Dans tous les pays industrialisés et pendant près de cinquante ans, l’accroissement continu de la productivité agricole par unité de surface, l’uniformisation des techniques et l’intensification de la production se sont soldés dans les années 1980 par des impacts environnementaux de plus en plus négatifs sur les agro-écosystèmes : problèmes d’érosion, diminution de la biodiversité, pollution de l’eau et des sols. Les sources de pollution diffuses, rejets en multiples points difficiles à localiser, sont dues à une utilisation intensive de produits agrochimiques, engrais pour maintenir la fertilité des sols et produits phytosanitaires pour limiter les pertes causées par les ravageurs ou adventices. Alors qu’en l’absence de contamination par les engrais, la teneur en nitrates des eaux souterraines varie de 0,1 à 1 mg L-1 (CNRS, 2007), elle dépasse souvent aujourd’hui 50 mg L-1, norme retenue pour les eaux potables par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2007). La pollution de l’eau et des sols par les pesticides est devenue un problème sanitaire et environnemental inquiétant (Cabidoche, 2006). Aussi, une évolution s’est opérée peu à peu à partir des années 1990, en posant les bases d’une agriculture durable remettant en cause ce modèle intensif, ou tout au moins l’infléchissant là où il pouvait engendrer des externalités négatives importantes comme les pollutions diffuses.
Si l’on admet que ces émissions polluantes d’origine anthropique sont localisées, donc différentes d’un système atmosphère-plante-sol à l’autre, cela incite à tenir compte d’une vulnérabilité différenciée des systèmes et à définir des moyens de compréhension adaptés aux conditions de production locales. Aux Antilles, le continuum climat tropical – bananier – andosol est majoritairement présent puisque 60% de la sole bananière est cultivée sur andosol : le bananier trouve en effet les conditions optimales de son développement dans des régions tropicales de bilan hydrique excédentaire, sur des sols dotés d’une capacité infiltration élevée (50-300 mm h-1) et généralement bien pourvus en minéraux : c’est le cas des régions d’andosols sur roches volcaniques (Petites Antilles, Equateur, Costa Rica, Cameroun, Indonésie, Philippines…). L’expansion de la production dans les grandes plantations bananières, cultivées en monoculture, s’est faite aux dépends des forêts et des autres formations de végétations naturelles. Les spécificités liées au système sont, d’une part, dues à une utilisation localisée et intensive de produits agrochimiques : la culture bananière reçoit manuellement au pied du bananier jusqu’à 400 kg N/ha/an et 700 kg K/ha/an (Godefroy and Dormoy, 1988) et 3 à 12 kg/ha/an de matières actives pesticides (Cabidoche, 2006). D’autre part, le bananier intercepte et redistribue les pluies tropicales, de fortes intensités, à l’interface atmosphère-sol : la pluie redistibuée peut-être divisée en (i) stemflow, flux important le long du pseudo-tronc pouvant atteindre 40 fois la pluie incidente relativement à la section du pseudo-tronc (Levia and Frost, 2003, Bassette, 2005) et (ii) throughfall, flux sous les feuilles, essentiellement issu de l’égouttage. Les engrais solubles épandus manuellement à proximité du pseudo-tronc sont immédiatement exposés aux concentrations d’eaux issues du stemflow. Enfin, ce fonctionnement hydrologique distributif de l’eau et des solutés est susceptible d’entraîner les intrants solubles vers les horizons superficiels et profonds de l’andosol où existe une adsorption conjointe d’anions et de cations grâce aux Capacités d’Echange Anionique (CEA) et Cationique (CEC) (Wada, 1989). L’andosol comporte en effet des charges variables en fonction du pH susceptible de retarder le transport des espèces ioniques potassiques et nitriques issues de l’engrais apporté sous forme KNO3. Enfin la désynchronisation progressive des récoltes, au fil des cycles de rejetons, a conduit à une replantation tous les 3 ou 4 cycles, précédée de passages multiples de déchaumeurs lourds afin de détruire et hacher la culture précédente. Appliqués sur des sols humides, les passages de déchaumeur entraînent fréquemment des semelles de labour, à une profondeur de 30 à 40 cm (Dorel et al., 2000). Ces labours ont une influence sur les transferts (Moussa et al. 2002).
