Traits fonctionnels : écologie, morphologie et préférence thermique Phylogénie

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Les communautés et leur environnement

Le déterminisme des communautés par leurs environnements physique et biologique
Les communautés peuvent donc être décrites de multiples façons pour indiquer la mesure dans laquelle elles diffèrent d’un ensemble aléatoire d’espèces et reflètent le résultat de processus particuliers, liés à l’environnement physique mais également biologique (i.e. biotique), dans lesquels elles évo-luent (Weiher et Keddy 1995).
L’hypothèse de prédominance du stress (SDH ; « stress dominance hypothesis » en anglais ; Encadré 4) a été formulée par Weiher et Keddy (1995) bien que de potentiels mécanismes sous-jacents aient été proposés une décennie plus tôt (Thiery 1982). Elle se base sur la notion de sévérité des conditions en-vironnementales en tant que déterminant de la diversité des communautés. La sévérité abiotique est une caractéristique environnementale compliquée à appréhender et à décrire du fait que seul ses ef-fets peuvent être quantifiés et est donc relative aux organismes considérés (Thiery 1982). Lorsque les conditions environnementales sont rudes, la diversité attendue est plus faible que dans des conditions favorables étant donné que peu d’organismes sont capables de faire face à de telles conditions. Pour ce faire, elles doivent soit être spécifiquement adaptées à ce genre de conditions soit être tolérantes à une large gamme de conditions (Clavero et al. 2004). A l’inverse, des conditions abiotiques favorables permettent à un large nombre d’espèces de prospérer. Ainsi, le long d’un gradient de sévérité environ-nementale, la diversité devrait diminuer, indiquant une prédominance des filtres environnementaux croissante par rapport à la limite à la ressemblance. Plusieurs études ont mis en évidence des résul-tats en adéquation avec les prédictions faites à partir de cette hypothèse, que ce soit pour la diversité fonctionnelle ou la diversité phylogénétique. Par exemple, Kluge et Kessler (2011) ont montré que les communautés de fougères épiphytes présentaient une diversité fonctionnelle plus faible dans des condi-tions rudes comme un milieu sec à faible altitude ou un environnement gelé de haute-altitude. Leurs travaux ont montré qu’à l’inverse à des altitudes intermédiaires, c’est-à-dire où les conditions sont favo-rables au développement des fougères épipthytes, la diversité était maximale (Kluge et Kessler 2011). De la même façon, Graham et al. (2012) ont montré que les communautés de colibris étaient phylogéné-tiquement plus pauvres dans les environnements rudes que dans les plaines humides, milieu considéré comme ancestral. Cependant, si trop d’espèces peuvent coexister, les conditions biotiques (c’est-à-dire les interactions entre espèces), et en particulier la compétition, risquent de réduire le nombre d’espèces capables de coexister aux espèces les plus compétitives (MacArthur et Edward 1967; Thiery 1982). En considérant uniquement la diversité taxonomique, et en particulier la richesse spécifique, la compéti-tion devrait restreindre la diversité lorsque les conditions environnementales sont favorables. Ainsi la relation entre sévérité environnementale et diversité devrait suivre une courbe en cloche (hypothèse de la perturbation intermédiaire ; Eggeling 1947; Grime 2006; Watt 1947). En revanche, au regard des di-versités fonctionnelle et/ou phylogénétique, les espèces, bien qu’en faible nombre, devraient maximiser leurs différences pour limiter les chevauchements de niches et donc la compétition. Ainsi, dans des mi-lieux favorables, les communautés devraient présenter une faible diversité taxonomique mais une forte diversité fonctionnelle et/ou phylogénétique, du fait de l’environnement biotique et en particulier de la compétition. Par exemple, Machac et al. (2011) ont mis en évidence que les communautés de fourmis de trois systèmes montagneux américains tempérés étaient effectivement pauvres phylogénétiquement à haute altitude (i.e. dans des environnements contraignants) mais riches phylogénétiquement à basse altitude, indiquant que tandis que les filtres environnementaux ont une importance croissante quand la sévérité environnementale augmente, l’influence de la limite à la ressemblance sur la structure des communautés augmente au fur et à mesure que l’environnement devient favorable.

