Les facteurs favorables et les freins à la RSE dans les petites entreprises
Les études et enquêtes sur la RSE dans les entreprises artisanales sont peu nombreuses (Boutillier et Fournier, 2009; Thévenard-Puthod et Picard, 2015). La revue de littérature est donc élargie aux études réalisées auprès de TPE et de PME. Ces études permettent de recenser les facteurs favorables et les freins à la RSE dans des petites entreprises artisanales ou non. La RSE est souvent mal connue et mal comprise par les dirigeants de petites entreprises (Callot, 2014). Les petites entreprises se contentent le plus souvent d’appliquer la réglementation en vigueur sans chercher à aller au-delà (Boutillier et Fournier, 2009). Certains dirigeants peuvent néanmoins pratiquer au quotidien la RSE sans le savoir (Auberger et Quairel, 2004; Paradas, 2011). Les trois formes de RSE les plus fréquentes dans les petites entreprises sont la RSE mimétique, normative ou coercitive (Courrent et Capron, 2012). La RSE « mimétique » consiste pour une petite (ou moyenne) entreprise à copier les actions RSE des grandes entreprises et à adopter leurs « bonnes pratiques » (Gond et Igalens, 2008; Courrent et Capron, 2012). La RSE normative consiste à concevoir et appliquer des normes, des labels, des règles au niveau d’un secteur d’activité ou au sein d’un groupe d’acteurs économiques. Enfin, la RSE coercitive consiste à adopter des pratiques sous la pression d’un fournisseur ou d’un client. Les deux dernières formes de RSE soulignent l’importance du secteur d’activité pour expliquer l’adoption (volontaire ou forcée) de pratiques responsables (Benhamou et al., 2016). Dans les petites entreprises, les dirigeants ont un rôle clé dans la mise en œuvre ou non d’actions RSE (Quairel et Auberger, 2005). Plusieurs études soulignent que la RSE n’est pas une priorité des petites entreprises (Auberger et Quairel, 2004; Berger-Douce, 2008; Bazillier et Suarez, 2011). Par ailleurs, certains dirigeants déclarent ne pas se sentir concernés par les enjeux du développement durable (Chavy et al., 2013). Mais la principale raison est un manque de ressources financières et de compétences pour engager des actions qui sont coûteuses (Borga et al., 2009; Boutillier et Fournier, 2009; Bergeron et al., 2010) et dont le retour sur investissement est jugé incertain (Gautier et al., 2013). Par ailleurs, les petites entreprises sont souvent contraintes de s’adapter à leur environnement sans pouvoir le modifier dans une direction plus favorable à la société (Chavy et al., 2013). D’autant plus que leurs petites tailles limitent l’impact social et environnemental de leur activité et donc ne facilitent pas la prise de conscience qu’elles ont une responsabilité sociétale (Courrent et Capron, 2012). La structure très centralisée des petites entreprises (avec un pouvoir de décision concentré), elle aussi, ne facilite pas la démarche RSE qui doit impliquer toutes les parties prenantes et notamment les salariés (Quairel et Auberger, 2005). Le manque de temps des dirigeants est d’ailleurs l’une des causes les plus évoquées pour justifier l’absence de démarche RSE (Berger-Douce, 2008; Bazillier et Suarez, 2011), notamment dans les microentreprises ne disposant pas de salariés pour mener ces actions (Bayad et al., 2008). Du côté des facteurs favorables à la RSE, les petites entreprises se révèlent être plus agiles et plus innovantes dans la conception et la mise en œuvre de pratiques RSE. C’est le cas notamment des entreprises qui ont choisi de développer leur activité (produits ou services) sur la base de fortes valeurs éthiques, sociales ou écologiques (Quairel et Auberger, 2005). Plus globalement, les dirigeants de petites entreprises ont des incitations à adopter des pratiques responsables afin d’améliorer leur image auprès de leurs clients (Bazillier et Suarez, 2011) et de renforcer l’adhésion et la motivation de leurs salariés (Berger-Douce, 2008). La pression de donneurs d’ordre (clients) qui eux-mêmes ont des obligations RSE dans leurs politiques d’achat peut aussi accélérer la diffusion de pratiques RSE au sein des petites entreprises (Gond et Igalens, 2008). Enfin, les dirigeants de petites entreprises sont convaincus que laréglementation liée à la RSE va devenir de plus en plus contraignante (au moins au niveau environnemental) et déclarent déjà ressentir la pression des parties prenantes (Boutillier et Fournier, 2009).
