Transport de particules en milieu confiné
Depuis les expériences de vulgarisation de GI Taylor (voir les vidéos ici : http:// modular.mit.edu:8080/ramgen/ifluids/Low_Reynolds_Number_Flow.rm), il est connu que les propriétés d’écoulement des fluides à petite échelle sont bien différentes que celles à grande échelle à cause de l’absence de l’inertie. Dans ce travail, je m’intéresse à la propriété de transport de particules lorsque celle-ci sont confinées dans au moins une direction de l’espace. Je vais montrer que cela modifie totalement la physique du transport des particules en changeant la nature et la portée des interactions entre elles.
Ruptures technologiques
La microfluidique est devenue au cours de la dernière décennie une véritable science à part entière (voir [4] ou [5] pour les enjeux actuels et [6] pour une revue). Je vais présenter ici quelques exemples d’expériences microfluidiques dont les propriétés étonnantes reposent toutes sur le confinement et ont permis la mise au point de nouvelles techniques. Elles ont pour application le tri, le mélange et le codage d’information.
Le tri est souvent une étape cruciale dans de nombreux procédés exigeant par exemple une taille précise de particule. Avec la mise au point de « métamatériaux hydrodynamiques » en 2004, l’équipe de Bob Austin ([7] et [8] notamment) nous montre une nouvelle voie pour relever ce défi. Ce réseau d’obstacles est orienté d’un certain angle par rapport à la direction d’écoulement. Ainsi le nombre et la forme des interactions de contact avec les plots dépendent de la taille des particules qui s’écoulent. Un tel procédé s’avère alors efficace pour effectuer par exemple le tri de microsphères de taille 0.8, 0.9 et 1µm . Cette technique a ensuite été appliquée avec succès au tri de cellule sanguines ([9], [10]) ou de biomatériels divers ([8], [11]). Cette manière de trier est en constante amélioration et ils ont récemment mis en avant que la forme des obstacles jouait aussi un rôle intéressant. Ils ont réussi, grâce à des obstacles triangulaires ([12], [13]), à améliorer significativement les performances de tri.
Dans la même idée d’innovation technologique, le transport de particules en milieu confiné a permis d’inventer une nouvelle technique de mélange. Classiquement, l’absence d’inertie dans les écoulements à petite échelle rend tout procédé de mélange complexe. En introduisant des boucles dans lesquelles circulent des bulles d’air, l’équipe de Whiteseides a réussi à fabriquer un mélangeur particulièrement efficace en microfluidique [14]. Tout repose sur le fait que, dû au confinement, les bulles alternent leur passage dans les deux zones de fluide et transportent de cette manière un fluide dans un autre. Ce mode de transport des bulles s’avère alors efficace pour le mélange.
Ce système reposant sur le transport de bulles à travers une boucle a été largement étudié, car il possède des propriétés intéressantes. Il permet aussi de concevoir un système logique en microfluidique [15] ou bien un système de codage/décodage d’information [16]. Dans le cas du système logique, (voir les vidéos pour plus de détail : http://www.sciencemag.org/content/315/5813/832/suppl/DC1) ils ont réussi à créer un système qui permet de faire les opérations logiques OU, ET, INV en considérant des bulles comme élément de langage. La présence d’une bulle code le 1 et l’absence code le 0. PAr exemple, lorsque deux bulles arrivent à une jonction de type « ET », seule une passe au-delà de la jonction pour réaliser la fonction logique. Ce design intelligent prend parti des interactions entre bulles pour effectuer ces différents opérations.
Même idée, autre application . Dans ce travail, Whitesides et al [16] prennent un système de deux boucles successives dans lequel ils injectent des particules à une fréquence donnée. Ils codent de l’information à travers la distance interparticule. La première boucle joue le rôle de codage en modifiant la distance inter-particule ; la deuxième boucle décode l’information et redonne la distance initiale entre les particules. Ainsi en donnant les distances interparticules codées d’un train de gouttes, seules les personnes connaissant les dimensions des boucles pourront décoder l’information et connaitre la vraie distance initiale. Par le jeu de deux distances (codant 0 et 1), on peut alors faire transiter n’importe quel message codé par ce système ! Ces systèmes représentent des nouvelles techniques de codage d’information de manière fluidique et pourraient s’avérer efficaces dans des situations où l’information électrique est difficilement transmissible.
A travers ces exemples, on voit que ce mode particulier de transport de particules crée des avancées technologiques pour le tri, le mélange ou le codage d’information. Mais avant tout, il est important de voir quelles sont les questions physiques adjacentes à ces problèmes.
Questions plus fondamentales
Un nouveau pan de la microfluidique a réellement vu le jour lorsqu’on a réussi à faire des gouttes dans des microcanaux grâce aux techniques de lithographie douce. Les idées d’applications en chimie ou en biologie ont fortement augmenté et des progrès spectaculaires ont ensuite été faits. Or on s’aperçoit que la première publication qui relate de la fabrication de gouttes à haut débit en microfluidique s’intéresse aux motifs pris par ces particules sous écoulement, [17]. Dans cet article fondateur de Thorsen et al, les auteurs caractérisent les différentes formes de train de gouttes qu’ils obtiennent avec une jonction en T . Tout d’abord, on peut noter que les particules ne se dispersent pas aléatoirement mais semblent former des cristaux 1D ou 2D. La question naturelle et primordiale que l’on se pose en voyant ces clichés est : quel est le domaine de stabilité de ces différents cristaux ? Certains semblent stables comme les cristaux 1D de singulets de particules ou de doublets (B) ainsi que les cristaux 2D (I-L). Des ondes semblent aussi se propager parallèlement à l’écoulement le long du cristal 2D représenté en F.
