Au cours des dernières décennies, l’anthropisation progressive des zones côtières dans le monde a entrainé des changements notables de la qualité biologique et chimique des eaux de mer côtières. A l’origine, les raisons qui ont poussé l’Homme à conquérir le littoral sont diverses : pêche, commerce, guerre, transport, … De nos jours, le tourisme vient s’ajouter à ces raisons ainsi que l’héliotropisme c’est-à-dire que les personnes vont préférentiellement venir s’installer dans les régions les plus ensoleillées, ce qui est le cas en France par exemple pour le littoral méditerranéen. Ces motivations font qu’aujourd’hui environ 3 milliards de personnes, soit près de la moitié de la population mondiale, vivent à moins de 200 km du littoral. L’ensemble des travaux scientifiques réalisés ces dernières années a démontré l’existence de perturbations environnementales plus ou moins conséquentes dans la bande côtière du littoral méditerranéen: dégradation des écosystèmes, eutrophisation, contamination chimique importante et en augmentation pour certains sites et certaines substances chimiques, effets écotoxicologiques des contaminants (Durrieu de Madron et al., 2011 ; Maceda-Veiga et al., 2011 ; Tessier et al., 2011) .
Les fleuves et rivières sont à l’interface entre le continent et l’océan et représentent une des principales sources d’apports naturels/anthropiques au milieu côtier ; localement peuvent s’ajouter des apports d’eaux usées traitées ou non et des apports industriels (Bay et al., 2003 ; Bothner et al., 2002). Les stations d’épuration (STEP) ont été conçues pour réduire notablement les nutriments et les déchets des eaux usées, mais il est bien connu qu’une grande quantité d’éléments potentiellement toxiques comme les métaux persistent en sortie de station. La fréquence et l’intensité des apports de matières en suspension (MES) et d’espèces dissoutes dépendent du régime climatique ainsi que du type d’occupation des sols. Les milieux méditerranéens sont soumis à un climat particulier qui fait d’eux des zones fragiles et complexes. Le système côtier méditerranéen se comporte donc, du point de vue de l’environnement, comme un système impulsionnel directement lié aux épisodes météorologiques. En effet, la plupart des processus en jeu résultent directement de l’action du vent, souvent brutal, qui agit au niveau des courants superficiels, du mélange vertical de la masse d’eau, de la remontée des eaux profondes (upwellings), et de la remise en suspension des sédiments contaminés. Les pluies d’orage agissent au niveau des apports atmosphériques, des apports liés aux crues des grands et petits fleuves côtiers, et du lessivage des zones urbaines imperméabilisées (Gonzalez et al., 1999 ; Nicolau et al., 2012 ; Ollivier et al., 2011 ; Radakovitch et al., 2008).
Notion d’Elément Trace Métallique (ETM)
Un métal est une matière issue le plus souvent d’un minerai. Il est qualifié de « lourd» si sa masse volumique est supérieure à 5 g.cm-3 et s’il présente des risques de toxicité pour les organismes vivants. Les métaux sont présents dans tous les compartiments de l’environnement, mais en général en quantités très faibles, ils sont alors qualifiés de « métaux traces ». Certains sont des oligo-éléments essentiels au développement des organismes (ex : Cu, Zn, Mn, …), mais qui à forte concentration peuvent induire des risques de toxicité. D’autres en revanche sont toxiques à très faible dose et n’ont aucune fonction biologique essentielle (ex : Cd, Hg, Pb). La classification en métaux lourds est d’ailleurs souvent discutée car certains métaux toxiques ne sont pas particulièrement « lourds » (ex : Zn). De plus, certains éléments inorganiques toxiques ne sont pas tous des métaux, comme l’arsenic qui est un métalloïde. Pour ces différentes raisons, la communauté scientifique préfère à l’appellation « métaux lourds », le terme « Eléments Traces Métalliques » (ETM) qui regroupe les métaux et métalloïdes dont la concentration est inférieure à 1 g.kg-1 de matière sèche dans la croûte terrestre ou inférieure à 0.1 g.kg-1 de matière sèche chez les organismes vivants. Les plus connus pour leur dangerosité sont l’arsenic (As), le cadmium (Cd), le chrome (Cr), le cuivre (Cu), le mercure (Hg), le nickel (Ni), le plomb (Pb), le sélénium (Se) et le zinc (Zn). Ces éléments peuvent avoir une origine naturelle, mais les activités anthropiques générant d’importantes contaminations peuvent augmenter leurs concentrations dans les écosystèmes aquatiques. La quantification et la spéciation de ces ETM sont donc des données indispensables à l’estimation de leur impact dans un environnement donné.