Abondances piscicoles à échelle locale

L’agence Française pour la Biodiversité (AFB) est une institution nouvellement créée et dans la-quelle a été incorporée l’Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA) qui a fournit les données utilisées pour la description et la caractérisation des dynamiques des communautés pisci-coles françaises. Concernant les milieux aquatiques continentaux, l’AFB a pour mission, entre autres, le contrôle des usages de l’eau et des milieux aquatiques, la prévention, la restauration ainsi que la pré-servation des milieux, de la biodiversité et des processus et fonctions qu’ils représentent, l’acquisition de données relatives aux milieux aquatiques ainsi que le soutient à des programmes de recherche. Dans ce cadre, l’AFB a réalisé des campagnes d’échantillonnage qui ont permis de mettre en place la base de données utilisée (disponible en ligne 1). Depuis 1966, des suivis temporels sont réalisés pour plus de 12 500 stations (Figure 2.2). Chaque relevé décrit les abondances des espèces piscicoles observées, chaque individu pêché ayant été identifié, mesuré et finalement relâché. L’échantillonnage se fait par pêche électrique : les petits cours d’eau sont échantillonnés depuis les rives tandis que les pêches sur les grands cours d’eau sont faites depuis un bateau pour chaque mésohabitat rencontré. La pêche électrique est méthode peu invasive qui offre une faible sélectivité et permet une normalisation et une reproducti-bilité des protocoles utilisés. Depuis 1990, les abondances de 75 espèces ont été renseignées par l’AFB et ce, de façon homogène sur l’ensemble du territoire français métropolitain (Figure 2.2). La truite (Salmo trutta, le vairon (Phoxinus phoxinus), la loche franche (Barbatula barbatula), le goujon (Gobio gobio) ainsi que le chabot (Cottus gobio) sont les espèces les plus abondantes en France métropolitaine pour la pé-riode documentée (i.e. 1966 – 2012). Le statut de l’ensemble des espèces (i.e. native ou non-native) est documenté.

La diversité n’est pas distribuée de façon homogène

Comprendre les processus et les mécanismes qui sous-tendent la diversité et sa distribution à l’échelle planétaire est une question centrale de l’écologie moderne, et plus particulièrement de la bio-géographie ainsi que de la macroécologie (Kennedy et Norman 2005; Mora et Robertson 2005). La diver-sité est plus forte aux latitudes les plus faibles (i.e. proches de l’équateur) et diminue progressivement en se rapprochant des pôles (Figure 3.1). De nombreuses hypothèses ont été proposées pour expliquer ce patron particulier, observés pour de nombreux clades. Entre autres, l’énergie disponible dans le système (e.g. Tittensor et al. 2010), les contraintes climatiques (e.g. Currie et al. 2004) ainsi que les perturbations historiques (e.g. Brown et Lomolino 2000) semblent être des facteurs privilégiés dans l’explication de ce patron. Ce dernier, bien qu’observé pour de nombreux groupes taxonomiques, est plus ou moins prononcé selon la richesse taxonomique du groupe considéré, la taille des organismes, le milieu de vie des organismes et l’échelle à laquelle est testé le gradient (Hillebrand 2004). La distribution actuelle des poissons d’eau douce résulte des dynamiques de systèmes aquatiques continentaux à large échelle spatio-temporelle. En particulier, l’état d’un système étant généralement transitoire, la faune et la flore de ce système le sont également. Lorsque l’état du système change, ce changement entraîne générale-ment des événements d’extinctions et de spéciations. Dans un contexte de changements climatiques et géologiques à large échelle, ces processus ont des conséquences sur les populations isolées et en four-nissant à d’autres des occasions de colonisations de nouveaux habitats (Lévêque et al. 2008).
A l’échelle planétaire, la diversité semble relativement homogène en Europe. En particulier, le continent européen apparaît comme peu diversifié, cette faible diversité étant le résultat des dernières glaciations relativement récentes (i.e. 21 000 ans). Cependant, en examinant cette zone individuelle-ment, les variations spatiales de diversité ne sont pas si faibles qu’elles ne le paraissent à large échelle (Figure 3.2). L’Europe s’étend sur plus de 4 000 km, couvrant une large gamme de climats aussi bien contemporains qu’historiques. De plus, de nombreuses barrières à la dispersion des espèces sont pré-sentes sur le territoire européen (e.g. Alpes, Pyrénées, etc.). Ces caractéristiques géo-climatiques ex-pliquent en partie les patrons de diversité actuellement observés en Europe. Dans le cas des poissons, les bassins d’Europe centrale présentent une richesse spécifique élevée (Figure 3.2). Ces bassins ap-partiennent à la zone Ponto-Caspienne (Figure 3.3) qui correspond à une zone refuge majeure de la dernière glaciation, il y a 21 000 ans (Bănărescu et al. 1991; Griffiths 2006; Reyjol et al. 2007). En effet, lors de la dernière glaciation, une grande majorité des espèces a disparu et la survie du reste d’entre elles a été possible grâce au Danube (Bănărescu et al. 1991; Griffiths 2006; Reyjol et al. 2007). Lors des périodes interglaciaires, des systèmes de drainages naturels des eaux fondues ont permis la connexion entre bassins versants (en particulier les bassins d’Europe centrale et sibériens), les espèces pouvant ainsi (re)coloniser de nouveaux réseaux hydrographiques jusqu’à alors isolés et inaccessibles, principa-lement à partir des parties intermédiaires et avales du Danube. La région Périméditerranéenne est quant à elle plutôt pauvre bien que marquée d’un fort endémisme (Durand et al. 2003; Lévêque et al. 2008; Reyjol et al. 2007). D’une part, la région Périméditerranéenne est isolée du reste du continent par les Alpes, les Pyrénées ainsi que le Grand Balkan (Lévêque et al. 2008). D’autre part, cette zone n’a pas subi l’influence de la dernière glaciation étant trop au Sud résultant en une isolation des autres zones biogéo-graphiques plus longue (environ 5 millions d’années, depuis la crise de salinité messinienne), elle-même permettant à un nombre plus important d’événements de spéciation de se produire (Reyjol et al. 2007). En parallèle de ce fort taux de création d’espèces, les processus d’extinction se sont mis en place depuis plus longtemps que pour les bassins de la région Ponto-Caspienne, induisant un plus grand nombre de pertes d’espèces au cours du temps (Reyjol et al. 2007). De plus, il est possible que les conditions envi-ronnementales aux bords de la Méditerranée soient plus contraignantes que celles rencontrées ailleurs en Europe, diminuant le nombre d’espèces capable d’y prospérer (Reyjol et al. 2007). Néanmoins, l’utilisation seule de la richesse taxonomique limite la compréhension des processus biogéographiques et écologiques qui ont eu lieu et dont résultent les communautés actuellement observées.

