L’eau est à l’origine de la vie. Sans eau, aucun organisme, qu’il soit végétal ou animal, simple ou complexe, ne peut vivre. Historiquement, les premières civilisations se sont fondées au bord des mers, lacs et rivières. Les eaux utilisées pour les besoins domestiques, l’agriculture et les activités de production étaient rejetées et elles atteignaient les corps d’eau sans aucun type de traitement. Les rivières arrivaient à se débarrasser de leurs déchets par auto-épuration; et l’eau était suffisante par rapport aux besoins humains quotidiens. L’équilibre naturel autrefois existant a beaucoup été modifié. L’homme a apporté au cycle de l’eau une perturbation quantitative par ses prélèvements et sa consommation et qualitative par la pollution qu’il engendre. C’est ainsi qu’au fil du temps l’industrialisation et la croissance accélérée des villes ainsi que les besoins d’une population en augmentation constante ont entraîné la nécessité de création d’unités d’épuration pour traiter les volumes rejetés et la concentration en substances polluantes. Ces substances peuvent avoir des origines polluantes diverses : physique (présence des matières en suspension), chimique, organique et bactériologique. Parmi la gamme des différentes formes de pollution, les déchets biodégradables constituent une des sources les plus fréquemment trouvées dans la pratique.
Quand la pollution organique est non toxique, elle peut être dégradée par le milieu naturel – si la mase d’eau est suffisante – grâce au phénomène d’auto-épuration, due aux organismes vivant dans le milieu aquatique : bactéries, protozoaires, algues, qui permettent à l’eau de retrouver sa qualité première. Cependant, quand les rejets de matières organiques sont trop concentrés, la capacité naturelle d’auto-épuration est saturée et la pollution persiste, en affectant l’équilibre écologique. Pour faire face à ce problème, l’homme a mis en place des réseaux d’égout qui collectent les eaux usées et les acheminent vers les stations d’épuration, ou le traitement des effluents se fait à l’aide de techniques efficaces, afin de minimiser l’effet polluant avant que l’eau soit rejetée dans le milieu naturel.
L’épuration d’un effluent pollué peut comporter des traitements de nature assez variée : biologiques, chimiques et/ou physico-chimiques. La nature des problèmes d’environnement liés aux activités humaines est une affaire de société qui demande un effort croissant et qui doit être entrepris à l’échelle globale pour mieux comprendre la complexité et maitriser les phénomènes inhérents à la dépollution. Dans les domaines des bioprocédés (ou les procédés de traitement des eaux sont un cas particulier), il est nécessaire d’avoir une participation pluridisciplinaire afin de couvrir le très large spectre de connaissances impliquées pour parvenir à des procédés de traitement optimisés [STE98]. En effet, pour mieux comprendre les différents acteurs impliqués, du point de vue biotechnologique, l’activité dans le domaine peut grosso modo être regroupée en trois domaines d’activité principaux, évidement complémentaires [DOC01] :
• La microbiologie et le génie génétique, qui ont pour objectifs de développer des microorganismes permettant la production de nouveaux produits et de choisir les meilleures souches de microorganismes de manière à obtenir certains produits désirés ou certaines qualités de produit.
• Le génie des bioprocédés, qui s’occupe de choisir les meilleurs modes de fonctionnement ou de développer des procédés et/ou réacteurs qui permettent d’améliorer le rendement et/ou la productivité des bioprocédés.
• L’automatique des bioprocédés, qui quant à elle, a pour but d’augmenter le rendement et/ou la productivité en développant des méthodes de surveillance et de commande automatisées permettant l’optimisation en temps réel du fonctionnement des bioprocédés.
Dans les domaines des biotechnologies et du traitement des eaux en particulier, l’amélioration de la performance dans les industries de production ainsi que les nouvelles normes législatives ont rendu nécessaire la modélisation, l’identification et la commande en temps réel des procédés de traitement biologique [QUE00]. La complexité des mécanismes mis en jeu et le fonctionnement au quotidien de tels procédés ont souligné le besoin de mesurer, d’analyser et de contrôler certaines concentrations et variables caractéristiques des effluents. Les cinétiques non linéaires, les paramètres variant dans le temps, l’absence de mesures fiables et directement accessibles, les fortes variations des conditions opératoires imposent le développement et l’utilisation de techniques avancées de l’Automatique. Les travaux présentés dans ce manuscrit concernent l’exploration d’outils alternatifs de l’automatique basés sur la logique floue, pour la modélisation et la commande d’un bioprocédé de traitement des eaux usées. Ces travaux ont été développés dans le cadre d’une thèse en cotutelle entre l’Université Paul Sabatier – Laboratoire LAAS CNRS en France et l’Université de los Andes – Laboratoire GIAP en Colombie. Afin d’apporter des éléments de références par rapport nos travaux, nous nous permettons de présenter en quelques lignes quelques axes de recherche qui sont étudiés dans les établissements scientifiques impliqués.