Le complexe atmosphère-sol-plante
Géographie et climat de la Guadeloupe
L’archipel guadeloupéen, situé entre 15°57’ et 16°31’ nord, et entre 61°10’ et 61°48’ ouest, comporte deux îles principales : à l’ouest, la Basse-Terre (848 km²), d’origine volcanique, culminant au volcan de la Soufrière (1467 m), et à l’est, la Grande-Terre (590 km²), appuyée sur un plateau de calcaire récifal. Ces deux terres sont séparées par un très étroit bras de mer, la Rivière Salée qui unit la Baie de Pointe-à-Pitre à la mer des Caraïbes au sud et à l’océan Atlantique au nord . A proximité et au sud de l’archipel, sont situées l’Ile de Marie-Galante, les Saintes, la Désirade et Petite Terre. Deux cents kilomètres plus au nord, se situent les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Cet archipel est un département français d’outre-mer (DOM).
La Guadeloupe bénéficie d’un climat de type tropical humide. L’anticyclone des Açores dirige vers les îles un vent d’Est plus connu sous le nom d’Alizé. En Basse-Terre, le relief, perpendiculaire au flux d’Alizé, régule le régime des pluies : à l’Est des montagnes, la pluviométrie s’accroît avec l’altitude (de 2 m/an jusqu’à plus de 10 m/an au sommet de la Soufrière), les périodes sèches sont courtes ; sur le versant Ouest, la pluviométrie décroît fortement sous la dépendance d’un effet de foehn, pour atteindre seulement 1 m/an sur la Côte « sous le Vent ». Le plateau calcaire de la Grande-Terre a une saison sèche de plusieurs mois.
Plus généralement, il y a deux saisons avec des transitions plus ou moins marquées:
– Une saison sèche appelée Carême de Décembre à Mai. L’anticyclone des Açores se décale vers le Sud. L’air est plus sec et les averses sont peu fréquentes. Les températures sont agréables et les alizés généralement bien établis.
– Une saison plus humide appelée Hivernage de Juin à Novembre, accompagnée de période de pluies fréquentes et intenses. Des phénomènes à grande échelle (cyclones, lignes de grains), ou à échelle locale (convection diurne favorisant le développement de nuages vecteurs d’averses souvent violentes et orageuses), provoquent parfois de terribles intempéries, sources d’inondations catastrophiques ou de coups de vent tout aussi dévastateurs. La saison cyclonique type s’étend normalement de début juin à fin octobre.
L’analyse minéralogique et chimique des constituants des andosols a montré que ceux-ci contiennent de grandes quantités de substances paraissant amorphes aux rayons X :
– soit des matières vitreuses « primaires » (verre volcaniques),
– soit des colloïdes minéraux « secondaires » non cristallisés ou mal cristallisés dont des gels d’hydroxydes et des alumino-silicates « amorphes » que l’on a désigné sous le terme général d’« allophanes » (Wada, 1989 ; Jongmans et al., 1995). Ces produits amorphes et mal cristallisés sont des sphérules creuses de 3-4 nm de diamètre interne incomplètement organisées et non structurées en feuillets. L’allophane est typiquement un produit à charges variables résultant d’une forte altération (Wada, 1989). Il est caractérisé par la petite taille des particules (donc grande surface spécifique) et la présence de groupes hydroxyles associés aux oxyhydroxydes de silice, de fer et d’aluminium en surface dans la structure minérale (Theng et al., 1982 ; Shoji et al., 1993).
