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Organisation cellulaire
La prostate est une glande composée, formée de 30 à 50 glandes tubulo-alvéolaires formant des unités fonctionnelles qu’on pourrait appeler lobules6. On distingue les acini, où est produit le liquide prostatique et les canaux où il est excrété. Les zones glandulaires de la prostate sont constituées de trois types cellulaires (Figure 3) : les cellules luminales, bien différenciées, représentent la population principale, sécrètent le liquide prostatique et le PSA et sont à l’origine des cancers ; les cellules basales indifférenciées sont localisées en profondeur, entre les cellules luminales et la membrane basale sous-jacente et une partie d’entre elles sont des cellules souches ; et enfin, les cellules neuro-endocrines, une population très minoritaire située au contact de la membrane basale et dont l’action est nécessaire à la viabilité et la croissance des cellules luminales14. Les cellules luminales sont androgéno-dépendantes et la castration les conduit à la mort par apoptose. A l’inverse, les cellules basales sont androgéno-sensibles mais pas totalement androgéno-dépendantes car elles survivent à la castration et sont ensuite capables de reformer un épithélium prostatique complet15.
Les cellules glandulaires sont séparées du stroma fibro-musculaire par une membrane basale. Ce stroma, composé entre autres de fibroblastes, de myofibroblastes, de cellules musculaires lisses, de cellules immunitaires et de vaisseaux sécrète un grand nombre de facteurs de croissances, cytokines et protéines de la matrice extracellulaire16. La composition de ce stroma est dépendante des androgènes et varie avec l’âge. Les interactions stroma-épithélium sont indispensables au développement physiologique de la prostate17 mais il a été montré qu’il joue aussi un rôle majeur dans le développement de pathologies prostatiques comment l’hypertrophie bénigne de la prostate et le cancer16,18,19.
Rôle physiologique de la testostérone sur la prostate
La testostérone est la principale hormone sexuelle masculine circulante, majoritairement synthétisée par les cellules de Leydig au niveau des testicules. Les androgènes ont un rôle majeur dans la différenciation des canaux de Wolff, de la prostate et des organes génitaux masculins. A l’inverse, dans la prostate, l’androgène majoritaire est la 5α-dihydrotestostérone (DHT), métabolisée dans les cellules à partir de la testostérone par une enzyme appelée 5α-réductase20. Le récepteur aux androgènes est un récepteur nucléaire qui se lie à la fois à la testostérone et à la DHT mais avec une plus grande affinité pour la DHT. Le complexe androgène-récepteur entre ensuite dans le noyau pour stimuler la transcription de certains gènes en se liant à un Androgen Response Element (ARE). L’importance des androgènes et principalement de la DHT dans la prolifération et le maintien des cellules prostatiques est attestée par la croissance majeure de cet organe au moment de la puberté mais aussi par le fait que des hommes atteints de déficience congénitale en 5-AR ou traités par des inhibiteurs de la 5-AR (traitement de l’hypertrophie bénigne de la prostate) présentent une régression prostatique et une diminution de la production de PSA16,20.
Dans la prostate adulte, les androgènes ont un effet à la fois sur les cellules épithéliales en les maintenant dans un état différencié et relativement quiescent et sur les cellules du stroma. Les androgènes sont donc des médiateurs majeurs des interactions paracrines entre cellules épithéliales et cellules stromales qui permettent le maintien de l’homéostasie prostatique16. De façon intéressante, la prostate du jeune adulte prolifère peu et les maladies prolifératives de la prostate (telles que l’HBP et le cancer) surviennent chez l’homme âgé bien que les taux de testostérone soient plus faibles dans cette population. Plus que les androgènes, ce serait surtout les modifications du stroma dans cette population âgée (diminution des cellules musculaires lisses, augmentation des myofibroblastes et des cellules inflammatoires) qui favoriseraient la prolifération cellulaire et l’apparition de ces pathologies, en particulier du cancer de la prostate21.
Epidémiologie du cancer de la prostate
D’après les dernières données épidémiologiques disponibles, le cancer de la prostate est le plus fréquent dans le monde et le cinquième en terme de mortalité. On estime qu’en 2015 il a été diagnostiqué chez environ 1,6 millions d’hommes dans le monde dont une majorité (70%) dans les pays développés (Figure 4)22.
Comme dans la plupart des pays développés, en France, avec 56 841 nouveaux cas par an, le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l’homme et il est responsable de 8 606 décès chaque année, se classant troisième en terme de mortalité par cancer (après les cancers du poumon et du colon-rectum)23.
De grandes disparités existent à travers le monde en terme d’incidence du cancer de la prostate : il y a un facteur 25 entre les hommes avec l’incidence la plus élevée (Afro-Américains aux Etats-Unis) et la plus faible (hommes asiatiques vivant dans leur pays d’origine)24.
En terme d’évolution, l’incidence du cancer de la prostate a été multipliée par 5 entre 1980 et 2005 (pour atteindre 124,5 / 100 000 personnes-années), en réponse à la mise en place généralisée du dépistage par dosage du PSA, puis a diminué nettement (97,7 / 100 000 en 2011). En parallèle, le taux de mortalité a diminué depuis les années 1990. En cela, la France ne constitue pas une exception mais reflète un phénomène observable dans tous les pays qui ont mis en place le diagnostic à grande échelle du cancer de la prostate par dosage du PSA25,26. C’est un cancer de bon pronostic avec une survie à 5 ans supérieure à 80% (mais ce chiffre diminue quand le cancer est détecté à un stade déjà avancé ou chez des patients jeunes).
De façon intéressante, concernant le cancer de la prostate, l’incidence n’est pas corrélée à la prévalence. En effet, des données issues d’autopsies d’hommes décédés de causes diverses à travers le monde, ont révélé la présence de lésions cancéreuses chez 70 à 90% des hommes à l’âge de 80-90 ans, indépendamment de leur origine ethnique ou géographique27. On peut donc dire que la plupart des hommes meurent avec un cancer de la prostate mais pas nécessairement à cause de ce dernier. Il est donc particulièrement important de comprendre les facteurs favorisant l’agressivité du cancer de la prostate.
Diagnostic du cancer de la prostate
Symptômes : La grande majorité des cas de cancers de la prostate sont asymptomatiques. Les troubles urinaires chez les hommes âgés sont le plus souvent dus à une hypertrophie bénigne de la prostate, très fréquente chez ces patients et qui peut coexister avec le cancer. Quand la tumeur se développe, les symptômes les plus souvent retrouvés sont une hématurie (présence de sang dans l’urine) ou une obstruction des voies urinaires. La dissémination à distance de la tumeur peut causer des œdèmes des membres inférieurs par obstruction des ganglions lymphatiques régionaux ou des douleurs osseuses dues aux métastases. Ces symptômes apparaissent très tardivement au cours de l’histoire de la maladie28.
