Définir et comprendre les comportements d’agressivité physique chez les enfants
L’agressivité physique chez l’enfant est un facteur qui a été identifié comme précurseur ou prédicteur de problématiques telles que la délinquance, l’abus de substances, les problèmes antisociaux, etc. La présence et le maintien d’un niveau élevé de comportements agressifs durant l’enfance semble effectivement prédire la présence de problèmes multiples à l’adolescence et à l’âge adulte (Broidy et al., 2003; Côté et al., 2006; Nagin & Tremblay, 1999). L’agressivité physique a souvent été étudiée, chez l’enfant, comme symptôme ou comme indice de la présence de problématiques plus larges telles que le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), le trouble d’opposition ou le trouble de comportement extériorisé. Ainsi, beaucoup d’études se sont penchées sur les comportements problématiques (incluant l’agressivité physique) des enfants de manière plus globale ou générale, en parlant de problèmes d’opposition ou de comportement (Besnard, Verlaan, Capuano, Poulin, & Vitaro, 2011; Campbell, 1995; Strickland, Hopkins, & Keenan, 2012), de trouble de comportement extériorisé (qui inclut entre autres l’agressivité physique, mais également l’opposition et l’hyperactivité) (Campbell, Shaw, & Gilliom, 2000; Oison, Bates, & Sandy, 2000; Price, Chiapa, & Walsh, 2013; Smeekens, Riksen-Walraven, & van Bakel, 2007) ou de trouble de la conduite (Oison & Hoza, 1993). Tremblay fait partie des auteurs qui ont fai t valoir le fait que l’agressivité physique est un construit en soi qui se distingue des problématiques plus larges (ex., problèmes de comportement extériorisés) auxquelles on l’associe souvent (Ptiddis et al., 2014; Tremblay, 2000).
La pertinence d’étudier l’agressivité physique comme un construit à part entière, d’en comprendre l’étiologie, le développement et le contexte d’évolution a été appuyée par un certain nombre d’études. Nagin et Tremblay (1999) ont par exemple réalisé une étude permettant de faire la distinction entre l’agressivité physique, l’opposition et l’hyperactivité. Ils ont ainsi identifié spécifiquement l’agressivité physique comme variable prédictrice de la délinquance et de la violence physique à l’adolescence, et ce, en contrôlant pour les deux autres variables. Une autre étude longitudinale a également comparé les construits d’agressivité physique et relationnelle (qui réfère davantage à des stratégies indirectes ou détournées pour blesser l’estime de soi ou rejeter l’autre), à partir d’un vaste échantillon d’enfants canadiens âgés de 4 à Il ans. Ils ont ainsi mis à jour des trajectoires développementales distinctes pour ces deux types d’agressivité (Vaillancourt, Brendgen, Boivin, & Tremblay, 2003). Broidy et al. (2003) ont pour leur part réalisé une étude multi-sites inter-pays (six sites, trois pays) visant à examiner les trajectoires développementales des comportements d’agressivité physique au cours de l’enfance de même que la relation possible avec les comportements délinquants à l’adolescence. Ils ont eux aussi comparé la valeur prédictive de l’agressivité physique en comparaison à d’autres problèmes de comportement tels que l’opposition, l’hyperactivité et les problèmes de conduite (par exemple: voler, mentir, briser les biens des autres). Leurs résultats montrent l’importance de faire la distinction entre l’agressivité physique et les autres formes de comportements problématiques dans la compréhension de la délinquance à l’adolescence. En effet, il semble que, parmi les types de comportements problématiques, l’agressivité physique durant l’enfance soit le meilleur prédicteur de la délinquance à l’adolescence.
