Cadre de recherche
Quelle(s) didactique(s) du français en milieu scolaire ?
Français Langue Étrangère (FLE), Français Langue Maternelle (FLM), Français Langue Seconde (FLS) ou encore Français sur Objectifs Spécifiques (FOS)… Derrière ces nombreux sigles se trouve un même idiome. Ces différentes appellations prennent sens selon les divers contextes sociolinguistiques des locuteurs ou les contextes historiques et politiques de certains pays. Auger (2010, p. 73) mentionne toutefois que ces notions « se disputent maintenant des terrains scolaires et de formations ». En nous appuyant sur les textes officiels, nous chercherons donc à définir d’une part les approches didactiques du français à l’école et d’autre part les pistes pédagogiques et méthodologiques envisageables envers les élèves allophones.
Préconisation des textes officiels
Le nouveau Socle Commun de Connaissances, de Compétences et de Culture (SCCCC) est entré en vigueur à la rentrée 2016. Ce document présente les connaissances et les compétences à acquérir à l’issue de la scolarité obligatoire qui a lieu de 6 à 16 ans. Notre recherche s’intéresse au domaine 1 du socle « des langages pour penser et communiquer » qui regroupe les objets de savoir et les outils à savoir : la langue française, les langues vivantes étrangères ou régionales, les langages mathématiques, scientifiques et informatiques, les langages des arts et du corps. Ce domaine suppose :
… la maîtrise de codes, de règles, de systèmes de signes et de représentations et met en jeu des connaissances et des compétences qui sont sollicitées comme outils de pensée, de communication, d’expression et de travail et qui sont utilisées dans tous les champs du savoir et dans la plupart des activités (M.E.N., 2015b, p. 1).
Le SCCCC évoque d’emblée la maîtrise de la langue française , langue première de la grande majorité des élèves scolarisés en France. Il mentionne également la pratique de deux langues vivantes étrangères. Comment comprendre et répondre aux exigences communicatives et linguistiques du socle dans le cas des EANA ?
Mise en perspective des concepts de FL1/FLM, FLE et FLS
Encore jusqu’aux années 2000, l’institution, par le biais de ses textes officiels, ne distinguaient que deux domaines d’apprentissage/enseignement du français : le Français Langue Maternelle (FLM) s’adressant à des natifs et le Français Langue Étrangère (FLE) s’adressant à des non natifs (Davin-Chnane, 2008). Précisons que dans le cadre de notre étude, nous utiliserons la dénomination français langue première (FL1) plutôt que maternelle (FLM), ce « qui a pour avantage de ne pas relier mécaniquement l’enfant à sa mère » (Azaoui, 2014, p. 30). La langue première est donc la langue de première socialisation acquise dès le plus jeune âge grâce à l’entourage proche de l’enfant (Cuq, 1995). La langue française dont la maitrise est exigée par le socle n’est pas la langue première des EANA. La circulaire de 2012 mentionne alors l’apprentissage du FLS ; quel est donc ce statut et à quel concept didactique le rattacher ?
Des auteurs comme Vigner (2001), Davin-Chnane (2008) ou Cortier (2012) tentent de répondre à cette question en rappelant les contextes socio -historiques de l’enseignement/apprentissage du français. La fin du XIXème siècle est une période d’expansions coloniales au cours de laquelle la France ouvre « l’ère de la Francophonie » en mettant en place des premières expériences d’enseignement aux « indigènes » (Cortier, 2012, p. 22). Dans cette logique colonialiste, le français deviendra la langue de l’école et de l’administration. Cela donne ainsi un statut de langue seconde au français. Or, ce concept de FLS n’était pas encore clairement distingué. Le XXème siècle est marqué par l’indépendance des colonies, le rapprochement des pays européens. Dans des pays où le français n’a pas de statut politique ou social spécifique, des écoles, des universités ou encore des alliances françaises proposent un enseignement du français comme langu e vivante. Le concept de FLE prend ainsi sens. À partir des années soixante en France, le contexte d’immigration entraine le développement des modalités de scolarisation des enfants d’immigrés. Ces derniers doivent apprendre la langue française et acquérir des savoirs disciplinaires dans la langue française. Comme le précise Davin-Chnane cette situation est assez complexe et relève à la fois du FLE et du FL1.