Spéciation des ETM
L’étude de la toxicité des ETM dans les eaux naturelles passe par la connaissance de leur spéciation car leur degré de nuisance n’est pas le même selon la forme chimique sous laquelle ils sont présents (Tessier et Turner, 1995). En effet, la concentration totale d’un ETM dans les systèmes aquatiques ne permet pas d’en déduire sa mobilité, ni ses risques potentiels de toxicité. Du point de vue toxicité, l’influence d’un ETM sur l’environnement n’est pas la même selon sa forme chimique. Par conséquent, l’analyse de la spéciation d’un ETM est la base de la compréhension de son devenir dans un milieu aquatique. La spéciation chimique d’un ETM correspond à l’ensemble de ses formes/espèces chimiques présentes dans un écosystème donné. Un certain nombre de ligands, inorganiques ou organiques, vont gouverner la spéciation de cet élément par la formation de complexes plus ou moins stables. La toxicité d’un ETM est dépendante de cette spéciation et il a été démontré que le métal sous sa forme ionique (Cu2+ , Zn2+, …) est l’une des formes les plus réactives (avec les espèces neutres), puisque plus facilement assimilables par les organismes vivants (Vasconcelos et Leal, 2001). Les formes chimiques d’un ETM dissous peuvent être séparées en quatre catégories suivant la nature de l’agent complexant. Ainsi les ETM peuvent être présents sous forme (1) d’ions libres hydratés, (2) de complexes dissous labiles organiques ou inorganiques, (3) de complexes dissous non labiles (ou « inertes ») organiques ou inorganiques, (4) d’organométalliques (Tessier et Turner, 1995).
De plus, une grande partie des ETM initialement dissous peut se fixer sur une phase solide (sédiments, colloïdes) selon quatre mécanismes principaux: l’adsorption et l’échange d’ions, la précipitation ou la co-précipitation à la surface du solide et l’absorption (Flores-Rodriguez, 1992). Cependant, lors de modification des conditions physico-chimiques du milieu, les ETM ainsi fixés peuvent être mobilisés. La spéciation des ETM dissous est donc influencée par un grand nombre de facteurs physico-chimiques (pH, salinité, force ionique, …) qui peuvent être soumis à des variations importantes, notamment dans des zones de mélange tels que les estuaires. Les molécules organiques présentes dans les systèmes aquatiques ont donc une importance primordiale de par leurs fortes affinités vis-à-vis des ETM (Bruland et Lohan, 2003).
La matière organique dissoute (MOD)
L’expression « Matière Organique » (MO) est utilisée pour désigner l’ensemble des composés hydrocarbonés d’origine naturelle (autres que les organismes vivants) et anthropique d’un écosystème. La MO Dissoute (MOD) est communément distinguée de la MO Particulaire (MOP) par une filtration à 0.45 µm même si dans la pratique, une filtration à 0.7 µm est employée. Dans les systèmes aquatiques naturels, la MOD peut avoir plusieurs origines : autochtone ou allochtone.
