L’industrie chimique représente une part importante de l’économie mondiale. Malgré l’amélioration constante de ses procédés, elle est sans cesse confrontée aux difficultés de gestion des effluents et des produits usagés qu’elle produit. Certains de ces produits sont rejetés dans les eaux naturelles sans qu’ils soient détruits systématiquement par des procédés de traitement mais les législations régulent de plus en plus sévèrement la gestion de ces rejets. En particulier, de nombreux composés organiques contenus dans les effluents industriels sont toxiques pour l’environnement. Le procédé de traitement le plus répandu des rejets organiques est la voie biologique ; toutefois les micro-organismes sont inadaptés dans le cas de produits bioréfractaires ou toxiques. Parmi les techniques physico-chimiques alternatives, l’électrochimie est aujourd’hui à prendre en considération, pour réaliser, dans le cas des produits toxiques, soit le prétraitement précédant le procédé biologique soit la dégradation jusqu’au terme ultime en dioxyde de carbone et eau. Ce procédé ne nécessite aucun ajout d’oxydant chimique et la possibilité qu’il offre d’un recyclage complet des effluents aqueux est particulièrement attractive du point de vue industriel.
La dégradation totale de composés organiques en dioxyde de carbone et en eau est un processus énergétique difficile et dont le mécanisme est très complexe. La difficulté est de trouver un matériau d’anode stable permettant de réaliser la dégradation du squelette moléculaire pour aboutir aux termes de dioxyde de carbone et d’eau. La complexité résulte du fait que le simple transfert d’électrons à l’interface électrode-solution ne permet pas, à lui seul, d’accomplir la dégradation. Il faut en effet imaginer la possibilité de débiter atome par atome le squelette carboné de la molécule à traiter via le transfert d’atomes d’oxygène. La génération de dioxygène en milieu aqueux ne suffit pas, par elle-même, pour réaliser cette opération. C’est donc l’utilisation d’anodes aux propriétés spécifiques qu’il faut envisager. Il est nécessaire de travailler à des potentiels élevés, dans le domaine de la décharge de l’eau pour générer des oxydants puissants tels que les radicaux hydroxyles. Le matériau de l’anode constitue alors le verrou technologique de ce procédé. Outre la nécessité de posséder une surtension au dégagement d’oxygène élevée pour minéraliser des composés organiques, les matériaux envisageables industriellement doivent posséder une bonne résistance chimique dans les milieux acides et caustiques mais aussi une durée de vie importante. A la fin des années 80, Pleskov a mis en évidence les propriétés électrochimiques remarquables du diamant dopé au bore (DDB) un nouveau matériau d’électrode possédant une surtension au dégagement d’oxygène plus importante que les oxydes de métaux utilisés à cette même époque. Plus récemment, en 1995, le DDB a été breveté par la société Kodak pour procéder à la dépollution d’effluents particulièrement toxiques de l’industrie photographique. L’utilisation du DDB a démontré une forte inertie chimique aux milieux acides et basiques. Cette anode, malgré son prix actuel, semble plus performante que les autres pour minéraliser les composés organiques. En ce sens, ce travail s’inscrit dans une suite de projets visant à améliorer la connaissance des mécanismes des réactions impliquées dans l’oxydation électrochimique des composés organiques sur une électrode de diamant dopé au bore.
Traitement des effluents industriels aqueux
Les effluents industriels sont émis sous différentes formes physiques ; dans le cadre de ce travail, seules les informations relatives aux effluents aqueux seront prises en considération.