Les procédés de traitement des eaux usées
Dans cette section nous présentons des éléments de base concernant les procédés de traitement des eaux usées. En particulier nous insisterons sur quelques points particuliers: l’eau et la pollution, les indicateurs de qualité de l’eau, la législation en France et le traitement des eaux usées.
L’eau et la pollution
La pollution se définit comme l’introduction dans un milieu naturel de substances provoquant sa dégradation. La pollution des ressources en eau au niveau des stations d’épuration provient de diverses sources, notamment les formes relatives aux activités humaines [HAD99] [STE98] [QUE00] :
• La pollution domestique et urbaine : les eaux usées urbaines sont rejetées par les installations collectives (hôpitaux, écoles, commerces,…) et comportent les eaux ménagères (détergents, graisses, …) et les eaux vannes (eaux sanitaires : matière organique et azotée, germes et matières fécales, …). Les eaux résiduaires urbaines (ERU) peuvent être considérées comme la plus importante industrie en termes de masse de matériaux bruts à traiter. A titre d’exemple, tant en France qu’en Colombie la consommation moyenne en eau est généralement estimée à 150 litres par jour et par habitant. Dans la communauté européenne il est produit quotidiennement un volume proche à 40 millions de m3 d’eaux usées.
• La pollution industrielle : le degré et la nature de la pollution générée par des rejets industriels varient suivant la spécificité de chaque activité industrielle. Certains rejets troublent la transparence et l’oxygénation de l’eau ; ils peuvent avoir un effet nocif sur les organismes vivants et nuire au pouvoir d’auto-épuration de l’eau. Ils peuvent causer aussi l’accumulation de certains éléments dans la chaîne alimentaire (métaux, pesticides, radioactivité,…). Les eaux résiduaires industrielles (ERI) représentent une part importante des rejets arrivant aux stations d’épuration. A titre d’exemple, les deux tiers des industriels redevables des Agences de l’Eau en France (ceux qui génèrent le plus de pollution) sont raccordés aux stations d’épuration des collectivités territoriales. Ils produisent 10% de la charge polluante industrielle brute, ce qui équivaut à un quart de la pollution domestique. Cet apport pose de sérieux problèmes aux exploitants de stations d’épuration urbaines, tant au niveau des capacités que des performances de traitement. En effet, les effluents industriels toxiques constituent un danger permanent pour les stations de dépollution biologique. De plus, il faut bien noter que, selon le ministère de l’Environnement Français, 30% des rejets industriels s’échappent encore dans la nature sans aucun traitement !
• La pollution agricole : ce type de pollution s’intensifie depuis que l’agriculture est entrée dans un stade d’industrialisation. Les pollutions d’origine agricole englobent à la fois celles qui ont trait aux cultures (pesticides et engrais) et à l’élevage (lisiers et purins). Néanmoins, le problème de la pollution agricole est un peu différent, dans la mesure où cette source de pollution n’arrive qu’indirectement à la station. C’est le cas en particulier des engrais et pesticides qui passent d’abord à travers les milieux naturels (nappes phréatiques, rivières…). C’est aussi le cas des déchets solides issus des industries agroalimentaires et des concentrations des élevages qui entrainent un excédent de déjections animales (lisiers de porc, fientes des volailles…) par rapport à la capacité d’absorption des terres agricoles ; celles-ci, sous l’effet du ruissellement de l’eau et de l’infiltration dans le sous-sol, enrichissent les cours d’eau et les nappes souterraines en dérivés azotés et constituent aussi une source de pollution bactériologique.
• La pollution d’origine naturelle et l’eau de pluie : La teneur de l’eau en substances indésirables n’est pas toujours le fait de l’activité humaine. Certains phénomènes naturels peuvent y contribuer (contact de l’eau avec les gisements minéraux, ruissellement des eaux de pluie, irruptions volcaniques,…). En ce qui concerne l’eau de pluie, bien que longtemps considérée comme propre, l’eau d’origine pluviale est en fait relativement polluée. L’origine de cette pollution peut provenir des gaz ou solides en suspension rejetés dans l’atmosphère par les véhicules, les usines ou les centrales thermiques. Ces polluants (oxyde de carbone, dioxyde de soufre, poussière) sont envoyés vers le sol à la moindre averse. Lorsqu’elle ruisselle, l’eau de pluie a un second effet nocif: elle transporte les hydrocarbures, les papiers, les plastiques et les débris végétaux accumulés sur la terre et les toitures. De plus, cette pollution est déversée sur de courtes périodes et peut atteindre des valeurs très élevées ce qui provoquent un effet de choc sur le milieu biologique.
En ne parlant que de la pollution de l’eau, ce bilan est loin d’être exhaustif puisqu’il faudrait lui rajouter tous les déchets solides, constitués d’ordures ménagères, des déchets ménagers encombrants (mobilier, cuisinières, réfrigérateurs,…), des déchets automobiles (carcasses, batteries, huiles et pneus usagés), des déchets provenant de l’entretien des espaces verts urbains, des déchets d’assainissement des eaux usées (boues), des déchets inertes (les 2/3 des déchets solides industriels), et enfin des déchets produits ou recyclés dans l’agriculture et les industries agro-alimentaires.
