CONCEPT D’INCERTITUDE
Définitions
Dans la littérature économique, les notions de risque et d’incertitude étaient souvent confondues. À ce propos, plusieurs chercheurs ont tenté de soulever la différence entre ces deux concepts. Dans son ouvrage, «Risk, Uncertainty and Profit» Knight (1921) considère « une situation de choix en avenir incertain est une situation de risque, lorsqu’il est possible d’ associer à chaque stratégie une distribution de probabilité des résultats. On se retrouvera au contraire dans une situation d’incertitude lorsque le décideur ne sera pas en mesure d’établir de telles distributions » (cité par Gilles, 1992, p.54). Il ressort de cette définition, une distinction significative entre le risque et l’incertitude. En effet, le risque peut être considéré comme une situation particulière de l’incertitude avec des probabilités connues ou des probabilités objectivement déterminées. Toutefois, on parle d’incertitude lorsqu’on ne sera pas en mesure d’ associer des probabilités à l’occurrence des événements futurs dans un avenir incertain ou inconnu (Ellsberg, 1961).
Cette distinction demeure insuffisante pour bien définir la notion de l’ incertitude. À ce propos, St-Pierre et Labelle (2017) estiment qu’ il n’existe pas une définition universelle de l’ incertitude. En effet, les chercheurs considèrent que les travaux réalisés dans ce domaine contribuent davantage à en caractériser différentes dimensions qu ‘à la définir.
Un survol de la littérature a montré l’existence de deux approches en matière d’incertitude économique, une approche positiviste et une approche comportementale.
L’approche positiviste affirme que l’incertitude existe indépendamment de la perception des décideurs, selon cette perspective l’ incertitude économique est qualifiée d’ objective (Mc Mullen et Shepherd, 2006 ; Lueg et Borisov, 2014 ). À cet égard, selon Aladwani (2002) l’incertitude dépend non seulement du degré d’ambiguïté, et de complexité d’ un système, mais aussi de son taux d’instabilité et du changement continuel des différents paramètres qui le composent (cité par St-Pierre et Labelle, 2017). De même, Duncan (1972) a indiqué qu’une forte incertitude se produit lorsque les éléments qui constituent un environnement sont dissemblables et changent constamment.
De plus, Ilvebare, Probert et Phaal (2014) définissent l’incertitude comme l’insuffisance ou l’imperfection de la connaissance ou de l’ information essentielle à la prise de décision, concernant les événements passés, présents ou futurs, ou les conditions dans et autour d’un système organisationnel. Pour ce qui est de l’approche comportementale, elle suppose que l’ incertitude résulte de la perception des décideurs quant à leur incapacité à prédire le résultat de leurs actions en assignant des probabilités d’occurrence (St-Pierre et Label, 2017). Par ailleurs, l’incertitude n’ est pas vue de la même façon par tous les décideurs, et, par conséquent, elle est subjective. Selon Milliken (1987), les dirigeants d’ une organisation confrontent l’ incertitude lorsqu’ ils tentent d’ analyser, de comprendre et de réagir aux conditions de l’environnement externe.
Dans la même lignée, Fajgelbaum (2016) définit l’ incertitude comme la variance de croyances des chefs d’entreprises. En effet, le terme croyances signifie la vision des dirigeants concernant l’état de la situation à la lum ière des informations qu’ i Is disposent.
Quant aux Jurado et al. (2015), ils considèrent l’ incertitude économique comme étant la volatilité conditionnelle d’une perturbation qui est imprévisible pour un grand nombre de variables macroéconomiques, du point de vue des agents économiques.
En outre, certains chercheurs considèrent l’ incertitude subjective comme étant un concept multidimensionnel À cet égard, dans son ouvrage « Three Types of Perceived Uncertainty about the Environnment : State, Effect, and Response Uncertainty », Milliken (1987) s’ intéresse aux trois dimensions de l’ incertitude perçue par les décideurs dans un contexte de prise de décision. Il s’agit d’ abord, de l’incertitude quant aux mesures que pourraient prendre les parties prenantes (les consommateurs, les concurrents, le gouvernement, etc.). Ce type d’ incertitude concerne aussi la probabilité ou de la nature des changements généraux de l’état de l’environnement (tendances socioculturelles, changements démographiques), cette dimension est appelée « state uncertainty ». Appelée « effect uncertainty)) ce deuxième type d’ incertitude est défini comme une incapacité à prédire quelle sera la nature de l’ impact d’un futur état de l’environnement ou du changement environnemental sur l’ organisation. Enfin, l’ incertitude de réponse (response uncertainty) est définie comme un manque de connaissances des possibilités de réponse aux changements environnementaux et à l’ incapacité de prédire les conséquences probables d’un choix de réponse.
