Trajectoires d’expatrié-e-s L’expérience de la mobilité dans le récit de la migration

Trajectoires d’expatrié-e-s L’expérience de la mobilité dans le récit de la migration

La mobilité comme cadre interprétatif

Pour compléter ce qui a été dit sur l’objet de ce travail, il faut maintenant le placer dans le contexte scientifique par lequel j’aimerais l’interpréter. Ceci en gardant à l’esprit la notion de « sensitising framework », « i.e. a preliminary conceptual and analytic frame of reference consisting of tentative 7 research hypotheses that identify some of the contours of the phenomenon but without addressing their specific content. » (Witzel & Reiter, 2012, p. 47). Depuis quelques décennies, les sciences sociales ont réorienté leur perspective d’approche de nombre de phénomènes sociaux, remettant en question les échelles et certains processus en eux-mêmes. Il y a deux points pertinents et liés au présent travail. Le premier est le courant du transnationalisme et la mise en lumière du nationalisme méthodologique (Glick-Schiller, Basch, & Blanc-Szanton, 1999 ; Glick Schiller & Wimmer, 2002 ; Amelina & Faist, 2012). À travers les notions de « transnationalism » et « transmigrant » (Glick-Schiller, Basch, & Blanc-Szanton, 1999), les auteures sortent la figure du migrant-e d’un cadre interprétatif insuffisant et biaisé. Elles plèdent pour une vision interconnectée de ces personnes, continuant leur vie et leurs liens à travers différents espaces et simultanément. Cette vision se dresse en opposition face aux interprétations préalables qui voyaient les migrant-e-s comme déraciné-e-s et isolé-e-s une fois relocalisé-e-s. Cette perspective ouvre aussi une nouvelle compréhension des mouvements de ces personnes, leurs allers et retours entre différents pays de départ, transitoire, d’arrivée, etc. En parallèle de cette nouvelle interprétation de l’objet (ce qui est appréhendé), la position du sujet (ce qui appréhende) est elle aussi repensée : l’aspect construit des catégories analytiques et une perspective globale doivent être considérés dans la manière d’investiguer ces champs sociaux reliant différents pays (Glick-Schiller, Basch, & Blanc-Szanton, 1999). Ce changement de paradigme s’est aussi traduit par une remise en question des échelles d’analyses : le cadre national notamment, souvent pris pour acquis, a fini par montrer les limites et les biais méthodologiques qu’il induisait. Par exemple, Glick Schiller & Wimmer (2002) illustrent comment le processus de formation des états-nations « have fundamentally shaped the ways immigration has been perceived and received. » (Glick-Schiller & Wimmer, Methodological nationalism and beyond: nation-state building, migration and the social sciences, 2002, pp. 301-301) et mettent en garde contre une répétition de la même erreur dans l’approche transnationale. Allant plus loin, d’autres auteurs ont voulu apporter de nouveaux outils permettant d’éviter ces erreurs, ils ont cherché à donner une méthodologie nouvelle à une perspective nouvelle, principalement en réfléchissant en termes de mobilité et immobilité, et en reprenant des méthodologies mobiles comme l’ethnographie multi-sites (Amelina & Faist, 2012). La principale intersection avec ma thématique est l’échelle globale des déplacements que cela concerne, par l’intermédiaire des réseaux établis par les entreprises qui restent d’importants acteurs de la mondialisation. Ainsi, le phénomène des expatrié-e-s ne peut être approché en vase clos au sein d’un pays. Leurs déplacements mettent en interconnexion plusieurs acteurs à une échelle 8 