TRAJECTOIRE DU CONCEPT MODERNE DE « RACE »

TRAJECTOIRE DU CONCEPT MODERNE DE « RACE »

Problématique : « race » et discours politique sur l’immigration

Je considère que le concept de race comme catégorie d’analyse socio-politique historiquement construite et située est pertinent pour comprendre l’histoire de l’immigration en France (Mbembe : 2010/2015, Bancel : 2014, N’Diaye : 2005, Hajjat : 2014). En croisant l’analyse généalogique du concept moderne de « race » du XIXème siècle au XXème siècle avec le discours politique de Bernard Cazeneuve3 sur l’évacuation de la « Jungle de Calais » durant l’année 2016, je veux démontrer qu’il est possible d’appréhender certains imaginaires socio-discursifs à l’aune de l’histoire longue de l’immigration en France. L’objectif n’est pas de mener un travail généalogique du concept moderne de « race » et une analyse de discours politiques : je veux ancrer cette recherche généalogique dans une perspective qui la rend actuelle et pertinente grâce aux outils de l’analyse de discours politiques. J’estime en effet que l’analyse des trajectoires du concept moderne de « race », dans certaines de ses discontinuités épistémologiques, ruptures politiques et complexités sociohistoriques, peut nous permettre de mieux comprendre la formation d’imaginaires socio-discursifs qui révèlent un « impensé colonial » (Mbembe, 2010 : 196) dans le discours politique français contemporain sur l’immigration ; ou en tout cas qui révèlent certaines représentations idéologiques liées à l’expérience coloniale qui subsument ce discours.

C’est en ce sens que je considère mener une étude de type comparative propre aux « critical race studies/theories ». Je vais me concentrer sur le discours politique du ministre de l’Intérieur BC alors en charge de l’opération d’évacuation de la « Jungle de Calais » durant l’année 2016. Toutes ses interventions publiques considérées comme officielles par le ministère de l’Intérieur, recensées sur le site de ce dernier, et sur le sujet particulier de l’évacuation de la « Jungle de Calais » sont mes sources : elles comprennent six communications politiques officielles et deux interviews médiatiques, le tout formant un corpus d’une centaine de pages où « seul le prononcé fait foi ». Je m’intéresse particulièrement à l’usage des notions de « vulnérabilité » et à ses corolaires de « mise à l’abri » et d’ « humanitaire » dans le discours politique de BC, en cela qu’ils sont des marqueurs socio-discursifs susceptibles de révéler un « impensé colonial » selon moi. Que peut nous révéler une analyse de discours politique croisée à une approche généalogique du concept moderne de « race » ? Pourquoi et comment BC a-t-il mobilisé les notions « d’humanitaire », de « vulnérabilité » ou de « mise à l’abri » pour légitimer l’opération policière de « démantèlement » de la « Jungle » dès février 2016 ? Quels sont les implicites du discours du ministre de l’Intérieur sur l’immigration ?

En quoi ce discours politique mobilise-t-il des représentations socio-discursives et idéologiques qu’il est intéressant de corréler à l’histoire longue des politiques d’immigration en France ? Peut-on trouver les signes d’un « impensé colonial » dans le discours politique du ministre de l’Intérieur ? Je fais l’hypothèse que la mobilisation discursive de la notion de « vulnérabilité » – conjuguée à celle d’ « humanitaire » et au figement de « mise à l’abri » – dans le discours politique de BC peut nous révéler des phénomènes de résurgences imaginaires et politiques de représentations coloniales dans le discours politique français actuel; imaginaires socio-discursifs qui passent sous silence par omission consciente ou inconsciente l’héritage de certaines formes particulières de gestion de l’immigration, qui se sont basées sur la « race » dans l’histoire nationale française du XXème siècle. Je vais en effet tenter de montrer dans ce travail de mémoire comment le discours politique de BC a mobilisé explicitement et implicitement la notion de « vulnérabilité », de « mise à l’abri » et d’ « humanitaire » et comment celles-ci peuvent être corrélées à des imaginaires socio-discursifs sur l’immigration dont les représentations idéologiques renvoient en partie à l’expérience coloniale française.