Dépistage : Le dépistage consiste à détecter une maladie avant l’apparition de symptômes. Il est important dans le cas des cancers où il permet de détecter la maladie à un stade précoce et plus facile à traiter. Le cancer de la prostate restant asymptomatique pendant très longtemps, il est important de le détecter avant l’apparition des symptômes. Le dépistage comprend deux tests29 :
– Dosage du PSA : il consiste en une simple prise de sang. Le PSA est sécrété quasi exclusivement par les cellules prostatiques. La majorité de ce PSA est sécrété dans le sperme mais une petite fraction passe dans le sang. La majorité des hommes sains présentent un taux de PSA sanguin < 4 ng/ml. Les cellules tumorales sécrétant plus de PSA que les cellules saines, en général l’apparition d’un cancer s’accompagne d’une augmentation du taux de PSA sanguin mais ce n’est pas toujours le cas (10-15% des patients avec un cancer présentent des taux de PSA normaux)29. Il est recommandé de réaliser ce dosage plusieurs fois car certains facteurs peuvent conduire à une augmentation du PSA en dehors de tout cancer (rapports sexuels, activité physique comme le vélo, prostatite, …). De plus une hypertrophie bénigne de la prostate peut également conduire à des taux élevés de PSA car elle est liée à une hyperplasie prostatique mais la vitesse de progression du PSA peut aider à discriminer les deux pathologies. Cependant aucun consensus n’existe aujourd’hui sur le nombre de dosages à réaliser, l’intervalle entre deux dosages, … A l’inverse, certains facteurs peuvent diminuer les taux de PSA circulants, rendant le diagnostic plus difficile : l’usage de médicaments contre l’hypertrophie bénigne de la prostate (inhibiteurs de la 5α-réductase), l’obésité ainsi que certains médicaments (aspirine, statine, diurétiques thiazidiques)29.
– Toucher rectal : c’est un examen réalisé par un médecin qui palpe la prostate en introduisant un doigt ganté dans le rectum du patient. Cela permet d’évaluer le volume, la consistance et la texture de la surface de la prostate. C’est un examen peu sensible (il faut déjà que la tumeur soit bien développée pour qu’elle soit palpable) mais qui permet de détecter certains cancers en présence d’un PSA normal29.
Aujourd’hui le bénéfice d’un dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage du PSA n’a pas été clairement mis en évidence30,31 et son utilisation est controversée. C’est pourquoi en France et à l’étranger, aucune autorité de santé ne recommande de mettre en place un dépistage systématique chez les hommes asymptomatiques32. En effet ce dépistage pose plusieurs problèmes :
– Le dosage de PSA manque de spécificité.
– Le toucher rectal manque de sensibilité (entre 33 et 58% seulement)29.
– Un autre problème majeur est que même quand le diagnostic de cancer de la prostate est posé, il n’y a pas d’éléments permettant de distinguer ceux qui vont devenir agressifs et doivent impérativement être traités de ceux qui vont rester latents pendant plusieurs années et ne nécessitent donc pas de traitement (environ 50% des cancers dépistés). Il y a donc un risque élevé de surtraitement, particulièrement problématique dans le cas du cancer de la prostate qui touche des patients âgés donc plus à risque29. De plus, le traitement consiste souvent en une chirurgie ou de la radiothérapie qui présentent des effets secondaires importants (incontinence urinaire, impuissance sexuelle), qui affectent la qualité de vie des patients
Les recommandations actuelles sont donc de ne pas mettre en place de dépistage systématique et d’informer les hommes qui envisagent de faire un dosage du PSA des avantages et inconvénients potentiels de cette approche29.
Diagnostic complet du cancer de la prostate : Si un cancer est suspecté sur la base d’un PSA ou d’un toucher rectal anormal, des tests supplémentaires sont nécessaires pour confirmer le diagnostic. Le seul moyen permettant d’affirmer avec certitude la présence d’un cancer est de réaliser des biopsies prostatiques28. En général, ce test est précédé d’une IRM permettant de repérer la localisation probable du cancer et de réaliser des biopsies ciblées qui augmentent les chances de mettre en évidence le cancer.
La biopsie prostatique consiste à prélever au minimum 12 « carottes » de tissu prostatique qui seront ensuite observées au microscope pour détecter la présence éventuelle de cellules cancéreuses26. Elle se fait par voie rectale, le médecin introduit une sonde d’échographie dans le rectum ce qui va lui permettre de voir la prostate. La biopsie se fait à l’aiguille et est guidée par l’échographie. Certaines biopsies sont réalisées « en aveugle » c’est-à-dire que les carottes sont prélevées au hasard dans les différentes zones de la prostate mais de plus en plus sont faites en ciblant des zones prédéfinies grâce à l’analyse d’IRM (on parle alors de biopsies ciblées)26.
Classifications des cancers de la prostate
Une fois le cancer avéré, il est important de déterminer son grade (= son agressivité) et son stade (= son étendue). Dans le cancer de la prostate, le grade est défini par le score de Gleason33,34, déterminé par les anatomopathologistes sur les biopsies prostatiques (on parle de score de Gleason biopsique), puis éventuellement sur la pièce de prostatectomie (Gleason sur pièce de prostatectomie). Ils évaluent sur une échelle de 1 à 5 à quel point les cellules cancéreuses présentent une morphologie et une architecture similaire aux cellules prostatiques saines : un grade de 1 correspond à des cellules très différenciées, proches des cellules prostatiques saines et en général peu agressives alors qu’un score de 5 correspond à des cellules indifférenciées avec une architecture désorganisée et une grande agressivité33,35. Les cancers de la prostate n’étant en général pas homogènes, les anatomopathologistes notent les deux populations de cellules majoritaires et font la somme des deux nombres obtenus. Le score de Gleason correspond donc à une notation entre 2 et 10 en théorie. En pratique, le score de Gleason a été beaucoup modifié depuis sa mise en place dans les années 1970 et aujourd’hui. Les critères d’évaluation des tumeurs ont évolué (Figure 5) et en pratique, ce score s’échelonne entre 6 et 10, 6 correspondant à des cancers peu agressifs et 10 à des cancers très agressifs. Il faut noter une exception à cette règle : s’il y a 3 aspects différents sur des biopsies prostatiques, le grade le plus élevé sera pris en compte dans le score de Gleason final, même s’il est minoritaire.