transnationale : états, entreprises privées, prestataires de services, familles, amis, tous permettant la réalisation de tels déplacements. Le deuxième point est le passage d’une vision sédentaire des populations et des phénomènes sociaux, à une vision mobile voire nomade. Cette nouvelle compréhension du monde social accorde une importance nouvelle à ce que l’on qualifie de mobilité, et doit être comprise en relation de ce qui a été dit sur le transnationalisme : “Mobile lives need mobile thought to make a new kind of sense.” (Cresswell, 2006, p. 44). Un nouveau champ d’étude, les « mobility studies » semble s’ouvrir, faisant glisser le focus traditionnellement posé sur le point A ou B, à un focus sur la relation entre eux deux et ce qu’elle comporte. Dans les termes de Cresswell, il s’agit de la « métaphysique sédentariste » (Cresswell, 2006, p. 29). Dans celle-ci, la mobilité, comprise comme un mouvement empli de sens, est vue comme disruptive et comme une anomalie (Cresswell, 2006). L’auteur propose ainsi une autre approche. Il ne s’agit pas d’un simple renversement, d’une simple opposition, qui est ce qu’il qualifie de « métaphysique nomade », dans laquelle la mobilité est conçue comme résistance à la fixité, comme stratégie des « faibles » contre l’ordre statique des « forts » (Cresswell, 2006). Non, Cresswell va au-delà de cela car il considère cette vision romantique et peu problématisée. Ce qu’il propose est donc une approche de la mobilité par trois moments relationnels, moments dans lesquels du sens est donné au mouvement, le transformant en « mobilité » : « how, in other words, movement is made meaningful, and how the resulting ideologies of mobility become implicated in the production of mobile practices.” (Cresswell, 2006, p. 21). La nouveauté de cette approche ne réside donc pas dans le phénomène observé, mais dans la manière par laquelle la mobilité est conceptualisée et remplie de sens dans différents contextes. C’est le constat que nous proposent aussi d’autres auteurs, notamment à travers cette dénomination de « new mobilities paradigm » (Sheller & Urry, 2006). Pour eux, ce nouveau paradigme : « challenges the ways in which much social science research has been ‘amobile’ » (Sheller & Urry, 2006, p. 208). Ainsi une approche critique du mouvement, libre, limité, forcé, volontaire, potentiel, effectif, doit être intégrée aux sciences sociales. Une approche qui, selon ces auteurs, problématise deux ensembles d’éléments : les théories sédentaristes présentes dans beaucoup de champs d’études ; et le renouvellement de la vision de la modernité comme légère et liquide plutôt que lourde et solide (Sheller & Urry, 2006, pp. 209-210). Cette nouvelle conceptualisation est visible dans le contexte francophone chez Tarrius, à travers la notion de « territoire circulatoire » (Tarrius, 1993), qui : « constate une certaine socialisation des espaces supports aux déplacements. » (Tarrius, 1993, p. 52). Ce qui était anomalie et vide de sens devient donc espaces de signification et « offrent les ressources symboliques et factuelles du territoire. » (Idem). Tarrius montre comment une personne peut « habiter » un entredeux entre « l’ici » et le « là-bas ». Dans un registre similaire, 9 Dahinden (2010) illustre, à travers l’étude de danseuse de cabaret, comment mobilité et immobilité sont utilisées en relation l’une de l’autre, et comment ce dialogue s’insère dans une industrie du sexe transnationale qui demande parfois le mouvement, parfois la staticité, ceci en relations avec des cadres legislatifs nationaux (Dahinden, 2010).