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Table des matières
Introduction
PART I. TRAITEMENT DES EAUX USÉES : UN POINT DE VUE DE L’INGÉNIERIE
1. Introduction aux procédés biologiques de traitement des eaux
1.1. Les procédés de traitement des eaux usées
1.1.1. L’eau et la pollution
1.1.2. Les indicateurs de qualité de l’eau
1.1.3. La législation : quelques éléments
1.1.4. Le traitement des eaux usées
1.2. Le traitement biologique des eaux usées
1.2.1. Les principaux polluants
1.2.2. Les micro-organismes épurateurs
1.2.3. Les processus métaboliques
1.2.4. Les traitements biologiques
1.3. L’automatique des bioprocédés
1.3.1. Les problèmes spécifiques de l’Automatique des bioprocédés
1.3.2. Modélisation et identification des bioprocédés
1.3.3. La commande des bioprocédés
1.4. Conclusions
2. Modélisation dynamique de procédés biologiques
2.1. Description des procédés biologiques
2.1.1. Les micro-organismes et leur utilisation
2.1.2. Les types de bioréacteurs
2.1.3. Les trois modes de fonctionnement
2.2. Les modèles de bilans-matière
2.2.1. Les approches microscopique et macroscopique de modélisation
2.2.2. Le taux spécifique de croissance
2.2.3. Equations d’état
2.3. Influence du transfert de matière
2.4. Quelques modèles représentatifs
2.4.1. Fermentations continues
2.4.2. Fermentations semi-continues
2.4.3. Procédés à boues activées
2.5. Modélisation du bioprocédé de traitement des eaux usées par lagunage aérée
2.5.1. Traitement biologique des effluents de papeterie par lagunage aérée
2.5.2. Modélisation des cinétiques de croissance et de dégradation
2.5.3. Equations d’évolution du procédé
2.5.4. Variables de commande du procédé
2.6. Conclusions
PART II. IDENTIFICATION – COMMANDE FLOUES ET APPLICATION AU BIOPROCÉDÉ DE TRAITEMENT DES EAUX USÉES
3. Identification de modèles flous Takagi-Sugeno (TS) à partir de données
3.1. Modélisation floue de systèmes
3.1.1. Structure générale et différents types de modèles flous
3.1.2. Le modèle flou de type Takagi-Sugeno
3.2. Identification (Construction) de modèles flous
3.2.1. Structure du modèle flou
3.2.2. Le problème d’identification et ses solutions
3.2.3. L’identification basée sur des données entrée-sortie
3.3. Méthodes de coalescence floue (clustering flou)
3.3.1. Notation et Concepts de base
3.3.2. Groupage c-moyennes floues (algorithme FCM)
3.3.3. Groupage avec matrice de covariance floue (algorithme GK)
3.3.4. Groupage avec prototypes linéaires (algorithme FCRM)
3.3.5. Groupage avec régression ellipsoïdale (algorithme FER)
3.3.6. Groupage robuste en présence de bruit (algorithme RoFER)
3.4. Construction de modèles TS à partir de données : méthodologie générale
3.4.1. Validation du nombre de clusters
3.4.2. Génération des fonctions d’appartenance des antécédents
3.4.3. Obtention des paramètres des conséquents
3.4.4. Validation numérique du modèle flou
3.4.5. Outil logiciel pour la modélisation-identification floue de type TS
3.4.6. Exemples
3.5. Conclusions
4. Commande floue TS basée sur modèle
4.1. Stabilité et stabilisation à partir de modèles flous
4.1.1. Modeles flous dynamiques de type Takagi Sugeno (TS)
4.1.2. Stabilité des modèles flous
4.1.3. Stabilisation des modèles flous TS
4.2. Commande PDC sous optimale par retour d’état
4.2.1. Commande LQR pour des modèles affines à temps discret
4.2.2. Commande PDC avec compensation de gain statique
4.2.3. Commande PDC avec ajout d’intégrateurs
4.2.4. Choix des matrices de pondération Q et R
4.3. Conclusions
5. Identification et Commande floues TS du bioréacteur
5.1. Description entrée-sortie du bioprocédé de traitement des eaux usées
5.1.1. Le modèle de bilan matière
5.1.2. Les paramètres du modèle
5.1.3. Les objectifs de conduite du procédé
5.1.4. Les contraintes sur les actionneurs
5.2. Modélisation et identification floue du bioprocédé à partir des données
5.2.1. Elaboration du jeu des données entrée-sortie
5.2.2. Utilisation du clustering flou Gustafson-Kessel et RoFER
5.3. Commande floue de type TS du bioprocédé basée sur le modèle flou
5.4. Conclusions
Conclusions