Introduction
L’immunothérapie a révolutionné la prise en charge des cancers solides à un stade avancé. Les anticorps monoclonaux dirigés contre les check points inhibiteurs (CPI) du système immunitaire ont notamment permis d’améliorer le pronostic des mélanomes métastatiques (1, 2) et des cancers bronchiques non à petites cellules (3, 4). L’action physiologique du système immunitaire, notamment des lymphocytes, résulte d’une balance positive ou négative de signaux d’activation et d’inhibition (5, 6). Ces signaux sont transmis par des récepteurs ou checkpoints. Pour échapper aux lymphocytes antitumoraux (cellules NKou lymphocytes TCD8+), les cellules cancéreuses peuvent exprimer des ligands aux CPI ( 7 , 8). Les anticorps monoclonaux développés dans la prise en charge des cancers solides à un stade avancé vont bloquer ces CPI pour restaurer l’immunité antitumorale. L’Ipilimumab (Yervoy®) bloque Cytotoxic T Lymphocyte‐associated Antigen‐4 (CTLA-4) et est indiqué dans le traitement du mélanome, du carcinome à cellules rénales et du cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) avancés. Le Pembrolizumab (Keytruda®) et le Nivolumab (Opdivo®) bloquent le Programmed cell Death‐1 (PD-1) et font partie de l’arsenal thérapeutique dans la prise en charge de plusieurs cancers solides à un stade avancé : mélanome, CBPNC, carcinomes urothéliaux (9), cancer rénal à cellules claires (10) et carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou (11). L’Atezolizumab (Tecentriq®) et le Durvalumab (Imfinzi®) sont des inhibiteurs de Programmed cell Death‐ Ligand 1 (PD-L1, le ligand de PD-1) indiqués dans la prise en charge des carcinomes bronchiques (12, 13) et urothéliaux avancés (14). En restaurant l’immunité antitumorale, ces immunothérapies peuvent se compliquer d’atteintes auto-immunes ( 15, 16, 17), réactions plus fréquentes avec les combinaisons d’immunothérapie (18). Les atteintes les plus fréquentes correspondent à des colites (10- 15%) (19, 20), des hépatites (5-10%) et des pancréatites (2-3%) ( 21, 22). Les atteintes plus rares correspondent à des atteintes neurologiques (3%) (encéphalites, neuropathies périphériques, atteintes de la jonction neuromusculaire, myosites) (23), cardiaques (0.3%) (myocardites) (24), rénales (néphrites, 1.5-2%)( 25 , 26), respiratoires (pneumopathie, 2-3%)(27) ou systémiques (syndromes de réponse inflammatoire systémique « sepsis-like »)( 28). Les réactions auto-immunes de grade 4 mettent en jeu le pronostic vital et correspondent à l’apparition d’une ou de plusieurs défaillances d’organe pouvant conduire le patient en réanimation (28). L’immunothérapie doit alors définitivement être arrêtée et une corticothérapie systémique d’urgence devrait être débutée( 29 18 ).
Analyses statistiques
Les variables quantitatives sont présentées sous forme de médianes [minimummaximum]. Les variables catégorielles sont présentées sous forme d’effectifs (n(%)). Les variables qualitatives sont comparées au moyen du test du Chi-2 ou du test exact de Fisher (si effectif théorique inférieur à 5). Les variables quantitatives sont comparées à l’aide du t-test ou du test non paramétrique de Mann-Whitney (celles non normalement distribuées). Pour déterminer les facteurs de risques indépendants associés au décès en réanimation nous avons utilisé la méthode de régression logistique exacte (plus adaptée pour les petits échantillons) afin de calculer des Odds ratio (OR) avec un intervalle de confiance de 95%. La règle empirique avec un minimum de 10 événements par variable prédictive est adoptée pour l’analyse multivariée. L’ensemble des tests a été réalisé au seuil de significativité alpha 5%. L’analyse statistique a été réalisée grâce aux programmes IBM SPSS Statistics for Windows, version 20.0 (IBM SPSS Inc., Chicago, IL, United States of America) et StataCorp 2019 (Stata Statistical Software: Release 16. College Station, TX: StataCorp LLC).