Un des problèmes de ce score est qu’il regroupe des cancers dont on sait aujourd’hui qu’ils ont des pronostics très différents. En effet, au sein du groupe des Gleason 7, il faut distinguer les cancers avec une majorité de grade 3 (aussi appelés 7(3+4)) de ceux qui ont une majorité de grade 4 (7(4+3)) car ces derniers progressent plus rapidement et forment plus de métastases36 et sont également associés à une mortalité 3 fois supérieure37. Ce problème a abouti à la mise en place d’une nouvelle stratification des scores de Gleason acceptée majoritairement lors de la conférence de consensus de l’ISUP de 2014 et recommandée par l’OMS35. La valeur pronostique de cette classification a depuis été validée par une étude multicentrique38 :
– Grade 1 (scores de Gleason ≤ 6) : 96% de survie sans rechute après prostatectomie
– Grade 2 (score de Gleason 7 = 3+4) : 88%
– Grade 3 (score de Gleason 7 = 4+3) : 63%
– Grade 4 (score de Gleason 8) : 48%
– Grade 5 (scores de Gleason 9 – 10) : 26%
Le stade tumoral décrit l’étendue de la dissémination au moment du diagnostic. La principale classification utilisée aujourd’hui est appelée TNM (tumeurs, ganglions lymphatiques, métastases)39 et comme son nom l’indique elle prend en compte à la fois :
– L’étendue de la tumeur primaire (T)
– L’infiltration éventuelle des ganglions lymphatiques à proximité (N)
– La présence éventuelle de métastases dans d’autres organes (M)
Il existe deux types de T : le T clinique, évalué par le clinicien sur les résultats du toucher rectal et le T pathologique, déterminé par les anatomopathologistes sur la pièce de prostatectomie (pour le distinguer de l’autre T on le nomme pT pour « pathological T »)26. Le pT est plus fiable que le T mais au moment du diagnostic, seul le T clinique est disponible. Les radiologistes peuvent également évaluer le stade T sur l’IRM pré-opératoire (on parle alors de « T IRM »).
Le stade T se divise en 4 catégories39 :
– T1 : la tumeur est indétectable cliniquement, ni palpable ni visible à l’imagerie
– T2 : la tumeur est confinée dans la prostate mais palpable ou visible à l’imagerie
– T3 : la tumeur a franchi la capsule prostatique ou envahi le col vésical ou les vésicules séminales
– T4 : la tumeur s’est répandue dans des tissus en dehors de la prostate et des vésicules séminales (mur pelvien, rectum, …)
Chaque catégorie se subdivise en sous-groupes (Figure 6).
Classification de d’Amico : La classification de d’Amico prend en compte à la fois le score de Gleason biopsique, le stade T de la tumeur et le taux de PSA pré-opératoire dans le but d’évaluer le potentiel d’agressivité des tumeurs localisées et de mettre en place le traitement le plus approprié40. Elle se divise en 3 groupes :
– Cancer à faible risque évolutif :
O T1 – T2a ET PSA ≤ 10 ng/ml ET Gleason ≤ 6
O Survie sans récidive biologique supérieure à 75% à 5 ans après traitement
– Cancer à risque intermédiaire :
O T2b OU PSA 10 – 20 ng/ml OU Gleason = 7
O Survie sans récidive biologique entre 50 et 75% à 5 ans après traitement
– Cancer à haut risque évolutif :
O T2c – T3 OU PSA > 20 ng/ml OU Gleason ≥ 8
O Survie sans récidive biologique inférieure à 50% à 5 ans après traitement
Toutefois, cette classification présente des limitations, et en particulier le fait qu’elle regroupe au sein du risque intermédiaire tous les patients avec un Gleason à 7 qui, comme on l’a vu précédemment, présentent une grande hétérogénéité35.
D’autres paramètres sont évalués au moment du diagnostic et permettent aux cliniciens d’affiner le pronostic du cancer. En particulier, la réalisation d’une IRM26 peut permettre de déterminer si la tumeur a franchi la capsule prostatique ou non ainsi que d’évaluer la taille tumorale qui est un facteur prédictif indépendant de la rechute biologique41.
Classification moléculaire du cancer de la prostate : Devant les limitations importantes des classifications actuelles, un domaine est en pleine expansion aujourd’hui : celui de la classification moléculaire du cancer de la prostate. Le but est que cette pathologie hétérogène, de pronostic très variable devienne un ensemble de sous-types de maladies plus homogènes, avec des caractéristiques moléculaires propres, définissant un pronostic précis et permettant éventuellement la mise en place de thérapies ciblées. Cette classification est plus complexe dans le cadre du cancer de la prostate que dans d’autres cancers car il est très hétérogène en terme d’anomalies génétiques42. Cependant, certaines d’entre elles sont retrouvées assez fréquemment et sont communes à d’autres cancers comme l’altération des voies PI3K (Phosphoinositide 3-kinase)/Akt ou Ras/Raf/MAPK (Mitogen-Activated Protein Kinase) ou encore des anomalies des suppresseurs de tumeur p53 ou PTEN. D’autres aberrations génétiques sont spécifiques au cancer de la prostate. En particulier, la plus étudiée est la fusion d’un gène régulé par les androgènes avec un gène de la famille ETS (Erythroblast Transformation-Specific, une famille de facteurs de transcription), la fusion la plus connue étant entre le gène TMPRSS2 et le facteur de transcription ERG (ETS-related gene). Ce type de fusion est retrouvé dans environ 50% des cancers de la prostate et a été associé à un mauvais pronostic42. Des analyses génomiques et transcriptomiques ont commencé à émerger qui tentent de classifier les cancers de la prostate primaires en combinant plusieurs de ces anomalies génétiques et de les associer à un pronostic pour le patient (Figure 7). Une étude récente a créé une classification moléculaire avec 7 sous-groupes basés sur diverses anomalies génétiques (fusions de gènes (ERG, ETV1/4, FLI1) ou mutations (SPOP, FOXA1, IDH1) qui permet de classer 74% des tumeurs primaires. Ils ont également identifié des sous-populations de patients qui seraient de bons candidats pour certaines thérapies ciblées (19% des patients présentent des défauts de la réparation de l’ADN ce qui en fait de bons candidats pour l’olaparib, un inhibiteur de PARP ; une minorité de patients présentent des réarrangements touchant BRAF ou RAF1 et pourraient être de bons répondeurs aux inhibiteurs de Raf déjà disponibles)43.
Une étude a également été faite sur les caractéristiques génomiques des cancers de la prostate avancés (Cancers de la Prostate Résistants à la Castration métastatiques, CRPCm). En effet, à ce stade, la pathologie est actuellement incurable et l’identification de cibles moléculaires est indispensable pour améliorer la prise en charge de ces patients. Cette étude a montré que 90% des patients avec un cancer avancé présentent des altérations génétiques pouvant être des cibles thérapeutiques, soulignant l’importance d’une caractérisation moléculaire de ces cancers et le développement de nouvelles thérapies ciblées pour développer une médecine de précision dans ces cancers aujourd’hui incurables44.