Du choix du sujet Il y a deux ans, j’ai écrit un travail universitaire portant sur la question du lien entre médecine et camp de migrant.e.s. J’ai choisi cette thématique parce qu’une question me poursuivait : est-ce que la médecine peut devenir une science « répressive » au service du contrôle migratoire ? J’étais tombé sur de nombreux articles de presse qui naturalisaient à mon avis le lien entre les maladies et les migrant.e.s. Dans la forme de ces textes journalistiques, leurs titres accrocheurs, leur lexique médical cru, et un ton qui m’apparaissait violent et dégradant dans la façon de parler des migrant.e.s comme de potentiels porteurs et potentielles porteuses de virus, je me suis posé la question de savoir d’où provenait cette peur de la contagion liée à l’immigration. Je me suis ainsi retrouvé dans ce travail universitaire à interroger dans la mesure du possible et de mes compétences le lien entre médecine, hygiène, et traitement médiatique de l’immigration. Parallèlement, je me suis intéressé à la question du lien entre race et immigration dans l’histoire française grâce à plusieurs facteurs qui se croisent. Le premier étant mon adhésion militante à certains groupes politisés qui ont été une sorte de passerelle m’offrant des possibilités de réflexion critique sur l’héritage colonial de la France et sur mes privilèges en tant qu’homme blanc.

Au fil des lectures, documentaires, discussions et autres réunions, j’ai acquis une sorte de « background » conceptuel et politique m’aidant à saisir l’implication des « privilèges blancs » ou encore le parcours historique de la réappropriation culturelle et politique de concepts comme celui d’« empowerment » par exemple. Je me suis beaucoup intéressé aux questions des discriminations que subissent les personnes racisées. Si c’est une des dimensions importantes sur laquelle je me sens le devoir de revenir, c’est que c’est en partie l’articulation de mon intérêt militant avec mes réflexions académiques qui m’ont amené à choisir cette thématique de mémoire : et je sais à quel point il peut être parfois difficile de se défaire de convictions politiques lorsque l’on aborde des problématiques d’un point de vue académique. La notion de « savoir situé » (Haraway : 2009), qui permet de penser et d’identifier le lieu de la production de savoir et problématise la question de savoir qui parle, de quoi et à partir de quelle position sociale, dans une perspective croisée de genre, de classe et de race m’apparaît centrale pour clarifier ma posture.

Plan du mémoire Ce travail est séparé en trois blocs.

Le premier bloc est constitué d’une approche généalogique du concept de « race » mis en lien avec l’histoire coloniale française et les influences des théories racialistes sur les politiques d’immigration en France durant tout le XXème siècle. Je vais tenter de mettre en exergue le développement historique d’un imaginaire politique et hygiéniste raciste présentant le corps de « l’autre » comme corps potentiellement malade – d’où la nécessité d’une approche historique de l’expérience coloniale et de la formation moderne du concept de « race » – et certaines formes de gestion de l’immigration en France comme étant les conséquences directes ou indirectes de cet imaginaire politique et hygiéniste raciste – dont les instruments juridico-politiques de l’assimilation, de la naturalisation et de l’intégration font partie – . Le premier bloc relève d’une approche théorique. Je vais mobiliser à ce titre un corpus d’ouvrages et d’articles d’ouvrages de sociologie, d’histoire et de philosophie politique qui doivent me permettre de développer une approche généalogique précise du concept de « race ».

Mon objectif est ici de montrer à quel point le développement au XIXème et XXème siècle des sciences naturelles puis de l’anthropologie comme autant de disciplines qui vont légitimer la domination coloniale et les inégalités structurelles entre blanc.h.es et noir.es, en « naturalisant » des inégalités socialement construites, vont influencer les politiques d’immigration de la France dès le début du XXème siècle. Par ailleurs, je veux montrer comment le concept moderne de race « biologique » s’est construit en grande partie dans les mains des médecins, hygiénistes raciaux, anthropologues et naturalistes en tout genre (Weindling : 1998, Tcherkézoff : 2007) ; et que cette construction savante, coloniale et médicale du « corps racisé » est passé en grande partie par sa pathologisation (Dorlin : 2006). Cet imaginaire politique et ces théories racialistes sur les corps des « indigènes » de la République comme autant de corps malades et dangereux vont longtemps habiter l’imaginaire et les politiques d’immigration de la France du XXème siècle et légitimer des formes d’exclusions particulières ; jusqu’à influencer une certaine vision de la « vulnérabilité » et de l’ « humanitaire ».

