Le trouble bipolaire est une maladie cyclique dont l’épisode inaugural se produit généralement entre 15 et 25 ans. Il touche autant les hommes que les femmes et aurait une prévalence d’environ 2 à 3% (1). Les femmes touchées par cette maladie ont un risque accru de rechute lors des périodes de grossesse et du post-partum (2). Un certain nombre de données montrent que la majorité des troubles de l’humeur dont le premier épisode se déclare en post-partum immédiat, sont finalement des troubles bipolaires (3). La prise en charge de ce trouble chronique est donc un enjeu au cours de la période périnatale. L’allaitement maternel étant le mode d’alimentation recommandé par l’ensemble des professionnels de santé, la question de la possibilité d’un allaitement maternel est fréquente chez les patientes souffrant d’un trouble bipolaire.
Dans les pays développés, 40% des nourrissons sont allaités à 6 mois, et 25% à 12 mois (4). L’utilisation de médicament au cours de l’allaitement n’est pas rare. Dans leur étude sur la population hollandaise, de Waard et al estiment que 84,2% des femmes allaitantes ont pris un médicament, tout type confondu (en vente libre, sur ordonnance et homéopathie), au cours des 3 derniers mois précédent leur étude (5). Les traitements les plus prescrits étaient les antalgiques non opiacés (environs 60% des médicaments), viennent ensuite les vitamines et les médicaments prescrits en cas de carence martiale, les antidépresseurs sont en 16ème position (environ 5%). L’étude ne donne pas les chiffres pour les autres psychotropes. Toujours dans cette même étude, 38,2% des femmes n’allaitant pas, l’ont décidé car elles avaient un traitement (5). Bien qu’il n’y ait, à l’heure actuelle, pas de recommandations françaises ou de recommandations internationalles consensuelles donnant les lignes thérapeutiques qui peuvent être utilisées pour prendre en charge un trouble bipolaire dans le post-partum, il est souvent nécessaire de maintenir un traitement pharmacologique. Les thymorégulateurs utilisés dans le traitement du trouble bipolaire ne sont pas des médicaments habituellement prescrits chez les nourrissons. Les données concernant l’exposition du nourrisson, par le lait maternel, à un traitement pris par une mère allaitante ne sont pas nombreuses.
Le trouble bipolaire
Définition
Le trouble bipolaire est une maladie chronique et cyclique, dont le diagnostic est clinique. Elle se définie par une alternance d’épisodes dépressifs et d’épisodes d’exaltation de l’humeur : manie ou hypomanie (6). Au cours de la période inter critique, il peut persister des symptômes résiduels ainsi qu’un fonctionnement altéré. La prévalence de ce trouble est estimée, en fonction des auteurs, entre 1 à 3% de la population générale, 1,0% pour le trouble bipolaire de type 1 et 1,14% pour le trouble bipolaire de type 2(7–10). Cette maladie débute chez l’adulte jeune en général et concerne les femmes en âge de procréer. Elle touche autant d’hommes que de femmes (1). La dernière version du DSM (Diagnotic and Statistical Manual of Mental Disorder, fifth edtion) donne les critères de diagnostic des épisodes maniaque (annexe 1), hypomaniaque (annexe 2) et dépressif caractérisé .
Les comorbidités
La prévalence de comorbidités médicales et psychiatriques chez les sujets souffrant d’un trouble bipolaire est d’environ 90% (12), et environ 50% de ces patients sont atteints de plusieurs comorbidités (13). Les troubles anxieux (trouble anxieux généralisé, anxiété sociale, ou le trouble panique) sont les plus fréquents chez les patients souffrant d’un trouble bipolaire, avec une prévalence avoisinant 70-90%(14). 50% de ces patients présentent un trouble dû à l’usage d’une substance ou de l’alcool. 25 à 45 % d’entre eux sont porteur d’un trouble avec déficit attentionnel et hyperactivité(15,16). Les troubles de la personnalité et les troubles des conduites alimentaires (particulièrement la boulimie) sont aussi des comorbidités associées au trouble bipolaire(17).
Le trouble bipolaire constitue un facteur de risque cardiovasculaire et un syndrome d’apnée obstructif du sommeil est retrouvé dans 24% des patients(18). La comorbidité la plus grave du trouble bipolaire est le suicide, le risque de décès par suicide serait quinze fois plus élevé qu’en population générale.
La prise en charge
La prise en charge du trouble bipolaire, en France, repose sur des recommandations et avis d’experts(19). Le traitement du trouble bipolaire repose sur 3 axes principaux:
– Le traitement pharmacologique,
– Le traitement psychothérapeutique
– La psychoéducation.
