Transmission et apprentissage social
La transmission d’une information au sein d’un groupe se fait par le biais de l’apprentissage social, à savoir une acquisition de l’information s’effectuant par l’interaction directe ou indirecte avec les autres membres du groupe. Lorsque l’information est maintenue et stable, la transmission sociale peut conduire à l’établissement de traditions, leur ensemble étant à l’origine de comportements dits culturels (Laland et al. 2011). La transmission sociale peut ainsi promouvoir l’homogénéité comportementale entre les individus mais aussi par la même occasion entrainer des différences entre groupes, et de façon plus large entre populations, pouvant conduire à des phénomènes de spéciation (Danchin et Wagner 2010). Ainsi la transmission sociale peut avoir un impact déterminant sur l’évolution comportementale des individus au sein d’un groupe, d’une population et même d’une espèce pouvant permettre une adaptation à l’environnement plus rapide que celle qui aurait prévalue lors de transmission génétique (Whiten et Mesoudi 2008). De ce fait, comprendre comment une information se transmet et est maintenue au sein d’un groupe est une problématique phare en biologie car elle revisite la vision traditionnelle de l’évolution régie exclusivement par l’hérédité des caractères génétiques (Danchin et al. 2011). Différents niveaux d’analyse ont abordé cette problématique afin de déterminer les mécanismes cognitifs en jeux lors de la transmission sociale d’une information, la valeur adaptative de cette transmission et ses conséquences évolutives. Ces trois points sont développés ci-dessous dans ce même ordre. Ainsi, l’étude de l’apprentissage social transmet une vue mécanistique du processus, l’étude des stratégies d’utilisation de l’apprentissage social cherche à déterminer les pressions de sélection exercées et l’étude de la transmission culturelle met en évidence les processus évolutifs en action.
Apprentissage social
Pour comprendre comment un comportement est diffusé et maintenu au sein d’un groupe d’individus, de nombreuses recherches se sont focalisées sur l’étude des mécanismes à l’origine de cette transmission, à savoir l’apprentissage social. Celui-ci a été disséqué afin d’identifier les processus psychologiques et cognitifs en jeux. La différenciation des processus de l’apprentissage social a débouché sur la mise en place d’une classification réalisée suivant la complexité des demandes cognitives impliquées dans ces processus (tableau 1, Hoppitt et Laland 2008). La méthode d’identification de ces processus est basée sur l’observation d’une dyade composée d’un individu émetteur (= démonstrateur) montrant le comportement à apprendre à un individu receveur (= observateur) pouvant regarder et/ou interagir avec le premier.
Cette classification est inspirée de celle établit pour l’apprentissage non-social (Rescorla 1988). La comparaison entre les processus de l’apprentissage social et non-social réalisé chez les insectes montrent que les deux peuvent être assimilés à des apprentissages de type associatif (Giurfa 2012; Grüter et Leadbeater 2014). Ainsi le conditionnement d’observation fait référence à un apprentissage asocial où l’individu fait l’association entre deux stimuli (S-S) et l’apprentissage R-S observationnel celui faisant l’association entre un stimulus et une réponse (R-S). Cependant, elle se différencie de la classification des apprentissages non-sociaux en prenant en compte l’ensemble des processus menant directement et indirectement à un apprentissage social. La facilitation sociale par exemple peut mener indirectement à un apprentissage social produisant dans certains cas une réduction de la néophobie facilitant l’apprentissage face à de nouveaux objets. Les processus considérés comme les plus complexes tels que l’imitation et l’enseignement, ont été largement débattus car considérés pendant longtemps comme propres à l’homme et ayant permis l’établissement d’un niveau culturel élevé (Galef 1992).
Les questions sujettes à débat pour caractériser le processus d’imitation ont porté principalement sur l’intentionnalité de l’observateur à copier le démonstrateur, sur la précision avec laquelle celui-ci doit reproduire le comportement et sur la nouveauté de ce comportement qui ne doit préalablement pas exister dans le répertoire de l’observateur (Byrne 2002). Il a été par la suite montré que l’individu pouvait imiter de façon non déterminée sans en avoir ‘conscience’. La fidélité de la transmission du comportement adopté peut être testée par l’utilisation d’un protocole expérimental de double action consistant à tester le comportement appris socialement de deux groupes d’observateurs placés avec des démonstrateurs utilisant différentes méthodes pour résoudre une même tâche. La similarité entre les comportements des observateurs et démonstrateurs indique dans ces cas-là l’utilisation d’un processus d’imitation de cet apprentissage social (Whiten and Mesoudi 2008).
Stratégies d’utilisation de l’apprentissage social
D’après Galef (1995), la valeur adaptative de l’apprentissage social provient de son utilisation sélective. L’environnement social différant dans le temps et l’espace, les individus doivent prendre en compte le contexte dans lequel ils se trouvent lors de l’acquisition d’une information sociale. Un individu peut choisir d’acquérir des informations personnelles en interagissant avec son environnement abiotique ou peut choisir d’acquérir des informations sociales en provenance de congénères. Différentes stratégies d’utilisation de l’apprentissage social ont été ainsi théorisées et peuvent être regroupées autour de deux questions : « quand » et « de qui » extraire l’information sociale (tableau 2, Laland 2004). Les individus n’ont pas forcément conscience de l’utilisation de ces stratégies, contrairement au terme employé faisant référence à un processus cognitif élevé (Heyes 2012). Ils peuvent suivre une règle générale héritée génétiquement ou apprise au cours de leur vie (Laland 2004).
