Les masses d’air troposphérique entrent dans la stratosphère par les régions tropicales (Brewer, 1949). Un grand nombre d’espèces chimiques émises dans ces régions conduisent à modifier l’équilibre chimique, radiatif et dynamique de la stratosphère. Les mécanismes de transport dans la zone de transition entre la troposphère et la stratosphère sont cependant encore mal connus. Ils jouent pourtant un rôle clef sur la stabilité de la couche d’ozone et le climat. Les aérosols volcaniques ont été utilisés par le passé comme traceurs dynamiques afin d’estimer la vitesse du vent dans la stratosphère par exemple après l’éruption du Mt Krakatoa en 1883 (Russel et al., 1888). Un siècle plus tard, les mesures d’aérosols depuis l’espace ont contribué à améliorer les connaissances de la dynamique de la stratosphère. Dans la continuité de cette démarche, le transport et les aérosols dans la haute troposphère et la basse stratosphère tropicale ont été étudiés dans ce travail de thèse à partir des mesures du lidar CALIOP à bord du satellite CALIPSO. Dans un premier temps, nous reviendrons sur les mécanismes d’échanges entre la troposphère et la stratosphère, avec une attention particulière sur le transport vertical aux tropiques dans la TTL (Tropical Transition Layer), la porte d’entrée des espèces troposphériques à plus haute altitude. En effet, les incertitudes liées à l’impact du transport rapide par overshoot à l’échelle globale par rapport au transport lent par échauffement radiatif, ne permettent pas pour l’instant de la modéliser correctement. Nous rappellerons ensuite l’origine des aérosols dans la stratosphère et les mécanismes qui conduisent à leur formation et à leur disparition. Puis nous décrirons rapidement les moyens d’observation utilisés depuis les premières analyses en ballon jusqu’aux dernières plateformes spatiales. Nous nous intéresserons ensuite aux premières mesures d’aérosols par lidar depuis l’espace qui ont conduit à CALIOP. Les conclusions du très récent rapport SPARC sur les aérosols stratosphériques seront reprises pour comprendre comment CALIOP peut apporter des éléments nouveaux sur le sujet.
Transport dans la haute troposphère et basse stratosphère
La haute troposphère basse stratosphère (en anglais: Upper Troposphere and Lower stratosphere ou UTLS) tropicale joue un rôle clef dans la circulation générale puisqu’elle est le lieu d’entrée des masses d’air troposphériques dans la stratosphère (Holton et al. 1995). Ce transport aux tropiques est responsable de l’acheminement d’un grand nombre d’espèces chimiques émises au niveau du sol jusque dans la stratosphère. Cependant, les mécanismes de transport à l’intérieur de l’UTLS, de la haute troposphère vers la basse stratosphère entre 14- 20 km sont encore discutés. Ils ont pourtant un rôle fondamental sur la destruction de l’ozone stratosphérique et le contrôle de la vapeur d’eau. Deux mécanismes sont aujourd’hui invoqués : la lente ascension par chauffage radiatif et le transport convectif en particulier au dessus des continents. Cependant, l’importance de l’un par rapport à l’autre est un débat toujours ouvert en raison de la quasi-absence de données d’observations dans la tranche d’altitude comprise entre 15 et 20 km au dessus des régions continentales tropicales. Cette zone, explorée seulement depuis peu par ballons et avions (Pommereau et al., 2007 ; Cairo et al., 2009), est quasi inaccessible aux satellites pour apporter des mesures fiables d’ozone, de vapeur d’eau et d’autres espèces, à la résolution verticale nécessaire. Dans ce chapitre, nous reviendrons sur le schéma de la circulation générale dans l’atmosphère avec une attention particulière sur l’UTLS tropicale. Nous nous intéresserons à la zone de transition, située dans l’UTLS, entre la troposphère et la stratosphère, appelée TTL (Tropical Transition Layer). Puis, nous examinerons les différents mécanismes de transport vertical dans la TTL qui sont aujourd’hui proposés, pour enfin conclure sur les moyens qui seront utilisés dans cette thèse pour tenter d’apporter des éléments de réponse au débat.
Pourquoi différencier la troposphère et la stratosphère ?