La MOD naturelle allochtone est généralement pédogénique, issue d’un apport terrestre d’eaux de pluies transportées jusqu’à la masse d’eau par ruissellement ou circulation subsuperficielle et chargées en MOD lors de leur passage sur et dans les sols. Elle a pour principales origines les plantes supérieures et les microorganismes contribuant à leur dégradation (Labanowski, 2004). La MOD naturelle autochtone est aquagénique, produite directement dans la masse d’eau grâce principalement à la dégradation et aux excrétions microbiennes et phytoplanctoniques, la proportion apportée par les plantes aquatiques supérieures et les animaux aquatiques étant faible (Labanowski, 2004). Cependant, la MOD peut aussi provenir des activités humaines, elle est transportée jusqu’au cours d’eau par les eaux de ruissellement (ruissellement de chaussée, lixiviats de décharges, …), par les rejets urbains (domestiques, industriels ou agricoles) traités ou non, par lixiviation diffuse et/ou par apports atmosphériques (Hudson et al., 2007 ; Labanowski, 2004). La proportion des différentes fractions va être variable suivant le milieu et va être influencée par les propriétés du cours d’eau (débit, hydrométrie), les processus de floculation et/ou sédimentation, etc. Les propriétés physicochimiques d’une matière organique sont liées aux processus et au lieu de formation de celle-ci. Ainsi, une MOD d’origine anthropique présentera des propriétés relativement différentes de celles d’une MOD d’origine naturelle. De même, une MOD naturelle d’origine terrestre sera différente d’une MOD naturelle d’origine aquatique (Mounier, 1997). Les origines de la MOD sont donc très variables d’un système aquatique à l’autre. Elles sont, par exemple, essentiellement d’origine pédogénique dans l’estuaire Winyah Bay aux USA (Goni et al., 2003), alors qu’une forte contribution de MOD aquagénique a été observée dans les océans Atlantique et Pacifique Nord (Kaiser et Benner, 2009). Il a aussi été montré que les activités anthropiques (rejets urbains de STEP) pouvaient fortement participer à l’apport de MOD (Pernet-coudrier et al., 2008). Il est donc nécessaire de prendre en compte le rôle et l’origine de la MOD dans le comportement et le devenir d’un polluant, tel qu’un ETM, dans un milieu donné. En effet, la MOD possède des sites qui ont des propriétés de complexation vis-à-vis des ETM, favorisant ainsi l’affinité pour un ETM plutôt qu’un autre (Louis et al., 2009a ; Louis et al., 2009b). Néanmoins les associations ETM-MOD sont complexes et dépendent de l’ETM étudié, de la MOD et des conditions physico-chimiques du milieu aquatique (force ionique, pH, compétition avec d’autres cations). Cette affinité de la MOD pour un ETM va donc contrôler sa toxicité et sa biodisponibilité (Lu et Allen, 2002 ; McKnight et al., 1983).
