Les caractéristiques psychiques du dictateur
En s’engageant dans l’étude littéraire de la dictature dans le roman négro-africain post-colonial, l’on ne peut éviter de s’intéresser de près à celui qui en constitue le noyau: le dictateur. Il paraît donc nécessaire, pour mieux décrypter les systèmes dictatoriaux basés sur la volonté unilatérale d’un homme, de voir dans la personnalité de celui-ci, ce qui l’incite à adopter un type particulier de comportement. La position « avant gardiste» de ce chapitre est donc avant tout motivé par la nécessité de faciliter la compréhension des mécanismes de la dictature. L’étude des caractéristiques psychiques du dictateur peut donc être perçue comme la clef devant faciliter l’accès aux chapitres suivants. Par ailleurs, l’analyse du psychisme du dictateur requiert, sans doute, le recours aux théories psychanalitiques ayant déjà fait leurs preuves et dont l’application sur nos textes, nous permet d’éclairer des phénomènes et réactions qui paraissaient jusque là absurdes. Il s’agit donc, à travers une superposition – non systématique – des personnages du dictateur peints par les romanciers de la « seconde génération ) africaine, de mettre en exergue leurs traits caractéristiques fondamentaux qui régissent leurs personnalités et influent sur leurs comportements dans l’exercice du pouvoir. Sous cet angle de vision, l’on cesse d’appréhender le dictateur comme un homme fantastique doté de qualités hors du commun, mais comme un malade victime d’une sorte d’accentuation des traits psychiques fondamentaux de l’homme. Il sera donc ce qu’est un hypertendu à côté d’une personne bien portante, ce qu’est un malade mental à côté d’une personne saine d’esprit. C’est-à-dire, un homme qui, par sa constitution intérieure est au delà ou en deçà des normes humaines et qui par conséquent est en mesure de réaliser – entre autres choses – des crimes inimaginables, mais est incapable de sentiments aussi simples que la pitié ou la tolérance. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cette approche de l’étude de la personnalité du dictateur n’a pas pour objectif de le déculpabiliser, en le rendant irresponsable des crimes et autres délits dont il est à l’origine, mais simplement de comprendre ce qui sous-tend ces hommes si étranges ! Dans son ouvrage intitulé, Les . 19 Types psychologiques , le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung a essayé de définir la nature psychique de la «puissance mystérieuse» incarnée par le dictateur. Selon lui, l’inconscient humain est constitué par des «( images primordiales» ou « archétypes » qui régissent l’orientation inconsciente des activités psychiques. Les archétypes correspondraient donc à « des constantes de l’imagination humaine, à des données psychiques immédiates, à des manifestations volontaires d’activités mentales inconscientes qui se trouveraient à la source des représentations, des croyances et des idées»20. Parmi les archétypes que Car] G. Jung pense découvrir, il s’en trouve un, qui nous intéresse particulièrement en ce sens qu’il nous permet d’examiner la personnalité du dictateur. Il s’agit en effet de « l’archétype de la personnalité mana ». Carl Jung définit celui-ci Comune «l’archétype de l’homme fort qui se serait souvent incarné dans l’histoire en des images de héros ou d’hommes transformés en des dieux et qui se trouveraient donc pour cette raison, à l’origine des conceptions de la souveraineté et de J’autorité ») L’autoritarisme serait donc insulté par ({ l’archétype de la personnalité mana» qui inculque à certains hommes non seulement le désir ardent de vaincre, de triompher de toutes les épreuves, mais aussi, celui d’être objet d’admiration.