Les réglementations environnementales
Le texte réglementaire français de référence pour les industriels est l’arrêté du 2 février 1998 [1]. Les eaux résiduaires industrielles ont des caractéristiques très différentes des eaux résiduaires domestiques, tant par leur volume que par leur composition. Ces caractéristiques peuvent aussi être très variables pour les différents établissements inclus dans une même branche industrielle. Les paramètres physico-chimiques permettant de caractériser la composition de tels effluents peuvent être soit globaux, soit spécifiques. Parmi les paramètres globaux, la Demande Chimique en Oxygène (DCO), la Demande Biologique en Oxygène (DBO5), la quantité de Matière En Suspension (MES) et le Carbone Organique Total (COT) sont des outils d’analyse très répandus. Les paramètres spécifiques concernent la température ou le pH de la solution, ainsi que la quantification de familles de produits (azotés, chlorés, métaux, indice phénol…). La pollution des eaux superficielles par des composés organiques doit être contrôlée, car de nombreux effluents industriels aqueux contiennent des composés organiques qui sont, pour la plupart, dangereux pour l’environnement. Au-delà de leur toxicité naturelle et de l’effet qu’ils pourraient avoir sur les êtres vivants, ils ont aussi tendance à capter le dioxygène dissous dans l’eau. La minéralisation des composés organiques est une opération de dégradation des chaînes carbonées jusqu’à leur stade terminal de dioxyde de carbone. Cette oxydation, en milieu naturel, a lieu par l’intermédiaire de l’oxygène, sous l’influence d’activations diverses : catalyse, biocatalyse, photocatalyse… En vue de préserver l’environnement, les effluents industriels doivent être traités afin que la concentration résiduelle des produits organiques soit la plus faible possible.
Pour réutiliser les eaux traitées dans un procédé ou bien les rejeter, la demande chimique en oxygène (DCO) de l’effluent doit être inférieure à 300 ou 125 mg L-1, en fonction du débit de rejet. Concernant les pollutions aquatiques, la législation ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement) distingue, outre les paramètres de base (DCO, DBO, MES …), cinq catégories de substances ayant un effet prononcé sur l’environnement aquatique. Quelques composés, organiques et minéraux, sont énoncés à titre indicatif [3].
– Substances très toxiques : PCB (biphényls polychlorés), Arsenic.
– Substances toxiques ou néfastes à long terme : Benzène, Chlorophénols, Chloroaniline, Dichlorobenzène, Naphtalène.
– Substances nocives : Chlorobenzène, Diéthylamine, Toluène, Atrazine.
– Substances susceptibles d’avoir des effets néfastes : Dichloroéthylène, Dichloropropane.
– Substances indésirables, parmi lesquelles le phénol dont la valeur limite est fixée à 0,1 mg L-1, sachant que la valeur guide est de 0,01 mg L-1 (p. 179 annexe 59 de [2]).
A titre d’exemple, une étude américaine portant sur plus d’une centaine de cours d’eau a mis en évidence la présence et la concentration de divers types de micropolluants. Cette étude a été rapportée par M. Lévi dans l’annexe 39 du rapport parlementaire [2]. Parmi les polluants de nature organique, les composés majoritaires dans la charge polluante sont les métabolites détergents et les plastifiants. Les métabolites sont en fait la marque de la biodégradation primaire des agents détergents. Les plastifiants évoquent, quant à eux, une charge organique importante liée à de longues chaînes carbonées, probablement associées aussi à des cycles aromatiques. Les polluants organiques doivent donc être éliminés des eaux avant rejet, la section suivante va présenter les méthodes principales utilisées actuellement dans l’industrie.
Les principales méthodes de traitement
Le traitement le plus utilisé pour diminuer la fraction biodégradable de la DCO dans les eaux usées est de type biologique, car il est bien maîtrisé et relativement peu coûteux. Mais malheureusement, les substances responsables de la DCO ne sont pas toutes facilement biodégradables ; c’est le cas des composés naturels tels que la lignine, les tannins… A l’opposé, des composés toxiques, comme par exemple : l’aniline, le chlorophénol, l’acide benzoïque… peuvent désactiver les microorganismes, le procédé biologique devient alors relativement lent : d’autres méthodes sont donc nécessaires pour éliminer la DCO [4].