Les andosols développés sur des cendres volcaniques se caractérisent par une forte capacité d’infiltration, 50-300 mm h-1 (Cattan et al., 2005), une teneur en eau importante (climat humide) et une densité apparente faible (<0.9 g.cm-3) principalement due à la forme, la taille et l’agencement des particules d’allophanes : les nombreux groupements hydroxyles (OH) permettent de créer des liaisons hydrogènes, ce qui entraîne une forte hydratation du sol et une très grande capacité de rétention d’eau (Wada, 1989). Ces sols sont également caractérisés par une porosité totale importante supérieure à 65% (Shoji et al., 1993). Les comportements physiques des andosols non séchés reposent sur le niveau d’organisation (0.01 à 1µm) des nanoagrégats élémentaires (Rosello, 1984). Ainsi la porosité interne des constituants et la porosité ménagée par l’arrangement des particules (porosité < 0.01µm) expliquent la prédominance de micropores dans les andosols (Maeda et al., 1977). Lors d’une forte dessiccation, apparaît une irréversibilité des propriétés physiques des andosols. Les principales propriétés affectées sont : la capacité de rétention d’eau, la porosité, la dispersion des argiles et les limites de liquidité et de plasticité. La dessiccation provoque notamment un réarrangement de l’espace poral qui se traduit par une forte diminution de la microporosité (Maeda and Warkentin, 1975). Ce réarrangement est lié à une micro-agrégation irréversible entraînant l’augmentation de la taille des particules (Kubota, 1972). L’amplitude de ce phénomène varie en fonction de la teneur en allophane mais semble indépendant de la teneur en matière organique (Shoji et al., 1993). Enfin, Clothier et al. (2000) énoncent la présence d’états initiaux hydrophobes après apport d’eau pour expliquer des écoulements préférentiels avant d’atteindre un régime d’infiltration permanent dans ces types de sol.
Propriétés physico-chimiques des sols à charges variables
Adsorption et transport des ions dans les sols à charges variables
Dans la plupart des sols, la charge de surface des minéraux secondaires est généralement négative et permanente : les minéraux ont tendance à ne pas avoir d’affinité pour les solutés anioniques voire les repousser, les excluant ainsi de la fraction de l’eau liée aux particules, c’est l’exclusion anionique.
Les solutés anioniques s’écoulent alors dans un volume poral restreint et ont tendance à avancer en moyenne à la même vitesse ou plus rapidement que les molécules d’eau en moyenne (Wierenga and Van Genuchten, 1989). A contrario, les sols à charges variables développent une Capacité d’Echange Cationique (CEC) et une Capacité d’Echange Anionique (CEA) dans des conditions acides (Wada, 1989, Sansoulet et al., 2006). Les charges variables des andosols sont capables d’adsorber par attraction électrostatique (cf. encadré) à la fois des cations et des anions (Van Raij and Peech, 1972 ; Okamura and Wada, 1983). L’adsorption est définie par « l’accumulation de matière à l’interface solide-liquide selon un arrangement en deux dimensions » (Sposito, 1989). L’horizon B d’un andosol allophanique est riche en oxyhydroxydes comportant des groupes OH très réactifs qui développent des CEA, en conditions acides (Uehara and Gillman, 1980 ; Grove et al., 1982 ; Bellini et al., 1996 ; Qafoku et al., 2000). Dans l’horizon A, la matière organique développe plutôt des charges négatives provenant de la dissociation des groupes hydroxyle (OH) et carboxyle (COOH) (Hayes and Swift, 1978) et a donc plutôt une affinité pour les cations.