Dans le même ordre d’idée, Weber (2000) distingue deux catégories d’ incertitude dans la gestion stratégique. La première concerne l’incertitude perçue quant à l’environnement de l’organisation. Il s’agit d’un manque de connaissances complètes et de l’imprévisibilité de l’environnement interne et externe de l’organisation.
La deuxième est plutôt propre à la prise de décision, elle concerne les circonstances dans le choix de décision où les informations nécessaires sont incomplètes.
Les outils de mesure de l’incertitude
Après avoir défini la notion de l’incertitude, il semble judicieux de s’intéresser aux éléments permettant de quantifier son niveau d’importance. Ainsi, cette partie sera consacrée aux outils de mesure de l’ incertitude.
L’incertitude est un concept général et non observable. Par conséquent, c’est une notion difficile à mesurer. Néanmoins, un certain nombre de mesures d’ incertitude ont été introduites dans la littérature économique. L’ utilisation de ces différentes mesures d’ incertitude pour quantifier ces impacts sur l’ activité économique débouche sur des résultats différents. Parmi ces outils de mesure, on trouve l’ indice de volatilité implicite (VIX) développée par Brenner et Galai (1986) qui mesure la volatilité anticipée du marché boursier américain (l’indice S&P 500). Selon Bekaert, Hoerova et Lo Duca (2013), les fluctuations du VIX reflètent fortement les mouvements d’incertitude. Cette mesure était fréquemment adoptée dans les travaux qui s’intéressent à l’impact de l’ incertitude économique sur la volatilité des marchés boursiers.
Par la suite, Dzielinski (2012) a développé un nouvel instrument de mesure de l’incertitude économique. En effet, c’est une mesure basée sur la prévalence des recherches internet pour les expressions telles que, « economy », « economics ». En effet, le chercheur se réfère à une approche provenant de la littérature psychologique, qui stipule que la résolution de l’incertitude est la motivation principale pour la recherche d’informations (Wilson, 1999).
Dans la même veine, Donadelli (2015) suggère que l’ incertitude sur l’ état de l’économie peut être saisie par le volume de recherches sur Google pour les sujets liés aux politiques économiques. Par ailleurs, l’auteur propose une mesure d’ incertitude construite à la base de trois indices en s’appuyant sur le volume des recherches sur internet:
1) Un indice basé sur le volume des recherches de Google sur le mot « marché boursier américain» ;
2) Un deuxième indice basé sur le volume de recherches de Google sur le mot « politique américaine » ;
3) Le troisième indice il est basé sur le volume de recherches de Google sur le mot,« Fed américaine ».
Appelé la méthode d’ analyse textuelle, cet outil a été largement adopté dans les recherches pour mesurer la variable incertitude économique. Il s’agit d’analyser les archives des journaux pour mesurer le niveau d’incertitude perçu par les différents agents économiques (Ramey et Shapiro, 1998 ; Wu et Cavello, 2012 ; Ramey, 2009). À ce propos, Alexopoulos et Cohen (2015) ont développé un indice qui mesure d’une manière générale le niveau de l’incertitude économique. Cet indice est fondé sur une analyse textuelle détaillée des articles publiés dans le New York Times. Les chercheurs suggèrent l’utilisation d’un ensemble de mots clés par exemple «incapable de prédire », « incertain» et «économie », dans le but de fournir une Image plus complète de l’ incertitude économique.
Dans la même perspective, pour capturer l’ incertitude de la politique économique spécifique à chaque pays, Brogaard et Detzel (2012) ont construit une mesure d’incertitude basée sur la fréquence des articles décrivant l’ incertitude de la politique économique dans 21 pays. Les articles doivent contenir des mots reflétant l’ incertitude des agents économiques tels qu’« ambigu », «incertain », « non confirmée », « indécise », de même que, des termes spécifiques aux politiques économiques tels que « banque centrale », « taxe », « règlement ».