L’incinération est couramment utilisée pour des effluents contenant une grande fraction de composés non biodégradables. Cette méthode extrêmement efficace repose sur la minéralisation des composés organiques par combustion à hautes températures. Cette voie est économiquement acceptable dans le cas de déchets fortement chargés, afin que le procédé soit excédentaire en énergie, ou au moins autothermique. La toxicité d’effluents aqueux peut être détruite en utilisant des techniques physico-chimiques d’oxydation performantes : oxygène sous pression en présence de catalyseur [5-7], peroxyde d’hydrogène [8], ozone [9], ou encore en couplant l’action de l’un de ces deux derniers oxydants au rayonnement UV [10]. L’objectif, dans le traitement d’effluents pollués par des composés organiques, peut être soit la simple destruction de la toxicité, soit la dégradation la plus complète possible des espèces organiques. Cette deuxième voie peut aussi s’exprimer en terme d’abattement de la Demande Chimique en Oxygène (DCO). Diverses techniques électrochimiques permettent, en effet, de réduire la quantité de composés organiques indésirables en solution comme : la séparation par électrofloculation [11], par électrocoagulation [12] ou l’oxydation par le réactif de Fenton électrogénéré [13-15]. Les méthodes sont efficaces, cependant ces technologies sont relativement onéreuses. L’électrochimie, par oxydation anodique directe sur un matériau d’électrode convenable [16- 20], est une technique alternative qui comporte d’importants avantages dans certaines conditions expérimentales, et permet de minéraliser intégralement la matière organique. Des opérations de recyclage peuvent donc, dans ce cas, être envisagées dans le procédé et ainsi réduire la quantité et la toxicité des effluents. Les composés les plus toxiques sont les solvants chlorés et aromatiques, les résidus de pesticides, les phénols, les biphényl polychlorés…. Dans le cas d’une minéralisation, l’électrochimie peut intervenir comme oxydation préalable permettant de modifier la structure moléculaire et de réduire considérablement la toxicité [21], et réaliser ainsi un prétraitement avant digestion biologique : les composants réfractaires sont oxydés en intermédiaires, qui peuvent être traités par des méthodes biologiques [4]. L’oxydation électrochimique des composés organiques est donc une méthode comportant d’importants avantages, comme prétaitement ou comme traitement, lorsque le recyclage est envisagé.
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I. L’ELECTROCHIMIE, UNE SOLUTION POUR LE TRAITEMENT DES EFFLUENTS ORGANIQUES
I.1. Traitement des effluents industriels aqueux
I.2. L’oxydation électrochimique pour la dépollution
I.3. Effluents industriels : composés organiques miscibles
I.4. Exemple d’effluents de l’industrie métallurgique
I.5. Généralités sur les tensioactifs et les émulsions
I.6. Références
II. DISPOSITIFS EXPERIMENTAUX
II.1. Les matériaux d’anode
II.2. Dispositifs des différentes cellules électrochimiques
II.3. Les méthodes d’analyses
II.4. Les mesures de tension de surface
II.5. Bilan macroscopique du réacteur électrochimique à recirculation
II.6. Références
III. OXYDATION DU PHENOL
III.1. Intermédiaires de dégradation du phénol
III.2. Influence de l’intensité sur les paramètres globaux
III.3. Influence du débit
III.4. Comparaison énergétique
III.5. Conclusions
III.6. Références
IV. OXYDATION DES ACIDES CARBOXYLIQUES SIMPLES
IV.1. Etude électrochimique
IV.2. Etude cinétique comparative
IV.3. Performance des électrolyses galvanostatiques
IV.4. Influence de l’électrolyte support
IV.5. Influence de la densité de courant
IV.6. Conclusions
IV.7. Références
V. OXYDATION DU TENSIOACTIF ET D’EMULSIONS H/E
V.1. Etat monomère et micellaire du tensioactif
V.2. Oxydation du DBS : influence du matériau d’électrode
V.3. Influence de la nature de l’électrolyte et du pH initial
V.4. Electrolyses galvanostatiques de solutions de DBS : influence des paramètres opératoires et performance
V.5. Application : Cas des émulsions huile dans eau
V.6. Conclusions sur l’oxydation électrochimique du tensioactif et des émulsions
V.7. Références
VI. MODELISATION PHYSICO-CHIMIQUE DE L’ACTION DES RADICAUX HYDROXYLES
VI.1. La contribution des radicaux hydroxyles
VI.2. Modélisation : résolution par méthodes numériques
VI.3. Modélisation : comparaison théorie / expériences
VI.4. Références
CONCLUSION GENERALE