Le tolérancement garant de l’assemblage
D’un point de vue géométrique, l’hyperstaticité génère sur l’assemblage de nombreuses contraintes d’assemblabilité en plus des conditions de fonctionnement. Toutes ces exigences sont traduites sous forme de tolérances sur les surfaces fonctionnelles et les dimensions impliquées par ces exigences. Les intervalles de tolérance doivent ensuite être quantifiés au mieux afin de maximiser les défauts admissibles sur chaque pièce. La majorité des méthodes de tolérancement ne tient pas compte des déformations des pièces, et cela engendre généralement une sur-qualité de fabrication, voire même des intervalles de tolérance trop petits par rapport aux capabilités des procédés de fabrication. En théorie, on compte sur le tolérancement et son respect pour que les pièces soient assemblables et interchangeables en minimisant les contraintes résiduelles. Mais le contexte aéronautique n’est pas propice au rebut car il s’agit d’une production en petites séries de grandes pièces généralement très onéreuses. Et jusqu’à présent, on pouvait considérer au moment de la conception que leur souplesse permettra de les assembler nonobstant les écarts de géométrie. Or cette idée est remise en cause, en particulier pour les matériaux composites. D’un point de vue mécanique, les contraintes résiduelles issues de l’assemblage ne sont pas prises en compte lors du dimensionnement autrement que par l’usage de coefficients de sécurité qu’on cherche à minimiser. C’est ainsi que sont atteintes à la fois les limites de l’hypothèse des pièces rigides pour le tolérancement, et celles de l’hypothèse des pièces parfaites pour le dimensionnement, faisant enfin émerger les objectifs de ces travaux. La solution envisagée est appelée “tolérancement flexible” et sous-entend la prise Tolérancement flexible d’Assemblages de grandes Structures aéronautiques en compte de la flexibilité des pièces dans le processus de tolérancement. On imagine que les exigences géométriques obtenues ainsi sur les pièces seront moins restrictives (zones de tolérances plus larges), d’où l’attribution délibérée du qualificatif “flexible” au tolérancement plutôt qu’aux pièces, aux structures ou aux assemblages. Autrement dit on a affaire à un processus de tolérancement moins contraignant, donc plus flexible. En introduction de sa thèse, [Merkley, 1998] explique que la communauté anglophones des chercheurs spécialisés dans ce sujet sont adopté le terme “compliancy” à la place de “flexibility” ou “deformable” afin d’éviter toute confusion avec la flexibilité d’une chaîne de fabrication ou d’assemblage, et parce que le terme “deformable” a une connotation péjorative par rapport à l’idée de sécurité. Dans ce mémoire, on parlera aussi bien de pièces non-rigides, souples ou flexibles afin de limiter les répétitons. Bref, afin d’enrichir les méthodes de tolérancement en y apportant à la fois la prise en compte des déformations et leurs conséquences mécaniques, il faudrait réaliser un modèle virtuel de la structure ou du mécanisme qui contienne des informations relatives aux géométries des pièces ainsi qu’à leurs variabilités, à leurs comportements mécaniques, et aux interactions cinématiques et statiques entre elles. La méthode des éléments finis est un outil à la fois adapté et assez développé pour réaliser cette modélisation. Dans ces travaux, l’approche consiste d’abord à établir un modèle éléments finis de chaque pièce de la structure à partir de leur modèle géométrique nominal issu de la CAO et des caractéristiques de leurs matériaux. Ensuite des défauts géométriques aléatoires y sont introduits afin d’obtenir un jeu de pièces virtuelles à géométrie nonidéale. Puis leur assemblage est simulé en leur appliquant les conditions aux limites qui correspondent aux liaisons. Les critères de conformité sont alors observés sur le résultat de la simulation. Comme il s’agit d’une opération déterministe, il faudra la réaliser un grand nombre de fois avec des défauts différents avant de pouvoir en tirer des conclusions quant au tolérancement. Ces simulations intensives soulèvent évidemment la question du compromis entre le coût de calcul et la robustesse du modèle. Vu le type de pièces et la nécessité de diminuer les coûts de calcul, le choix de modélisation s’oriente naturellement sur des éléments de structure tels que des coques et des poutres. Cela nécessite auparavant d’idéaliser la géométrie issue du modèle CAO. Se posent alors plusieurs questions relatives à la modélisation auxquelles ces travaux apportent des éléments de réponse. Par exemple les défauts géométriques, qui concernent des surfaces n’apparaissant pas