La prise en charge des comorbidités associées est un axe de traitement aussi.
Traitement pharmacologique de la phase aiguë
• Lors d’une phase maniaque ou hypomaniaque, le traitement de première ligne médicamenteux peut être choisi parmi(19) :
– Lithium
– Anticonvulsivant : carbamazépine, valproate et valpromide,
– Antipsychotique de seconde génération : aripiprazole, olanzapine, quétiapine, rispéridone
– Electroconvulsivothérapie
Une bithérapie d’emblée peut être proposée en cas d’épisode sévère
• Lors d’un épisode dépressif caractérisé, le traitement médicamenteux en première ligne, en France, peut être choisi parmi (19) :
– le lithium
– anticonvulsivant : lamotrigine
– antipsychotique de seconde génération : quétiapine
– électroconvulsivothérapie
– un antidépresseur associé à un thymorégulateur anti-maniaque peut être utilisé
Les antidépresseurs pouvant être utilisés sont :
– en première ligne et en association avec un thymorégulateur, les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine
– en deuxième ligne : les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine noradrénergique, algomélatine, mirtazapine, miansérine, tianeptine .
Traitement préventif d’une récidive
Il est choisi, entre autres, en fonction de la polarité dominante du trouble. Le traitement de la phase aiguë peut être maintenu. La monothérapie est alors à privilégier(19). Les molécules de première ligne sont choisies en fonction de la polarité du trouble parmi :
– Les sels de lithium
– Les anticonvulsivants : lamotrigine, valproate et valpromide
– Les antipsychotiques de seconde génération : aripiprazole, olanzapine, quétiapine, rispéridone
– Electroconvulsivothérapie de maintenance .
Le traitement doit être réévalué régulièrement et maintenu au long court.
Particularités de la patiente souffrant d’un trouble bipolaire connu ou diagnostiqué au cours du post-partum
Les femmes souffrant d’un trouble bipolaire ont un risque de rechute au cours de leur grossesse et dans le post-partum, et ce d’autant plus en l’absence de traitement thymorégulateur. Dans leur métanalyse, Wesselo et al, estiment que 17% des femmes souffrant d’un trouble bipolaire présenteront une rechute sévère dans le post-partum, qu’elles aient un traitement ou non. Une rechute sévère désigne un épisode maniaque, ou un épisode avec caractéristiques psychotiques, ou un épisode mixte, ou un épisode nécessitant une hospitalisation. Celles qui n’ont pas eu de traitement préventif de la rechute durant leur grossesse, présenteront un épisode thymique, dans le post-partum dans 66% des cas alors que celles ayant eu un traitement au cours de leur grossesse auront une rechute dans 23% des cas(20). Toujours dans cet article, il est démontré que 29% des femmes, ayant un traitement prophylactique, dans le post-partum, présenteront une rechute. Ce risque est moindre comparativement à celles n’ayant pas de traitement(20). D’autres auteurs retrouvent un taux de rechute de 14% chez les femmes ayant initié le lithium(21). De plus Viguera et al., dans leur étude prospective montrent que par rapport aux femmes qui ont maintenu leur traitement régulateur de l’humeur au cours de la grossesse, celles qui l’ont arrêté ont passé 5 fois plus de jours avec un épisode thymique (8,8% de temps contre 40%)(22). Pour 28% des femmes souffrant d’un trouble bipolaire, le premier épisode thymique s’est produit dans le post-partum et pour celles qui ont présenté un épisode de psychose puerpérale, cet épisode a inauguré un trouble bipolaire pour 57% d’entre elles(23). Les épisodes thymiques au cours du post-partum sont plus sévères, de par leur durée, leur résistance, et leur retentissement sur le fonctionnement de la patiente(24). Le suicide maternel compte parmi les premières causes de mort maternelle dans le post-partum(25).
