Matériaux ferromagnétiques
Les origines du magnétisme à l’échelle atomique
Depuis des millénaires, les hommes sont attirés et intrigués par les matériaux magnétiques. Quatre milliers d’années avant notre ère déjà, en Égypte pré-dynastique, on se faisait enterrer avec des objets fabriqués avec des matériaux magnétiques, notamment à base de fer. Cela n’est probablement pas un hasard, tant déjà ce type de matériaux, à la capacité mystérieuse d’attirer le fer ou autres matériaux magnétiques, a de quoi fasciner. Dans l’Égypte ancienne, on parlait même de « matière vivante ». Il faudra attendre le XIème siècle pour que ces propriétés magnétiques soient mises à profit par l’homme avec l’invention de la boussole que l’on attribue en général aux Chinois. En 1922, Stern et Gerlach, sont les premiers à mettre en évidence expérimentalement l’existence d’une propriété magnétique de l’électron. Leur expérience a permis de mettre en évidence deux états magnétiques possibles pour les électrons. Par analogie avec un modèle planétaire, non seulement l’électron orbiterait autour du noyau, ce qui lui donnerait un premier moment magnétique appelé moment orbital mL, mais il tournerait également sur lui-même, ce qui lui donnerait un second moment magnétique mS appelé spin (de l’anglais to spin, tourner).
Les protons possèdent eux aussi un moment magnétique, mais ce dernier étant inversement proportionnelle à la masse et la masse du proton étant elle-même environ 2000 fois supérieure à celle de l’électron, ce moment magnétique est donc négligeable devant celui des électrons. Ainsi, les propriétés magnétiques des atomes viennent principalement de leur nuage électronique . Le moment magnétique total d’un atome est la somme de ces moments orbital et de spin. Les règles de Hund permettent de déterminer l’orientation des différents spins lors du remplissage des différentes couches. Au final lorsqu’une sous-couche est totalement remplie, elle possède autant de spins up que de spins down et ne participe donc pas au moment magnétique total de l’atome. Seules les sous couches partiellement remplies peuvent donc participer au magnétisme. D’autre part, dans la matière condensée, les sous-couches extérieures des atomes sont remplies par la formation de liaisons avec leurs voisins.
A l’échelle macroscopique, un matériau constitué d’atomes magnétiques n’est pas pour autant forcément magnétique. En effet, rien n’impose a priori que l’ensemble des moments magnétiques des atomes le composant aient la même direction. Ces moments magnétiques peuvent être ordonnés (ferromagnétisme, antiferromagnétisme ou ferrimagnétisme) ou désordonnés (paramagnétisme). Cet ordre à l’échelle atomique entre plus proches voisins est dû à une interaction électrostatique appelée échange. Cet échange provient du recouvrement des orbitales incomplètes à l’origine du moment magnétique (3d dans le cas des métaux). C’est donc un phénomène qui n’intervient que sur des très courtes distances. Si l’on considère deux électrons i et j appartenant à une sous-couche externe de deux atomes voisins, il peut exister une région dans laquelle on a recouvrement des fonctions d’onde associées. Les deux électrons peuvent ainsi passer dans cette zone et deviennent, d’après le principe d’incertitude d’Heisenberg, indiscernables. Il peuvent donc indifféremment permuter, d’où le terme d’échange.
Transport électronique dans les matériaux ferromagnétiques
Conduction à deux courants
Dans les métaux, le courant électrique est en général décrit comme un déplacement de charges négatives sans influence de leur spin. Le comportement de la résistivité avec la température doit suivre la loi de Matthiessen [MV64]. C’est Sir Nevill F. Mott qui en 1936 va le premier mettre en évidence un comportement différent de la résistivité des métaux ferromagnétiques en dessous de la température de Curie [Mot36]. la résistivité obtenue expérimentalement est inférieure à celle calculée sans tenir compte de l’aimantation du matériau. Il propose alors un modèle de transport à deux canaux . Ce modèle sera développé un peu plus tard par A. Fert et I.A. Campbell dans une étude consacrée à la conduction à deux courants dans le nickel [FC68]. Les électrons dont le spin est orienté suivant l’aimantation locale (électrons majoritaires) et ceux dont le spin est opposé à la direction de l’aimantation locale (électrons minoritaires), se propagent dans deux canaux parallèles. la conductivité est proportionnelle à la population d’électrons présents dans la bande de conduction.
A basse température (T < TC), la résistivité d’un matériau ferromagnétique étant spin-dépendante, si l’on applique un champ électrique sur ce matériau, la proportion d’électrons portant un spin up sera plus importante que celle d’électrons portant un spin down. On dit alors que le courant est polarisé. Ce courant de moments magnétiques est appelé courant de spins. Il accompagne ici un courant de charges mais on verra plus tard que des courants de spins peuvent également exister sans courant de charge.