Genèse et évolution normale de l’agressivité physique chez l’enfant
Plusieurs études rapportent une augmentation de la fréquence des comportements agressifs de la petite enfance à l’âge préscolaire, puis une diminution jusqu’à l’adolescence. Par exemple, Côté, Vaillancourt, B~rker, Nagin et Tremblay (2007) ont mené une étude longitudinale avec 1183 enfants initialement âgés de 2 ans et suivis pour une période de six ans. La majorité des enfants de l’échantillon (environ 85 %) présentait une diminution dans les manifestations d’agressivité physique entre 2 et 8 ans . . Nagin et Tremblay (1999) ont obtenu des résultats similaires avec un échantillon de 1037 garçons, évalués à sept reprises entre l’âge de 6 et 15 ans. Ainsi, plus de 95 % de l’échantillon présentait une trajectoire descendante de comportements d’ agressivité physique. Campbell et al. (2010) ont pour leur part identifié différentes trajectoires pour les garçons et les filles. Dans les deux cas toutefois, la grande majorité des enfants de leur échantillon présentait un faible niveau d’agressivité physique ou une diminution marquée passé l’âge de 2 ans. Broidy et al. (2003) ont quant à eux analysé les résultats de six études longitudinales. Il en ressort que, malgré quelques distinctions d’une étude à l’autre, la majorité des enfants (89 à 100 %) présentait une trajectoire développementale de comportements agressifs impliquant une diminution de la fréquence au cours de l’enfance ou une très faible fréquence qui se maintenait dans le temps.
L’ensemble de ces études montre que les individus qui ne présentent pas de comportements agressifs durant l’enfance sont extrêmement rares et appuie une perspective développementale dans la compréhension des comportements agressifs. Ces études révèlent aussi que le taux de manifestation de comportements agressifs atteint un sommet avant l’entrée à l’école (entre 2 et 3 ans selon la majorité des auteurs). Ce phénomène s’explique notamment par le fait que c’est vers cet âge que l’enfant se retrouve plus fréquemment dans des contextes d’interactions sociales. En effet, le bébé naissant est d’abord davantage en contact avec ses figures parentales par le biais des soins qui lui sont dispensés. Au fil des mois, il prend de plus en plus plaisir à commuOlquer et à découvrir son influence sur son environnement. Au cours de la deuxième année, le contexte relationnel de l’enfant s’élargit rapidement à la fratrie et aux amis du milieu de garde extrafarnilial. À ce stade, le jeune enfant ne connaît pas encore les normes sociales en matière d’interactions et ne maîtrise pas encore ses ressources internes pour contrôler pulsions, frustrations, impulsivité, etc. Il n’est donc pas rare de voir un enfant mordre ou taper son compagnon de la garderie parce que ce dernier lui a pris son jouet.
Cependant, au fil des interactions sociales avec d’autres enfants et des conflits qui en découlent (surtout pour la possession d’un jouet), l’enfant comprend peu à peu que les agressions physiques ne sont pas tolérées par les adultes et il développe d’autres manières de réagir: attendre son tour pour avoir le jouet, demander la permission pour le prendre, partager, négocier, etc. Ce déclin dans les comportements agressifs correspond ainsi à l’émergence d’habiletés langagières et cognitives plus sophistiquées (Tremblay, 2000). L’enfant apprend donc davantage à inhiber ses comportements agressifs qu’il apprend à les manifester. Il importe de mentionner que, bien que l’émergence de comportements d’agressivité physique soit considérée normale dans le développement de l’enfant, à la fois chez les garçons et chez les filles, des différences se dessinent graduellement entre les genres durant les quatre ou cinq premières années de vie (Hay, 2007). Une revue de littérature en psychologie datant de 1974 concernant les différences liées au genre rapportait que les garçons sont plus agressifs que les filles (Mac cob y & Jacklin, 1974). Parmi les différentes formes d’agressivité, il semble que la différence entre les garçons et les filles soit plus marquée en regard de l’agressivité physique (Archer, 2004). Cette différence, qui émerge à l’âge préscolaire, se maintient également au fil du développement (Lussier, Corrado, & Tzoumakis, 2012). Cela justifie que certaines études s’intéressant au phénomène de l’agressivité physique ciblent des échantillons constitués uniquement de garçons (Ellis, Weiss, & Lochman, 2009; Nagin & Tremblay, 1999; Tremblay et al., 1991), alors que d’autres tiennent compte du genre dans leurs analyses et s’intéressent ainsi aux différences qui en ressortent (Broidy et al., 2003 ; Campbell et al., 2010; Côté et al., 2006; Ostrov & Crick, 2007).
