Les espaces urbains sont aujourd’hui en pleine mutation et sont soumis dans la plupart des grandes villes à une forte densification. Une rupture claire du lien avec la Nature se fait avec la « bétonisation » et la stérilisation des espaces, dans une idée à la fois d’assainir les villes et d’en faciliter l’entretien.
Il en vient naturellement la question de la place que l’on souhaite accorder à la nature en ville et comment l’accorder esthétiquement et fonctionnellement à celle-ci. Tout d’abord, la nature en ville peut être considérée sous différents aspects que l’on peut catégoriser en deux. La première catégorie regroupe tous les espaces plus ou moins aménagés qui ne sont pas artificialisés au sens large et peuvent se traduire par une trame verte représentée par des parcs, des jardins, des espaces arborés, des coulées vertes, ou par une trame bleue composée de berges et de plans d’eau. La deuxième catégorie regroupe l’agriculture en ville sous ses différents aspects, dont les espaces sont aménagés pour la production agricole avec des formes qui peuvent ou non être artificialisés comme sur les toits, les murs, ou plus simplement directement sur le sol. Enfin, une dernière catégorie, qui regroupe la nature spontanée, non contrôlée et non désirée (par exemple : rats, cafards, considérés comme nuisibles).
Depuis 10-15 ans, les agglomérations et les citoyens qui les composent ont montré un regain d’intérêt pour l’Agriculture Urbaine au sens large du terme, le but étant d’améliorer la qualité de vie et de rendre les villes plus vertes (COCKRALL-KING, 2016). Les initiatives spontanées citoyennes ne cessent de prendre de l’ampleur et l’opposition entre pratiques agricoles et pression foncière pour la construction immobilière devient de plus en plus visible. L’origine des problèmes auquel sont confrontés nos villes est plus profond : l’insécurité alimentaire (COCKRALL-KING, 2016). Le système actuel est basé sur l’uniformisation du marché de la distribution alimentaire à l’échelle mondiale. Face au flux continue d’approvisionnement en denrées alimentaires, certaines villes ne dispose plus que de quelques jours de réserves (COCKRALL-KING, 2016). Une crise alimentaire peut alors avoir des conséquences à une large échelle (la crise économique de 2007 a eu des conséquences dramatiques sur le prix des denrées alimentaires mondiales comme le riz, le blé, le maïs, les pommes de terre, etc.) d’où la nécessité de se réapproprier une production agroalimentaire locale et de qualité. En effet, d’après un rapport sur l’analyse du trajet et de l’impact environnemental des aliments, les distances moyennes parcourues par les aliments venant de l’étranger pour un Américain étaient de 2443 km en 2001 (PIROG, VAN PELT, & ENSHAYAN, 2001) la tendance n’a donc fait que s’amplifier depuis. C’est pourquoi il est donc important aujourd’hui de se recentrer sur le local et donc d’utiliser le potentiel que propose la ville dans cette production alimentaire (COCKRALL-KING, 2016). Ce qui frappe dans le fonctionnement de nos villes d’aujourd’hui, c’est qu’il ne laisse pas la place à l’agriculture, considérant qu’elle ne doit pas se limiter qu’à la fonction des territoires ruraux, ce qui d’ailleurs est le résultat de la deuxième révolution agricole. A l’inverse, dans un certain nombre de villes, comme au Canada, à Montréal entre autres, un intérêt nouveau a été porté au concept de ville nourricière et a ainsi pu faire évoluer l’agriculture urbaine et lui donner une place à part entière dans l’exploitation des espaces. A partir d’une approche expérimentale et marginale, une véritable révolution sociétale ancrée dans une réalité sociale, environnementale et économique de nos villess’est mise en place. Cette approche doit dès aujourd’hui faire partie intégrante des aménagements des villes de demain dans une optique de subvenir, pas seulement aux besoins alimentaires, mais aussi au bien-être des populations et dans une moindre mesure à l’apprentissage du respect pour l’environnement.
Etat de l’art et problématisation : Quel équilibre entre densification et nature en ville ?
Les bénéfices et contraintes du développement des projets en zone urbaine : les services écosystémiques
Parler de la Nature en ville, doit permettre de mettre en avant la notion de services écosystémiques, les aménités à la fois tangibles et intangibles. Au-delà de l’agriculture urbaine, une attention particulière est donnée sur l’évaluation des services écosystémiques rendus par la végétalisation des espaces sur nos sociétés, tout simplement, car la nature n’est pas identifiée comme ayant une simple fonction de valorisation esthétique des habitats, mais comme faisant partie intégrante du fonctionnement de nos villes. Cela est valorisé également car l’évaluation de ces services écosystémiques est devenue de plus en plus techniquement faisable. Appuyer sur les services écosystémiques de la végétalisation de la ville permet justement de mettre en valeur les besoins en se basant sur ses bienfaits.