Conséquence de la survenue d’épisode de l’humeur dans le post-partum chez le nourrisson
Au cours du post-partum, la survenue d’un épisode thymique, en particulier s’il est d’intensité sévère, peut avoir un retentissement néfaste sur le développement des relations d’attachement de l’enfant. Les capacités de caregiver de la mère peuvent être altérées. Pour John Bowlby le caregiver est la personne qui a la capacité de prodiguer des soins, de s’occuper d’un plus jeune que soi, de pourvoir à ses besoins physiologiques et à ses besoins affectifs. Chez les patientes souffrant d’un trouble bipolaire, la dépression est l’épisode en post-partum le plus fréquemment rapporté. Il semble que la dépression du post-partum, ou tout épisode dépressif majeur maternel affecte le développement global de l’enfant (26,27). Les enfants, dont les mères présentent un état dépressif, ont un risque plus élevé de troubles de l’attachement, de troubles comportementaux, de troubles du fonctionnement cognitif, de moins bons résultats scolaires à l’âge de 16 ans, et de pathologie psychique de l’enfant(26), (27) (28). Dans leur étude prospective sur 20 ans, Weissman et al, retrouvaient un risque de troubles anxieux, de trouble dépressif et d’addiction trois fois plus élevé chez les enfants de parents déprimés que chez les enfants de parents non déprimés. Le pic d’apparition de ces troubles étaient avant l’âge de 20 ans, plutôt avant la puberté pour le trouble anxieux et après la puberté pour le trouble dépressif et les addictions(29). Cependant, les enfants de mères traitées avec obtention d’une rémission symptomatique présentaient une diminution significative des symptômes psychiatriques et des troubles psychiatriques diagnostiqués, sans qu’aucun traitement spécifique n’ait été donné aux enfants (30) (31). La dépression maternelle a donc un impact négatif sur les enfants, et son traitement a un impact protecteur direct. Comparativement aux couples mère-bébé dont les mères ne souffraient pas de trouble psychique, il semblerait qu’il soit retrouvé plus de troubles des interactions précoces pour les couples mères-bébé dont les mères présentent un trouble bipolaire, et sans qu’il y ait de lien avec la présence de symptômes .
Quel traitement choisir ?
A ce jour, il n’existe pas de consensus international concernant le choix pharmacologique pour le traitement de ce trouble au cours du post-partum. Il convient de prendre en considération plusieurs facteurs dont la préférence de la patiente et son désir d’allaitement maternel. En effet, la plupart des médicaments sont excrétés dans le lait maternel. L’exposition du nouveau-né, par l’intermédiaire du lait maternel est un phénomène qu’il ne faut pas négliger. Selon Sharma V. et al, l’Olanzapine semble être un traitement pouvant être utilisé, dans le post-partum immédiat, chez les patientes souffrant d’un trouble bipolaire qui désirent allaiter, et n’ayant eu aucun traitement au cours de la grossesse(33). Pour Belzeaux et al, les antipsychotiques de seconde génération et les anticonvulsivants sont les molécules à préférer, tout en évaluant la balance bénéfice-risque avec les patientes .
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Table des matières
1 INTRODUCTION
1 DEFINITIONS
1.1 LE TROUBLE BIPOLAIRE
1.1.1 DEFINITION
1.1.2 LES COMORBIDITES
1.1.3 LA PRISE EN CHARGE
1.1.4 PARTICULARITES DE LA PATIENTE SOUFFRANT D’UN TROUBLE BIPOLAIRE CONNU OU DIAGNOSTIQUE AU COURS DU POST-PARTUM
1.2 LA LACTATION
1.2.1 HISTOLOGIE
1.2.2 LA PRODUCTION DU LAIT
1.3 LACTATION CONCOMITANTE A LA PRISE D’UN TRAITEMENT
1.4 COMMENT ESTIMER LE RISQUE POUR LE NOURRISSON ?
1.4.1 LA CONCENTRATION DU MEDICAMENT DANS LE LAIT
1.4.2 LE RAPPORT M/P
1.4.3 LA DOSE ABSOLUE INFANTILE
1.4.4 DOSE INFANTILE RELATIVE
1.4.5 LES FACTEURS DE RISQUE DU NOURRISSON
2 REVUE DE LA LITTERATURE
2.1 MATERIEL ET METHODE
2.1.1 MEDICAMENTS D’INTERET
2.1.2 BASES DE DONNEES
2.1.3 CRITERES D’INCLUSION ET D’EXCLUSION
2.1.4 ANALYSE STATISTIQUE
2.2 RESULTATS
2.2.1 LITHIUM
2.2.2 ACIDE VALPROIQUE ET VALPROATE
2.2.3 CARBAMAZEPINE
2.2.4 LAMOTRIGINE
2.2.5 ARIPIPRAZOLE
2.2.6 OLANZAPINE
2.2.7 OLANZAPINE A LIBERATION PROLONGEE
2.2.8 QUETIAPINE
2.2.9 RISPERIDONE
2.2.10 SYNTHESE
2.3 DISCUSSION
3 CAS CLINIQUE
4 CONCLUSION
5 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
6 ANNEXE