Magnétorésistance Géante
La découverte majeure qui est à l’origine de l’engouement pour la spintronique (ou électronique de spin) est la magnétorésistance géante (en anglais Giant Magnetoresistance, GMR). Découverte à la fin des années 80 par Albert Fert [BBF+88] et Peter Grünberg [BGSZ89], elle leur a valu en 2007 le prix Nobel de physique. Ce phénomène peut-être décrit à l’aide du modèle à deux courants présenté précédemment. On considère une multicouche comme présentée sur la Figure 1.7 (a) composée d’une couche de métal non ferromagnétique (NM) prise en sandwich entre deux couches ferromagnétiques (FM1 et FM2) . On considère de plus que les aimantations des deux couches ferromagnétiques sont saturées et, dans un premier temps, orientées dans la même direction. On parlera de configuration parallèle (P). Comme nous l’avons vu précédemment, lorsqu’ils traversent une couche ferromagnétique, les électrons majoritaires et minoritaires ne voient pas la même résistance. Supposons que la résistance vue par les électrons majoritaires soit notée r↑ et celle vue par les électrons minoritaires R↓ avec r↑ < R↓ Les électrons de spin ↑ vont voir deux résistances faibles r↑ lorsqu’ils vont traverser les deux couches FM tandis que les électrons de spin ↓ verront deux résistances élevées R↓. On suppose ici que les électrons conservent leurs spins durant toute la traversée de la multicouche .
Accumulation de spin
La théorie associée au phénomène de GMR a été développée par Valet et Fert en 1993 [VF93]. Ils décrivent dans cet article le transport électronique par une équation de Boltzmann incluant les potentiels chimiques dépendants du spin µ+ et µ− respectivement associés aux spin ↑ et ↓ ainsi que le temps de retournement de spin τsf . La différence des potentiels chimiques des spin ↑ et ↓ à l’interface entre un métal ferromagnétique (FM) et un métal non ferromagnétique (NM), est due à un phénomène appelé accumulation de spin. Si on injecte un courant à travers une telle interface , dans le matériau FM, loin de l’interface, le courant est polarisé. Le courant de spin ↑ est plus important que celui de spin ↓. Inversement, loin de l’interface dans le métal NM, la conduction étant indifférente au spin des électrons, le courant est non polarisé. Ainsi, à l’interface, il arrive depuis le matériau FM plus d’électrons portant un spin ↑ qu’il n’en repart vers le matériau NM. Il y a donc une accumulation de spin à l’interface qui se traduit par des potentiels chimiques différents pour les spins ↑ et ↓ . Nous avons fait plus tôt l’hypothèse que les électrons du courant conservaient leur spin durant toute la traversée de la multicouche. C’est évidement une approximation qui nous a permis de comprendre qualitativement le phénomène de GMR. Cependant, en réalité, les électrons vont subir de nombreux effets, notamment des collisions qui vont modifier leur spin. Il apparaît ainsi à l’interface FM/NM, un phénomène de relaxation de spin qui va s’opposer au phénomène d’accumulation de spin, ces derniers ne pouvant pas s’accumuler indéfiniment. On atteint ainsi un état stationnaire lorsque cette relaxation compense l’injection de spin. On définit alors deux grandeurs, un temps τsf et une longueur de diffusion de spin lsf représentant la distance moyenne qu’un électron parcourt entre deux collisions affectant son spin.
|
Table des matières
Introduction
1 Outils Théoriques
1.1 Matériaux ferromagnétiques
1.1.1 Les origines du magnétisme à l’échelle atomique
1.1.2 Transport électronique dans les matériaux ferromagnétiques
1.2 Interactions spin-orbite
1.2.1 Conséquences de l’interaction spin-orbite sur l’anisotropie magnétique
1.2.2 Effet de l’interaction spin-orbite sur le transport
1.3 Couples sur l’aimantation
1.3.1 Considérations de symétries
1.3.2 Origines des couples de spin-orbite
1.3.3 Les effets de l’oxydation
1.3.4 Débat sur l’origine physique des couples de spin-orbite
1.4 Objectifs de la thèse
2 Mesure quasi-statique par AHE
2.1 Présentation générale
2.2 Expression harmonique de la tension de Hall
2.3 Analyse des données
2.3.1 Champs effectifs induits par le courant
2.3.2 Artéfacts et corrections
2.3.3 Anisotropie magnétique
2.4 Fabrication des échantillons
2.4.1 Dépôts des couches minces
2.4.2 Réalisation des motifs
2.5 Conclusion
3 Résultats expérimentaux
3.1 Terme fondamental de la mesure quasi-statique d’AHE
3.1.1 Extraction de θM
3.1.2 Extraction du champ d’anisotropie
3.2 Mise en évidence des couples
3.2.1 Composante FL
3.2.2 Composante DL
3.3 Variation de l’épaisseur de matériau FM
3.3.1 Résultats expérimentaux
3.3.2 Effet de confinement quantique
3.3.3 Effets de la température
3.4 Influence de la nature de l’interface supérieure
3.4.1 Remplacement de la couche supérieure de MgO par une couche d’alumine
3.4.2 Variation de l’oxydation de la couche supérieure de MgO
3.5 Prise en compte de l’inhomogénéité des dépôts
3.6 Mesures de résistivité 4 pointes
3.7 Discussions
Conclusion Générale
Bibliographie