Les variables explicatives numériques
Le niveau de numérisation (ou de transformation numérique) des entreprises artisanales est mesuré par les compétences numériques d’une part et par les logiciels et outils numériques utilisés d’autre part. Une variable d’intensité des usages numériques (Score usages) est construite en additionnant le nombre d’outils numériques utilisés (logiciels bureautiques, logiciels métiers, logiciels comptabilité, workflow, Intranet/outils partagés, certificats électroniques). Ce score est compris entre 0 et 6, avec une moyenne de 2,48 outils/usages par entreprise. Selon les spécifications économétriques nous introduisions soit ce score, soit une liste d’outils numériques sous forme de variables indicatrices afin d’identifier plus précisément quels sont les outils ou usages numériques qui favorisent les pratiques RSE. Dans cette seconde spécification, trois outils sont retenus : les logiciels métier spécifiques (Logiciel spécifique), les logiciels de définition et de suivi de processus (Workflow) et les outils de communications et de partage de type Intranet, visioconférence ou agenda partagé (Partage). En revanche, ne sont pas introduits dans cette spécification, les outils qui sont très fortement diffusés comme les logiciels de bureautique ou très peu diffusés comme les certificats électroniques. Il est aussi pris en compte le fait que l’entreprise dispose ou non d’un site Internet (Site). Un site Web peut permettre à une entreprise de communiquer sur ses services, mais aussi sur ses valeurs et ses pratiques RSE. Comme indiqué précédemment, il est possible que l’existence d’un site Web augmente le gain attendu (ou le retour sur investissement) des pratiques RSE en matière d’image ou d’apport de clientèle, et renforce donc les incitations du dirigeant à s’engager dans une démarche RSE. Un score de compétences numérique est aussi construit à partir des sept tâches suivantes : savoir 1) utiliser un tableur ou un traitement de texte, 2) utiliser un antivirus ou bloqueur de publicité, 3) compresser un fichier, 4) installer un logiciel, 5) envoyer et lire des emails, 6) réaliser un achat en ligne, 7) créer une page ou un site Web. Dès lors que le dirigeant ou un salarié de l’entreprise a la compétence pour réaliser l’une de ces tâches, la variable Score compétences augmente de 1. Cette variable peut donc prendre des valeurs de 0 à 7, la moyenne des compétences étant de 5,38 au sein des EA. Comme pour les usages numériques, il existe une seconde spécification dans laquelle le score de compétences numériques est remplacé par des variables indicatrices mesurant trois compétences : savoir utiliser un traitement de texte et un tableur (Compétences logiciel) ; savoir créer une page ou un site Internet (Compétences site) ; savoir réaliser un achat en ligne (Compétences achat). Dans tous les modèles, les formations au numérique suivies par le dirigeant et/ou ses salariés sont prises en compte. La variable (Formation numérique) prend la valeur 1 si des ateliers ou formations au numérique ont été menés au cours des 3 dernières années (c’est le cas de 20,80 % des EA enquêtées). Cette variable permet de savoir si l’EA a investi dans la formation pour renforcer les compétences numériques en interne.
Les pratiques sociales
Dans un deuxième temps l’intérêt se tourne vers les pratiques RSE de nature sociale (management de qualité via la norme ISO 9001 ; plan d’amélioration des conditions de travail). La démarche visant à mettre en place un management de la qualité (de type norme ISO 9001) est plus fréquente dans les entreprises utilisant intensivement le numérique, notamment des logiciels métier. Une explication possible est que le management de la qualité poursuit un objectif de performance et d’amélioration de la qualité aussi bien dans la production que dans la relation avec les clients et les fournisseurs. Cette démarche nécessite des outils numériques (logiciels) pour optimiser les processus et mesurer les résultats (satisfaction des clients, retards ou défauts de qualité, etc.). Par ailleurs, le secteur de l’alimentation apparaît comme le plus engagé dans des actions de management de la qualité. La mise en place d’un plan visant à améliorer les conditions de travail et la sécurité des salariés est plus fréquente dans les entreprises qui utilisent intensivement des outils de partage et des logiciels spécifiques au secteur. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que le déploiement d’outils numériques s’accompagne le plus souvent de réorganisations et d’évolutions des tâches. Les entreprises peuvent alors saisir cette occasion pour chercher à améliorer les conditions de travail. Certains outils numériques peuvent par exemple éliminer des tâches routinières ou fastidieuses, et orienter les salariés vers des tâches plus valorisantes. Dans le même temps, le déploiement de ces outils numériques peut être source de stress pour certains salariés qui peuvent se sentir dépossédés de leurs fonctions ou insuffisamment formés. Il est donc logique que l’entreprise mette en place des plans d’actions pour mieux associer les salariés à ces changements technologiques et organisationnels. Certaines entreprises peuvent aussi chercher par ce type d’actions à mieux encadrer les usages numériques et réduire les effets négatifs des technologies sur le bien-être des salariés. Enfin, les entreprises artisanales en croissance et du secteur de l’alimentation ont une probabilité plus élevée de mettre en œuvre un plan d’amélioration des conditions de travail des salariés. Cette probabilité augmente aussi avec le nombre de salariés. Les annexes A.10 et A.11 bis proposent des estimations additionnelles, qui intègrent la variable supplémentaire (Salarié) qui vaut 1 lorsque l’EA a au moins un salarié (65,50 % de l’échantillon). Cette variable permet de mesurer l’effet sur les pratiques RSE de passer d’une entreprise sans salarié à une entreprise avec un salarié 16. Le constat est le suivant, la présence de salariés accroît la probabilité d’avoir des produits écolabellisés et, de manière logique, s’accompagne de plans d’amélioration des conditions de travail. Certains effets relatifs aux compétences et usages numériques perdent de leur significativité. Notamment, le score d’usages numériques et les logiciels spécifiques et de partage n’ont plus d’effet sur les plans d’amélioration des conditions de travail. Mais les résultats restent robustes concernant les effets positifs du numérique sur les pratiques d’écolabellisation et de management de la qualité, même lorsque les modèles sont contrôlés avec la présence de salariés.
