrer dans l’apprentissage (posture première), adopter le comportement scolaire attendu (posture scolaire) et saisir les enjeux et les objectifs de la situation d’apprentissage (posture réflexive). Une autre raison pour laquelle les enseignants font peu appel aux émotions provient du cadre de l’institution scolaire même : le rôle de l’école est d’amener chaque élève à acquérir les compétences du socle commun. L’acquisition des ces compétences doit donc être évaluée en permanence par les enseignants. Il s’agit d’ailleurs d’une des cinq compétences principales du référentiel de compétences des professeurs de l’éducation nationale. Les enseignants sont donc incités à concevoir leurs séquences pédagogiques en visant des compétences dont la maîtrise est évaluable, mesurable. Même si la conception de l’éducation nationale à propos de l’évaluation à tendance s’éloigner de l’évaluation normative (situer le niveau de l’élève par rapport à une norme), et à se rapprocher d’une évaluation positive (valoriser les progrès et les réussites de l’élève), plus l’élève avance dans son parcours de scolarité, plus il sera évalué par rapport à une norme (notamment le niveau moyen de ses pairs). Les compétences émotionnelles semblent difficilement évaluables avec les outils classiques d’évaluation scolaire, il n’est d’ailleurs pas rare que l’émotion vienne « gêner » les enseignants lors de l’évaluation d’autre compétences, notamment celles d’expression (Comment évaluer un texte écrit par un élève qui traite d’expériences émotionnelles personnelles qui lui sont très chères ? Comment évaluer un dessin fait par un élève qui met en scène des personnages pour lesquels il éprouve un attachement affectif réel ?). Ces difficultés n’incitent pas les enseignants à penser le développement émotionnel comme un domaine d’apprentissage ou l’école peut intervenir. Les enseignants ont donc peu tendance à solliciter l’élève à adopter des postures où il doit exprimer ses émotions personnelles. Cette incitation, souvent non explicite, à placer sa concentration et sa réflexion avant son bien être émotionnel, est souvent intégrée par les élèves tout au long de leur scolarité. Elle est intégrée comme faisant partie du « métier d’élève » et comme attente de l’enseignant et plus largement de l’institution scolaire. Dans leur éventail de postures, ils disposent donc rarement d’attitudes leur laissant la possibilité d’exprimer leur ressenti. Dans les séances proposées, nous chercherons donc le meilleur moyen de parvenir à faire prendre à l’élève cette posture inhabituelle, inexistante dans la théorie de Bucheton, où il est à l’écoute de ses émotions et les exprime. Nous nommerons cette nouvelle posture « posture sensible ».

Émotions, musique et langage

                  Chercher à mettre en place des séances visant à produire un discours subjectif exprimant son ressenti face à une œuvre musicale, c’est se confronter au problème de la distance entre la musique et la langue. Vladimir Jankélévitch estime que la musique ne peut pas être réduite à une forme de langage : « incapable, au sens propre de développer, la musique est en outre, malgré les apparences, incapable d’exprimer ». Il y a donc une forme de distance entre langage verbal et musique : l’un cherche à développer des idées, dégager un sens, l’autre s’impose à l’oreille de celui qui l’écoute et ne possède de sens que celui que l’auditeur lui prête. Toute tentative de chercher un sens, une raison à la musique peut donc être perçue comme vaine et irréalisable. Cette distance entre langue et musique rend toute tentative de « description », ou « d’explication » d’un phénomène musical par des mots imprécise, incomplète, bancale. Mais pourtant l ‘humain qui veut communiquer avec ses pairs à propos de musique est forcé d’utiliser un langage pour se faire comprendre…produire un discours sur la musique, c’est se confronter à ce paradoxe : la nécessité d’utiliser un langage fondamentalement inadapté, tenter de mettre en mots ce qui est indicible en permanence. Musique et émotion semblent partager un point commun : les émotions peuvent aussi souffrir de cette « distance » avec le langage, a un degré moindre : lorsque l’on éprouve des sentiments complexes, on se rend parfois compte qu’aucun mot de vocabulaire à notre disposition ne peut décrire le ressenti. Ces deux formes d’expression sont-elles donc plus compatibles entre elles qu’avec la langue ? Selon Claudon et Weber, « il n’y a pas d’émotion qui se trace et reste dans le psychisme sans la présence d’un humain ». L’émotion a donc une composante sociale essentielle. Ce constat est également fait par Saarni : les composantes 2 ; 3 ; 4 ; 5 ; et 7 de sa définition de compétence émotionnelle ont des dimensions sociales, et ont souvent un objectif de communication lié au langage. Le langage lié aux émotions doit donc être sollicité autant que les simples réponses émotionnelles des élèves par le professeur qui veut chercher à développer la compétence émotionnelle chez ses élèves. Les situations que nous allons devoir créer en classe devront donc permettre aux élèves de produire du discours sur les émotions qu’ils ressentent au contact de la musique. Cependant, la distance entre langage et musique soulignée précédemment risque d’être un frein pour les élèves. De plus, la langue en elle-même est également soumis à des problématiques au sein de l’école : il existe des différences entre le langage adopté par les enseignants, le langage des élèves, et également des différences de langage entre élèves. Les élèves sont inégaux face aux langage : certains possèdent déjà le vocabulaire qui va leur permettre d’exprimer une large palette d’émotions nuancées, alors que certains seront déjà en difficulté pour désigner ce qu’ils ressentent. Nous allons donc tenter de proposer aux élèves d’autres moyens d’expressions que le langage oral ou écrit, qui ne sont pas soumises aux même attentes rigides de la part de l’institution scolaire et qui semblent plus aptes à « traduire » la musique.