Des facettes supposées interchangeables

La diversité fonctionnelle permet de prendre en compte les différences de caractéristiques entre espèces et donc leur potentielle complémentarité (Currie et al. 2004; Díaz et Cabido 2001; Petchey et Gaston 2006). Ainsi, la diversité fonctionnelle apparait comme une approche intéressante si l’on désire comprendre les mécanismes écologiques sous-jacents à la distribution actuelle de la diversité (Mason et al. 2007, 2008). Par exemple, au travers de l’utilisation de la diversité fonctionnelle, Mason et al. (2007, 2008) ont mis en évidence que l’hypothèse liant énergie et richesse spécifique permettait d’expliquer les patrons de diversité à une échelle régionale. En particulier, leurs résultats indiquent que la température implique une augmentation des ressources disponibles permettant aux espèces de se spécialiser et donc à un plus grand nombre d’entre elles de coexister (Mason et al. 2007, 2008; Srivastava et Lawton 1998). Une autre étude a été réalisée à l’échelle continentale mettant en évidence un gradient latitudinal de la diversité fonctionnelle (Stevens et al. 2003). Concernant les poissons, la diversité fonctionnelle au sein des bassins a été peu étudiée et l’a été principalement au travers de la diversité morphologique. La seule étude jusqu’à ce jour a été réalisée par Schleuter et al. (2012). Cette dernière illustre l’effet des contraintes environnementales diminuant la diversité fonctionnelle des communautés piscicoles (hypothèse de la prédominance du stress ; Section 1.2) ainsi que l’impact de l’isolation géo-graphique par des barrières à la dispersion, à l’échelle européenne. Globalement, les auteurs mettent en évidence que les colonisations et les spéciations ne permettent pas de compenser les forts taux d’extinc-tion dans les zones géographiques isolées, notamment par des chaines montagneuses (Schleuter et al. 2012). En parallèle, cette isolation induit une forte redondance fonctionnelle entre espèces résultant vraisemblablement en une faible incidence des futures extinctions potentielles sur les communautés concernées (Schleuter et al. 2012). Schleuter et al. (2012) ont proposé la première étude sur les patrons spatiaux de diversité fonctionnelle, dans une perspective à la fois macroécologique et biogéographique, des communautés de poissons d’eau douce à l’échelle de l’Europe au travers de l’utilisation de traits morphologiques. En effet, les traits relatant explicitement les rôles et les stratégies écologiques sont gé-néralement difficiles et coûteux à documenter, d’autant plus que le nombre d’espèces à renseigner est important, comme c’est le cas dans les études à large échelle. Bien que cette utilisation de traits morpho-logiques pour caractériser la diversité fonctionnelle soit relativement répandue (e.g. Flynn et al. 2009; Luza et al. 2015; Ricklefs 2012; Schleuter et al. 2012), la mesure dans laquelle ces traits sont un bon in-dicateur de cette diversité reste inexplorée. De plus, certaines études ont mis en évidence les fonctions assurées par certains traits, mais ces dernières ne l’ont fait que pour un trait unique sans considérer la multidimensionalité du concept de niche et de fonction écologique (Tableau 2.1). D’autres études ont permis de comprendre les dimensions des niches écologiques mesurées par certains traits en particulier (e.g. utilisation de l’habitat : Higham et al. 2015; Leal et al. 2013 ; alimentation : Clairmont et al. 2014; Lisney et al. 2013; Machado-Evangelista et al. 2015). Savoir dans quelle mesure les traits morpholo-giques dans leur ensemble renseigne sur les stratégies écologiques, dans leur globalité, reste donc une question sans réponse.
La phylogénie a également été utilisée pour décrire la diversité fonctionnelle (e.g. Vitousek et al. 1997). Dans le cas d’un fort conservatisme des traits fonctionnels (Section 1.1, Encadré 4), la phylogé-nie informe sur la variabilité de l’ensemble des traits fonctionnels (Gerhold et al. 2015) bien que ces derniers ne soient pas tous mesurés (et donc pris en compte dans la mesure de la diversité fonction-nelle). Cependant, le caractère informatif de la phylogénie repose sur cette hypothèse de conservatisme phylogénétique qui n’est pourtant pas systématiquement vérifiée.