Ce domaine est donc très prometteur mais davantage d’études sont nécessaires pour qu’une classification moléculaire claire puisse voir le jour et être utilisée en clinique.
Histoire de la maladie : De façon générale, le cancer de la prostate est une maladie lente qui évolue sur plusieurs années. L’origine la plus probable (mais controversée45) de cette maladie est un stade de Néoplasie Intraépithéliale Prostatique de Haut Grade (ou HGPIN, aussi appelé PIN de façon usuelle) qui est un stade précancéreux caractérisé par des cellules prostatiques qui acquièrent une morphologie et un comportement anormaux46. Ces PIN présentent de nombreuses caractéristiques moléculaires communes avec les cellules cancéreuses : anomalies cytogénétiques (type aneuploïdie), dérégulation de voies de signalisations cellulaires comme mTor, amplification de c-myc, … Avec le temps, les cellules anormales de ces PIN vont commencer à proliférer excessivement et devenir résistantes à l’apoptose ce qui va aboutir à une croissance incontrôlée typique des cancers. Le franchissement de la membrane basale par les cellules signe la transition en cancer. Cette transition peut se faire en 5 à 10 ans47.
Plus de 95% des cancers de la prostate sont des adénocarcinomes acinaires qui se développent à partir des cellules épithéliales prostatiques, en particulier dans la zone périphérique46,48. Il existe également des formes plus rares de cancers de la prostate (adénocarcinomes à cellules transitionnelles, carcinomes à petites cellules voire sarcomes) mais nous ne les aborderons pas ici.
Initialement, tous les adénocarcinomes de la prostate sont hormono-sensibles et répondent bien à l’hormonothérapie (déprivation androgénique) cependant avec le temps, on observe systématiquement une androgéno-résistance49. On parlait avant de « cancers androgéno-indépendants » mais on sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas car les cellules tumorales développent en réalité des capacités de synthèse endogène d’androgènes ainsi qu’une surexpression du récepteur aux androgènes, ce qui les rend plus sensible à des doses faibles de ces hormones. Les androgènes restent donc un élément central de la progression de ces tumeurs appelées « cancers résistants à la castration » (ou CRPC pour Castration-Resistant Prostate Cancer), ce qui a conduit au développement des hormonothérapies de 2e ligne50.
L’autre évolution importante dans l’histoire du cancer de la prostate est la colonisation de localisations secondaires par les cellules tumorales : ce sont les métastases. Dans le cadre du cancer de la prostate, les métastases sont le plus souvent retrouvées au niveau de l’os (dans 85% des cas)51 et des ganglions lymphatiques à distance mais il existe aussi de rares cas de métastases au foie, aux poumons, …
Facteurs de risque et d’agressivité du cancer de la prostate
Facteurs de risque
Le cancer de la prostate présente seulement quatre facteurs de risque clairement établis, qui sont tous intrinsèques au patient et ne peuvent donc pas être modifiés : ce sont l’âge, l’origine ethnique, des antécédents familiaux de cancer de la prostate et des prédispositions génétiques76,77. Cependant, de nombreuses études suggèrent que des facteurs extrinsèques (c’est-à-dire liés à l’environnement plus qu’au patient lui-même) et donc potentiellement modifiables pourraient également être impliqués, mais les données sont encore limitées et souvent contradictoires.
– Age
Le cancer de la prostate est un cancer principalement lié au vieillissement puisqu’il est très rarement diagnostiqué avant 50 ans et que plus de 85% des patients sont diagnostiqués entre 55 et 85 ans. Bien que l’introduction du dépistage par dosage du PSA ait fait avancer l’âge médian au diagnostic, ce dernier reste de 66 ans78.
– Origine ethnique
Les origines ethniques sont également un facteur déterminant dans l’apparition du cancer de la prostate : en effet les hommes d’origine asiatique sont moins sujets à cette maladie alors que les hommes africains et afro-américains présentent un risque augmenté (d’un facteur 1.6 comparé aux hommes caucasiens)79. Les raisons de ces différences ne sont pas encore totalement élucidées et sont probablement multifactorielles : elles reflètent des différences génétiques, d’exposition à des facteurs de risque et de détection.
– Antécédents familiaux de CaP
Les antécédents familiaux jouent également un rôle majeur car le risque de développer un cancer de la prostate double pour les patients avec un apparenté de premier degré qui a lui-même développé un cancer de la prostate (et ce risque augmente encore si plusieurs apparentés ont développé la maladie). 20% des cas de cancer de la prostate sont associés à un antécédent familial mais dans la majorité des cas, cette hérédité est polygénique et plus d’une centaine de variants génétiques ont été associés à une augmentation du risque de cancer de la prostate80.
– Prédisposition génétique
Récemment, plusieurs études d’association pangénomiques (GWAS) ont mis en évidence qu’il existe une prédisposition génétique au cancer de la prostate. Dans des populations de diverses origines ethniques, plus d’une centaine de loci génétiques ont été identifiés et confirmés comme favorisant l’apparition du cancer de la prostate80,81. Les 105 loci identifiés jusqu’ici sont responsables pour un tiers de l’héritabilité du cancer de la prostate.
De très nombreuses études s’intéressent aux facteurs environnementaux, et en particulier aux habitudes alimentaires, qui pourraient favoriser ou au contraire prévenir l’apparition du cancer de la prostate. On peut citer par exemple l’activité physique, une alimentation riche en soja et lycopène (principalement retrouvé dans la tomate) et les anti-inflammatoires qui seraient potentiellement protecteurs vis-à-vis de l’apparition du cancer de la prostate mais qui nécessitent davantage d’études pour être établis définitivement77. A l’inverse, la consommation excessive de certains produits laitiers pourrait être un facteur de risque82, de même qu’une alimentation riche en graisses, bien que les dernières études soient contradictoires83,84.