Le télétravail
Le télétravail se caractérise par la relation salariale, la contrainte spatiale, la dissociation avec la coopération (communication) à distance, l’échelle géographique et la fréquence (Aguilera et al., 2016). Trois critères permettent de distinguer la dimension spatiale : i) le travail à domicile ii) le travail dans le bureau des clients iii) le travail dans les bureaux d’affaires ou satellites (Tremblay et al., 2006). À titre d’exemple, les espaces de coworking 8 peuvent être utilisés par les télétravailleurs (Scaillerez et Tremblay, 2016a, 2017). De plus en plus d’entreprises proposent d’ailleurs ce type d’alternative au domicile via les espaces de coworking . Ce chapitre ne considère que la démarche relative au travail à domicile proposé aux salariés de façon occasionnelle. En d’autres termes, aucune distinction n’est faite quant au nombre de télétravailleurs, de la fréquence et du lieu où les salariés télétravaillent.
Panorama du télétravail et de l’innovation au Luxembourg
Les tableaux B.0, B.1 et B.2 en annexe présentent respectivement une partie du questionnaire, les variables utilisées dans les modèles économétriques et les statistiques descriptives. Le tableau 2.1 décrit quant à lui la répartition de l’échantillon. L’échantillon se compose de 68,60 % de petites entreprises, 26,60 % font partie de la catégorie moyennes entreprises et 4,80 % sont des grandes entreprises. Le secteur de l’industrie (12,30 % de l’échantillon) comprend les entreprises de fabrication et d’exploitation de carrières, de production et distribution d’électricité, de gaz, d’eau et d’assainissement, de gestion des déchets, de fabrication et réparation de produits informatiques et électroniques en gros. Les entreprises de la construction (21,80 % de l’échantillon) regroupent l’ensemble des entreprises du bâtiment. Le secteur du commerce (24,20 % de l’échantillon) rassemble les activités de commerce de gros, de véhicules automobiles et de motocycles, de vente au détail et réparation, d’hébergement et de restauration. Le secteur des transports (10,30 % de l’échantillon) regroupe les entreprises dans le transport et le stockage. Le secteur des TIC (6,60 % de l’échantillon) couvre les secteurs des télécommunications, de l’informatique, du conseil et activités connexes et les activités de services d’information. Les entreprises du secteur de la finance (12,80 % de l’échantillon) regroupent toutes les entreprises dans les activités financières et d’assurance juridiques et comptables. Enfin, la catégorie « autres » (12,00 % de l’échantillon) comprend les secteurs d’activités spécialisées, scientifiques et techniques, les activités immobilières et services administratifs et de soutien et autres activités de services personnels.
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Table des matières
Introduction générale
1 Motivation
2 Cadre conceptuel
3 Présentation de la thèse
Chapitre 1 RSE et transformation numérique des entreprises artisanales : une étude sur données d’enquête
1 Introduction
2 Revue de littérature et proposition de recherche
2.1 Les facteurs favorables et les freins à la RSE dans les petites entreprises
2.2 Les relations entre numérique et RSE dans les petites entreprises
3 Données et méthodologie
3.1 Présentation de l’enquête
3.2 Les modèles économétriques
3.3 Les variables explicatives numériques
3.4 Les variables de contrôle
4 Résultats
4.1 Les déterminants des pratiques RSE
4.2 États de transformation numérique des entreprises artisanales et pratiques RSE
5 Conclusion
Conclusion générale
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