Traitements anticancéreux et thérapie ciblée
Le cancer est une maladie complexe et dynamique, qui résulte de l’accumulation d’une série d’altérations génétiques et épigénétiques capables d’entrainer une prolifération anarchique et la transformation tumorale des cellules touchées. Une meilleure compréhension de ces processus a permis, au cours de ces dernières décennies, le développement de différentes approches thérapeutiques ciblant directement certaines caractéristiques propres des cellules cancéreuses.
Éléments historiques
Avant les années 1990, la médecine disposait de trois types de traitements anticancéreux, à savoir, la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie.
La chirurgie
L’exérèse de la lésion tumorale a été pendant longtemps le seul traitement pour les cancers solides et reste, de nos jours, l’option de choix, car potentiellement curative. Malheureusement, l’ablation totale de la tumeur est parfois impossible à cause de sa localisation, et la chirurgie est généralement inefficace dans le cas de cancers avancés métastatiques. Un bilan diagnostique, permettant d’établir le stade, le grade et la taille de la tumeur ainsi que sa localisation précise, est primordial pour la réussite de l’exérèse et pour la mise en place de thérapies adjuvantes, telles que la radiothérapie ou la chimiothérapie.
La radiothérapie
Depuis la découverte des rayons X en 1895, l’utilisation des radiations s’est développée dans le domaine de la cancérologie dans le but d’éliminer directement les cellules cancéreuses. La radiothérapie est utilisée pour délivrer de façon ciblée une dose de radiations à haute énergie, afin d’entrainer des dommages importants de l’ADN des cellules tumorales, induisant ainsi l’arrêt de la prolifération et la mort cellulaire. Au cours des 20-30 dernières années, le but des chercheurs et cliniciens a été de maximiser les doses de radiation administrées au niveau des cellules tumorales, tout en minimisant l’exposition des cellules normales environnantes, via notamment le développement de techniques plus précises d’administration comme l’intensity modulated radiotherapy et l’image-guided radiotherapy (Citrin, 2017).
De nos jours, environ 50% des patients sont traités avec une radiothérapie. Différents types de rayonnements, possédant des capacités de pénétration tissulaire distinctes, sont utilisés en clinique, tels que les photons (rayons X), les électrons et, plus rarement, les protons. Il existe globalement deux types de radiothérapies, externe et interne, et leur utilisation dépend du type de cancer, la taille de la tumeur et sa localisation. La radiothérapie peut aussi bien être utilisée de manière curative, souvent associée à d’autres types d’approches, comme la chirurgie ou la chimiothérapie, ou de manière palliative, afin de réduire les symptômes causés par le cancer. Bien qu’ayant démontré une forte efficacité sur certains types de tumeurs, comme le cancer du larynx et le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), beaucoup de patients ne répondent pas à la radiothérapie. Plusieurs facteurs cliniques peuvent être en cause, comme la taille de la tumeur, le stade avancé ou la méconnaissance de l’étendue exacte de la lésion néoplasique. De même, certains types de tumeurs peuvent avoir une sensibilité réduite aux rayonnements par le biais de certains mécanismes associés au processus oncogénique, tels que l’hypoxie (Barker et al., 2015).
La chimiothérapie
La chimiothérapie, utilisée pour le traitement du cancer depuis les années 1940, cible les cellules en division, et agit via des mécanismes différents selon le type de composé utilisé. En 1942, des chercheurs examinèrent le potentiel thérapeutique en oncologie de plusieurs toxines, et notamment de la moutarde azotée, dérivée du gaz moutarde utilisé comme arme chimique pendant la première guerre mondiale, pour le traitement de patients atteints de lymphomes non Hodgkiniens. Ils démontrèrent ainsi que ce type de traitement entrainait une régression de la tumeur et que les tumeurs étaient plus sensibles aux toxines comparées aux tissus sains (Gilman, 1963; Gilman and Philips, 1946; Goodman and Wintrobe, 1946). Plus tard, il fut révélé que ces agents, dits alkylants, sont capables de former des radicaux alkyles interagissant très fortement avec l’ADN via des liaisons covalentes, ayant pour conséquence de bloquer la division cellulaire et d’induire une apoptose des cellules tumorales. En 1949, la méchloréthamine fut le premier agent de cette classe à obtenir une autorisation de mise sur le marché par la Food and Drug Administration (FDA) américaine. Plus tard, d’autres agents alkylants, comme le cyclophosphamide, le chlorambucil ou les sels de platine, obtinrent une approbations aux USA ainsi que dans d’autres pays pour le traitement de différents types de lymphomes, leucémies et tumeurs solides (Chabner and Roberts, 2005).
Une autre approche, développée par Farber à la fin des années 40, consistait à utiliser les antifolates, des analogues de l’acide folique, tels que l’aminopterin ou l’amethopterin, chez les enfants atteints de leucémie (Farber and Diamond, 1948). Ces composés permettent de supprimer la prolifération des cellules tumorales et de rétablir une fonction normale de la moelle osseuse chez ces patients. Les antifolates ont également prouvé leur efficacité dans d’autres types de cancers, tels que le cancer du sein, de l’ovaire ou de la vessie, ainsi que le choriocarcinome, une tumeur rare qui se développe à partir des cellules du placenta (Elliot, 1962; Greenspan and Fieber, 1962; Greenspan et al., 1963; Li et al., 1958).