L’expatrié-e comme figure de la mobilité ?

Comme nous l’avons vu, la mobilité des personnes ou des élites en particulier n’est pas un phénomène nouveau, et c’est plus un renouvellement de la perspective scientifique qui est source d’intérêt (Green, 2008 ; Faist, 2013). Mais au-delà de ceci, ce travail vise deux objectifs. Premièrement, les migrations humaines revêtent bien des formes et en établir le spectre le plus complet est nécessaire pour une compréhension globale. Les migrations de population aisée ont été quelque peu mises de côté du fait de l’étude de cas plus urgents humanitairement parlant ou en terme d’ampleur, comme par exemple les réfugié-e-s ou la migration de main-d’œuvre non qualifiée. Il est temps d’étendre notre connaissance du continuum que représentent les déplacements humains aux trajectoires de certaines élites ou autres populations aisées. Comme dit plus haut, les mobilités sont plurielles et ne doivent pas être essentialisées mais approchées en tant que phénomène complexe (Sheller & Urry, 2006). C’est pour cela que ce travail propose un focus sur les expatrié-e-s : ils sont eux aussi produit d’une ère de fluidification et de mobilité (Sassen, 2004), et plus largement de mondialisation. Aussi, ils sont peut-être plus représentatifs d’une ère axée sur la mobilisation de savoirs avec comme moteur le capitalisme. Deuxièmement, et ceci suit logiquement le point précédent, si l’on se fixe comme objectif de relever des différences (si ce ne sont des inégalités) dans les migrations humaines, il faut comprendre les deux côtés de l’équation, i.e. avoir une connaissance suffisamment poussée pour permettre, à terme, une comparaison et une appréhension relationnelle de ces différentes mobilités. Une approche comparative est cependant au-delà de la prétention de mon travail. En revanche, il se veut étape préliminaire, exploratoire, en complétant notre compréhension de la migration d’un groupe particulier encore relativement peu étudié pour ensuite comprendre différentes mobilités en relation les unes avec les autres. Pour ce faire, je me suis inspiré de « l’analitics of mobility » (Söderström & Crot, 2010), qui offre une réflexion et approche heuristique permettant la jonction entre le cadre général proposé précédemment et le cas particulier des expatrié-e-s. Cette approche cherche à identifier les composantes de différentes mobilités, en relation avec les composantes des sociétés dans lesquelles ces mobilités œuvrent. Ce travail comprend donc la mobilité des expatrié-e-s comme un construit social, et approche cette thématique par ses aspects du sens, de l’expérience, de la capacité et des buts des acteurs et actrices, en tentant quand cela semble pertinent de relier ces éléments à un contexte social (Söderström & Crot, 2010). En d’autres termes, il s’agira d’appréhender à travers le 11 discours les phases de mobilité et d’immobilité, le sens qui leur est donné, et leur agencement dans la trajectoire reconstruite par mes participant-e-s. Ceci forme le questionnement de départ de mon travail : appréhender à travers le récit la manière dont les expatrié-e-s produisent, subissent et utilisent la mobilité dans leur trajectoire. De ce questionnement, quatre orientations de recherche émergent. Premièrement, la production de l’(im)mobilité : les ressources de mes acteurs, leur mobilisation et la négociation de cette production et mobilisation. Deuxièmement, les aspects contraignants que peuvent rencontrer les personnes, influençant leurs choix et possibilités dans une direction qui était peut-être non désirée. Troisièmement, l’utilisation, l’adaptation aux facteurs des points précédents dans le prolongement de leur trajectoire. Et finalement, l’intégration de l’(im)mobilité dans leur récit sur eux et sur leur trajectoire. À travers ces quatre orientations, je chercherai à appréhender la place de la mobilité dans leur trajectoire et leur discours, ceci en m’inspirant de recherches qualitatives menées sur le sujet mais en prenant la perspective des « mobilities studies ». La notion de trajectoire sera utilisée pour référer à un tout, pour recréer une certaine unité géographique et biographique exprimée par le récit et imprégnée du sens prêté par l’interlocuteur. Cette unité sera cherchée dans la mobilité, dans le fait que « l’entre deux lieux » est vécu et « habité » par la personne. Cette définition reprend plusieurs points présents chez différents auteur-e-s. Tout d’abord chez Van Der Velde & Van Nearssen (2011), pour qui la trajectoire doit permettre de lier et combler la distance spatiale et mentale entre différents lieux. Ainsi, il n’y a pas de « vide » entre deux périodes d’immobilité. Ceci est à mettre en lien avec ce que nous avons vu plus haut concernant le biais sédentariste et la problématisation nouvelle du mouvement.

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Table des matières

1. Introduction
1.1. Définir l’expatrié-e comme objet de recherche
1.2. La mobilité comme cadre interprétatif
1.3. L’expatrié-e comme figure de la mobilité ?
2. Méthodologie
2.1. Échantillonnage et accès aux participant-e-s
2.1.1. Aspect théorique et choix de l’échantillon
2.1.2. Différents moyens d’accès aux participant-e-s
2.1.3. Présentation des participant-e-s
2.2. Méthode par entretien
2.2.1. L’entretien centré sur un problème
2.2.2. Supports et situations d’entretiens
2.3. Méthode et outils d’analyse
2.3.1. Choix théorique de la méthode
2.3.2. Déroulement et mise en pratique
2.4. Défis méthodologiques
2.5. Éthique et confidentialité
2.5.1. Protection des interviewé-e-s
2.5.2. Questions éthiques
3. Analyse
3.1. Trajectoires divergentes
3.2. Capitaux de départ
3.2.1. Le niveau de formation des parents comme trait de classe sociale
3.2.2. Histoire migratoire héréditaire
3.2.3. Formation, profils spécifiques et capitaux
3.2.4. Un espace institutionnel hétérogène
3.3. L’expatrié comme projet
3.3.1. Projet professionnel
3.3.2. Projet à plusieurs
3.3.3. Projet et projection dans le temps
3.4. Le déplacement : activation de réseaux transnationaux
3.4.1. L’entreprise comme acteur transnational
3.4.2. Se prolonger dans l’espace
3.4.3. Déplacement et mobilité
3.5. Incidences de la relocalisation
3.5.1. Left behind
3.5.2. Incidences différentes dans le couple
3.5.3. Proximité et distance dans les relations : apports des TIC
3.5.4. Reconstruction des réseaux et liens
3.6. Incorporer une expérience
3.6.1. Perception de l’espace social et spatial
3.6.2. Go with the flow
3.6.3. L’expérience migratoire comme trait distinctif
4. Conclusion et ouverture
5. Bibliographie
6. Annexes
6.1. Guide d’entretien
6.2. Exemples de support graphique d’entretien
6.2.1. Sara
6.2.2. Nadia
6.2.3. Marie

 

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