Facteurs d’agressivité
En dehors de ces facteurs de risque, il existe également des facteurs d’agressivité, qui ne prédisposent pas plus les patients à développer un cancer de la prostate mais qui, s’ils en développent un, en augmentent l’agressivité. Parmi ces facteurs d’agressivité, l’obésité a été très étudiée85. L’obésité est définie par l’OMS comme une accumulation excessive de graisse qui favorise l’apparition de nombreuses autres pathologies chroniques (maladies cardio-vasculaires et cancer en particulier). Concrètement, un individu ayant un IMC (Indice de Masse Corporelle, qui correspond au poids de la personne divisé par le carré de sa taille) supérieur à 30 kg/m2 est considéré comme obèse86. Concernant le cancer de la prostate, l’obésité est associée à plusieurs facteurs d’agressivité. Tout d’abord, une méta-analyse rassemblant 13 études prospectives a montré que les patients obèses ont plus de risque de présenter un cancer avancé au diagnostic (RR = 1.07 par augmentation de 5 kg/m2 d’IMC) et moins de risque de présenter un cancer localisé (RR = 0.94 par augmentation de 5 kg/m2 d’IMC)87. Une étude a également montré une augmentation du risque de progression biologique du cancer de la prostate chez les patients obèses sous surveillance active (augmentation par 5 kg/m2 d’IMC de 50% du risque de progression pathologique et de 40% du risque de progression thérapeutique)88. Les patients obèses répondent également moins bien aux différents traitements du cancer de la prostate. En effet, une méta-analyse a montré une augmentation du risque de récidive après prostatectomie dans un contexte d’obésité (21% par augmentation de 5 kg/m2 d’IMC)89 et la même tendance est retrouvée pour les patients traités par radiothérapie externe, même si les études sont moins nombreuses. De même, les patients obèses présentent un risque augmenté de progression tumorale sous hormonothérapie (la progression tumorale étant définie par l’apparition d’un cancer résistant à la castration (CRPC) ou de métastases)90. Enfin, le risque de décès lié au cancer de la prostate est augmenté de 15 à 20% par augmentation de 5 kg/m2 d’IMC89. Toutefois, ce lien entre obésité et agressivité du cancer de la prostate est débattu car plusieurs études, particulièrement en Europe, ne retrouvent pas d’association entre l’IMC et l’agressivité du cancer de la prostate. Cette divergence pourrait refléter des différences importantes entre les populations étudiées. En effet, les cohortes nord-américaines présentent un pourcentage plus important de patients obèses, ainsi que des patients afro-américains qui présentent des cancers de la prostate plus agressifs et sont davantage touchés par l’obésité91.
Un lien entre obésité et cancers de la prostate agressifs pourrait en partie être expliqué par des difficultés techniques dans le dépistage et le traitement du cancer de la prostate chez le patient obèse. En effet, les patients obèses présentent des taux de PSA plus faibles et la réalisation de toucher rectal est plus difficile chez ces patients, rendant le diagnostic plus compliqué. Une fois le diagnostic posé, le traitement est aussi plus difficile chez ces patients avec des chirurgies plus longues et plus risquées et une difficulté d’adapter les doses d’hormonothérapie en particulier85. Cependant, en dehors de ces biais techniques, des mécanismes moléculaires intrinsèques à l’obésité peuvent aussi expliquer ce lien. Les principales hypothèses évoquées sont :
– L’augmentation des taux circulants d’insuline et d’IGF-1 (insulin-like growth factor-1) causée par l’insulinorésistance souvent retrouvée dans un contexte d’obésité, qui ont un effet pro-prolifératif sur les cellules tumorales.
– La dérégulation des hormones stéroïdiennes due à l’aromatisation des précurseurs androgéniques en œstrogènes par une enzyme du tissu adipeux, l’aromatase. Chez l’homme obèse, on retrouve donc une augmentation des taux d’œstrogènes et une diminution des taux de testostérone. Plusieurs études ont montré qu’un environnement pauvre en testostérone conduisait à l’apparition de cancers moins différenciés et plus agressifs92–94.
– La dérégulation des adipokines qui induisent un état inflammatoire chronique pro-tumoral. Cette hypothèse du rôle paracrine du tissu adipeux dans la progression tumorale sera discutée ultérieurement.
En dehors de l’obésité, un régime alimentaire dit « occidental » (riche en charcuterie, viande rouge, produits laitiers riches en matières grasses et céréales raffinées) est considéré comme un facteur d’agressivité probable du cancer de la prostate depuis longtemps, sur la base d’études épidémiologiques76,95.
Le cancer de la prostate est donc une pathologie encore mal comprise et très hétérogène, allant de la pathologie indolente sans risque de conséquence majeure pour le patient au cancer très agressif, résistant
à la castration et formant des métastases osseuses de très mauvais pronostic. Il est donc d’une importance majeure d’identifier des facteurs pronostiques permettant d’anticiper l’évolution d’un cancer détecté à un stade précoce. On a vu que dans cet objectif, une caractérisation plus précise de la tumeur elle-même avait son importance avec le développement d’une classification moléculaire des cancers de la prostate. Cependant, on sait aussi que le microenvironnement tumoral joue un rôle très important, et le fait que l’obésité soit un facteur d’agressivité du cancer de la prostate, nous a poussé à nous intéresser à l’influence que pouvait avoir le tissu adipeux périprostatique (et en particulier son abondance) sur la progression tumorale. Cet aspect sera développé dans la troisième partie de cette introduction mais avant cela, je m’intéresserai au tissu adipeux en général, à la fois en physiologie et en pathologie.
Le tissu adipeux physiologique et pathologique
Généralités
Le TA blanc
L’expression « tissu adipeux » fait souvent référence au tissu adipeux blanc. C’est un raccourci car il existe en fait d’autres types de tissu adipeux maintenant bien caractérisés et qui jouent plusieurs rôles majeurs dans l’organisme. Cependant, j’utiliserai cette approximation dans la suite de mon exposé pour plus de simplicité. Le tissu adipeux a pour principale fonction de stocker de l’énergie sous forme de lipides pour ensuite pouvoir la libérer sous forme d’acides gras libres (AGL) par lipolyse. Cependant, on sait aujourd’hui que c’est également un organe endocrine qui régule le métabolisme et de nombreuses autres fonctions96.
Le TA est un tissu conjonctif composé d’adipocytes et d’autres cellules (progéniteurs adipocytaires, cellules endothéliales, fibroblastes et cellules immunitaires) regroupées sous le terme de Fraction Stroma-Vasculaire (SVF)97. Morphologiquement, les adipocytes blancs se présentent sous forme d’une grosse gouttelette lipidique uniloculaire qui occupe 90% du volume cellulaire et repousse en périphérie les organelles (comme les mitochondries, petites et peu nombreuses) et le noyau98. On distingue différents types de tissu adipeux blanc selon leur localisation et leur fonction : le tissu adipeux sous-cutané et le tissu adipeux viscéral (Figure 9). Le tissu adipeux sous-cutané est, comme son nom l’indique, situé sous la peau, dans une zone appelée hypoderme. Il est en fait constitué de deux couches distinctes : le TA sous-cutané superficiel et profond. Il est réparti dans tout l’organisme, les principaux dépôts étant le fémoral, le glutéal, l’abdominal ainsi que le TA mammaire chez la femme. Il représente 80% de la masse grasse totale chez les individus normopondéraux. Le tissu adipeux viscéral est constitué de dépôts plus profonds qui entourent les organes renfermés dans les grandes cavités du corps (les principaux dépôts sont l’omental, l’ombilical et le mésentérique). Bien que minoritaire (5-10% chez les femmes et 10-20% chez les hommes normopondéraux), c’est ce TA qui est le plus actif métaboliquement et responsable des complications cardiovasculaires et métaboliques de l’obésité99,100.