Choix des langages intermédiaires

                     Nous avons mis en place différents moyens pour permettre aux élèves d’exprimer leur ressenti. Au début de l’année scolaire, avant de construire notre approche par la démarche de triangulation expliquée dans le partie 3, nous avons laissé les élèves exprimer leur ressenti verbalement tout de suite après l’écoute de la musique. nous cherchions à voir si les élèves étaient capables de mettre des mots directement sur des sons et émotions. Mais ceci s’est révélé très difficile pour les élèves. En effet, exprimer ce que l’on ressent, faire part de ses émotions via le langage simple, est quelque chose qui est, au final, assez complexe en raison de son immédiateté, l’exercice étant déjà difficile pour des adultes, même pour des musiciens C’est donc après avoir fait le constat de ces difficultés, que nous nous sommes penchés sur la question d’un langage intermédiaire, c’est à dire qui interviendrait entre l’émotion interne à l’élève et l’émotion externalisée suite à la production de ce langage. Cette triangulation, comme elle a été expliquée dans notre partie théorique, permettrait donc aux élèves d’exprimer leurs émotions avec plus d’aisance. Le langage corporel, le dessin abstrait ou encore le dessin libre auraient chacun des vertus différentes quand au expression des ressentis des élèves. Chaque expression verbale réagirait selon les supports utilisés.
1- Le dessin abstrait, ou les élèves avaient pour consigne de dessiner tout en écoutant la musique mais avec la consigne spécifique de « ne rien représenter », parfois avec des limitation du nombre de couleurs. L’enseignant les incitait ainsi à jouer sur les couleurs et les formes. Nous voulions ainsi voir si les élèves étaient capables de produire du langage émotionnel en partant de graphismes simples. Nous anticipions une grande similitude entre les dessins des différents élèves et étions curieux de voir si les discours produits sur les dessins allaient être tout autant semblables.
2- Le dessin libre, où les élèves pouvaient laisser libre cours à leur ressenti/ et leur imagination. Nous avions choisi cette approche en raison de l’enrôlement qui serait facile pour la majorité des élèves, qui aiment souvent dessiner. Les élèves font ici appel à leur créativité, mais peuvent être limités par leur compétences en dessin, voire totalement bloqués.
3- L’ expression corporelle, où les élèves pouvaient bouger tous leurs membres pendant que la musique était lancée. Nous voulions créer une situation ou les élèves s’exprimaient verbalement suite à une écoute sans avoir un support visuel. En effet, lors d’écoutes musicales, même passives, les élèves avaient tendance à bouger sur leur chaise selon le tempo, les instruments utilisés, la durée de la musique, le volume sonore…Il nous a alors paru intéressant d’utiliser cette approche qui leur semblait naturelle, la musique envoyant une certaine « énergie ».
4- Le choix d’images : Enfin, suite aux propositions de nos tuteurs, nous avons proposé aux élèves de donner leur ressenti en choisissant une image, parmi une sélection proposée par l’enseignant grâce au VPI. Par l’association du ressenti à des images, nous voulions analyser une approche où les élèves expriment leur ressenti non pas à partir de productions qui viennent d’eux, mais à partir d’images qui leur sont extérieures. Ce langage intermédiaire sollicite beaucoup moins la créativité que les autres. En effet, la suppression de l’aspect créatif lors de l’écoute musicale est-elle bénéfique pour tous les élèves ? Peut être avantage-t-elle les élèves en difficultés pour créer mais désavantage les esprits imaginatifs ?
Par ces cinq approches d’expression du ressenti, nous avons voulu croiser au maximum les résultats des élèves ainsi que recueillir le plus de données possibles, l’objectif de notre mémoire étant de chercher quel est le meilleur moyen d’obtenir les ressentis des élèves.