Schéma de l’étude, sélection de la population
Il s’agit d’une cohorte rétrospective de patients majeurs pris en charge en réanimation entre 2010 et 2019 (Assistance-publique des hôpitaux de Marseille – APHM – CHU de Marseille) (recherche MR003, validée par le délégué de la protection des données numériques de l’APHM #2019-259). Le motif d’admission en réanimation devait être une complication d’une immunothérapie qu’avait reçue préalablement le patient pour la prise en charge d’un cancer solide à un stade avancé. Nous avons d’abord identifié grâce à la pharmacie centralisée (oncopharma APHM) délivrant tous les médicaments anticancéreux les patients ayant reçu une immunothérapie pour un cancer au CHU de Marseille entre 2010 et 2019. Nous avons ensuite identifié tous les patients atteints d’un cancer ayant été pris en charge sur une réanimation de l’APHM (6 réanimations au total : réanimation polyvalente et médicale du CHU Nord, réanimation polyvalente du CHU de la Conception, 3 réanimations polyvalentes du CHU Timone) grâce à leurs codages informatiques (détaillé dans l’annexe 1). Après croisement des deux cohortes, nous avons pu identifier les patients pris en charge en réanimation à l’APHM et ayant reçu une immunothérapie pour le traitement d’un cancer à l’APHM. Les dossiers ont ensuite été analysés pour définir les patients : 1) pris en charge en réanimation après avoir reçu l’immunothérapie 2) suivis et pris en charge pour un cancer solide (exclusion des hémopathies malignes) 3) dont le motif d’admission en réanimation était un effet secondaire probable ou possible de l’immunothérapie. En cas de doute, deux réanimateurs et deux oncologues experts devaient discuter de manière pluridisciplinaire de l’imputabilité de l’immunothérapie dans la survenue de la défaillance vitale ayant conduit le patient en réanimation. Si le doute subsistait, l’imputabilité de l’immunothérapie était définie comme possible. L’imputabilité de l’immunothérapie dans l’admission en réanimation était définie comme probable ou possible si (30, 31, 17) :
– la chronologie entre l’administration du médicament et la survenue des manifestations était évocatrice (jours à semaines)
– il n’existait pas de diagnostic différentiel plus probable (absence de documentation microbiologique en faveur d’une infection, absence de documentation cytologique ou anatomopathologique en faveur d’une rechute ou d’une récidive néoplasique)
– la symptomatologie clinique était déjà connue comme une complication possible de l’immunothérapie.
Les scores de sévérité en réanimation analysés dans cette étude correspondaient au score SOFA (Sepsis-related Organ Failure Assessment) et IGS2 (Indice de Gravité Simplifié 2). Le score SOFA (32) permet un estimation de la mortalité par addition des défaillances d’organe (état de choc avec posologie de catécholamines, insuffisance respiratoire avec degré d’hypoxémie et technique de suppléance respiratoire, coma avec score de Glasgow, insuffisance rénale avec créatininémie et recours à l’épuration extra-rénale, défaillance hépatique avec bilirubinémie, coagulopathie avec taux de plaquettes) avec un score entre 0 et 24.