D’un point de vue morphologique et fonctionnel, il existe des différences entre ces deux types de TA. Les adipocytes viscéraux sont de plus petite taille que les adipocytes sous-cutanés chez des individus normopondéraux101 et la composition cellulaire présente également des variations avec en particulier plus de macrophages dans le tissu adipeux viscéral102,103. Les sécrétions sont également différentes avec principalement l’adiponectine et la leptine relarguées par le TA sous-cutané alors que le TA viscéral produit plus de cytokines pro-inflammatoires de type TNFα, IL6, MCP-1, VEGF et PAI13. Ces différences seront détaillées ultérieurement.
D’autres dépôts adipeux minoritaires sont répartis dans l’organisme : les TA périprostatique, médullaire, péri-vasculaire, péricardique ou encore rétropéritonéaux (péri-pancréatique, péri-rénal). Bien qu’usuellement classés dans le TA viscéral, je ne les inclurai pas dans cette catégorie dans la suite de mon exposé car ils sont beaucoup moins étudiés et présentent des spécificités propres. En effet, de plus en plus d’études montrent que tous ces dépôts ont une certaine indépendance et des spécificités qui font qu’on ne peut plus considérer le tissu adipeux comme une entité homogène mais bien comme un ensemble hétérogène de tissus104.
Figure 9. Distribution des dépôts adipeux blancs chez la femme et l’homme. Le tissu adipeux blanc se répartit dans des dépôts sous-cutanés et viscéraux. On en retrouve également dans l’os, au niveau mammaire chez la femme et en périprostatique chez l’homme. D’après Laurent et al., Médecine/Sciences, 2014.
Le TA brun
Le TA brun se distingue du TA blanc par ses adipocytes ainsi que par ses fonctions et localisations. C’est un tissu adipeux particulier qui joue un rôle majeur dans la régulation de la température corporelle (thermorégulation) en produisant de la chaleur à partir des lipides105,106. Il est principalement décrit chez les rongeurs, les mammifères qui hibernent et chez le nouveau-né humain. En effet il sert de source de chaleur essentielle aux nouveau-nés qui n’ont pas encore la capacité de produire de la chaleur par frissonnement. Chez le fœtus et le nouveau-né, ce TA se répartit dans la région cervicale et supraclaviculaire et, de façon moindre, dans la zone interscapulaire, autour des reins et du cœur105,106. Ensuite ce TA décroît très rapidement au cours de la croissance et on a longtemps pensé qu’il était absent chez l’adulte. Ce n’est que récemment que la présence de quelques zones localisées de TA brun a été découverte chez l’adulte : principalement dans les zones supraclaviculaire et cervicale (Figure 10)107.
Les adipocytes bruns ont une morphologie très différente des blancs : ils sont plus petits et renferment plusieurs gouttelettes lipidiques (on parle de cellules multiloculaires) et beaucoup de mitochondries de grande taille qui expriment UCP1 (Uncoupling Protein 1, une protéine qui découple la phosphorylation oxydative de la synthèse d’ATP d’où la production de chaleur)108. A noter qu’il existe une troisième catégorie d’adipocytes qui a été décrite et présente un phénotype intermédiaire entre les deux précédents d’où son nom d’adipocytes beige ou brite (pour « brown in white »)109. On ne peut cependant pas parler de « TA beige » au sens propre car ce sont en fait des îlots d’adipocytes aux caractéristiques très similaires aux adipocytes bruns (multiloculaires, nombreuses mitochondries de grande taille, présence de la protéine UCP1, …) retrouvés au sein de dépôts de TA blanc. Ces adipocytes sont inductibles sous l’effet du froid, de l’exercice ou de certaines catécholamines et proviennent de la transdifférenciation d’adipocytes blancs ou de la différentiation de cellules progénitrices stimulées par des facteurs spécifiques109.
Composition du TA blanc en conditions physiologiques
Composants cellulaires
Le TA est un tissu conjonctif composé d’adipocytes et d’autres types cellulaires comme les cellules progénitrices adipocytaires, les cellules endothéliales, les fibroblastes et les cellules immunitaires, regroupés sous le nom de Fraction Stroma-Vasculaire (SVF)97. Les adipocytes se rassemblent en lobules (de taille variable selon le type de TA) séparés les uns des autres par de fines couches de tissu conjonctif lâche.
La présence de cellules immunitaires dans le TA influe sur sa façon de réguler le métabolisme ce qui a donné naissance à un nouveau champ de recherche : l’immuno-métabolisme110. Ces cellules immunitaires peuvent avoir un rôle positif, par exemple chez les sujets normopondéraux, elles interviennent dans le maintien de l’homéostasie tissulaire : élimination des cellules apoptotiques, remodelage de la matrice extracellulaire et angiogenèse. A l’inverse, dans des pathologies comme l’obésité, l’accumulation de certaines cellules immunitaires conduit à un état inflammatoire chronique associé à des dysfonctionnements du TA110.
Physiologiquement, chez des individus normopondéraux métaboliquement sains, la fraction immunitaire du TA est majoritairement composée de macrophages, de polynucléaires éosinophiles (système immunitaire inné) et de lymphocytes T (système immunitaire acquis).
Les macrophages sont les cellules majoritaires en nombre, qui peuvent représenter jusqu’à 10% de la SVF chez des individus normopondéraux. Classiquement, on distingue deux types de macrophages : les macrophages M1, activés par la voie classique, plutôt pro-inflammatoires et caractérisés par la sécrétion de TNFα et l’expression de NOS (Nitrite Oxide Synthase) et les macrophages M2, activés par la voie alternative, plutôt anti-inflammatoires, exprimant le marqueur de surface CD206 et sécrétant majoritairement de l’IL10 et du TGFβ111. Les macrophages sont des cellules plastiques et leur orientation vers l’un ou l’autre de ces deux phénotypes dépend de leur microenvironnement : les cytokines de type Th2 IL4 et IL13 les orientent vers le phénotype M2 tandis que les cytokines Th1 comme l’IFNγ conduit plutôt à un phénotype M1. En réalité, le microenvironnement des macrophages étant un mélange complexe de diverses cytokines en proportions variables, leurs phénotypes représentent plutôt un continuum de formes mixtes entre ces deux extrêmes. Les macrophages retrouvés dans le TA « sain » sont majoritairement anti-inflammatoires et jouent un rôle crucial dans l’insulino-sensibilité du TA via la sécrétion d’IL10, une cytokine qui potentialise la voie de signalisation de l’insuline dans les adipocytes111.