Services écosystémiques matériels :
La nature au sens large ne produit rien directement, mais va être un outil qui permettra de favoriser et de maintenir la régénération de la biodiversité dans l’espace urbain. Les bienfaits sur la qualité de l’environnement sont nombreux :
Apporter de la végétation en ville permettrait d’installer de l’ombre dans la ville et de réduire potentiellement le besoin de climatisation. L’augmentation de biodiversité faunistique pourrait résulter d’une attention particulière à la diversité des strates végétales employées dans la végétalisation et, permettrait d’appuyer les trames vertes et bleues. La qualité de l’air s’en trouverait également améliorée (MOREL CHEVILLET, CONSALES, LE QUILLEC, DANIEL, & FOUCARD, 2017). En fixant le CO2 émis par la circulation et les bâtiments, la végétation permet de réduire les pollutions atmosphériques. Toutes les végétations présentes en villes permettent de diminuer l’effet d’Îlots de chaleur grâce à l’évapotranspiration, par le sol et les végétaux, qui humidifie et refroidie l’air. En plus de compenser la chaleur emmagasinée par le béton des villes, les petits espaces verts, jardins, carrés fleuris sont tous autant de moyens pour former des corridors verts et, améliorer la trame verte des villes (BOURDEAU-LEPAGE, 2017) Les espaces pollués par les hydrocarbures des véhicules peuvent être dépollués grâce aux microorganismes liés symbiotiquement aux systèmes racinaires par phytoremédiation. Cette technique permet d’immobiliser, stocker et dégrader les polluants du milieu dégradé (GERMANEAU, 2011). Le recyclage des déchets organiques de la ville permettrait, en plus de diminuer la masse des déchets dans les poubelles, d’alimenter en terre nutritive les installations de cultures et potagers. Les services écosystémiques apporté par la végétation en ville pourraient également lutter contre l’insécurité alimentaire et être lié à une production de fruits et légumes. C’est ce qui est mis en évidence dans une étude focalisée sur l’expérience des jardins partagés à Montréal : les jardins permettent une production maraîchère pour une sécurité alimentaire (DUCHEMIN, WEGMULLER, & LEGAULT, 2010). C’est d’ailleurs le premier argument pour un tiers des personnes vivant sous le seuil de précarité qui les poussent à cultiver dans les jardins. Cela leur permet de compléter leur alimentation par des aliments de bonne qualité. Les productions dépendent beaucoup de l’organisation, du type de culture, du type de support, du stade de développement des jardins, de l’expérience des jardiniers ou des objectifs si les jardins sont créés
pour de la sensibilisation, éducation, ou pour la production. Les rendements sont très variables donc (entre 0,3 et 5,4 kg/m²) mais il a été conclu que cela pouvait couvrir jusqu’à 70 % de l’apport annuel nécessaire à un Canadien, en légumes et fruits, ce qui est très encourageant (DUCHEMIN, WEGMULLER, & LEGAULT, 2010). Dans le monde, ce serait 100 à 180 millions de tonnes de nourritures qui pourraient être produite tous les ans en ville. Pour comparaison, la FAO estime à 6 500 millions de tonnes par an de végétaux récoltés par an. Cependant, en fonction des variétés de légumes plantés, l’agriculture urbaine pourrait couvrir jusqu’à 10 % des besoins, preuve du potentiel (CHAUVEAU, 2018) Cela peut concerner le développement économique en contribuant à favoriser les circuits courts et une économie circulaire, lorsque de petits maraîchers veulent se lancer dans la vente de leurs produits. Mais, indirectement, les plantations en ville pourraient réaliser de grosses économies en termes d’énergie, d’électricité et de carburant de l’ordre de 125 milliards d’euros en limitant le transport de marchandises et, en isolant les bâtiments. Les bénéfices liés au rafraichissement de l’air en ville et la lutte contre les îlots de chaleur urbaine pourrait économiser 4,5 milliards d’euros. Si l’on rajoute à tout cela, la dépollution, la captation d’azote et, la lutte contre les inondations, la nature en zone urbaine pourrait faire économiser entre 75 et 150 milliards d’euros par an l’échelle mondiale (CHAUVEAU, 2018). La qualité paysagère est aussi très importante en termes d’aménité, car c’est une notion transversale à l’ensemble des aménités, elle va participer indirectement à améliorer le lieu de vie des personnes des habitants, mettre en valeur la ville, favoriser le tourisme et le bien-être de la population. La combinaison de l’environnement au service de l’aménagement urbain peut améliorer indirectement la santé de la population. Par exemple, la plantation de haies d’arbustes et de murs végétaux peuvent avoir plusieurs fonctions intéressantes en plus de celles présentées précédemment, comme réduire les nuisances sonores des villes et, agir comme des murs antibruit en absorbant le bruit, mais aussi réduire les rayonnements et, améliorer l’aspect paysager et esthétique des villes. Les toits végétalisés peuvent aussi être très efficaces dans l’isolation des bâtiments (BOURDEAU-LEPAGE, 2017). Dans le cas d’une intégration de serres de production aux bâtiments, plusieurs interactions peuvent se faire : au niveau de la qualité de l’air et le traitement de l’air vicié à l’intérieur des bâtiments, la gestion de l’eau, qui pourrait être récupérée pour être filtrée et réutilisée par les plantes, ou encore énergétiquement, où l’énergie des bâtiments serait récupérée par la serre et limiter les déperditions de chaleur tout en servant au chauffage des serres. (MOREL CHEVILLET, CONSALES, LE QUILLEC, DANIEL, & FOUCARD, 2017) .