Transversalité des didactiques du français pour les EANA
Nous avons développé précédemment que le FL1, le FLM et le FLS se différencient par leurs contextes socio-historiques. La notion de continuum à partir de ces trois concepts nous incite à dégager certains principes didactiques pour mettre au jour des pistes méthodologiques et pédagogiques en FLSco.
Le premier objectif du domaine 1 du SCCCC (2015) concerne la langue. Afin de maîtriser les connaissances et compétences du socle commun, l’élève doit « comprendre, s’exprimer en utilisant la langue française à l’oral et à l’écrit ». À l’écrit, il doit utiliser « les principales règles grammaticales et orthographiques ». Le texte évoque les capacités à produire de l’oral et de l’écrit de « façon claire et organisée » et à argumenter. La notion de discours adapté à une situation et des interlocuteurs spécifiques est également mentionnée. Par ailleurs, les différents usages de la langue sont pris en compte : « L’élève emploie à l’écrit comme à l’oral un vocabulaire juste et précis », « il apprend que la langue française a des origines diverses et qu’elle est toujours en évolution ». Au regard de nos lectures en didactique analysant le socle mis en place en 2006 (Auger, 2010 ; Azaoui, 2014), il semblerait que le socle de 2015 prenne davantage en considération l’élève comme un être social qui apprend les différents usages du français selon des situations de communication et non pas seulement ses codes et ses règles linguistiques.
En ce qui concerne les EANA, la circulaire de 2012 préconise l’accueil de ces élèves dans un dispositif spécifique dénommé Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants (UPE2A). Ainsi, l’élève allophone inscrit initialement dans une class e ordinaire sera également pris en charge dans cette structure spécialisée à raison de 9h à 12h par semaine. Des ajustements peuvent être réalisés au cours de l’année selon les besoins de l’élève. La circulaire ajoute par ailleurs la possibilité d’assurer un suivi linguistique au-delà de la première année de scolarisation en France si cela s’avère nécessaire. Si l’on s’appuie sur les recherches de BoyzonFradet et Chiss (1997), on comprend que les situations en classe ordinaire et en UPE2A apportent à l’élève un apprentissage à la fois implicite de la langue par imprégnation ainsi qu’un apprentissage plus explicite et institutionnel. L’EANA scolarisé en France profitera donc d’environnements d’enseignement/apprentissage où sont exploitées les didactiques du FLM (principalement en classe ordinaire) et du FLS (principalement en UPE2A) dont la didactique est toutefois à considérer comme un continuum entre FLM et FLE.
Par ailleurs, les groupes de travail initiés par les Centres Académiques pour la Scolarisation des enfants allophones Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs (désormais CASNAV) concrétisent la notion de transversalité des didactiques pour les EANA. Des travaux ont en effet mené à la réalisation d’outils pour les enseignants créant ainsi un répertoire de « ressources FLSco ». En octobre 2012, un document a notamment été créé afin d’aider à évaluer les EANA tout au long de l’année scolaire (M.E.N., 2012b). En mêlant socle commun, programmes et Cadre Européen Com mun de Référence pour les Langues (CECRL), ce document propose à la fois une grille d’évaluation complète ainsi que des pistes pédagogiques pour l’enseignant. C’est un complément au Livret Scolaire Unique (LSU) qui suit tous les élèves jusqu’au cycle 4. Notons que ce document ne contient pas les nouveaux éléments des Instructions Officielles de 2015. Il reste cependant un outil très intéressant pour le suivi des EANA et marque la volonté d’inclusion pour les élèves allophones. Dans ce même sens, Auger (2010, p. 80) mentionne dans son ouvrage la nécessaire « transculturalité méthodologique » des différents champs d’enseignement/apprentissage du français menant ainsi à une culture commune en FL1 et FLS. Ce qui nous amène à réfléchir aux pratiques envisageables en classe dans la partie suivante.
Enseignant en FLS : un spécialiste du FLM et du FLE ? Si l’objectif des EANA est d’atteindre les objectifs du FL1, ce sont les approches complémentaires du FL1 et du FLE/FLS qui pourront les y aider. La notion de continuum FL1/FLS/FLE explicitée précédemment nous incite ainsi à approfondir les conséquences sur les pratiques et conceptions méthodologiques envisageables.