Analyses complémentaires

               Cette partie vise à analyse les séances restantes : la séance 11 qui est la seule à utiliser son type de langage intermédiaire , la séance 8 pour laquelle nous disposons d’un recueil différent, et enfin les séance A, B, C, organisées dans une école différente. La séance 11 est la plus efficace en terme de posture sensible : c’est la qu’on repère le plus grand nombre d’élèves au degré 1 et au degré 2. Pourtant nos impressions initiales étaient que cette modalité n’avait pas été très productive et que peu d’élèves exprimaient réellement leur ressenti. Cette première impression était peut-être due au faible nombre d’élèves utilisant le récit, un indicateur initialement estimé comme positif. L’exercice s’est en effet révélé plus facile pour les élèves : ici l’élève cherche plutôt à trouver des points communs entre un visuel et une écoute, à l’aide de son ressenti personnel. Il y fait donc appel « sans s’en rendre compte ». Contrairement aux autres séances, celle-ci ne fait pas appel à des compétences de créativité, mais uniquement à la compétence émotionnelle. Ceci vient renforcer notre idée que la créativité tend à empêcher l’élève de se placer dans une posture émotionnelle. La séance 8 nous apporte des éléments de compréhension supplémentaires sur l’approche corporelle. Bien qu’il n’y ait pas eu d’enregistrement vocal ni de prise vidéo, les résultats écrits au tableau nous montrent que le récit a toujours sa place dans la parole des élèves, bien que moins présent par rapport aux séances de dessins libres. Les élèves ont pu s’exprimer avec leur corps lors de l’écoute collective, certains s’engageant toujours aussi rapidement dans l’activité, et d’autres restant inactifs. Cependant, l’œuvre musicale choisie, « The Merchant Prince », véhicule des émotions plus diversifiées qu’« Odal » qui, elle, transmettait une sensation principale. Ce support a donc, selon nous, apporter plus de variables dans les mouvements des élèves. En effet, peu d’entre eux faisaient les mêmes gestes, ce qui a eu une influence sur les ressentis. On y trouve quelques mots appartenant au champ lexical de l’émotion, mais aussi des éléments de narrations divers et variés, sans tendances particulières. Cela vient conforter l’analyse des séances 6 et 9, dans le sens où les musiques avec une émotion dominante et facilement identifiable permettrait aux élèves d’adopter la posture sensible. Les séances supplémentaires A, B, et C peuvent également nous apporter certaines informations : on remarque que l’utilisation d’une œuvre musicale associée à un objet culturel populaire (Star Wars pour la séance B), influence grandement les productions d’élèves (plus d’un tiers des dessins représentaient des éléments liés au films). On peut également observer dans ces séances un phénomène de mimétisme important : de nombreux dessins d’élèves reprennent des éléments identiques à celui de leur voisin de classe (environ un quart des élèves pour la séance A). Le contexte social influence donc la manière dont les élèves réagissent face à une œuvre. Nous nous sommes également intéressés aux récurrences dans les dessins d’élèves d’une séance à l’autre. Les résultats obtenus montrent qu’en comparant les séance A et B, plus de 60% des élèves réutilisent au moins un élément de leur dessin précédent. Le dessin libre leur a donc bien permis d’exprimer des idées personnelles, mais elles semblent être finalement peu influencées par la musique entendue. Ceci s’est vérifié lors des phases de langage ou les élèves commençaient souvent par décrire leur dessin. Mais avec l’aide des questions plus orientées de l’enseignant, la plupart des élèves ont ensuite été capables d’exprimer une forme de ressenti. La séance C était une séance utilisant le dessin abstrait, ce qui s’est révélée difficile à appréhender pour les élèves : en effet, un peu moins de la moitié des élèves n’ont pas respecté la consignes et on utilisé un ou plusieurs éléments figuratif dans leur dessin. Les phases de langage étaient également centrées sur la description des dessins, avant les questions plus orientées de l’enseignant. Lors de ces séances, l’enseignant a tenté de mettre en place plus d’interactions entre élèves, ce qui a donné lieu a des échanges intéressants, où certains élèves manifestaient de l’incompréhension face à des dessins réalisés par leurs camarades, qui tentaient ensuite de les justifier. Organiser cette forme de débat nous paraît être un moyen de travailler les composantes 2 (l’habileté à reconnaître les émotions d’autrui) et 4 (l’ empathie) de la compétence émotionnelle.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

1. Introduction.
2. Les émotions à l’école
2.1. Un obstacle à l’apprentissage ?
2.2. Pourquoi donner une place aux émotions à l’école ?
2.3. Qu’est-ce que la compétence émotionnelle ?
3. Émotions, musique et langage
4. Démarche de recueil de données
4.1 Présentation du contexte
4.2. Choix des différentes modalités
4.2.a. Choix des supports
4.2.b. Choix des langages intermédiaires
4.3 Liste détaillée des séances effectuées
4.3.a. Recueil de données principal
4.3.b. Recueil de données secondaire
4.3 Tableau récapitulatif et groupements de séances
5. Création des outils de l’analyse
6. Résultats de l’analyse
6.1 Analyse globale
6.1.a. Tableau récapitulatif
6.1.b Répartition des indicateurs de posture par élèves et par séances
6.1.c Remarques Générales
6.2 Analyses comparatives
6.2.a Comparaison de séances 5 et 10
6.2.b Comparaison des séances 6 et 7
6.2.c Comparaison des séances 6 et 9
6.3 Analyses complémentaires
7. Conclusion
8. Bibliographie
9. Annexes
Annexe A : Séance 5
Annexe B : Séance 6
Annexe C : Séance 7
Annexe D : Séance 8
Annexe E : Séance 9
Annexe F : Séance 10
Annexe G : Séance 11
Engagements de non-plagia

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *