Traces esthétiques de la performance

Traces esthétiques de la performance

En 1980, la commissaire et historienne de l’art Chantal Pontbriand a organisé à Montréal le colloque Performance et multidisciplinarité. Postmodernisme. Cette série de conférences est d’ailleurs considérée, au Québec, du moins, comme le premier événement complètement consacré aux études de la performance artistique d’un point de vue théorique. En fait, les communications qui y ont été présentées s’attachaient à trouver une définition intellectuellement satisfaisante de la performance de même qu’à repérer les traits théoriques distinctifs de cette forme d’expression artistique. D’ailleurs, dans le discours qu’elle avait prononcé en ouverture du colloque, Pontbriand indique bien le défi que représente une bonne compréhension théorique de la performance : Ce mot a cours aujourd’hui, à cause d’un glissement de terrain qui s’est produit entre les arts de la scène et les arts visuels.

L’utilisation du terme anglais permet de mieux saisir le déplacement en question. Opération non seufement linguistique, ce glissement signifie une profonde mutation des concepts fondamentaux définissant la peinture, la sculpture et les autres arts . Ce « glissement de terrain» qu’évoque l’organisatrice du colloque est d’ailleurs à l’origine de cette difficulté de constituer un socle théorique suffisant pour proposer une définition de la performance : puisque la plupart des recherches portant sur cette forme d’expression la prennent comme objet à étudier et non comme outil d’analyse et d’interprétation, il n’est pas aisé de la théoriser. D’ailleurs, c’est le constat auquel arrive l’ensemble des conférenciers ayant pris part au colloque Performance et multidisciplinarité. Postmodernisme. Le philosophe Thierry de Duve, dans sa communication « La performance ,’ hic et nunc », affirme même que « devant un phénomène aussi diversifié et un concept aussi flou que ceux de performance, il est présomptueux de vouloir dire quoi que ce soit de général. Tout au plus peuton s’en tenir au repérage de quelques traits récurrents27 . » C’est donc spécifiquement autour de traits récurrents que s’ébauchera l’analyse de Playtime, Buffet chinois et Disk@tëk. Le présent chapitre s’attachera d’ailleurs à présenter ces traits d’un point de vue théorique en tentant de voir comment la performance se caractérise en mettant en place des indices génériques et esthétiques.

Le premier groupe de traits récurrents pris en compte dans la recherche regroupe les caractéristiques sociales, politiques et philosophiques de la performance artistique. Les ouvrages La performance du futurisme à nous jours (1979) et Performances: l’art en action (1999), écrits par l’auteure et théoricienne de l’art RoseLee Goldberg, servent de point de départ à la réflexion sur ces caractéristiques. Ces livres, considérés comme fondateurs et indispensables à l’étude et à la recherche touchant la performance, cement les contours de cette forme d’expression en adoptant un angle esthétique et politique. Alors que le premier ouvrage se concentre sur l’aspect social de la performance, l’auteure rappelant que les artistes de performance se tournent « vers la mémoire collective (l’étude des rituels et des cérémonies) comme source de leur travail28 », le second s’attache plutôt à mettre en évidence le caractère militant de cette esthétique, la présentant « comme une technique propre à remettre en question et à transgresser des frontières entre les disciplines et les genres, le privé et le public, la vie quotidienne et l’art, au mépris de toute règle29 . » C’est donc en étudiant comment la pensée de Goldberg entre en résonance avec celle d’autres théoriciens que nous serons en mesure de rendre patent les traces esthétiques particulières qui distinguent la performance des autres formes artistiques.