La troposphère et la stratosphère sont deux régions de l’atmosphère qui ont des propriétés dynamiques, chimiques et radiatives différentes. La troposphère aux moyennes latitudes se situe entre le sol et 12 km (fig.1) et son sommet peut atteindre 15-17 km dans les régions tropicales. Elle est caractérisée par un gradient thermique négatif favorisant l’instabilité et le transport vertical. Au contraire, la stratosphère, comprise entre 12-17 km et 50 km, présente un gradient de température positif la rendant, comme son nom l’indique, stratifiée et donc stable. Le minimum de température, appelé point froid, est souvent considéré comme l’altitude qui délimite ces deux régions. Cependant, il est maintenant établi que cette transition n’est pas ponctuelle mais qu’il existe une couche où l’on retrouve les caractéristiques des deux régions, une zone de transition, la TTL (en rouge sur la figure 1). La connaissance des propriétés de cette couche est fondamentale puisque c’est la « porte d’entrée » vers la stratosphère par laquelle passent toutes les espèces chimiques conduisant à modifier son équilibre. Le transport dans la stratosphère est ensuite contrôlé par la circulation de Brewer-Dobson.
La Circulation générale de Brewer-Dobson
Découverte de la circulation de Brewer-Dobson
Dans les années 50, les premières mesures de vapeur d’eau et d’hélium dans la basse stratosphère au dessus de l’Angleterre ont conduit à élaborer une théorie sur la circulation générale dans laquelle les tropiques jouaient un rôle fondamental. En effet, la pauvreté de la stratosphère en vapeur d’eau était incompatible avec les schémas de circulation de l’époque où stratosphère et troposphère étaient vues comme deux régions complètement découplées et indépendantes. Ces observations suggéraient l’existence d’une circulation générale dans laquelle l’air entrait dans la stratosphère par les régions tropicales, où la température qui règne au niveau de la tropopause conduisait à l’assécher par condensation avant son entrée dans la stratosphère (Brewer, 1949). Cette circulation permettait aussi à l’époque d’expliquer les valeurs élevées d’ozone observées aux moyennes latitudes avec un instrument appelé «Dobson ». Ainsi on lui donna le nom de circulation de Brewer-Dobson (BD).
Schéma général de la circulation de BD
L’air entre dans la stratosphère par les régions tropicales dans la circulation de BD. La première partie de ce transport est associée à la convection et à la formation de nuages convectifs appelés « cumulonimbus », transportant l’air depuis le sol jusqu’au niveau de flottabilité neutre vers 14 km (Holton et al., 1995). Cette convection dépend du chauffage solaire au niveau du sol et de la stabilité statique de l’air. Dans une atmosphère instable, l’air continue son ascension à plus haute altitude grâce à la chaleur latente libérée par condensation lorsque la saturation est atteinte. La deuxième étape de la montée au-dessus de 14 km serait induite par des mécanismes de grande échelle liés à la propagation des ondes planétaires dans la stratosphère (Holton et al., 1995). En effet cette propagation agirait comme une pompe qui aspire l’air dans les régions tropicales conduisant à sa lente ascension de la tropopause jusque dans la stratosphère (fig. 2). Les différences entre les échelles de temps associées au transport vertical dans la troposphère et la stratosphère tropicale impliquent de distinguer ces deux régions. En effet, dans les systèmes convectifs troposphériques, il correspond à des échelles de temps de quelques heures alors qu’il faut plusieurs mois pour qu’une une parcelle d’air monte dans la stratosphère dans la circulation de BD. Ces différences ont pour conséquence la rapide croissance et décroissance respectivement de la teneur en ozone et vapeur d’eau au-dessus de la zone de transition entre les deux régions. Il existe donc une couche où l’on trouve des caractéristiques d’air troposphérique et d’air stratosphérique, appelée TTL (Tropical Transition Layer).
Transport dans la TTL
Qu’est-ce que la TTL ?