Services écosystémiques immatériels et symboliques
La végétation en ville, qu’elle soit d’embellissement ou agriculturale permettrait donc d’apporter certains services écosystémiques plus subtils et intangibles associés au loisir tels que le bien-être en ville des habitants, agir sur la beauté du paysage, bien que subjectif et, au moins influencer le ressenti et les impressions des usagers de la ville. Cela va leur permettre de renouer le contact avec la nature. De plus, la possibilité de développer une économie liée à l’agriculture urbaine permettrait de créer des emplois dans un contexte professionnel, permettre la réinsertion de personnes en difficultés, ou encore la valorisation de quartiers plus défavorisés. Ce développement se fait généralement par les formations professionnelles et la vente de paniers de légumes biologiques. Même dans un contexte bénévole, dans des jardins partagés par exemple, cela peut permettre de lutter contre la pauvreté, grâce à l’entraide et à ce que peut produire la terre. Les interactions sociales ont toutes leur importance dans l’immatériel et le symbolique : les jardins permettent l’appropriation des lieux et améliore la sociabilisation. La participation aux jardins communautaires permet d’améliorer les compétences sociales des individus. Le fait de créer des contacts humains, même involontaires, renforcent le lien social et le réseautage. Ce sont des valeurs clés pour favoriser la participation des personnes démunies, ou pour lutter contre l’isolement qui touche principalement les personnes âgées. L’agriculture urbaine se trouve être, d’une certaine manière, un moyen de créer un contexte social pour la rencontre. Ces échanges entre individus se font de différentes manières, ils peuvent se faire au sein même de la structure, du jardin, comme l’échange de conseils de jardinage, ou de via des échanges de semences, ou avec l’extérieur où les échanges pourront se faire par l’intermédiaire de dons de fruits et légumes à la famille et aux amis. Finalement, cela est principalement valable pour les jardins partagés, où les profils sociologiques des protagonistessont très diversifiés, et ont une vraie volonté de créer une vie collective et communautaire dans ces formes d’agriculture urbaine, via l’organisation d’évènements (DUCHEMIN, WEGMULLER, & LEGAULT, 2010). L’effet du ressentis et des bienfaits immatériels sont également évoqués dans la partie I.C.1 page 23. L’ensemble de ces services écosystémiques rend un peu la ville tributaire de la nature, devenant « instrumentalisée », mais justifie encore davantage l’intérêt de son développement en ville. Pour certains acteurs comme les aménageurs, les politiques locales, ou les économistes, cette nature deviendra un outil, tandis que la population la verra comme bienfaitrice et porteuse de nombreuses aménités.
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Table des matières
Introduction
I. Etat de l’art et problématisation : Quel équilibre entre densification et nature en ville ?
A. Les bénéfices et contraintes du développement des projets en zone urbaine : les services écosystémiques
1. Services écosystémiques matériels
2. Services écosystémiques immatériels et symboliques
B. Typologie : Qu’est-ce que la nature en ville ?
C. Les questions soulevées sur la nature en ville
1. Définitions
2. Approche historique de la présence et du besoin de nature en ville
3. Les enjeux du retour de la nature dans l’espace urbain
a) Prise de conscience du besoin de nature
b) Lien entre organisation des villes et orientation vers une nature agricole
c) Viabilité et enjeux du développement de l’agriculture urbaine
D. Problématisation, hypothèses et méthodologie d’approche
1. Les revendications et bienfaits de l’intégration la nature en milieu urbain
2. La place de l’agriculture en ville
3. Les limites et oppositions à la nature en milieux urbain
II. Processus d’intégration de la Nature en ville grâce à différents supports et projets
A. Les nouvelles formes d’appropriation
1. Initiatives individuelles et citoyennes
Les différents types d’espaces disponibles
2. Projets collectifs et partagés mixité de fonction et d’usages
3. Projets professionnels
B. Exemples de projets
C. L’importance du jeu d’acteurs dans l’établissement de projets
1. Les différents types d’acteurs associés
2. Les bénéficiaires des zones de nature
D. Les contraintes liées à ces projets et les adaptations nécessaires
1. Une intégration de la nature faite de compromis
2. Les contraintes techniques
3. Les nouvelles technologies pour pallier ces contraintes
III. Analyse de terrain : le cas du quartier des 2 Lions
A. Cadre de l’analyse
B. Présentation du quartier des 2 lions à l’heure actuelle
C. Historique et évolution temporelle du quartier
D. La stratégie environnementale dans les documents d’urbanisme de Tours
E. La structure d’aménagement du quartier
F. Diagnostic global sur le quartier des 2 Lions
G. Analyse des différents types d’espaces actuellement disponibles
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Annexes 1
Annexe 2 : Frise chronologique de l’évolution du quartier des 2 Lions
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