forcément dans le modèle éléments finis, doivent être imputés sur ces éléments de structure. Il en est de même pour les liaisons car celles-ci sont réalisées par l’interaction mécanique entre des surfaces dématérialisées suite à l’idéalisation. Ensuite se pose la question de savoir quels sont les phénomènes physiques qu’on souhaîte prendre en compte ou négliger dans la simulation d’assemblage comme le Tolérancement flexible d’Assemblages de grandes Structures aéronautiques Le tolérancement garant de l’assemblage contact unilatéral ou les non-linéarités géométriques. Quelles sont alors les hypothèses et simplifications correspondantes, ou les paramètres et caractéristiques à renseigner ? Quelle stratégie de calcul adopter ? Enfin, comment interpréter les résultats des simulations d’assemblage pour en tirer des conclusions sur le tolérancement ? L’une des ambitions industrielles d’EADS-IW vis-à-vis de ces travaux est de développer le logiciel AnaToleFlex (pour ANAlyse de TOLErances FLEXible). Celui-ci s’appuiera sur l’outil AnaTole précédemment développé par EADS-IW et intégré à CATIA V5. Il s’agit d’un logiciel d’analyse de tolérances avec des hypothèses de solides rigides. L’objectif est donc de l’enrichir avec la prise en compte des déformations des pièces impliquées par leur assemblage et leurs défauts géométriques. En parallèle le développement du logiciel d’aide à l’assemblage FitFlex est poursuivi. Fondé sur les travaux de thèse de [Breteau, 2009], ce dernier a pour objectif d’élaborer et d’effectuer des simulations d’assemblage de pièces souples non-idéales afin d’assister les opérateurs pendant les opérations d’assemblage et de réglage.
Les gammes de rivetage
La préparation aux opérations de perçage et rivetage consiste à monter les pièces sur des outillages destinés à les positionner les uns par rapport aux autres (balançage). Ces derniers peuvent éventuellement servir à conformer les pièces s’ils sont de type gabarits, et effectuer des réglages s’ils sont équipés de dispositifs d’ajustement. Le balançage et les réglages peuvent d’ailleurs être assistée par ordinateur ([Breteau et al., 2007]). Ensuite, en fonction de l’outillage et du type de fixation, il existe plusieurs manières de procéder au rivetage. Tout d’abord il y a la gamme d’assemblage avec éclatement, illustrée en neuf étapes sur la figure 1.2. Des trous de références déjà existants sur le premier panneau servent de repère pour contre-percer le second panneau (étapes 1 et 2), instaurant ainsi le positionnement relatif des deux panneaux au travers de la coaxiaité de leurs trous de référence. Leur diamètre est encore inférieur au diamètre final. On procède ensuite à un éclatement, c’est-à-dire que les panneaux sont séparés afin d’être ébavurés et d’évacuer les copeaux. On parle de “dérochage” (étape 3). Les panneaux sont ensuite parfaitement repositionnés en remettant en coincidence les trous de référence à l’aide d’une fixation temporaire appelée “épingle” dont la tension est ajustable (étape 4). Elles servent alors à mettre en place une grille de perçage. Il s’agit d’une plaque métallique épaisse et très rigide sur laquelle ont étés usinés de manière extrêmement précise une multitude d’alésages. Ils servent de canons de perçage, ou bien de support pour positionner l’UPA (Unité de Perçage Autonome). Tous les trous de passage des rivets sont alors contre-percés, alésés au diamètre final, puis fraisurés (étape 5). Les grilles et épingles sont retirées des trous de référence afin de permettre leur alésage au diamètre final. Un nouvel éclatement a lieu pour le dérochage ainsi que la dépose d’un mastic appelé “PR” (Polymérisation Rapide) qui servira à étanchéifier toute la zone de recouvrement (étape 6). Les panneaux sont ensuite repositionnés. Il y a alors deux possibilités pour finir l’assemblage selon le type de fixations définitives. S’il s’agit de rivets standards, l’écrasement de l’extrémité ne permet pas le contrôle d’une tension résiduelle dans le rivet. Les panneaux sont donc d’abord Tolérancement flexible d’Assemblages de grandes Structures aéronautiques Les technologies d’assemblage aéronautiques épinglés sur tous les trous et l’ajustement des tensions des épingles permet un étalement homogène du mastic par fluage. Les panneaux restent épinglés ainsi pendant plusieurs heures jusqu’à ce que le mastic ait séché (étape 7). Un certain pourcentage d’épingles uniformément réparti sur la surface est enlevé et remplacé par les fixations définitives (étape 8). Usuellement, on remplace une épingle sur trois. Cette opération est répétée jusqu’à ce que la totalité des fixations définitives soient posées (étape 9).