Dans leur ouvrage «Measuring Economic Policy Uncertainty », Scott R. Baker, Nicholas Bloom, et Steven J. Davis (2013) ont élaboré une nouvelle méthode de mesure d’incertitude liée à la conduite des politiques économiques dans 12 pays. Il s’agit de l’Economic Policy Uncertainty index (EPU index) qui suit les effets d’ incertitude des politiques économiques sur: la volatilité implicite du marché d’ actions, les taux d’investissement au niveau des entreprises, les taux de croissance de l’ emploi et le niveau de la production industrielle. Par sa construction, l’ indice EPU pourrait être lié à l’ incertitude quant aux changements des politiques fiscales monétaires et budgétaires des États. Dans le contexte américain, l’ indice EPU US est calculé à fréquence journalière et construit sur la base de trois composantes, soit :
1) La fréquence à laquelle des expressions telles que « politique économique» et « incertitude» apparaissent ensemble dans les médias. En effet, l’ incertitude sur les décisions de politique économique est prise en compte par le nombre d’ articles contenant des termes spécifiques liés aux politiques (incertitude ou incertain, économique ou économique, Congrès, déficit, réserve fédérale, législation, réglementation). Les articles proviennent des 10 grands journaux américains à savoir: Boston Globe, Chicago Tribune, Dallas Morning News, Los Angeles Times, Miami Herald, New York Times, San Francisco Chronicle, USA Today, Wall Street Journal et Washington Post.
2) Le nombre de dispositions fiscales qui doivent expirer au cours des prochaines années. Cette composante donnera une mesure du degré d’ incertitude qui concerne la voie que le code fiscal fédéral prendra dans l’avenir.
3) L’écart des prévisions des dépenses publiques et de l’ inflation. En effet, les chercheurs utilisent le désaccord prévisionnel sur les achats des gouvernements fédéraux et des États locaux comme instrument de mesure de l’incertitude de la politique budgétaire. Toutefois, les prévisions de désaccord sur l’inflation future sont utilisées comme mesure indirecte pour l’ incertitude de la politique monétaire (Antonakakis et al. 2013).
Cependant, la série des indices EPU qui mesurent les niveaux d’incertitude des politiques économiques dans d’autres pays tels que la France, le Royaume-Uni et la Chine, est calculée à fréquence mensuelle uniquement sur la base de la première composante (la couverture journalière de l’ incertitude économique liée aux politiques économiques ).
IMPACT DE L’ INCERTITUDE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES SUR L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE
Les politiques économiques peuvent contribuer à l’ incertitude. En effet, les gouvernements influencent considérablement l’environnement dans lequel opèrent les entreprises. Cette influence se manifeste à travers les politiques économiques adoptées, à l’ instar du prélèvement des taxes, les subventions, changement des taux d’intérêt et la réglementation de la concurrence (Bloom, 2009 ; Pastor et Veronesi, 2012).
Par ailleurs, les gouvernements peuvent contribuer à l’ incertitude économique, et ce, en changeant leurs politiques de temps en temps. Selon Baker et al. (2013, p.4), l’ incertitude de la politique économique concerne « l’ incertitude quant à qui prendra les décisions de politique économique, quelles actions de politique économique seront entreprises, quand elles seront adoptées, les impacts économiques des actions politiques passés, présentes et futures, et l’ incertitude induite par l’ inaction des politiques. ». Dans le même ordre d’ idée, Pastor et Veronesi (2012) suggèrent que les politiques économiques adoptées par les gouvernements génèrent deux types d’ incertitude. La première est liée à la politique choisie comme outil d’ intervention. Quant à la deuxième, elle concerne plutôt l’ incertitude liée à l’impact de cette nouvelle politique.
Il en ressort que les politiques économiques peuvent être considérées comme une source importante d’ incertitude. Toutefois, elles peuvent subir les conséquences de l’ incertitude. En effet, face à une incertitude élevée au niveau de l’environnement économique, les interventions des gouvernements à travers l’outil des politiques économiques dans un but de stabilisation semblent être inefficaces (Boivin et Giannoni, 2006; Bloom, 2009 ; Aastveit et al., 2013). Selon Baley et Blanco (2016), les décideurs de la politique monétaire possèdent moins de capacité à influencer le niveau de la production industrielle en présence d’une forte incertitude. De même, Bonciani et van Roye (2016) ont montré que la politique monétaire est inefficace pour compenser les effets de l’ amortissement des chocs d’incertitude. Dans cette perspective, une étude menée sur le lien entre l’incertitude et les politiques économiques américaines, Bloom (2009) a conclu que la politique monétaire et fiscale est susceptible d’être particulièrement inefficace immédiatement après un choc d’ incertitude.