Les approches communicative et actionnelle du FLE permettent d’envisager l’enseignement/apprentissage de la langue seconde en contexte : selon des situations de communication pour lesquelles le locuteur met en œuvre des actes de langage mobilisant ainsi ses connaissances linguistiques. La dimension de l’oral étant primordiale dans ces approches, cela permet de compenser le peu d’intérêt du FL1 pour ce canal de communication (Auger, 2010). Le FLE a aussi apporté l’importance de l’analyse des besoins et de la centration sur l’apprenant (Cortier, 2012). C’est également ce que confirme Auger (2010) en évoqu ant l’enseignant de FOS qui s’intéresse à ses apprenants afin de monter des séquences d’apprentissage au plus près des besoins de son public. L’auteure fait ainsi le parallèle avec le concept de différenciation pédagogique en FL1 permettant de gérer l’hétérogénéité d’une classe.
Au-delà des besoins linguistiques et communicationnels, elle énumère différents besoins sociolinguistiques des EANA comme : relativiser les représentations liées aux langues, aux cultures et aux parcours migratoires ainsi que devenir un locuteur à l’école et hors école. Ces objectifs ne font pas partie des objectifs du FL1, décidés par les programmes, car ils seraient considérés comme acquis chez les locuteurs natifs.
Rubriques du questionnaire
Le questionnaire est construit avec différentes rubriques. En fonction des premières réponses de la personne interrogée (rubriques 1 à 3), l’algorithme de Google Forms l’invitait à répondre aux rubriques adaptées à son profil . Le questionnaire visait le constat de compétences atteintes ou partiellement atteintes chez des EANA en cycle 3. Ainsi, les enseignants ayant répondus favorablement à la question « Avez-vous remarqué si des EANA atteignaient les compétences attendues en cycle 3 ? » (rubrique 4 à 6) avaient accès à une nouvelle rubrique pour préciser leurs constatations (rubrique 7). Le questionnaire prenait fin par un espace libre de remarques pour chaque participant au questionnaire (fin de la rubrique 7 et rubrique 8).
C’est la rubrique 7 qui est le cœur de notre questionnaire et nous permet d’approfondir notre recherche. Nous avions fait des propositions de réponses pour les quatre premières questions. Une ligne « autre » permettait d’apporter une réponse libre. Les deux premières questions étaient générales et concernaient les disciplines et les types d’activités dans lesquelles les enseignants ont observé des réussites. La question suivante s’intéressait plus précisément à la production écrite et les propositions de réponses étaient des éléments d u programme de français du cycle 3. La quatrième question interrogeait les enseignants sur une explication hypothétique des compétences mentionnées auparavant.
Analyse des textes descriptifs
Pour analyser les compétences dans la production de textes descriptifs, nous examinerons les activités DescPORT et DescPROJ pour les deux élèves. La première vise la production d’un portrait physique et moral et la seconde vise la description de projets de vacances.
Nous analyserons deux textes écrits par Yosef (DescPORT, Annexe 10a et DescPROJ, annexe 11a) pour lesquels nous pourrons observer les brouillons. L’activité DescPORT a été réalisée en novembre et DescPROJ en mars. Le texte final correspondant à DescPORT présente une faible cohérence thématique et la fin tend à devenir un texte narratif. En effet, l ’élève choisit un personnage de dessin-animé qu’il apprécie et pour qui il semble souhaiter raconter ses aventures. Par ailleurs, Yosef s’approprie la consigne dans son cahier d’écrivain comme il l ’entend en ajoutant un paragraphe sur ses propres goûts. Ce souhait d’expression est louable mais cela ne répond pas à la tâche d’écriture demandée. D’un point de vue morphosyntaxique, on retrouve une cohérence syntaxique satisfaisante dans les deux textes. Yosef propose toutefois une accumulation de propositions simples, reliées par le connecteur « et ». Les systèmes de temps sont généralement pertinents et la morphologie verbale est maitrisée pour les formes au singulier. Des difficultés persistent pour les accords au pluriel. Il est possible que Yosef ait davantage eu à utiliser des structures à la première ou à la troisième personne du singulier dans les productions écrites et il est parfois plus facile d’écrire en parlant de soi ou d’une personne que l’on connaît bien. La segmentation des éléments des textes est inexistante, notamment pour la production DescPORT dans laquelle Yosef n’organise pas son texte en paragraphes. La ponctuation n’est pas maitrisée : il n’utilise pas ou peu de points et les majuscules ne sont pas utilisées selon l’usage (début de phrase, nom de pays).
Pour synthétiser, les éléments relevés pour les textes descriptifs sont globalement similaires à ce que nous avions analysé p our la production de textes narratifs. Yosef semble prendre peu de risques dans la construction de ses phrases et accumule des propositions simples.