La TTL est comme indiqué, la zone de transition entre la troposphère et la stratosphère aux tropiques située entre 14 et 18.5 km (Fueglistaler et al., 2009). C’est une zone où l’on retrouve à la fois les propriétés dynamiques, chimiques et radiatives de la troposphère et de la stratosphère. La figure 3 décrit les processus qui interviennent et qui influencent l’équilibre de la TTL. Les masses d’air troposphérique transportées dans les systèmes convectifs tropicaux atteignent environ 14 km (200 hPa), niveau de flottabilité nulle (symbolisé par la lettre (a) sur la figure 3). Ce niveau avoisine celui du chauffage radiatif nul (LZRH : Level of Zero Radiative Heating), au-dessus duquel l’échauffement devient positif (Corti et al., 2005). Il est caractérisé par un minimum de gradient thermique à partir duquel la stabilité statique de l’air augmente, avec cependant des injections profondes possibles à plus hautes altitudes au delà de la tropopause thermique (minimum de température) (h). L’air monte ensuite lentement par chauffage radiatif (d) jusque dans la stratosphère où la circulation de Brewer-Dobson prend le relais. La stratosphère tropicale est limitée en latitude par les jets subtropicaux qui jouent le rôle d’une barrière définissant une région de confinement appelée «tropical pipe » (Plumb et al., 1996) (f), alors que les échanges sont possibles dans TTL entre les tropiques et les moyennes latitudes (e). Cette vue de la TTL présente cependant encore des incertitudes. Parmi celles-ci, le transport vertical au travers de cette couche est encore sujet à débat. En effet, même si les observations récentes ont montré l’existence d’injections rapides à haute altitude par overshoot (Nielsen et al., 2007, Khaykin et al., 2009, Corti et al., 2008), la contribution de ce mécanisme à l’échelle globale par rapport à la montée lente par chauffage radiatif reste encore à évaluer.
Transport vertical dans la TTL
Comme on l’a vu précédemment, le transport vertical rapide dans les systèmes convectifs tropicaux suivi de la lente ascension due à la « pompe extratropicale » conduit au transport de l’air de la troposphère vers la stratosphère. Cependant même si des mesures à l’échelle globale de traceurs sont disponibles dans cette région (ex. MLS CO, Odin N2O), leur résolution verticale, limitée à +/- 2 km ne permet pas de conclure quant au mécanisme dominant de transport vertical dans la TTL (Ricaud et al., 2007 ; Schoeberl et al., 2006). Deux schémas entrent en compétition, le transport lent en plusieurs mois par chauffage radiatif et/ou le transport rapide par overshoots en quelques heures.
Chauffage radiatif
Le transfert radiatif est une branche de la physique qui s’intéresse à l’interaction entre le rayonnement et la matière. On parle de chauffage radiatif quand la matière absorbe le rayonnement pour le transformer en énergie thermique. Dans l’atmosphère, c’est l’eau (dans ces 3 phases), O3 et le CO2 qui sont les gaz qui interagissent avec le rayonnement solaire incident dans l’ultraviolet et l’émission infrarouge tellurique, produisant un refroidissement (ex. emission dans l’IR de H2O dans la stratosphère) ou un réchauffement (absorption de l’UV par l’ozone stratosphérique). Le bilan de ces interactions aboutit à l’établissement d’un niveau d’échauffement nul (Q=0) en dessous duquel l’air tend à descendre et au-dessus duquel il tend à monter. Aux tropiques et par ciel clair, ce niveau est situé vers 14 km ou encore 360 K (Gettelman et al., 2004). Le schéma aujourd’hui le plus courant est que l’air est transporté par convection jusqu’à 360 K où le chauffage radiatif prend le relais pour le soulever dans la basse stratosphère. Dans la TTL, la présence de nuages fins, illustrée sur la figure 4, modifie l’équilibre radiatif et induit un chauffage supplémentaire. L’effet est double, d’abord dû à un réchauffement global de la couche par absorption du rayonnement UV et ensuite à un réchauffement seulement de la base par le rayonnement IR. Ainsi, les calculs radiatifs montrent que l’influence des cirrus fins vers 370 K (16 km) conduit à une ascension de 0.2 K/jour (Corti et al., 2008). Il pourrait constituer l’élément clef permettant de transporter l’air du niveau moyen de la convection vers 14 km jusqu’à la basse stratosphère. Un autre mécanisme de transport, mais cette fois rapide a été proposé par Danielsen et al. [1982,1993], appelé « overshoot ».
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. TRANSPORT DANS LA HAUTE TROPOSPHERE ET BASSE STRATOSPHERE
II.1 INTRODUCTION
II.2 POURQUOI DIFFERENCIER LA TROPOSPHERE ET LA STRATOSPHERE ?
II.3 LA CIRCULATION GENERALE DE BREWER-DOBSON
II.3.1 Découverte de la circulation de Brewer-Dobson
II.3.2 Schéma général de la circulation de BD
II.4 TRANSPORT DANS LA TTL
II.4.1 Qu’est-ce que la TTL ?