Par la suite, de nombreux chercheurs ont fourni des preuves sur les effets néfastes de l’ incertitude des politiques économiques sur l’ environnement macroéconomique. À ce propos, Bloom (2009) a constaté qu ‘un niveau élevé d’incertitude liée à la conduite des politiques économiques génère un ralentissement rapide de l’ activité économique.
Zakhartchouk (2012) considère que l’augmentation de l’ incertitude quant aux changements des politiques économiques est de nature à freiner l’ activité économique. De plus, Baker et al. (2013) ont utilisé la série des indices EPU pour examiner l’impact de cette variable sur l’ activité économique. Les chercheurs ont conclu que cette source d’ incertitude ralentit la reprise économique.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
CHAPITRE 1 INTRODUCTION ET PROBLÉMATIQUE
CHAPITRE 2 CONTEXTE THÉORIQUE
2.1 CONCEPT D’INCERTITUDE
2.1.1 Définitions
2.1.2 Les outils de mesure de l’incertitude
2.2 IMPACT DE L’INCERTITUDE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES SUR L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE
2.3 IMPACT DOMESTIQUE DE L’INCERTITUDE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES SUR LE MARCHÉ BOURSIER
2.4 LES CANAUX DE TRANSMISSION DE L’INCERTITUDE À L’ÉCONOMIE RÉELLE
2.5 TRANSMISSION INTERNATIONALE ET RÉGIONALE DE L’ INCERTITUDE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES
2.5.1 Transmission internationale des chocs d’incertitude américains
2.5.2 Transmission régionale des chocs d’incertitude
2.5.3 Les canaux de transmission internationale des chocs d’incertitude
CHAPITRE 3 CADRE MÉTHODOLOGIQUE
3.1 MODÉLISATION VAR
3.1.1 Représentation générale du modèle VAR
3.1.2 Stationnarité du modèle VAR
3. 1.3 Écriture moyenne mobile (VMA) d’un modèle VAR
3.1.4 Choix du nombre de retards (p)
3.1.5 Exemple introductif d’un modèle VAR
3.2 FORME STRUCTURELLE DU MODÈLE VAR (SVAR)
3.2.1 Définition
3.2.2 Estimation d ‘un modèle SVAR
3.3 LES FONCTIONS DE RÉPONSES DYNAMIQUES
3.4 LA DÉCOMPOSITION DE LA VARIANCE DES ERREURS DE PRÉVISION
3.5 DESCRIPTION DES VARIABLES
3.5.1 L’indice boursier CAC PME
3.5.2 Présentation des indices EPU
3.6 DESCRIPTION DE LA BASE DE DONNÉES
CHAPITRE 4 PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
4.1 ESTIMATION DU NOMBRE DE RETARDS
4.2 LA DÉCOMPOSITION DE CHOLESKY
4.3 LES FONCTIONS DE RÉPONSES DYNAMIQUES
4.4 LA DÉCOMPOSITION DE LA VARIANCE D’ ERREUR DE PRÉVISION
4.5 SOMMAIRE DES RÉSULTATS
CHAPITRE 5 DISCUSSION
5.1 IMPACT DES CHOCS D’INCERTITUDE LOCAUX SUR LE RENDEMENT BOURSIER DES PETITES ET MOYENNES CAPITALISATIONS FRANÇAiSES
5.2 IMPACT DE LA TRANSMISSION RÉGIONALE DES CHOCS D’ INCERTITUDE EUROPÉENS SUR LE RENDEMENT BOURSIER DES PETITES ET MOYENNES CAPITALISATIONS FRANÇAISES
5.3 IMPACT DE LA TRANSMISSION INTERNATIONALE DES CHOCS D’ INCERTITUDE AMÉRICAINS SUR LE RENDEMENT BOURSIER DES PETITES ET MOYENNES CAPITALISATIONS FRANÇAISES
CONCLUSION
ANNEXES
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