La complémentarité des facettes dans la description des patrons spatiaux à large échelle

En décomposant la diversité fonctionnelle en diversité morphologique d’une part et écologique d’autre part, il possible de comprendre dans quelle mesure ces deux facettes sont effectivement infor-matives l’une de l’autre. Il est également possible de confronter les patrons de diversités morphologique et écologique avec les patrons de diversité phylogénétique dans le but de déterminer si la phylogénie peut effectivement être considérée comme plus informative qu’un ensemble donné de traits. Grâce à l’utilisation des indices de diversité, et en particulier de la richesse ainsi que de la régularité, décrits Section 2.4, les diversités morphologique, écologique et phylogénétique des communautés piscicoles européennes ont été quantifiées et décrites (Figure 3.4).
Concernant les communautés piscicoles européennes, la richesse et la régularité morphologiques présentent des patrons spatiaux opposés (Figure 3.4) : les communautés présentent soit une forte ri-chesse mais une faible régularité c’est-à-dire que quelques morphologies extrêmes sont présentes dans la communauté soit une faible richesse mais une forte régularité indiquant un faible gradient de formes au sein duquel les espèces se placent de façon régulière. Ainsi, les régions Ponto-Caspienne et Péri-méditerranéenne sont globalement de la première catégorie (i.e. richesse et irrégularité morphologique importante) tandis que les bassins d’Europe du Nord, d’Europe Centrale et d’Europe de l’Ouest pré-sentent le patron inverse (i.e. régularité des morphologies au sein d’une faible richesse). La forte richesse Ponto-Caspienne est une potentielle conséquence de l’utilisation de cette zone comme refuge pendant la dernière glaciation tandis que la richesse de la zone Périméditerranéenne est potentiellement le résultat de l’isolation de cette région depuis plus de 5 millions d’années couplée à des conditions environnemen-tales particulières. Dans ces deux régions biogéographiques, les conditions environnementales passées (au regard de la zone Ponto-Caspienne) ou contemporaines (dans la Péri-Méditerranée) n’ont permis ou ne permettent la survie que de quelques morphotypes particuliers. A l’inverse, les bassins d’Europe du Nord, d’Europe Centrale et d’Europe de l’Ouest sont caractérisés par une faible diversité de morphologie qui est probablement le résultat de la dernière glaciation. En effet, cet événement est récent à l’échelle des temps géologiques (i.e. 21 000 ans), ne permettant pas à de nombreux morphotyes d’appa-raitre par spéciation.
La diversité écologique présente des patrons contrastés selon la composante (i.e. richesse ou ré-gularité) considérée (Figure 3.4). La richesse est élevée dans toute l’Europe exceptée pour le Danube, le Dniepr, l’Oural, le sud de la Péninsule Ibérique, la Péninsule Italienne ainsi que la région Périmédi-terranéenne de l’Est, indiquant une forte diversité de stratégie écologique au sein des bassins versants européens. De plus, les espèces présentent une forte complémentarité (i.e. leur distribution au sein de l’espace écologique est très régulière) mis à part dans le sud de l’Europe Centrale ainsi que dans la partie orientale de la zone Périméditerranéenne de l’Est (i.e. bassins versants turcs). Cette importante diver-sité est probablement le résultat de la richesse de milieu qui caractérise l’Europe permettant ainsi à de nombreuses stratégies écologiques de se développer. Cependant, certaines zones présentent une faible richesse écologique (e.g. Danube) potentiellement résultant de leur rôle de refuge pendant la dernière glaciation. En effet, seules les espèces capables d’accéder à ces bassins et d’y survivre ont pu persister. Il apparait que peu de stratégies écologiques permettent la survie et le maintien des espèces, résultant en une faible richesse. D’autre part, les Péninsules Ibérique et Italienne, vraisemblablement en raison de leur isolation du reste de l’Europe ainsi que des conditions contraignantes du pourtour méditerranéen, présentent également une faible richesse écologique.