L’Auto mythification
Nombreux sont les hommes qui ont marqué l’humanité par leurs hauts faits. Certains parce qu’ils ont su à un moment crucial de la vie de leurs peuples, prendre leur responsabilité et assumer leur rôle avec courage et dévouement. En guise d’exemple on peut citer dans le désordre les noms du Français De-Gaule, de l’Argentin Ché Guévara, du Chinois Mao Tse Toung et enfin, pour citer un vivant, celui de PAfricain Nelson Mandela. D’autres parce qu’ils ont énormément contribué à sortir l’homme des ténèbres d’une existence primitive. Il s’agit entre autres des penseurs comme le philosophe grec Socrate, le physicien allemand – naturalisé américain – Abert Einstein… A cause des immenses services rendus aux hommes, chacun dans son œuvre, l’humanité semble les récompenser en les entourant d’une aura bienveillante. Ils cessent ainsi d’étre perçus comme le commun des mortels pour devenir des figures mythiques. Mais cette métamorphose de l’image de l’homme tout court, en héros mythique, réalisée au fil de l’histoire, s’oppose à l’effort d’auto mythification du dictateur. Ce dernier, loin d’être objet d’admiration des peuples. est considéré par ceux-ci comme un bourreau. Et pourtant, en dépit de cette disgrâce populaire, les tyrans sont décidés à s’entourer de mythe. Faute de pouvoir accéder naturellement à un statut de mythe, le dictateur obnubilé par la folie des grandeurs s’engage de son vivant, dans la construction de son propre mythe. Ainsi, le dictateur penserait qu’il subsiste en chaque homme une ({ parcelle divine» étouffée qu’il lui revient de retrouver en Pactivant. Or, seuls les hommes d’une certaine trempe peuvent réussir cet exercice. Bwakamabé Na Sakkadé, le dictateur du Pleurer-Rire est persuadé d’être détenteur de qualités surhumaines par lesquelles il justifie sa présence à la tête de son pays. Dans son délire monologué, il se croit même en communication directe avec Dieu qui l’exhorterait à rester au pouvoir: « …. Ouais, s’écrie-t-il, mais ce qui me retient, c’est que je ne vois personne capable de poursuivre ce travail (…) Et même si le peuple voulait, dans un mouvement d’égarement, que je parte, Dieu me demanderait de revenir faire mon devoir. Ce délire, où le sujet se croit l’objet d’un amour divin que Pierre Kaufman a appelé ci-dessus« érotomanie divine» permet au dictateur sinon de se justifier, du moins de s’expliquer sa propre volonté de demeurer éternellement au pouvoir.
L’obsession du pouvoir et ses origines psychiques
Tous les romanciers africains de la deuxième génération sont unanimes que les dictateurs, au-delà du masque d’assurance qu’ils s’efforcent d’afficher, vivent dans une peur constante. Ce phénomène ne peut, en effet, pas laisser indifférent l’observateur critique qui ne peut alors s’empêcher de se demander, comment ces hommes « infiniment)) puissants peuvent être aussi victimes d’une incessante psychose? La réponse à cette interrogation nous est proposée dans la psychiatrie qui nous apprend qu’il existe fondamentalement trois formes de psychose chez l’homme: la schizophrénie, la maniaco-dépression et la paranoïa. C’est justement cette troisième forme de psychose qui semble affecter les dictateurs indexés par les écrivains africains. Le sujet paranoïaque si adonne souvent à une « interprétation aberrante des phénomènes réels au cours de laquelle [il] se réfère à une certaine logique. L’obsession de la persécution est une forme classique de la paranoïa »49. Il est envahi par de grandes inquiétudes et se méfie de tout son entourage, y compris les plus proches. Le sujet paranoïaque a généralement tendance à interpréter les événements, en fonction d’une idée fixe: tout le monde veut sa perte. Cette conviction le rend à la fois frileux et soupçonneux, alors la plus insignifiante antipathie exprimée par inadvertance peut être à l’origine de dérives sanglantes.
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Table des matières
Introduction générale
Première partie: Les caractéristiques, les fondements et l’exercice du pouvoir dictatorial
Chapitre 1 : Les caractéristiques psychiques du dictateur
La mégalomanie
L’auto mythification
L’obsession du pouvoir
L’obsession du pouvoir et ses origines psychiques
La corruption de l’homme par le pouvoir ou celle du pouvoir par l’homme
Chapitre II: Les fondements et J’exercice du pouvoir dans les dictatures
Les fondemenls du pouvoir
Une nouvelle classe sociale
Une gestion gabégique
L’exercice du pouvoir dictatorial
Un pouvoir individualisé et exclusif
Le Parti unique
La milice.
Un système d’information perverti
Le contenu du discours
Une sécurité répressive
Une parodie de justice
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