Tolérance et Culture : De l’origine de la tolérance
Pour débuter notre raisonnement, nous devons, à présent, définir l’objet de ce mémoire de recherche à savoir la tolérance. Nous pouvons comprendre cette dernière comme étant une « attitude qui consiste à admettre chez autrui une manière de penser ou d’agir différente de celle qu’on adopte soi-même » (Eduscol, 2015). Nous pouvons affirmer que cette qualité ne va pas de soi et qu’elle se trouve être un fait de la culture en l’Homme dans la mesure où c’est une valeur qui semble se construire au travers des mœurs que l’être humain intègre au fil de son histoire. Ces dernières désignent «des pratiques sociales, des usages particuliers, communs à un groupe » (Larousse). En prenant en considération la définition de la culture, nous pouvons souligner que la tolérance serait le fruit d’un apprentissage persistant et singulier de l’homme : « la configuration diversement intégrée des significations acquises, persistantes et partagées, que les membres d’un groupe […] tendent à assurer la transmission. » (Dictionnaire de la psychologie, 2011). En ce sens, la naissance de la tolérance dépend du groupe auquel appartient l’individu. En effet, si ce dernier ne fait pas de cette valeur un indispensable, elle ne sera pas présente dans son schéma de conduite. Cela nous invite à nous interroger sur la composition de ce groupe qui peut faire émerger cette valeur chez l’homme.
Comme le soulignent Roussiau et al (2008) avec le concept de « socialisation », c’est dans la sphère familiale de l’enfant que s’établit les premiers rapports au monde et aux autres. Freud précise cette idée en insistant sur le modèle parental transmis à l’enfant qui va constituer un ensemble de valeurs avec « l’intégration des interdits parentaux » grâce à son Surmoi. Cette première socialisation se trouve être la base de l’évaluation du monde par l’enfant car, comme le montrent les auteurs Tajfel et Wilkes en 1963, reprit par De La Haye en 1998, les êtres humains cherchent à donner du sens au monde qu’ils perçoivent. Pour ce faire, ils « catégorisent » la réalité ce qui se révèle être un processus simplificateur qui considère seulement les traits dominants observés. L’homme use donc d’un jugement social qui se comprend comme étant « la perception d’un objet dit social [qui] diffère selon les individus, le contexte ou encore les expériences vécues. C’est l’attitude envers un objet spécifique qui confère au sujet un renforcement de son identité sociale et de celle de son groupe d’appartenance. » (Dompnier & Pansu, 2007).
Autrement dit, l’homme aurait tendance à privilégier ce qui conforte ses positions, ses conduites et à mettre à l’écart l’innovation et la différence. Pour se faire, il fera usage de discriminations comme le soulève Lévi-Strauss en 2007. La discrimination réfère à un « comportement négatif non justifiable produit à l’encontre des membres d’un groupe donné » (Delouvée & Légal, p.9). Cette dernière repose à la fois sur les représentations cognitives de l’individu (les stéréotypes) et sur la valence affective de l’homme (les préjugés) ce qui explique le fait que l’intolérance soit si tenace chez l’être humain. Cet aspect est particulièrement mis en exergue dans la définition des stéréotypes qui sont assimilés à une « croyance ou représentation rigide et simplificatrice, généralement partagée par un groupe […] relative à des institutions, des personnes ou des groupes. » (Dictionnaire de la Psychologie, 2011). Les préjugés, eux, sont davantage de l’ordre de l’émotionnel, de l’instinctif chez l’homme et se définissent comme étant « une prédisposition à réagir défavorablement à l’encontre d’une personne sur la base de son appartenance à une classe ou à une catégorie [de personnes] » (Gergen, Gergen & Jutras, 1981, cités par Delouvée & Légal, 2008, p.13). Il est important de spécifier en vue de notre définition de la tolérance que cette discrimination peut concerner à la fois l’apparence physique de l’individu (Amadieu, 2002) et ses convictions (Rapoport, 1996). Ainsi intolérance et discrimination sont « des concepts étroitement liés » (Conseil de l’Europe) mais qui agissent sur des plans différents dans le sens où la discrimination serait « la mise en acte des préjugés et des stéréotypes ». La discrimination mettrait donc en lumière l’intolérance sous-jacente.