L’organisation par paragraphes telle qu’elle a été étudiée pour le portrait n’est pas maitrisée. Il semble en outre que Yosef n’envisage pas l’intérêt des premiers jets et de leurs révisions.
Discussion des résultats
Cette partie va nous permettre de mettre en perspective les réponses du questionnaire et l ’analyse de cas en proposant des interprétations possibles. Nous pourrons ainsi envisager des remédiations envers ces deux élèves allophones. Nous ferons donc un bilan des résultats selon les compétences morphosyntaxiques d’une part et les compétences pragmatiques et sémantiques d’autre part. Ensuite, nous développerons encore les compétences méthodologiques que nous avons pu observer. Dans une dernière partie, nous aborderons les limites de notre étude.
Compétences morphosyntaxiques
Les exercices de systématisation analysés visent des compétences morphosyntaxiques au niveau du mot (VocaSYN, VocaPREF, ConjREC) et de la phrase (ConjPHRA). Les enseignants ayant répondu au questionnaire sélectionnent en premier lieu des compétences dans la réalisation des exercices de systématisation. Les activités de vocabulaire sont globalement réussies et cela pourrait s’expliquer par des transferts possibles avec l’italien ou un lexique en français suffisamment développé. Cette possibilité de transfert de la langue première et l’aspect répétitif de ce type d’exercice peut expliquer la réussite des EANA. L’utilisation de la leçon pour VocaPREF fut, semble-t-il, efficace pour la réalisation de l’exercice. Pour les activités de conjugaison sur le futur simple (ConjREC, ConjPHRA et DescPROJ), les éléments de réussite se situent surtout dans la reconnaissance de verbes conjugués. La production d ’un verbe correctement formé paraît difficile pour les deux élèves. Il leur semble toutefois plus accessible d’écrire un radical correct plutôt qu’une terminaison. Cela nous laisse croire à une analogie avec l’italien dans lequel le graphème « r » est systématiquement présent pour ce temps verbal.
Les diverses activités de productions de textes ne visent pas systématiquement des compétences morphosyntaxiques au niveau de la phrase. Elles proposent plus souvent l ’observation de la morphosyntaxe sur l’ensemble du texte et entre les phrases. Ainsi, nous avons analysé des systèmes de temps pertinents mais parfois non homogènes sur tout le texte.
La concordance des temps n’est en effet pas toujours respectée. Nous notons par ailleurs des difficultés dans la construction de phrases. Yosef accumule généralement des propositions simples avec l’unique articulateur « et ». Isidor ose produire des phrases complexes mais n’est pas en mesure d’exploiter des substituts pronominaux ou nominaux pour éviter les répétitions.
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Table des matières
Résumé /Abstract
Remerciements
Sigles utilisés
Introduction
Chapitre I : Cadre de recherche
1.1. Quelle(s) didactique(s) du français en milieu scolaire ?
1.1.1. Préconisation des textes officiels
1.1.2. Mise en perspective des concepts de FL1/FLM , FLE et FLS
1.1.3. Transversalité des didactiques du français pour les EANA
1.2. L’écrit à l’école
1.2.1. Construction du langage écrit
1.2.2. Types d’écrits et types de textes à l’école
1.2.3. L’évaluation de l’écrit
Chapitre II : Terrain et méthodologie de recherche
2.1. Questionnaire : constatations générales d’enseignants
2.1.1. Personnes interrogées
2.1.2. Rubriques du questionnaire
2.2. Étude de cas particuliers : deux élèves en CM1
2.2.1. Profil des élèves
2.2.2. Types de données recueillies
2.2.3. Grilles d’évaluation des productions écrites
Chapitre III : Analyse des données et résultats
3.1. Questionnaire
3.1.1. Compétences globales en cycle 3
3.1.2. Compétences selon les types d’activité
3.1.3. Compétences en production écrite
3.1.4. Conclusion intermédiaire
3.2. Étude de cas
3.2.1. Analyse des exercices de systématisation
3.2.2. Analyse des textes narratifs
3.2.3. Analyse des textes descriptifs
3.3. Discussion des résultats
3.3.1. Compétences morphosyntaxiques
3.3.3. Compétences pragmatiques et sémantiques
3.3.3. Compétences méthodologiques
3.3.4. Origine des compétences observées : les limites de l’étude
Conclusion
Bibliographie
Annexes
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