Par la suite, d’autres chimiothérapies ont été développées pour le traitement de divers cancers, telles que le 6-merdaptopurine (6-MP), un analogue de la purine capable d’inhiber la synthèse d’ADN et d’ARN ; la vincristine, un vinca-alcaloïde qui empêche la polymérisation des microtubules ; le 5-fluorouracil, un inhibiteur de la synthèse d’ADN ; le paclitaxel, un agent antimitotique. En se basant sur les recherches menées en bactériologie, notamment celles sur le développement d’antibiotiques, des combinaisons de chimiothérapies ayant des mécanismes d’action différents ont été utilisées, afin de prévenir la résistance observée chez les patients. A part la résistance au traitement, la limitation majeure de la chimiothérapie et de la radiothérapie est représentée par les lourds effets secondaires dus à la toxicité aiguë ou chronique de ces approches.
La thérapie ciblée
Les avancées scientifiques, notamment au cours des années 1970-80, pour comprendre la biologie cellulaire, ainsi que l’initiation et la progression tumorale, ont permis d’identifier des cibles moléculaires potentielles pour le traitement du cancer, telles que les facteurs de croissance et leurs récepteurs, des molécules de signalisation intracellulaire, des protéines du cycle cellulaire et des modulateurs d’apoptose. Ce développement va de pair avec la reconnaissance de l’origine génique du cancer et la découverte des premiers oncogènes, des gènes qui, lorsqu’ils sont mutés, participent à l’initiation et/ou la progression tumorale. Les chercheurs ont pu également démontrer que les cellules cancéreuses souvent dépendent, pour leur prolifération et survie, de ces oncogènes et des voies qu’ils activent. Ces travaux sont à la base du concept d’addiction oncogénique (Sharma and Settleman, 2007; Weinstein, 2002; Weinstein and Joe, 2008) et ils ont permis le développement de nouvelles thérapies, dites ciblées, capables d’intervenir de façon plus spécifique sur les cellules tumorales, et donc de limiter les effets secondaires toxiques sur les cellules normales.
Définition de la thérapie ciblée
Le terme de thérapie ciblée est utilisé surtout à partir de l’année 2000, mais sa définition a évolué au fil du temps, allant de pair avec les avancées scientifiques sur la tumorigenèse et la génétique du cancer. En 2005, Sledge (Sledge, 2005) dresse plusieurs définitions de thérapies ciblées. La plus simple étant : « Une thérapie ciblée implique une thérapie avec une cible moléculaire spécifique ». Mais cette définition est loin d’être complète et reste relativement vague, puisqu’aucune thérapie n’agit sans cible moléculaire. En 2012, le National Cancer Institute (NCI) définit la thérapie ciblée comme « un traitement attaquant spécifiquement la cellules cancéreuse ». Mais en 2019, cette définition évolue de nouveau en apportant quelques explications supplémentaires :
– Certaines thérapies bloquent l’action de certaines enzymes/protéines ou d’autres molécules impliquées dans la croissance cancéreuse
– D’autres types aident le système immunitaire pour tuer les cellules cancéreuses
– La plupart des thérapies ciblées sont des petites molécules ou des anticorps monoclonaux .
Actuellement, les thérapies ciblées sont décrites comme « des médicaments bloquant la croissance et la propagation du cancer en interférant avec des molécules spécifiques, dites cibles moléculaires, qui sont responsables de la croissance, de la progression et de la propagation du cancer ».Elles sont souvent mises en opposition aux chimiothérapies conventionnelles par le fait qu’elles agissent sur une « cible moléculaire précise » et en ciblant spécifiquement la cellule cancéreuse, contrairement aux chimiothérapies, qui agissent plutôt en tuant les cellules en division, normales ou cancéreuses. Dans cette thèse, j’ai décidé, pour des raisons historiques et de simplicité, d’utiliser le terme de thérapie ciblée pour définir des traitements dirigés contre des protéines ou voies intracellulaires activées de façon aberrante et spécifique dans les cellules tumorales.
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Table des matières
Introduction
1. Traitements anticancéreux et thérapie ciblée
1.1. Éléments historiques
1.1.1. La chirurgie
1.1.2. La radiothérapie
1.1.3. La chimiothérapie
1.1.4. La thérapie ciblée
1.1.5. Exemples de thérapie ciblée
1.2. Types d’agents thérapeutiques
1.2.1. Petites molécules inhibitrices
1.2.2. Autres types de thérapie ciblée
1.3. Anticorps monoclonaux
1.3.1. Inhibition des voies associées à la prolifération
1.3.2. Inhibition de l’interaction entre le cancer et son microenvironnement
1.3.3. Anticorps ciblant des marqueurs tumoraux
2. Le cancer bronchique
2.1. Épidémiologie, facteur de risque et prévention
2.2. Classification clinique et histologique
2.2.1. Le cancer bronchique à petites cellules (CBPC)
2.2.2. Le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC)
2.3. Mutations fréquentes dans le CBNPC
2.3.1. Mutations d’EGFR
2.3.2. Altérations de HER2
2.3.3. Altérations de MET
2.3.4. Mutations de KRAS
2.3.5. Mutations de BRAF
2.3.6. Mutations de PIK3CA et PTEN
2.3.7. Fusions oncogéniques
2.3.8. Inactivations de p53 et p16
2.4. Traitement du CBNPC
2.4.1. Chimiothérapie
2.4.2. Immunothérapie
2.4.3. Thérapie ciblée
2.4.4. Résistance à l’osimertinib
Objectifs de la thèse
Résultats
Discussion
1. Mécanismes d’action du sorafenib dans les cellules de CBNPC
2. Implications cliniques
Conclusion