Comme développé ci-dessus, il est difficile de faire naître la tolérance chez les élèves dans la mesure où cette capacité est transmise majoritairement au sein du milieu familial et se trouve être persistante aux changements. Cette base culturelle forte dénoncée par Coleman en 2003 (Roussiau & al, 2008) se trouve être un obstacle à surmonter pour l’apprentissage de la tolérance. Cependant, des questions demeurent encore sans réponses à ce moment de notre raisonnement : Comment l’école peut avoir un rôle à jouer dans l’acquisition de cette valeur? Enfin, si cette qualité s’avère essentielle pour l’homme, pouvons-nous tout tolérer pour autant? Nous envisagerons deux pistes pour répondre à ces interrogations.
Tolérance et Laïcité : Du risque du relativisme
Si l’on s’accorde à dire que nous devons développer la tolérance dans nos classes parce qu’elle permet la fondation d’un lien social durable encore faut-il savoir quel type de tolérance nous devons enseigner. En effet, comme le stipule, le Ministère de l’Éducation Nationale, il en existerait deux formes dont une seulement est gage d’une ouverture réelle à l’autre. Cette dernière fera l’objet d’une troisième sous-partie. Pour le moment, nous allons nous pencher sur la première forme de tolérance énoncée qui ne s’avère être qu’une apparente acceptation des diverses cultures. Cette conception de la tolérance porte le nom de relativisme et se trouve être une forme amoindrie, « dégradée [du concept de tolérance] qui laisse dire et faire par indifférence aux autres et au vrai. »(Eduscol). Cela signifierait que l’être humain constaterait la pluralité des conduites et des opinions sans pour autant s’y intéresser ni les remettre en question. En somme, cela reviendrait à dire que toutes les mœurs se valent dans la mesure où elles ont le droit d’exister. Ceci est partiellement vrai dans la mesure où leur expression traduit une « diversité culturelle » appréciable (Lévi-Strauss, 2007) et inaliénable d’après la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948. Toutefois, concevoir le monde comme une juxtaposition de cultures singulières reviendrait à pourfendre l’idée d’humanité car, si « tous les goûts sont dans la nature » il paraît difficile de construire un quelconque lien social entre les êtres humains : sur quels fondements reposerait-il ? Effectivement, le relativisme, contenu dans la notion de tolérance, aurait tendance à individualiser les êtres humains plutôt qu’à la réunir. Ainsi, chacun fait et s’exprime comme il le souhaite, sans aucune limite.
Or, l’Homme, vivant en société, ne peut se le permettre. Il doit considérer autrui, comme le stipule la loi venant ainsi nuancer la toute puissance humaine: « La liberté de l’un s’arrête où commence celle d’autrui » (article 4, Déclaration de l’Homme et du Citoyen, 1789). On observe donc un décalage de l’individuel vers le collectif qu’il faut instituer pour redonner à la tolérance ses lettres de noblesse. Effectivement, il ne s’agit plus de se conforter dans notre conduite et nos manières de pensées en évacuant les discordances mais de porter un regard sur celles des autres, de faire attention à la culture d’autrui comme le poursuivent les programmes d’instruction civique et morale de l’école primaire de 2008 incitant les enseignants à « transmettre les principes essentiels de la morale universelle, fondée sur les idées d’humanité et de raison, dont le respect peut-être exigé de chacun et bénéficier à tous. » .