II.4.2 Transport vertical dans la TTL
II.5 CONCLUSION
III. LES AEROSOLS STRATOSPHERIQUES
III.1 INTRODUCTION
III.2 HISTORIQUE : DECOUVERTE DE LA COUCHE DE JUNGE
III.3 AEROSOLS SULFATES
III.3.1 Eruptions volcaniques
III.3.2 Emissions de gaz précurseurs
III.3.3 Bilan et flux
III.3.4 Processus de transformation microphysique
III.4 AEROSOLS NON SULFATES DANS L’UTLS
III.5 METHODES D’OBSERVATION DES AEROSOLS STRATOSPHERIQUES
III.5.1 Instruments in situ
III.5.2 Mesure à distance par occultation solaire, lunaire ou stellaire
III.5.3 Observations au limbe
III.5.4 Observations à distance par lidar
III.6 CONCLUSION
IV. MESURE DES AEROSOLS PAR CALIOP
IV.1 INTRODUCTION
IV.2 CALIPSO
IV.2.1 Généralités
IV.2.2 Equations lidar
IV.2.3 Etalonnage
IV.3 ALGORITHME DE TRAITEMENT POUR LA RESTITUTION DES AEROSOLS STRATOSPHERIQUES
IV.3.1 Moyenne et construction de la grille régulière
IV.3.2 Transmission/Diffusion moléculaire/ Rapport de diffusion
IV.3.3 Masque de la SAA
IV.3.4 Masque des nuages
IV.4 EVOLUTION DES AEROSOLS STRATOSPHERIQUES AUX TROPIQUES DEPUIS JUIN 2006
IV.4.1 Problèmes d’étalonnage
IV.5 CONCLUSION
V. REVISION DE L’ETALONNAGE CALIOP
V.1 INTRODUCTION
V.2 ETALONNAGE STANDARD
V.2.1 Erreur sur le coefficient d’étalonnage
V.2.2 Les aérosols entre 30-40 km vus par SAGE II
V.3 AJUSTEMENT DE L’ETALONNAGE ENTRE 36-39KM
V.3.1 Méthode de réétalonnage
V.3.2 Moyenne zonale réétalonnée
V.3.3 CALIOP réétalonné et SAGE II à 30-34 km
V.4 REETALONNAGE AVEC LES MESURES D’AEROSOLS DE GOMOS
V.4.1 Mesure des aérosols par GOMOS
V.4.2 SR moyen à 30-34 km dérivé de GOMOS
V.4.3 Méthode de reétalonnage
V.4.4 Moyenne zonale des données reétalonnées
V.4.5 Corrélation entre CALIOP et le lidar sol de Mauna Loa
V.5 TEMPERATURE DANS LA STRATOSPHERE TROPICALE
V.5.1 Température dans la stratosphère tropicale de GEOS-5
V.5.2 Comparaison GEOS-5, CEPMMT (ECMWF) et MLS aux tropiques
V.6 REETALONNAGE A 36-39 KM AVEC CEPMMT
V.6.1 Méthode de réétalonnage
V.6.2 Moyenne zonale aux tropiques après reétalonnage
V.6.3 Comparaisons avec les mesures in situ en ballon
V.7 CONCLUSION
VI. LES AEROSOLS ET LE TRANSPORT DANS LA HAUTE TROPOSPHERE ET LA BASSE STRATOSPHERE TROPICALE
VI.1 INTRODUCTION
VI.2 EVOLUTION DES AEROSOLS STRATOSPHERIQUES AUX TROPIQUES VUE PAR CALIOP
VI.3 SOURCES ET PUITS DES AEROSOLS STRATOSPHERIQUES
VI.3.1 Alimentation de la stratosphère en aérosols par les éruptions volcaniques « moyennes »
VI.3.2 Stagnation à 25 km : rôle de la microphysique
VI.3.3 Puits des aérosols dans la basse stratosphère
VI.4 TRANSPORT DANS LA STRATOSPHERE
VI.4.1 Vitesse verticale dans la moyenne stratosphère
VI.5 TRANSPORT DANS LA TTL
VI.5.1 Transport méridional
VI.5.2 Transport vertical
VI.6 AEROSOLS DANS LA TTL
VI.7 CONCLUSION
VII. CONCLUSION GENERALE