Les habiletés verbales
Un des facteurs individuels qui a été étudié en lien avec la problématique d’agressivité réfère aux habiletés verbales. C’est dans ses premières années de vie que l’enfant apprend à maitriser le langage oral et, de manière générale, il est en mesure de s’exprimer clairement et avec un vocabulaire varié avant son entrée à l’école. Le développement des habiletés langagières est étroitement associé au développement des compétences sociales. Dès l’âge préscolaire, le langage sert de médium pour les interactions sociales entre les enfants. En effet, le langage est nécessaire quand vient le temps, par exemple, d’introduire un groupe de pair ou pour résoudre un conflit (McConnell, 1999). Les enfants présentant des difficultés sur le plan du langage risquent de vivre plus de frustration et de réagir soit en agressant, soit en s’isolant des autres (Guralnick, Connor, Hammond, Gottman & Kinnish, 1996; Prizant & Meyer, 1993). Nous avons parlé brièvement plus haut des différents apprentissages ou stratégies qui permettent à l’enfant d’âge préscolaire d’utiliser des comportements alternatifs à l’agressivité physique. Le langage est sans aucun doute une acquisition importante. La parole, les mots, offrent à l’enfant un tout autre moyen d’expression lui permettant de se faire comprendre, d’exprimer ses désirs, ses besoins et ses émotions de manière plus adéquate. Tremblay (2010) a d’ailleurs suggéré un lien entre l’émergence des habiletés verbales et cognitives et la diminution du recours à l’agressivité.
Plusieurs études rapportent un lien entre différents problèmes de comportement et des déficits langagiers chez les jeunes enfants. En effet, de 59 à 80 % des enfants d’âge préscolaire et scolaire présentant un retard de langage présenteraient également des problèmes de comportement (Dionne, Tremblay, Boivin, Laplante & Pérusse, 2003). Plusieurs études ont établi un lien entre une fréquence élevée de recours à des comportements agressifs et des déficits langagiers. Dionne et al. (2003) ont par exemple démontré un lien, modeste mais significatif, entre les retards de langage et le recours aux comportements d’agressivité physique, rapporté par les parents, chez un échantillon de 562 jumeaux âgés de 19 mois. Ils ont ainsi posé l’hypothèse qu’un retard langagier en bas âge prédisposait à plus de comportements d’agressivité physique. Leur étude ne comportant qu’un seul temps de mesure, il était toutefois impossible de vérifier si les déficits langagiers précédaient les problèmes de comportement. De son côté, Estrem (2005) a montré, à partir d’un échantillon de 100 enfants d’âge préscolaire (âge moyen de 50,4 mois), une relation inverse entre les comportements d’agressivité physique et le vocabulaire réceptif. Ainsi, les enfants présentant moins de comportements agressifs physiques, tels que rapportés par l’enseignant, performaient mieux aux tâches mesurant les habiletés verbales. Les résultats de l’étude de Séguin et al. (2009) vont dans le même sens. Les auteurs montrent en effet une association entre un haut niveau d’agressivité physique et une faible performance à l’évaluation du vocabulaire réceptif chez un échantillon d’enfants âgés d’environ 3 ans.
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Table des matières
Introduction
Contexte théorique
Définir et comprendre les comportements d’agressivité physique chez les enfants
Définition de l’agressivité physique
Genèse et évolution normale de l’agressivité physique chez l’enfant
Trajectoires développementales atypiques des comportements agressifs
Facteurs associés à l’agressivité physique
Les habiletés verbales
Le contrôle inhibiteur
La relation parent-enfant
Maltraitance
Maltraitance et agressivité
Objectifs et hypothèses de recherche
Méthode
Participants
Constitution des groupes
Procédure
Mesures
Comportements agressifs
Contrôle inhibiteur
Day-Night Stroop Task
Tapping Task
Habiletés verbales
Qualité des interactions mère-enfant
Résultats
Analyses préliminaires
Comparaison des groupes agressivité élevée et faible
Analyses supplémentaires
Discussion
Agressivité physique et habiletés verbales
Agressivité physique et contrôle inhibiteur
Agressivité physique et interactions mère-enfant
Contributions et limites
Conclusion
Références
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