Les communautés piscicoles européennes présentent une forte diversité phylogénétique (Figure 3.4) : de nombreux clades sont représentés, chacun l’étant de façon équivalente aux autres (i.e. forte ré-gularité de la distribution des occurrences dans la phylogénie). Ce patron est un peu moins marqué au niveau de la Péninsule scandinave et quelques bassins au niveau du Caucase, soulignant que parmi les quelques clades représentés, une majorité d’espèces n’appartiennent qu’à un seul clade. A l’inverse, cer-tains bassins comme celui du Danube ou de la Volga présentent une très forte diversité phylogénétique indiquant que de nombreux clades sont présents et qu’ils sont tous représentés de façon homogène.
Les différentes facettes de la diversité sont souvent utilisées de façon équivalente les unes au autres (e.g. Alexandrou et al. 2014; Allan et al. 2013; Luza et al. 2015; Ricklefs 2012). Cependant, elles apparaissent plus comme complémentaires les unes des autres que équivalentes. En effet, bien qu’elles soient corrélées statistiquement entre elles (Figure 3.5), l’information contenue par une facette parait biologiquement peu pertinente pour renseigner sur une seconde facette, les R2 des relations significa-tives étant compris entre 0,04 et 0,12. A noter que les relations entre ces deux facettes (i.e. morpholo-gique et écologique) dépendent largement de l’échelle à laquelle elle est considérée. De plus, bien que les traits morphologiques et écologiques présentent un signal phylogénétique significatif (respective-ment, I de Moran = 0,29 et 0,39, p < 0,001), la relation entre les facettes fonctionnelles et la facette phylogénétique est loin d’être claire (Figure 3.5). Ce résultat corrobore les conclusions faites par Mason et Pavoine (2013). Les auteurs ont mis en évidence que malgré l’observation d’un signal phylogénétique au sein des traits fonctionnels à l’échelle du pool régional d’espèce, à l’échelle locale, la diversité phy-logénétique ne reflète pas nécessairement la diversité fonctionnelle. Ainsi, la congruence entre facette à l’échelle des espèces (i.e. signal phylogénétique dans la distribution des traits) ne se traduit pas systé-matiquement pas une congruence à un niveau d’organisation supérieure (i.e. corrélation entre facette). Ce résultat souligne la nécessité de tester les mécanismes connus à un niveau d’organisation à d’autre niveaux, lorsque la vision du système se veut intégrative. Il apparaît donc que les différentes facettes de la diversité sont complémentaires plutôt que redondantes ou équivalentes les unes des autres. La complémentarité des facettes est de plus en plus testée et défendue comme un atout majeur de la mul-tidimensionnalité de la notion de diversité (Diniz-Filho et al. 2011; Gerhold et al. 2015; Gómez et al. 2010; Lopez et al. 2016; Meynard et al. 2011).
Bien qu’observé pour un grand nombre de clades, le gradient latitudinal de la diversité varie en intensité selon la richesse du clade en question, de la taille des organismes, de l’échelle spatiale ainsi que du type d’écosystèmes (i.e. marin, terrestre ou d’eau douce ; Hillebrand 2004). Outre ces facteurs, le choix de la facette et de la composante considérées peut drastiquement influencer le gradient observé.