La provocation

Dans leur essai Artivisme : art, action politique et résistance culturelle, les critiques Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi signalent l’aspect provocateur et réactionnaire de l’art de la performance, qu’elles qualifient de « spectacle du refus30 » en ce qu’il transgresse et déconstruit à la fois les règles relevant de la forme et du contenu. Cette forme d’expression, expliquent-elles, refuse systématiquement l’ esthétisation de même que la mise en forme (et en scène) auxquelles obéissent, de façon générale, les arts vivants. Ainsi, même si elles prennent vie devant un public, rappelant la représentation et le spectacle tels que nous les connaissons, les pratiques de performance se dressent contre les notions de répétition, de préparation et de mise en scène, qui, elles, sont propres au théâtre. Au-delà de cette notion de « spectacle du refus », les artistes qui se destinent à la performance veulent faire ressortir dans leur pratique la part monstrueuse et horrible du monde. Selon RoseLee Goldberg, « [l]es artistes de performance nous [montrent] ce que nous ne verrons pas deux fois, et que parfois nous aurions souhaité ne jamais voir3 l . » En fait, il faut voir que cette tendance à vouloir susciter l’horreur et ce penchant pour la provocation constituent une caractéristique centrale de la performance. Ceci dit, toutes les autres formes d’expression artistique, notamment l’art dramatique, la création littéraire et les arts plastiques, possèdent elles aussi des forces provocatrices. En réalité, il devient pertinent de rapprocher les tendances à la provocation de la performance au moment où cette provocation n’est plus seulement formelle ou relevant d’un moment ou d’une scène particulièrement choquante, mais qu’elle se rattache directement à des préoccupations bien réelles, « pour mieux attirer notre attention sur le monde qu’on ne se donne pas assez la peine de regarder32 ».

La provocation à laquelle s’adonnent les artistes de performance vise, entre autres choses, à explorer les tabous, les angoisses et les valeurs de l’époque, du temps précis où elle se déploie. Plus précisément, ceux-ci font « appel à la performance en tant qu’évocation critique de la vie quotidienne, mélange aujourd’hui extraordinaire de langages visuels et de systèmes de valeur, [ … ] nous contraignant à affronter notre propre moment particulier dans le temps, et à essayer de le nommer.33 » Il ne s’agit pas précisément de provoquer dans le but de chercher à choquer le public, mais bien de le faire dans un but de questionnement, d’éveil, d’ébauche de regard critique sur le quotidien et le système de valeur dans lequel s’inscrit le réel. D’ailleurs, l’art de la performance ne se fonde jamais exclusivement sur un thème, problème, ou mode d’expression unique, mais se définit davantage dans chaque cas particulier par sa réaction provocatrice. Il ne vise que rarement à séduire son public mais cherchera plus vraisemblablement à démêler et analyser de manière critique les techniques de la séduction.34 Selon le comédien Gilbert Turp, les performances qui réussissent le mieux à montrer des tabous et des angoisses propres à une société sont celles qui ne cherchent pas à choquer ou à brusquer l’auditoire, mais bien à le rassembler. Pour lui, cette analyse critique des techniques de la séduction qu’évoque RoseLee Goldberg trouve son efficacité dans le fait qu’elle sert à unir: Le pipi, caca, bitch indispose, certes, mais ne change rien ; il peut même nous enfoncer davantage dans notre abrutissement s’ils se contente de reconduire l’ idéologie dominante [ .. .]. Ce type de provocation finit par devenir désespérément prévisible. [ .. . ] Mais, [ .. . ] ce qui m’intéresse est d’envisager la provocation dans l’institution comme un désir artistique de provoquer la rencontre. La provocation devient subversive quand elle ajoute au scandaleux une portée qui rallie .

La réunion de l’art et de la vie Une autre des caractéristiques incontournables de l’art de la performance est le souci qu’ont les artistes qui se destinent à cette forme artistique d’utiliser leurs oeuvres pour faire la réunion de l’art et de la vie. De façon plus précise, ceux-ci tentent de rendre la plus mince possible la frontière qui sépare l’oeuvre d’art de la réalité, le spectacle de la vie quotidienne, les comédiens du spectateur. En fait, la performance artistique cherche à faire se confondre le réel avec l’objet d’art et ce, en utilisant deux processus bien particuliers, soit l’installation d’une certaine confusion entre réalité et représentation de même que la construction d’un jeu d’acteur qui se rapproche du non-acting et de l’improvisation. D’abord, la réunion entre l’art et la vie passe, dans la performance, par une sorte de confusion, de flou, entre la réalité et la représentation. Plus précisément, il semble que dans cette forme artistique, tout ce qui relève de l’oeuvre s’insère dans la réalité, faisant en sorte qu’il est difficile, au niveau de l’analyse, de distinguer les parts de celle-ci qui lui appartiennent en propre et les parts qu’elle a empruntées au réel. Les spectateurs se trouvent alors plongés dans une confusion, où ils sont constamment en train de devoir se questionner et d’évaluer si ce qui se passe relève de la représentation ou d’une intrusion du réel.