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Table des matières

  1. 1.INTRODUCTION GÉNÉRALE
    1.1 ANCRAGE CONCEPTUEL
    1.2 PROBLÉMATIQUE : « RACE » ET DISCOURS POLITIQUE SUR L’IMMIGRATION
    1.3 DU CHOIX DU SUJET
    1.4 PLAN DU MÉMOIRE
    1.5 LIMITES DU TRAVAIL
    2.PREMIER BLOC : TRAJECTOIRE DU CONCEPT MODERNE DE « RACE »
    2.1 POURQUOI ENCORE PARLER DE RACE ?
    2.2 AUX ORIGINES ÉPISTÉMOLOGIQUES DE LA « RACE »
    2.2.1 La circulation du concept moderne de « race
    2.2.2 « Sexualités pathologiques » et fabrication des « pathologies raciales
    2.2.3 La ségrégation : un « progrès moral »
    2.3 DU CONCEPT D’ASSIMILATION.
    2.3.1 Citoyenneté et « race » : l’assimilation comme instrument juridique
    2.3.2 L’évolution du droit d’asile : de l’assimilation à l’intégration
    3.DEUXIEME BLOC : ANALYSE DU DISCOURS POLITIQUE DE BERNARD CAZENEUVE
    3.1 CONTEXTE GÉNÉRAL : QU’EST-CE QUE LA « JUNGLE DE CALAIS » ?
    3.2 MÉTHODOLOGIE
    3.2.1 Sources sélectionnées
    3.2.2 Pourquoi parler de « communication politique » ?
    3.2.3 Figements, implicites et imaginaires socio-discursifs
    3.3 LES « FIGEMENTS » DANS LE DISCOURS DE BERNARD CAZENEUVE
    3.3.1 Figement 1 : la « crise migratoire »
    3.3.2 Figement 2 : la « mise à l’abri » et le « démantèlement de la Lande
    3.3.3 Figement 3 : les « filières de trafics d’êtres humains
    3.4 LES IMPLICITES DU DISCOURS DE BERNARD CAZENEUVE
    3.4.1 De la « vulnérabilité »
    3.4.2 De la « vulnérabilité » et de la victimisation des « migrant.e.s »
    3.4.3 De la « vulnérabilité » des « mineurs isolés »
    3.4.4 De l’ « l’humanitaire
    3.4.5 Du paradigme humanitaire-sécuritaire du risque et de la responsabilité
    3.4.6 Les motifs ambigus du sécuritaire
    4.TROISIEME BLOC : « IMPENSÉ COLONIAL » DANS LE DISCOURS DE BERNARD CAZENEUVE
    4.1 IMPENSÉ COLONIAL 1 : DE L’IMAGINAIRE SOCIO-DISCURSIF DE L’ÉGALITÉ ET DE LA TRADITION D’ACCUEIL
    4.1.2 : « Le droit d’asile, c’est la République ».
    4.1.3 De la Sonacotra
    4.2 IMPENSÉ COLONIAL 2 : DE L’IMAGINAIRE SOCIO-DISCURSIF DE LA VULNÉRABILITÉ
    4.2.1 : « Vulnérabilité », hygiène et citoyenneté française
    CONCLUSION
    BIBLIOGRAPHIE
    6.1 OUVRAGES
    6.2 ARTICLES ET ARTICLES D’OUVRAGE
    6.3 AUTRES TEXTES (ARTICLES DE PRESSE, BLOGS, TEXTES OFFICIELS)
    6.4 ARCHIVES DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEURRapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

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