La première question du ‘quand’ prend en compte le compromis entre l’utilisation d’informations sociales versus l’utilisation d’informations personnelles. L’apprentissage social est souvent considéré comme moins coûteux qu’un apprentissage personnel par essais-erreurs en limitant par exemple le temps d’exploration ou le risque encouru à tester directement l’environnement. D’un autre côté l’information qu’il procure est potentiellement moins bénéfique qu’une information personnelle dont l’avantage procuré est certain. Cette préférence d’utiliser l’information sociale peut s’effectuer lors du choix d’acquisition de l’un ou l’autre type d’informations, mais aussi pour changer l’information personnelle déjà acquise par une information sociale plus avantageuse. Ainsi, un individu peut choisir de copier ces congénères s’il n’est pas satisfait de ce que lui procure son propre comportement, si ses congénères montrent des performances supérieures ou encore simplement si certains réussissent mieux que lui.
La seconde question « de qui » consiste à être sélectif sur la source d’où est extraite l’information sociale. En effet, les individus constituant le groupe, ou plus généralement l’environnement social d’un individu, sont rarement tous égaux et peuvent avoir des phénotypes morphologiques et/ou comportementaux différents du fait notamment d’expériences passées variables. L’utilisation de ces stratégies est plus ou moins probable selon les situations et les aptitudes cognitives des individus : par exemple, copier les individus ‘réussissant mieux’ implique la capacité d’évaluer que le comportement d’un autre individu est plus profitable que le sien.
L’utilisation d’une stratégie n’est pas forcement fixe mais peut être apprise par l’expérience. Par exemple, une population de tourterelles à queue carrée (Zenaida aurita) partageant les mêmes lieux de nourrissages que d’autres espèces montrent une plus grande facilité à acquérir des informations d’individus hétérospécifiques qu’une population habituée à fourrager seulement entre congénères (Dolman et al. 1996). De même, cette adaptation dans l’utilisation de l’information sociale peut être acquise au cours du développement. Un enfant de 3 ans se réfère plus à un enseignant familier qu’à un enseignant inconnu pour acquérir une information, et ce quelle que soit la validité de l’information que ce premier présente alors qu’un enfant de 5 ans module cette confiance selon la pertinence des informations que l’enseignant familier lui a procurée auparavant (Corriveau et Harris 2009).
Des études expérimentales ont par ailleurs confirmé l’existence de ces différentes stratégies aussi bien chez les insectes que chez l’homme, dont plusieurs d’entre elles utilisées au sein d’une même espèce. Ainsi les abeilles (Apis mellifera) montrent l’utilisation de « copier quand l’information personnelle est non satisfaisante», et copier « quand l’information personnelle est coûteuse » (Wray et al. 2012; Grüter et al. 2013). Les rats (Rattus norvegicus) utilisent de même cette dernière stratégie comme celles de « copier quand non satisfaisant » et « copier quand incertain » (Galef et al. 2008; Galef et Yarkovsky 2009). Cependant, l’utilisation de plusieurs d’entre elles ne veut pas dire que toutes peuvent être adoptées par l’espèce : les rats ne semblent pas tenir compte du statut des individus dont ils extraient leur information et ainsi n’utilisent pas a priori les stratégies « de qui» (Galef et Whiskin 2008). De plus, les individus ne font pas toujours des choix entre les informations disponibles et acquises et peuvent les combiner. Certaines fourmis (Lasius niger par exemple), ne vont pas plus vite pour retrouver un site de nourriture ou leur nid quand elles utilisent leur information personnelle que quand elles suivent des phéromones de piste. En revanche, la combinaison des deux, c’est à-dire lorsqu’elles trouvent des phéromones de piste sur une route mémorisée individuellement, entraine l’augmentation de leur vitesse de marche par rapport à l’utilisation des informations de façon dissociée (Czaczkes et al. 2011). Ainsi, l’utilisation non pas d’une mais de plusieurs informations peut être plus bénéfique pour l’individu que faire un choix entre plusieurs d’entre elles.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I. Transmission et apprentissage social
Apprentissage social
Stratégies d’utilisation de l’apprentissage social
Transmission sociale et transmission culturelle
Protocoles expérimentaux pour l’étude de la transmission sociale
II. La drosophile comme modèle d’étude de transmission sociale
Comportement de choix du site de ponte
III. Objectif de la thèse
Références
Protocole expérimental de transmission sociale d’un choix de site de ponte
Gestion des stocks
Protocole
Phase de conditionnement des démonstratrices
Phase de transmission sociale
Phase de test
Analyse des performances d’apprentissage
CHAPITRE I : Mise en évidence d’une transmission sociale d’un choix de site de ponte (article)
Résumé
Abstract
Results and Discussion
Conditioning Phase
Experiment 1: Do Drosophila females use social information to make oviposition site choices?
a. Naive females use social information to make oviposition decisions
b. Naive females gather information directly from experienced females
c. Females transmit oviposition site preference even in the absence of the oviposition site choices
d. Flies use social cues to choose egg-laying sites even when they have personal experience with the substrates
e. Flies stop using social information when they are able to easily gather personal information
Experiment 2: Transmission of oviposition preference from first-order observers to second-order observers
General conclusions
Supplementary Experimental procedures
References
CHAPITRE II: Etude des interactions sociales et succès de la transmission (article)
Résumé
Abstract
Introduction
Results
Discussion
Methods
References
CHAPITRE III : Détermination du processus d’apprentissage social du choix du site de ponte
Résumé
Introduction
Matériel et Méthodes
Résultats et Discussion
Références
CONCLUSION GENERALE