La compréhension de l’apparition de ces différents motifs est encore d’actualité. Dans le travail d’Hashimoto et al [18], les auteurs se demandent comment se développe un défaut dans un cristal de bulles. Tandis que dans le travail de Beatus et al [19], les auteurs cherchent à comprendre l’apparition d’ondes de densité dans un écoulement aléatoire 2D de gouttes. Dans ces articles, toutes ces formes n’ont jamais été pleinement expliquées. Mon travail de thèse a pour objectif de comprendre l’ensemble de ces motifs.
Transport de particules confinées dans deux directions de l’espace
Transport de particules dans des tubes
Je vais tout d’abord résumer les connaissances actuelles sur les modifications induites par la présence de particules dans des tubes. On se place évidemment dans le cas ou le rayon de la goutte est comparable à celui des canaux ; il ne s’agit pas de simples traceurs de fluide, les particules bouchent localement le canal et sont donc confinées dans deux directions.
Les expériences ainsi que les calculs ont ensuite été largement repris et affinés, notamment en 2004 par Hodges et al [33]. Ce qui guide le calcul pour obtenir ce résultat est la présence d’une très fine couche de liquide entre la bulle et les parois du tube, On comprend alors aisément que cette approche n’est plus rigoureusement valable pour des canaux de section carré avec la présence de gouttières .
Une étude expérimentale et théorique a été menée par l’équipe de Whitesides [34] sur la variation de pression à l’intérieur d’un canal carré due à la présence d’une bulle. Ils ont montré que cela entrainait une chute de pression, que celle-ci se localisait aux extrémités de la goutte et qu’elle dépendait de divers paramètres. Ils en déduisent que cette chute de pression due à la présence de la particule dérive principalement de trois facteurs :
– la fine couche de liquide entre la goutte et le canal.
– la présence des gouttières.
– la forme courbée de l’avant et de l’arrière de la goutte.
Ces deux canaux sont soumis au même gradient de pression. On voit que la présence d’une particule provoque une chute de pression au niveau de la particule. Cela a pour principale conséquence de créer des différentiels de pression plus faibles en amont et en aval de la particule. Ainsi, vu qu’il existe une relation linéaire entre débit et gradient de pression, on peut déduire de la courbe 1.17b que la vitesse du fluide est plus faible dans le canal avec la particule. Or on sait empiriquement ([35] et [36]) qu’une goutte, en cas de jonction entre deux canaux va toujours choisir le canal dans lequel la vitesse est la plus rapide. Une goutte arrivant à cette jonction, alors que l’une des branches est déjà occupée par une particule, va nécessairement choisir la branche inoccupée. De cette manière, la goutte arrivant à la jonction interagit avec celle déjà présente dans une branche. Bien que la perturbation soit locale au niveau du champ de pression, on voit que cela peut avoir une conséquence à plus longue portée.
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Table des matières
Introduction
1 Transport de particules en milieu confiné
1.1 Contexte du travail
1.1.1 Motivations industrielles
1.1.2 Ruptures technologiques
1.1.3 Questions plus fondamentales
1.2 Equations concernant le fluide
1.2.1 Equation de Stokes
1.2.2 Dynamique du fluide dans un tube
1.2.3 Dynamique dans un milieu bidimensionnel : la cellule de Hele Shaw
1.3 Transport de particules
1.3.1 Transport de particules dans un milieu libre
1.3.2 Transport dans un milieu confiné dans une direction de l’espace
1.3.3 Transport de particules confinées dans deux directions de l’espace
2 Vue d’ensemble
2.1 Positionnement du problème
2.2 Une expérience modèle
2.3 Questions soulevées
2.3.1 Invasion du réseau
2.3.2 Domaine de stabilité d’un cristal 1D de particules
2.3.3 Une dynamique intermittente
3 Techniques expérimentales
3.1 Techniques de gouttes en microfluidique
3.1.1 Contexte
3.1.2 Inconvénients des systèmes usuels de fabrication de gouttes
3.1.3 Vannes microfluidiques
3.2 Alimentation en fluide
3.3 « Flow Lithography »
3.4 Plusieurs techniques, un objectif
Annexe A : Technique de lithographie douce
Annexe B : Technique de gouttes en microfluidique
Annexe C : Technique de vannes en microfluidique
Annexe D : Protocole de fabrication de vannes microfluidiques externes
4 Transport unidimensionnel de particules confinées
4.1 Cadre d’étude
4.2 Résultats expérimentaux
4.3 Modélisation du problème
4.3.1 Analogie électrostatique
4.3.2 Relation constitutive de l’écoulement
4.3.3 Transition d’invasion
4.4 Robustesse des résultats
4.4.1 Influence de la dimension transverse du réseau
4.4.2 Influence de la présence d’obstacles
4.4.3 Influence de la nature et de la forme des particules
4.5 Au delà de l’hydrodynamique
4.5.1 Modèle d’exclusion
4.5.2 Trafic réel
5 Dynamique non-linéaire d’un cristal hydrodynamique 1D
5.1 Setup et enjeux
5.2 Résultats expérimentaux
5.3 Modélisation continue
5.3.1 Calcul par expansion du gradient
5.3.2 Comparaison modèle continu et modèle discret
5.4 Extension à d’autres systèmes
5.4.1 Autres systèmes, même phénoménologie
5.4.2 Apport de l’étude au contrôle en microfluidique
Conclusion
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