Ensuite, le brouillage des frontières entre fiction et réalité s’observe dans la relation qu’entretient le genre de la performance avec le jeu dramatique. Le performeur Wladyslaw Kazmierczak, dans un article portant sur le statut de ce genre dans les années quatre-vingt-dix, fait d’ailleurs la distinction entre le travail des gens de théâtre et celui des artistes de la performance : Qu’est-ce qu’un performeur ? C’est un artiste, mais différent, qui entrevoit sa place dans la culture de manière différente. Ses réactions, son rapport au monde sont subjectifs, et tels sont ses actes. Il récuse le rôle d’acteur qu’on lui désigne tant au niveau social que culturel. ‘Sa profession n’ importe pas. [ … ] Il serait difficile de définir l’artiste de performance. Il est philosophe, enseignant, critique, contestataire, initiateur, organisateur, nomade, voyageur, acolyte et porteur de valeurs spirituelles36 . On peut d’ailleurs trouver des résonances à la pensée de Kazmierczak , notamment dans ce que Philip Auslander appelle la « représentation sans matrice. » En effet, selon Auslander, le théâtre américain d’avant-garde a fait en sorte de modifier la façon dont les artistes conçoivent le jeu théâtral. Ainsi, certains de ces artistes en sont venus à considérer que « l’acteur n’incarne pas un personnage, mais se contente d’effectuer certaines actions37 . » En d’autres mots, selon cette conception du jeu de l’acteur, ce dernier ne se présente pas au public en se mettant dans la peau d’un personnage, mais plutôt en mettant de l’avant, à travers ses actions, sa propre individualité. Ainsi, « dans la représentation sans matrice les éléments de références sont appliqués à l’acteur et ne sont pas joués par 1ui38 . »

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LA PERFORMANCE: PERSPECTIVES THÉORIQUES
1. Traces esthétiques de la performance
1.1. La provocation
1.2. La réunion de l’art et la vie
1.3. Rapport de l’oeuvre au temps et à l’espace
1.4. Perfonnance artistique, théâtralité et dramaturgie
2. Performance et réception : les effets produits par un spectacle perfonnatif
2.1. Travail sur la perception des spectateurs
CHAPITRE 2 PLAYTIME : ÉROS, SPECTACLE ET NON-SPECTACLE
1. Spectacle et non-spectacle
2. Le corps dans ses limites et ses tabous
3. La mise en espace« en tableau»
4. Playtime : un jeu qui est bel et bien perfonnatif
CHAPITRE 3 BUFFET CHINOIS : ENTRE NARRATION ET PERFORMATIVITÉ
1. La « vue d’ensemble » : développer un discours autour de l’oeuvre
1.1. Reconstitution d’un corpus évanescent ou « lire» la réception
2. Buffet chinois: entre musicalité et textualité
3. Personnages, narration et perfonnativité : contradictions et explications
4. Le traitement de l’espace : lieu familier et désorientation du public
5. Buffet chinois: là où on trouve « un peu de tout »
CHAPITRE 4 DISK0TËK: LA PARTITION CORPORELLE FARCESQUE
1. L’art dans le réel et le réel dans l’ art
l.1. La simultanéité de la vie et du regard posé sur la vie
1.2. Le canular: se servir de l’institution pour rire de l’institution
2. Musique, médiatisation, partition corporelle : la présence comme vecteur de la performance
3. La prise de risque et la mise en danger du corps
4. Disk0tëk, la mutation performative
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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