Un déterminisme environnemental différentiel selon les facettes et les composantes

La forte variabilité du gradient latitudinal selon les facettes et les composantes étudiées (Figure 3.4) peut être le résultat d’un déterminisme environnemental différentiel selon les facettes et les com-posantes considérées (Tableau 3.1). En effet, bien que les déterminants semblent être globalement les mêmes pour l’ensemble des composantes et des facettes, la direction et la force avec lesquelles ces fac-teurs influencent la diversité semblent disparates selon les composantes et les facettes. Par exemple, tandis que la richesse écologique est principalement influencée par des facteurs liés à la température (e.g. température moyenne annuelle, saisonnalité des températures, couverture glaciaire lors de la der-nière glaciation ; Tableau 3.1), la richesse phylogénétique est principalement sous l’influence de la sai-sonnalité climatique (des températures et des précipitations ; Tableau 3.1). Ces résultats illustrent la nécessité de considérer la multidimensionnalité du climat. En effet, les saisonnalités des températures et des précipitations ont une forte influence sur les composantes de différentes facettes (e.g. Adler et Levine 2007; Letten et al. 2013). En particulier, la saisonnalité des températures semble être un filtre important contraignant la diversité. Il apparaît que l’hypothèse de prédominance du stress s’applique aux communautés piscicoles européennes, la saisonnalité des températures étant le facteur de stress. A l’inverse, celle des précipitations apparaît comme un facteur favorisant la diversité. Les précipitations sont reconnues pour impacter directement les régimes hydrologiques des cours d’eau. Leur variabilité implique donc une variabilité des débits et donc des caractéristiques des cours d’eau au sein des bassins versants. Cette diversité d’habitat (i.e. concernant les débits) semble donc favoriser la diversité des com-munautés. Les conditions climatiques historiques façonnent également la diversité contemporaine au travers d’effets biogéographiques. En particulier, les bassins couverts de glace pendant la dernière gla-ciation présentent une diversité plus importante que les bassins restés intacts. Ceci peut être le résultat de colonisations par des espèces très différentes à la suite de la glaciation tandis que les espèces des bassins restés intacts (i.e. qui n’ont pas gelé) ont été sélectionnées et filtrées pour subsister aux condi-tions climatiques froides (i.e. forte redondance des espèces). En effet, bien qu’ils n’aient pas gelés, les cours d’eau ont tout de même subis une chute des températures drastique pendant le dernier maximum glaciaire. Autrement dit, les bassins versants restés nus il y a 21 000 ans ont connu, de fait, une histoire d’extinctions légèrement plus longue que les bassins ayant gelés.
Outre les conditions climatiques, le contexte géo-morphologique est un déterminant important de la diversité des communautés (Meynard et al. 2011; Sagouis et al. 2016). En particulier, l’altitude semble expliquer d’avantage de variance de la diversité que l’aire (Tableau 3.1), probablement parce qu’elle informe mieux sur la diversité globale des conditions environnementales que l’aire du bassin.
Bien que les mesures de diversité présentées soient mathématiquement indépendantes de la ri-chesse spécifique du fait de l’utilisation de modèles nuls (Section 2.4), les diversités morphologique et phylogénétique semblent néanmoins biologiquement influencées par la richesse spécifique (Tableau 3.1). En effet, les bassins caractérisés par un nombre d’espèce élevé sont également plus diversifiés des points de vue morphologique et phylogénétique. Ce résultat peut être dû à un effet confondant entre l’aire et la richesse spécifique, les bassins versants les plus grands étant également les plus riches. En effet, la taille d’un bassin informe, au moins en partie, sur la diversité des habitats rencontrés dans ce bassin ; une forte diversité d’habitat étant généralement liée à des communautés fortement diversifiées.
Il apparaît donc que les patrons spatiaux de la diversité des communautés piscicoles sont dé-terminés, à large échelle, par des facteurs climatiques (historiques et contemporains) ainsi que géo-morphologiques (e.g. altitude). Cependant la force et le sens dans lesquels ces influences s’exercent semblent varier selon les facettes et les composantes considérées résultant en des patrons spatiaux va-riables selon les dimensions de la diversité considérées.