Concernant les granulocytes (polynucléaires neutrophiles, éosinophiles et basophiles), une étude a montré que les polynucléaires éosinophiles, bien que minoritaires en quantité, jouent un rôle majeur dans l’homéostasie du tissu adipeux sain. En effet, les adipocytes sécrétant peu d’IL4, sa source principale dans le TA de souris normopondérales est constituée par les éosinophiles. En l’absence de ces cellules, les macrophages perdent leur phénotype M2 pour devenir majoritairement M1, ce qui entraîne un phénomène d’insulino-résistance112.
Les lymphocytes T retrouvés dans le TA « sain » ont également un phénotype particulier. Ce sont majoritairement des lymphocytes T régulateurs (Tregs) Foxp3+ qui sont normalement impliqués dans la tolérance aux antigènes du soi et ont un profil d’expression particulier dans le TA, avec une expression très élevée de l’IL10113. Le phénotype unique de ces Tregs est lié au fait qu’ils expriment de façon inhabituelle PPARγ114.
Ces résultats montrent que les cellules immunitaires du TA sain sécrètent de nombreux facteurs pouvant participer à l’homéostasie tissulaire et à la régulation du métabolisme. Cependant les mécanismes impliqués ne sont pas encore élucidés : elles pourraient agir par leurs propriétés anti-inflammatoires ou encore en sécrétant des facteurs insulino-sensibilisants qui amélioreraient l’homéostasie du glucose.
Matrice extracellulaire (MEC)
Comme dans tout tissu conjonctif, les cellules du TA sont incluses dans une matrice extracellulaire (MEC) composée à la fois de protéines structurales, les collagènes, et de protéines d’adhésion type fibronectine, laminine, élastines et protéoglycanes115. Cette MEC ressemble fortement à celle qu’on peut trouver dans les autres tissus conjonctifs mais avec des spécificités sur lesquelles je me concentrerai.
Principaux composants de la MEC : Les principales protéines structurales de la MEC sont les collagènes, qui sont des trimères de chaînes α polypeptidiques associées par des liaisons hydrogène et covalentes sous forme de triple hélice116. Aujourd’hui, 28 types de collagènes ont été identifiés. Certains d’entre eux s’associent pour former des fibres, on parle alors de collagènes fibrillaires : ce sont les I, II, III, V et XI116. Les autres sont dits non fibrillaires. Les collagènes I, III, IV, V, VI, XII, XIV, XV and XVIII ont été décrits dans le TA humain117,118. Le collagène VI semble être un composant particulièrement important de la MEC du TA. En effet, c’est un des collagènes les plus abondamment exprimés dans le TA et il est bien plus fortement exprimé dans ce TA que dans d’autres tissus (foie, muscle, pancréas, cœur)119,120. Bien que les fibroblastes soient une source majeure de collagènes en général, ce sont les adipocytes matures qui sont la source principale de collagène VI dans le TA121,122.
L’élastine est également une protéine structurale mais contrairement aux collagènes, elle donne de l’élasticité au tissu, leur permettant de s’étirer et de revenir ensuite à leur état basal. La MEC est également composée de glycoprotéines comme la fibronectine, qui en se liant à la fois aux fibres de collagènes et aux intégrines présentes à la surface cellulaire, permet aux cellules de se déplacer à travers la matrice. Les laminines sont des glycoprotéines qui s’associent aux collagènes pour renforcer la structure de la membrane basale cellulaire123. La MEC contient également des protéoglycanes comme l’héparane sulfate, qui sont des molécules capables de lier de nombreux ligands permettant à la fois de les protéger de la dégradation mais aussi de les séquestrer et les relarguer de façon spécifique124–126. Enfin, la MEC contient des protéines comme SPARC (Secreted Protein Acidic and Rich in Cystein) qui n’ont pas de fonction structurelle mais « supervisent » le turnover et l’organisation des autres protéines de la matrice127.
Organisation de la matrice péri-adipocytaire (Figure 11) : Dans le TA, chaque adipocyte est entouré d’une fine membrane basale composée de collagène IV associé à la laminine128, elle-même entourée d’une couche de collagène fibrillaire129. Des fibres plus épaisses de collagène I entourant plusieurs adipocytes forment une architecture en lobules. Les molécules de collagène de type V constituent des micro-fibres qui s’associent avec les fibres plus épaisses de collagène I. Les molécules de collagène VI forment des microfibrilles à l’interface entre la membrane basale et les fibres épaisses de collagène I129.
Figure 11. Les adipocytes sont entourés d’une matrice complexe. SPARC = Secreted protein, acidic and rich in cysteine. D’après Chun, Adipocyte, 2012.
Dégradation / remodeling de la MEC : La MEC du TA est constamment remodelée par l’action de métalloprotéinases, les deux principales familles étant les MMP (Matrix Metalloproteinases) et les ADAMTS (A Disintegrin And Metalloproteinase with Thrombospondin Motifs)130. Il existe 23 membres dans la famille des MMP. Chacune d’entre elle a pour cible plusieurs types de collagènes et de protéines de la MEC mais avec une affinité et une efficacité différentes selon les cibles. De même, la famille des ADAMTS comprend 19 membres capables de dégrader des protéines de la MEC et en particulier les protéoglycanes130. L’activité de ces enzymes est fortement régulée. En effet, la plupart des MMP sont sécrétées sous forme inactive et nécessitent une étape de clivage pour devenir actives et, une fois actives, leur action est limitée par des inhibiteurs endogènes, les TIMP (Tissue Inhibitors of Metalloproteinases). Les TIMP sont une famille de 4 molécules capables d’inhiber les différentes MMP avec plus ou moins d’affinité. Tout ceci conduit à un système finement régulé130.
Cette dégradation de la MEC par les métalloprotéinases, en plus de générer un remodelage du tissu, permet la maturation des précurseurs du collagène, le relargage de facteurs de croissance séquestrés, la conversion de protéines structurales en molécules bioactives et la différenciation adipocytaire.
Rôles de la MEC : La MEC a non seulement un rôle de maintien de l’architecture du TA mais exerce aussi des fonctions biologiques. En particulier, elle joue un rôle majeur dans le développement et le maintien du TA ainsi que dans la disponibilité des facteurs de croissance. Dans un premier temps, la différenciation adipocytaire s’accompagne de grands remaniements de la MEC avec une diminution des collagènes fibrillaires I et III et une accumulation très importante du collagène IV qui va former la membrane basale de l’adipocyte, ainsi que des collagènes V et VI131. Les sécrétions adipocytaires sont modifiées au cours de ce processus avec en particulier une augmentation des MMP2, 9 et 14 qui permettent la protéolyse des collagènes fibrillaires et l’expansion de la taille adipocytaire due à l’accumulation de lipides132–134. Ces remaniements de la matrice sont indispensables à la différenciation adipocytaire car une inhibition de la synthèse des collagènes V et VI ou des MMP empêche tout processus de différenciation adipocytaire135.