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1: GENERALITES
I-1. Notion d’Elément Trace Métallique (ETM)
I-2. Spéciation des ETM
I-3. La matière organique dissoute (MOD)
I-4. Origine des ETM dans les rivières
I-5. Distribution des ETM dans les rivières
I-6. Origine des ETM en mer méditerranéenne
I-7. Principaux mécanismes de transfert opérant en zone estuarienne
I-8. Comportement des ETM
I-8.1. Le Cadmium (Cd)
I-8.2. Le Cuivre (Cu)
I-8.3. Le Plomb (Pb)
I-8.4. Le Zinc (Zn)
I-9. Comportement du carbone organique
I-10. Compartiment sédimentaire marin
I-11. Particularité du système marseillais
Chapitre 2: MATERIELS ET METHODES
II-1. Présentation du site d’étude
II-1.1. Contexte de l’étude
II-1.1.1. Projet GIRAC-PACA
II-1.1.2. Projet MARSECO
II-1.2. Réseau d’assainissement
II-1.3. Réseau hydrographique
II-1.4. Calanque de Cortiou
II-1.5. Site de l’Escalette
II-2. Stratégie d’échantillonnage
II-2.1. Prélèvements aqueux
II-2.1.1. Préparation du flaconnage
II-2.1.2. Prélèvements en rivières
II-2.1.3. Prélèvements dans les émissaires
II-2.1.4. Prélèvements en mer
II-2.2. Prélèvements solides
II-2.2.1. Particules de temps sec
II-2.2.2. Particules de temps de pluie
II-2.2.3. Sédiments
II.3 Traitement des échantillons et conditionnement
II.3.1. Filtration des échantillons aqueux
II.3.1.1. Matière organique et éléments majeurs
II.3.1.2. Métaux traces
II-3.2. Préparation des échantillons solides
II-3.2.1. Particules de temps sec
II-3.2.2. Particules de temps de pluie et sédiments
II-4. Analyse des échantillons
II-4.1. Paramètres physico-chimiques in situ
II-4.2. Caractérisation de la fraction dissoute
II-4.2.1. Analyse des formes de carbone dissous
II-4.2.2. Analyse de la fluorescence 3D de la matière organique dissoute
II-4.2.3. Analyse des ions majeurs par chromatographie ionique
II-4.2.4. Analyse des ETM dissous dans les eaux douces par HR-ICP-MS
II-4.2.5. Analyse des ETM dissous dans les eaux de mer par voltamétrie
II-4.2.6. Analyse de l’Arsenic total dissous dans les eaux de mer par HG-AFS
II-4.3. Caractérisation de la fraction solide
II-4.3.1. Analyse des formes de carbone particulaire
II-4.3.2. Analyse du mercure particulaire
II-4.3.3. Minéralisation acide
II-4.3.4. Analyse des ETM particulaires dans les minéralisats par HR-ICP-MS
II-4.3.5. Analyse des éléments majeurs par FAAS
II-5. Expériences de vitesse de chute des particules dans l’eau de mer
II-6. Expériences de simulation de remobilisation des ETM en laboratoire
II-6.1. Simulation dans un gradient de salinité
II-6.2. Simulation dans l’eau de mer
Chapitre 3: ETUDE DE LA DYNAMIQUE DES ELEMENTS PAR TEMPS SEC
III-1. Préambule
III-2. Transfert et dynamique des contaminants métalliques par temps sec, article paru dans la revue « Marine Pollution Bulletin »
III-2.1. Introduction
III-2.2. Material and methods
III-2.2.1. Study site
III-2.2.2. Sampling
III-2.2.3. Sample filtration, conditioning and treatment
III-2.2.4. Remobilization experiment
III-2.2.5. Day monitoring of the outlet waters
III-2.2.6. Carbon analysis
III-2.2.7. Major elements and trace metals analysis
III-2.2.7.1. Dissolved trace metals in salt samples
III-2.2.7.2. Major ions in freshwater samples
III-2.2.7.3. Trace dissolved metals in freshwater samples and particulate metals
III-2.3. Results and Discussion
III-2.3.1. Dynamics of elements in the mixing zone
III-2.3.1.1. Salinity, dissolved oxygen and SPM
III-2.3.1.2. Organic matter
III-2.3.1.3. Dissolved and particulate metals
III-2.3.2. Daily estimated fluxes and specific fluxes during the dry period
III-2.3.3. Remobilization experiment
III-2.3.4. Comparison between on board and in laboratory filtration
III-2.3.5. Identification of an abnormal event
III-2.3.6. One-day outlet monitoring: evidencing the impact of TWW on the global elements discharge to the coastal zone
III-2.4. Concluding remarks
III-3. Données complémentaires
III-3.1. Dynamique des éléments dans les émissaires et devenir en mer
III-3-1.1. Monitoring des eaux des émissaires
III-3.1.2. Dynamique des éléments en mer, campagne du 18/04/2012
III-3.2. Le port de l’Escalette
III-4. Bilan du chapitre
CONCLUSION
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