Les assemblages meccanos
La dernière technique qui nous intéresse le plus est appelée “assemblage meccano” en référence aux jeux de construction car les trous de passage des vis ou des rivets sont pré-percées. La phase d’assemblage se résume alors à positionner des pièces en mettant les trous en coïncidence puis à poser les éléments de fixation. Comme expliqué dans l’introduction, les assemblages meccanos permettent de gagner du temps en FAL (“Final Assembly Line”). Toutefois leur inconvénient réside dans la précision de perçage des trous de passage car leurs coïncidences d’une pièce à l’autre génèrent de très nombreuses exigences géométriques d’assemblabilité. Selon le nombre de trous pré-percés, on distingue alors plusieurs niveaux ou degrés de contrainte. Entre fort (tous les trous sont pré-percés) et faible (seuls des trous de référence sont pré-percés), il faut trouver le niveau intermédiaire qui permet de maximiser le nombre de trous pré-percés (relatif au temps d’assemblage gagné) et dont les exigences d’assemblabilité sont réalisables en regard des capabilités du procédé de perçage. Le tolérancement flexible prend tout son sens à travers l’évaluation de ces exigences tout en tenant compte des déformations et des contraintes résiduelles.
Expression des exigences géométriques
À partir des années 1970, les techniques de tolérancement consistaient à traduire les conditions géométriques de fonctionnement et d’assemblabilité (jeux fonctionnels,ajustements, etc.) sous forme de tolérances sur certaines dimensions des pièces, et à répartir au mieux ces tolérances. Pour cela, des chaînes de cotes unidirectionnelles sont établies sur le dessin de définition du système dont la géométrie nominale est déjà figée. Le transfert des cotes fonctionnelles en cotes de fabrication permet ensuite de comparer la qualité géométrique exigée aux capabilités des moyens de production déjà choisis. Malgré le fait que cette technique permette encore de résoudre un grand nombre de problèmes, sa restriction dimensionnelle présente des lacunes et l’interprétation des cotes laisse place à des ambiguïtés. Afin de lever les doutes sur la définition des géométries admissibles, un langage de spécification normalisé GPS (Geometrical Product Specification) a été mis en place en 1996. Il s’agit de décrire explicitement des zones de tolérance dans lesquelles les entités géométriques réelles doivent être situées pour que la pièce soit considérée apte à remplir les conditions d’interchangeabilité et de fonctionnement du mécanisme
Comportement mécanique des pièces
Dans les assemblages aéronautiques considérés, on distingue deux types de matériaux utilisés : les matériaux métalliques (bien souvent des alliages d’aluminium, des alliages de titane et parfois des aciers) et les matériaux composites (généralement constitués de fibres de carbone et de résines époxy). Du fait de leur structure hétérogène, et parfois des contraintes résiduelles issues de leur fabrication, les matériaux composites présentent un comportement orthotrope. Ce comportement orthotrope est caractérisé par trois modules de tension,trois modules de cisaillement et trois coefficients de contraction orientés par les directions d’orthotropie [Lemaitre et Chaboche, 2004]. Les techniques d’homogénéisation permettent d’établir des macro-modèles en fonction de la structure et des caractéristiques du composite (épaisseur, orientation et empilement des plis, dimension et densité des fibres, propriétés mécaniques des fibres et de la matrice). Toutefois dans le cas des plaques, il est d’usage d’empiler les couches de fibres de manière à obtenir un comportement globalement isotrope dans les directions orthogonales à l’épaisseur. Concernant le comportement des plaques métalliques, il peut être lui aussi orthotrope, voire hétérogène, en raison de l’écrouissage et des contraintes résiduelles induites par les procédés de formage. Les directions d’orthotropie dépendent alors du procédé d’obtention (par exemple la direction de laminage). Dans le cas du tolérancement, on suppose que les défauts géométriques sont petits devant les dimensions des pièces. Et dans le contexte de l’assemblage, on considère que les pièces ne doivent pas subir de déformations permanentes ou de détériorations Tolérancement flexible d’Assemblages de grandes Structures aéronautiques Les modèles d’assemblage en élements finis prématurées. On suppose ainsi que les contraintes et déformations restent dans le domaine élastique. On fera donc l’hypothèse des petites perturbations (HPP) et on se contentera d’une loi de comportement élastique linéaire isotrope ou orthotrope selon le matériau. Si toutefois on craint que les sollicitations mécaniques des opérations d’assemblage ne conduisent à une déformation plastique ou une détérioration prématurée des pièces, dans le cadre du tolérancement flexible, il est possible d’utiliser des critères de dimensionnement comme étant des critères de conformité statique. Pour des pièces metalliques, on pourra utiliser par exemple les critères de Tresca ou Von Mises [Lemaitre et Chaboche, 2004]. Pour des pièces en composites, on pourra utiliser ceux de Tsai-Wu [Tsai et Wu, 1971], Hashin [Hashin, 1980] ou Puck [Puck et Schürmann, 2002].