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Table des matières
Introduction
1.1 Le complexe atmosphère-sol-plante
1.1.1 Géographie et climat de la Guadeloupe
1.1.2 Les andosols
1.1.2.1 Caractéristiques générales
1.1.2.2 Propriétés physico-chimiques des sols à charges variables
a. Adsorption et transport des ions dans les sols à charges variables
b. Le pH(H2O), le pH(KCl) et le Point de Charge Nulle
1.1.2.3 Le stock organique et la minéralisation dans les andosols
1.1.3 La culture du bananier sur andosol : fonctionnement hydrique redistributif, apport d’engrais localisé
1.1.3.1 Physiologie du bananier
1.1.3.2 Fonctionnement hydrique en bananeraie
a. La redistribution de la pluie par le bananier
b. La mesure de la distribution spatiale du drainage dans les systèmes de culture sur andosol
c. Le ruissellement en bananeraie sur andosol
d. L’évapotranspiration dans les systèmes de culture bananier
1.1.3.3 Pratiques culturales, fertilisation et nutrition azotée
a. Pratiques culturales et fertilisation azotée
b. Nutrition azotée et potassique du bananier
1.2 Modélisation des transferts et choix de l’outil numérique
1.2.1 Les modèles de transport dans un sol
1.2.2 Equations de base
1.2.3 Revue des codes répertoriés et choix du modèle
2. Approche expérimentale et de modélisation
2.1 Dispositifs expérimentaux
2.1.1 Caractéristiques générales de l’andosol
2.1.2 La parcelle expérimentale (16°04’38’’ N, 61°36’04’’ W, altitude 250 m)
2.1.3 Mesures des propriétés hydrauliques du sol
2.1.3.1 Mesure de θ(h) et K(h) par la méthode de Wind
2.1.3.2 Infiltrométrie
a. Infiltromètre à doubles anneaux
b. Infiltromètres à charge nulle de type Beerkan
c. Infiltromètres à succion de type Trims et de type Decagon
2.1.4 Mesures des propriétés d’adsorption ionique du sol
2.1.5 Mesures des propriétés biologiques du sol
2.1.6 Mesure des transferts d’eau et de solutés
2.1.6.1 Les colonnes de sol
a. Principe
b. Méthodes et objectifs
2.1.6.2 L’expérimentation in situ
a. Mesures météorologiques à la parcelle
b. Les lysimètres à mèches
c. La placette expérimentale
d. Bilan hydrique et bilan de masse
2.2 Approche de modélisation des transferts d’eau et de solutés KNO3
2.2.1 Transferts hydriques
2.2.1.1 Evaluation des propriétés hydrauliques
2.2.1.2 Domaines de simulation en 2D, conditions initiales et aux limites
a. Domaines de simulations
b. Distribution des couches de sol et conditions initiales
c. Conditions aux limites
d. Prélèvement d’eau par la plante
e. Discrétisation de l’espace et du temps
2.2.1.3 Validation et scénarios de simulation
2.2.2 Simulations en une dimension des transferts de solutés K+ et NO3-
2.2.2.1 Domaine de simulation en 1D des colonnes de sol, conditions initiales et aux limites
2.2.2.2 Evaluation des paramètres d’adsorption
2.2.2.3 Apports, stocks initiaux et nutrition minérale de la plante
2.2.2.4 Dispersivité du sol et diffusion des solutés
2.2.2.5 Minéralisation de l’azote organique
2.2.2.6 Discrétisation du temps et de l’espace
3. Résultats et Discussion
3.1 Les transferts hydriques
3.1.1 Etude dynamique des flux hydriques à l’échelle du bananier et de son inter-rang – Résultats expérimentaux
3.1.1.1 Pluviométrie
3.1.1.2 Ruissellement
3.1.1.3 Evapotranspiration
3.1.1.4 Etude dynamique du drainage
a. Lysimétrie
b. Tensiométrie
3.1.1.5 Synthèse
3.1.2 Propriétés hydrodynamiques du sol et paramétrage
3.1.2.1 Conductivités hydrauliques à saturation
3.1.2.2 Analyse critique des mesures de conductivités hydrauliques
3.1.2.3 Paramètres de la Courbe de rétention θ(h)
3.1.2.4 Procédure inverse
3.1.2.5 Synthèse
3.1.3 Modélisation des transferts hydriques
3.1.3.1 Evaluation des conditions aux limites supérieures
3.1.3.2 Simulations en deux dimensions des transferts hydriques
a. Vecteurs vitesse et flux simulés
b. Validation
3.1.3.3 Simulations en trois dimensions des transferts hydriques
3.1.3.4 Scénarios de simulation en deux dimensions des transferts hydriques sans lysimètre
3.1.4 Conclusion du chapitre
Conclusion
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