Nous pouvons dire alors que l’École doit œuvrer à construire une « culture commune », un ensemble de normes valables pour tous afin de recréer une unité dans la société. Pour ce faire, elle doit faire découvrir aux élèves l’altérité et la pluralité des cultures, objectif fixé par le Socle Commun de Connaissances et de Compétences (2006) au sein du pilier 6 intitulé « les compétences sociales et civiques », en promouvant la diversité culturelle au sein de ses effectifs. Cela jouerait le rôle d’une « seconde socialisation » qui viendrait bousculer ou confirmer les représentations acquises dans la sphère familiale. Cette mixité sociale diminuerait la discrimination selon l’étude de Deschamps et Doise (1979) sur la catégorisation croisée par le mélange des cultures qui atténuerait le rejet habituel et drastique de la différence. Enfin et d’après les dires d’Hervé Caudron (2010), incorporer chaque élève au sein d’une même culture viserait à constituer une «communauté humaine ». En effet, pour lutter contre le relativisme c’est-à-dire cette singularisation des cultures les unes par rapport aux autres, l’École devra trouver un levier commun à chacun, une qualité dont « tous les êtres humains sont pourvus » (Descartes) pour faire en sorte que les élèves arrivent à s’extérioriser de leurs propres convictions et prendre en compte celles des autres. C’est ainsi que la faculté rationnelle de l’Homme se trouvera engagée dans la mesure où elle est présente en tout individu, permettant de trouver de la similitude au sein même de cet océan manifeste de diversités culturelles.
C’est, grâce à la confrontation avec cette pluralité d’attitudes et à l’usage de sa Raison permis par l’École, que l’élève pourra exercer de manière autonome sa laïcité, cette « valeur républicaine qui […] ne place aucune opinion au-dessus des autres et permet la libre expression de ses convictions dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public. » (Sala, 2015). Si, ce principe revêt une appréciation politique comme le mettent en exergue Rosa-Rosso et Jacquemain en 2008, il renferme également une acceptation personnelle qu’ils définissent sous l’étiquette de « laïcité philosophique ». Elle correspond alors à l’expression d’une position de neutralité vis-à-vis des cultes.
Au même titre, l’enseignant, dont l’une des missions est de « faire partager les valeurs de la République » (Référentiel de Compétences des Métiers du Professorat et de l’Éducation, 2013), aura également à cœur d’adopter une posture neutre à l’égard des diverses convictions se préservant d’influencer le jugement des élèves comme le soulignent également les articles 6 et 13 de la Charte de la Laïcité publiée en 2013.
|
Table des matières
Introduction
I.Cadre théorique
1.Tolérance et Culture : De l’origine de la tolérance
2.Tolérance et Laïcité : Du risque du relativisme
3.Tolérance et Dignité : De l’affirmation du respect d’autrui
4.Tolérance et Apprentissage : De la nécessaire prise en compte du développement de l’enfant
II.La méthodologie
1.La procédure
2.Les sujets
3.Les outils
3.1L’observation: pour quels bénéfices ?
3.2 Création de la grille d’observations
4.Réflexion sur la pratique en classe : objectifs, supports, activités et modalités de travail à la loupe
4.1 Les objectifs poursuivis
4.2Les supports à utiliser
4.2.1 Les œuvres littéraires et leurs pertinences
4.2.2 La place du jeu dans les apprentissages
4.3Les activités à mettre en œuvre
4.3.1 Les activités pour développer l’expression de l’élève
4.3.2Les activités pour travailler sur la maîtrise des émotions de l’élève
4.3.3Les activités pour se construire avec les autres
4.4Retour final sur les séquences à mettre en place
4.4.1 Enchaînement des séquences présentées aux Petites Sections-Moyennes Sections
4.4.2Enchaînement des séquences présentées aux Moyennes Sections- Grandes Sections
III.Les résultats et analyses
1.Les résultats des observations exploratoires
1.1Le volet expression
1.2 Le volet jeu
2.Les résultats à l’issue de mon intervention
2.1Les résultats relatifs à l’effet de la littérature de jeunesse sur l’enseignement de la tolérance
2.2Les résultats relatifs à l’effet du jeu sur l’enseignement de la tolérance
2.3Les résultats relatifs à l’effet de l’âge sur l’enseignement de la tolérance
IV.Conclusion et prolongements
1.Réponses aux hypothèses générales
2. Les limites de ma recherche
3.Les prolongements éventuels