|
Table des matières
Table des figures
Liste des tableaux
Introduction
1 Contexte et problématique
2 Le tolérancement garant de l’assemblage
1 Tolérancement, assemblage et simulation
1 Les technologies d’assemblage aéronautiques
1.1 Un exemple d’assemblage aéronautique
1.2 Les gammes de rivetage
1.3 Les assemblages meccanos
2 Généralités sur le tolérancement
2.1 Analyse et synthèse de tolérances
2.2 Notion de skin-model
2.3 Expression des exigences géométriques
2.4 Outils de tolérancement
3 Les modèles d’assemblage en élements finis
3.1 Comportement mécanique des pièces
3.2 Cas des pièces minces : éléments de structure
3.3 Erreurs dues à la discrétisation
3.4 Modélisation des liaisons
4 Le tolérancement de pièces non-rigides
4.1 Les prémices
4.2 Méthode des coefficients d’influence
4.3 Méthode FASTA
4.4 Séquence d’assemblage
4.5 Le contact unilatéral
4.6 La norme NF ISO 10579
5 Récapitulatif
5.1 Modélisation des assemblages
5.2 Variabilités géométriques
5.3 Stratégie d’analyse et simulation d’assemblage
2 La simulation dans les activités d’assemblage
1 Étude de faisabilité simple
2 Aide et optimisation de la phase de réglage
3 Étude de faisabilité avec analyse de la gamme d’assemblage
4 Détermination de séquence d’assemblage dédiée
5 Analyse de tolérances
6 Synthèse de tolérances
7 Récapitulatif des estimations de coûts de calcul
8 Conclusions
3 La modélisation en vue de la simulation d’assemblage
1 Répercussions de l’idéalisation géométrique sur les tolérances
2 Défauts globaux
2.1 Hypothèse d’épaisseurs et de sections constantes
2.2 Réalisme des instances de skin-model numériques
2.3 Morphose de maillages
2.4 Génération des champs d’écart par simulation élastique
2.5 Génération des champs d’écart par superposition de modes amplifiés
2.6 Application à une poutre 2D
3 Modèles de liaisons avec défauts locaux
3.1 Modèles de liaisons à l’état nominal
3.2 Expression locale des défauts globaux
3.3 Défauts de liaison
3.4 Contact unilatéral
3.5 Relations sur les rotations
3.6 Jeux dans les liaisons
4 Conclusion
4 La simulation d’assemblage pour le tolérancement de pièces nonrigides
1 Simulation du procédé d’assemblage
1.1 Prise en compte des variabilités de rigidité
1.2 Prise en compte du contact unilatéral
1.3 Formalisation du problème éléments finis
2 Cas d’étude 2D : Assemblage de poutres nominalement droites
2.1 Modélisation des liaisons
2.2 Modélisation des défauts géométriques
2.3 Quantités d’intérêt
2.4 Récapitulatif de l’étude
2.5 Analyse de tolérances DMC
2.6 Synthèse de tolérances
3 Linéarisation de la simulation d’assemblage
3.1 Méthode des déformations initiales
3.2 Application de la méthode des coefficients d’influence sur l’assemblage de poutres 2D
3.3 Analyse de tolérances MIC
3.4 Méthode des coefficients d’influence avec actualisation de rigidité
3.5 Méthode des coefficients d’influence avec approximation quadratique
4 Cas d’étude 3D : Assemblage de deux plaques nominalement planes
4.1 Présentation du cas d’étude
4.2 Synthèse de tolérances
4.3 Analyse de tolérances
5 Conclusions
5 Application à un cas industriel
1 Présentation
2 Modélisation
2.1 Idéalisation des traverses en modèle poutre
2.2 Modèles de liaisons
3 Modélisation des défauts géométriques
3.1 Défauts de forme
3.2 Défauts de liaison
3.3 Récapitulatif des défauts
4 Analyse de tolérances
4.1 Stratégie de calcul
4.2 Estimation de la probabilité de conformité
4.3 Identification des défauts critiques
4.4 Identification des défauts peu critiques
5 Exploitation des résultats
5.1 Actions correctives sur les tolérances
5.2 Actions correctives sur la conception
6 Conclusions
Conclusions
Perspectives
A Calcul de la contrainte de Von Mises dans les vis des liaisons
Télécharger le rapport complet