La pertinence de considérer l’ensemble des traits simultanément

La Section 3.3 a permis de mettre en évidence des patrons spatiaux de diversité fonctionnelle nets et de souligner les disparités, parfois fortes, entre régions (e.g. richesse morphologique présentée Figure 3.4). L’avantage de considérer l’ensemble des traits simultanément est d’implicitement considérer les caractéristiques écologiques comme un tout plutôt que comme des traits dissociés les uns des autres. De plus, malgré la prise en compte conjointe des traits, les patrons spatiaux de la diversité fonctionnelle sont actuellement bien décrits et présentent parfois des variations fortes, largement détectées (e.g. Barbet-Massin et Jetz 2015; Safi et al. 2011; Schleuter et al. 2012; Toussaint et al. 2016).
L’utilisation d’indices multivariés permet de rendre compte de la diversité des traits dans son ensemble en moyennant les diversités relatives à chaque trait considéré individuellement. Tandis que certains traits ne varient que très peu, d’autres peuvent présenter une très forte diversité. De fait, le mélange de ces traits peut atténuer les patrons de diversité (temporels et/ou spatiaux) détectés. Des études, de plus en plus nombreuses, remettent en question la pertinence de l’utilisation d’indices multivariés et proposent donc de décomposer la diversité fonctionnelle trait par trait (e.g. Astor et al. 2014; Ingram et Shurin 2009). En effet, des hypothèses différentes sur les patrons de diversité seront faites selon les traits et leur fonction (Lopez et al. 2016). En particulier, une dichotomie a été proposée entre les traits et les traits (Ackerly et Cornwell 2007). La niche est construite à partir des traits en relation avec l’utilisation des ressources et donc de la coexistence des espèces au sein des communautés comme la taille chez les plantes qui est impliquée dans les capacités compétitrices (Bernard-Verdier et al. 2013), la longueur des branchiospines chez les poissons ou la taille du bec chez les oiseaux qui sont liées à l’ali-mentation (Gómez et al. 2010; Ingram et Shurin 2009). A l’inverse, les traits en lien avec les tolérances environnementales forment la niche . Les traits permettant aux espèces de vivre, de se développer et de se maintenir dans un habitat en particulier sont des traits , parmi lesquels la densité du bois qui est liée à la tolérance à la sécheresse (Ackerly et al. 2006), la taille des yeux chez les poissons en lien avec la profondeur de l’habitat utilisé (Ingram et Shurin 2009) ou encore le type de respiration chez les insectes impliqué dans la tolérance aux contraintes liées à l’oxygène (Saito et al. 2016). Etant impliqués dans les capacités compétitrices, les traits devraient présenter une diversité intermédiaire (i.e. ni particuliè-rement forte ni particulièrement faible, étant donné le nombre d’espèce) dans une communauté prin-cipalement structurée par des filtres environnementaux (Ackerly et Cornwell 2007; Lopez et al. 2016 .

Les communautés les unes par rapport aux autres

Depuis les années 80, les communautés se sont significativement homogénéisées ; les différences entre communautés (calculées selon l’équation 2.1) ayant diminué, en moyenne, de 0,01 (les différences entre communautés sont comprises entre 0, i.e. pas de différences, et 1). Ainsi, les communautés de-viennent plus semblables au cours du temps. Cependant, aucune variation au cours du temps de l’originalité des communautés piscicoles françaises n’a été observée indiquant que les communautés histo riquement atypiques (e.g. espèces rares ou endémiques de certaines localités) le sont restées malgré des changements de composition importants (Figure 4.3). Les variations d’originalité, bien que faibles, sont déterminées par les changements de saisonnalité des températures ainsi que par les tendances démographiques des espèces non-natives. L’augmentation des saisonnalités ainsi que de l’abondance des espèces non-natives tend à rendre plus singulière une communauté que ce qu’elle n’était dans les années 80.
Les espèces non-natives tendent donc à augmenter l’originalité des communautés. Cette observation, bien que contradictoire en apparence avec de nombreuses études précédentes sur le rôle des invasions biologiques (e.g. Cucherousset et Olden 2011; Olden et Poff 2003; Winter et al. 2009) peut être le signal d’une future homogénéisation en raison de la propagation des espèces non-natives. Toussaint et al. (2016) ont en effet suggéré que la différenciation des communautés était un état transitoire précédant l’homogénéisation des communautés.