Caractéristiques générales des 27 patients
L’âge médian des patients était de 67 ans [35-80]. 18 patients étaient des hommes (67%) et 25 (92%) étaient ambulatoires (statut OMS < 3). Seuls 2 patients présentaient un statut OMS à 3 avant leur prise en charge en réanimation et aucun n’était grabataire (statut OMS= 4). 17 patients (63%) étaient porteurs de facteurs de risque ou d’une maladie cardiovasculaire (athérosclérose), 4 (15%) souffraient d’une bronchopneumopathie chronique obstructive et 14 (52%) étaient dénutris avant leur admission en réanimation. Les 27 patients inclus étaient pris en charge pour les cancers solides à un stade avancé suivants : 8 mélanomes (30%), 11 carcinomes bronchiques non à petites cellules (41%) (6 carcinomes épidermoïdes et 5 adénocarcinomes bronchiques), 2 carcinomes bronchiques à petites cellules (7%), 2 carcinomes rénaux à cellules claires (7%), 3 carcinomes de la tête et du cou (11%), 1 tumeur neuro-endocrine du pancréas (4%). Un seul patient ne présentait pas de métastase mais une forme localement avancée (carcinome oropharyngé étendu à la base du crâne). Pour 10 patients (37%), l’immunothérapie constituait la première ligne du traitement de leur néoplasie avancée. Dans deux tiers des cas, les patients recevaient un CPI en monothérapie: Nivolumab (30%, n = 8), Pembrolizumab (22%, n = 6), Ipilimumab (7%, n = 2), Atezolizumab (4%, n = 1), Durvalumab (4%, n =1). Un tiers des patients (n = 9/27, 34%) recevait une bithérapie de CPI. Un tiers des patients (n = 9/27) recevait une autre thérapie anticancéreuse en plus de l’immunothérapie (3 associations avec des thérapies ciblées et 2 associations avec des chimiothérapies conventionnelles). A la relecture des dossiers médicaux, 13 patients (48%) avaient déjà présenté une complication non grave en lien avec leur immunothérapie. Le délai médian entre la première perfusion d’immunothérapie et la survenue de la complication grave (justifiant de l’admission en réanimation) était de 58 jours (1-730). Le délai médian entre la dernière injection d’immunothérapie et l’admission en réanimation était de 28 jours (1-196). Les toxicités comme motifs d’admission en réanimation étaient les suivantes : 7 syndromes de détresse respiratoire aigüe (SDRA) (26%) liés à une pneumonie infiltrante diffuse, 5 toxicités neurologiques à type d’encéphalites (18%), 4 états de choc de type « sepsis-like » (15%), 2 atteintes endocrines (7%) (1 insuffisance surrénalienne aiguë, 1 acidocétose diabétique), 1 colite aiguë grave (4%), une hépatite aiguë grave (4%), une anaphylaxie (4%) et 6 cas d’atteintes multiples avec défaillance multiviscérale (22%). Le score SOFA médian à l’admission en réanimation était de 4 [0- 14] et l’IGS2 de 45 [36-87]. 20 patients (74%) étaient placés sous assistance ventilatoire au cours de leur séjour (oxygénothérapie à haut débit et/ou ventilation non-invasive ou ventilation invasive), 15 (56%) recevaient de la noradrénaline et 2 (7%) avaient recours à l’épuration extra-rénale. La lactatémie médiane était de 3,65 mmol/L [0,6-11,6]. Au cours de leur prise en charge en réanimation, seuls 14 patients (52%) recevaient un traitement spécifique pour la prise en charge de la toxicité grave : 13 étaient alors traités par une corticothérapie systémique (93% des patients traités), 3 par échanges plasmatiques et 2 par un traitement immunosuppresseur associé à la corticothérapie. 16 patients (59%) décédaient au cours de leur séjour en réanimation. La mortalité à 6 mois était de 78% (n = 21).
Conclusion
Nos résultats confirment que les effets secondaires graves des CPI sont rares (1.5%) mais graves (mortalité de 59%) lorsqu’ils conduisent à l’admission du patient en réanimation. Ils ne remettent pas en cause l’excellent rapport bénéfice/risque de ces thérapeutiques dans la prise en charge des cancers solides à un stade avancé. Il suggère par ailleurs que le pronostic peut être franchement amélioré par l’administration précoce d’une thérapeutique spécifique par corticothérapie intraveineuse. Ces complications autoimmunes doivent donc être connues et reconnues précocement par l’oncologue et par le réanimateur.
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Table des matières
Résumé
Introduction
Matériels et Méthodes
Schéma de l’étude, sélection de la population
Analyses statistiques
Résultats
Sélection des patients
Caractéristiques générales des 27 patients
Facteurs pronostiques associés à la mortalité en réanimation
Discussion
Conclusion
Références
Annexe 1
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