Les réorganisations du point de vue fonctionnel

La réorganisation des communautés en réponse au changement climatique n’est pas uniquement observable au travers de la diversité taxonomique mais également par le biais de la diversité fonctionnelle et en particulier de l’équilibre entre les espèces d’eau chaude et d’eau froide coexistantes dans une communauté (e.g. Devictor et al. 2008; Duque et al. 2015). En France, concernant les communautés piscicoles, les tendances de CTI sont globalement négatives (cœfficient moyen = -0,001) indiquant une très légère tendance globale des espèces d’eau froide à augmenter en abondance au sein des commu-nautés depuis 1990. Cependant, environ autant de communautés présentent une augmentation (46%, soit 203) qu’une diminution (54%, soit 235) des CTI. Les tendances de CTI sont négativement corré-lées avec les changements au cours du temps des positions trophiques moyennes (r = -0,20, p < 0,001 ; Figure 4.4). Les tendances de richesse spécifique sont également corrélées avec les tendances des to-lérances thermiques et des positions trophiques moyennes des communautés (rtolerance thermique = 0,11, rposition trophique = -0,20, p < 0,01 ; Figure 4.4). Il apparait que les changements au cours du temps de tolérances thermiques moyennes des communautés résultent des tendances des abondances d’espèces d’eau chaude et de bas niveau trophique comme le mulet porc, le carassin doré, la gambusie ou encore la carpe commune. De nombreuses études basées sur l’utilisation des CTI et notamment les tendances de CTI au cours du temps ont permis la mise en évidence d’une « tropicalisation » des communautés (i.e. une augmentation des CTI au cours du temps) sans pour autant déterminer si ce phénomène résulte de l’augmentation des espèces de milieux chauds et/ou des pertes d’espèces de milieux froids (e.g. Li et al. 2016; Santangeli et Lehikoinen 2017). Cependant, de plus en plus d’études expliquent cette tendance à la tropicalisation par une augmentation des espèces de milieux chauds couplées à une perte des espèces de milieux froids, en particulier pour les communautés ornithologiques (e.g. Tayleur et al. 2016). Dans le cas des communautés piscicoles françaises, il semble que les tendances de CTI, aussi bien positives que négatives, sont le fait des fluctuations démographiques des espèces d’eau chaude (Figure 4.4). Ces espèces sont également des espèces de bas niveau trophique (Figure 4.5). Ces résultats, bien que pré-liminaires, encouragent la poursuite d’études mettant en lien la position trophique des espèces et leur sensibilité aux variations environnementales, les espèces de bas niveau trophique semblant être la va-riable d’ajustement des communautés en cas de changements environnementaux tels que le changement climatique.

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Table des matières

Liste des articles
1 Introduction 
1.1 Les communautés écologiques
Qu’est ce qu’une communauté ?
Une communauté : un simple nombre d’espèces ?
Différentes facettes pour décrire les communautés
Des patrons aux processus d’assemblage des communautés
Deux facettes équivalentes ?
Au-delà des facettes, des composantes complémentaires de la diversité
1.2 Les communautés et leur environnement
Le déterminisme environnemental
Les changements globaux
Quelles conséquences des changements globaux pour la diversité ?
1.3 Les milieux d’eau douce
Un système aux propriétés singulières
Conclusion
1.4 Les objectifs de la thèse
2 Données et méthodes 
2.1 Données piscicoles
Occurrences piscicoles à large échelle
Abondances piscicoles à échelle locale
2.2 Caractéristiques des espèces
Traits fonctionnels : écologie, morphologie et préférence thermique Phylogénie
2.3 Déterminants abiotiques et biotiques
Données européennes : Environnement physique
Données françaises : Gradients environnementaux
Données françaises : Changements environnementaux
Données françaises : Invasions biologiques
2.4 Description des communautés piscicoles
Indices de diversité
Indices de diversité fonctionnelle
Indices de diversité phylogénétique
Indices de diversité entre communautés
Modèles nuls
Dynamiques temporelles
3 Les patrons spatiaux à large échelle 
3.1 La diversité n’est pas distribuée de façon homogène
3.2 Des facettes supposées interchangeables
3.3 La complémentarité à large échelle
3.4 Un déterminisme environnemental différentiel selon les facettes et les composantes
3.5 La pertinence de considérer l’ensemble des traits simultanément
3.6 L’impact des invasions biologiques
3.7 Conclusion
4 La réorganisation des communautés 
4.1 La réorganisation des communautés en France
4.2 Les communautés les unes par rapport aux autres
4.3 Les réorganisations du point de vue fonctionnel
4.4 Conclusion
5 Les changements de règles d’assemblage 
5.1 Les dynamiques temporelles de processus
5.2 Les filtres environnementaux comme processus historique
5.3 Les filtres environnementaux, une force de plus en plus structurante
5.4 La restructuration des communautés par les changements globaux
L’hypothèse de prédominance du stress et le changement climatique
Le casse-tête de Darwin et les invasions biologique
5.5 Conclusion
6 Conclusion générale et perspectives 
6.1 Bilan des travaux de thèse
6.2 La dynamique des différences entre communautés
6.3 Les synergies et les dettes
6.4 Les conséquences
Bibliographie 

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