Le remaniement de la MEC ne se limite pas au phénomène de différenciation adipocytaire et se poursuit chez les adipocytes matures. En effet, une étude des sécrétions d’adipocytes 3T3-L1 matures a identifié plusieurs composants de la MEC dont le COL1A1, le COL1A2 et la calréticuline. Les collagènes représentaient les protéines les plus abondantes du sécrétome, suggérant un turnover important de la MEC, même chez des adipocytes matures136. Ce remaniement de la MEC par les adipocytes matures est, entre autres, régulé par l’insuline qui stimule la sécrétion de plusieurs molécules de collagènes, sans affecter leur niveau de transcription137.
La MEC a également un rôle de réservoir de facteurs de croissance. Les protéines de la MEC peuvent se lier à plusieurs facteurs de croissance, les protégeant ainsi de la dégradation et les stockant pour être libérés de façon temps-dépendante et site-dépendante grâce à l’action de protéases. On peut citer l’exemple du FGF-2 (basic Fibroblast Growth Factor) qui est lié à l’héparane sulfate qui va à la fois augmenter sa stabilité et permettre la formation de tétramères en stabilisant deux récepteurs au FGF liés
à deux molécules de FGF-2, permettant ainsi l’action de ce facteur de croissance124,125. De même la libération du facteur de croissance proangiogénique VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) est sous le contrôle des protéases car il est séquestré dans la MEC, sous forme liée à l’héparane sulfate126.
La MEC est également un réservoir de ce qu’on appelle des matrikines. Ce terme désigne des peptides issus de macromolécules de la MEC, capables, en se liant à des récepteurs de surface, de réguler des fonctions cellulaires à la façon des facteurs de croissance138. Le terme de matricryptines désigne quant
à lui des peptides inactifs qui nécessitent d’être révélés ou libérés par protéolyse partielle pour devenir actifs139. Plusieurs matrikines et matricryptines ont été décrites dans le TA, cependant elles ont été étudiées dans un contexte d’obésité et leur rôle physiologique est encore inconnu. Par exemple, les Elastine-Derived Peptides (EDP) sont augmentés dans un contexte d’obésité et, en se liant à leur récepteur ECR (Elastin Receptor Complex), ils jouent un rôle dans l’apparition de l’insulino-résistance et de l’hypertrophie adipocytaire par augmentation de PPARγ et des enzymes de la lipogenèse140.
L’endostatine est un fragment de clivage du collagène XVIII inhibiteur de l’angiogenèse qui a montré des effets de réduction de poids par une régulation de la masse grasse chez des souris obèses141,142. Enfin, l’endotrophine est un fragment de clivage du collagène VI qui, dans un contexte d’obésité, amplifie les phénomènes de fibrose, d’angiogenèse et d’inflammation à travers le recrutement de macrophages et de cellules endothéliales dans le TA121 et favorise la progression tumorale du cancer du sein en augmentant la prolifération cellulaire, le phénomène d’EMT et également la résistance au traitement par cisplatine143,144. Les mécanismes sous-jacents sont très mal décrits car on ne connaît ni la protéase à l’origine de ce clivage ni le ou les récepteurs sur lesquels l’endotrophine agit.
Adipogenèse
Chez l’Homme, les dépôts adipeux se développent majoritairement avant la naissance et chez le nouveau-né145. Cependant, le TA blanc se renouvelle tout au long de la vie (environ 10% de turnover chaque année)146 et garde une capacité d’expansion qui lui permet de répondre aux excédents d’énergie. Deux mécanismes permettent au tissu adipeux de se développer : l’hypertrophie, qui correspond à une augmentation de la taille adipocytaire, et l’hyperplasie, qui correspond à l’augmentation du nombre d’adipocytes par le recrutement et la différenciation de nouveaux progéniteurs147.
Ce phénomène de différenciation adipocytaire, appelé adipogenèse, se déroule en deux étapes. Dans un premier temps, les cellules souches adipeuses (Adipose-Derived Stem Cells, ADSC) s’engagent dans la lignée adipocytaire : on parle de détermination148. Ces cellules souches adipeuses ont été identifiées récemment dans le TA. Comme les MSC (Mesenchymal Stem Cells) issues de la moelle osseuse, elles sont multipotentes et capables de proliférer et de se différencier en différents types cellulaires (in vitro et in vivo) dont les adipocytes, ostéoblastes, chondrocytes et myoblastes149. On parle de « détermination » car après cette étape, les cellules deviennent des pré-adipocytes et ne peuvent plus se différencier en d’autres types cellulaires. Dans un deuxième temps, ces pré-adipocytes passent par un processus appelé différentiation terminale qui en fera des adipocytes matures. Ce processus est très étudié à l’aide de lignées cellulaires148.
Rôles du tissu adipeux (blanc)
Le rôle principal du tissu adipeux blanc est de réguler les réserves énergétiques de l’organisme en stockant les acides gras libres en excès sous forme de triglycérides et en les libérant ensuite à la demande pour répondre aux besoins des différents organes. Plus récemment, il est apparu que c’est également un organe endocrine capable de sécréter de nombreuses molécules regroupées sous le nom d’adipokines150.
Stockage des lipides
Chez l’Homme, le tissu adipeux blanc constitue la plus grande réserve de triglycérides (TG) et d’énergie de l’organisme. Ces TG sont stockés dans les gouttelettes lipidiques des adipocytes. Les triglycérides sont synthétisés dans les adipocytes à partir de trois molécules d’acides gras (AG) estérifiés et d’un glycérol-3-phosphate151.
La principale source d’acides gras est l’alimentation. Les triglycérides sont incorporés dans des lipoprotéines appelées VLDL (Very Low Density Lipoprotein, au niveau du foie) ou chylomicrons (au niveau des intestins) et transportés dans le plasma. Ces lipoprotéines sont hydrolysées au niveau des capillaires du tissu adipeux par une enzyme appelée Lipoprotein Lipase (LPL) qui libère les AG152. Le passage de la membrane plasmique des adipocytes se fait principalement grâce à des transporteurs comme CD36 (aussi appelé Fatty Acid Translocase (FAT)) mais peut également se faire par diffusion passive153.
La première étape de la réaction de synthèse des TG est l’activation des AG en acyl-coA par l’acyl-coA synthase-1151. Il existe aussi une voie de synthèse des AG à partir des glucides, appelée lipogenèse de novo, mais elle est très minoritaire et ne sera donc pas détaillée ici. La synthèse de TG nécessite aussi une molécule de glycérol-3-phosphate (G3P) pour la première étape d’estérification des AG. La glycérokinase étant très peu active dans les adipocytes, le G3P est produit, soit à partir de glucose lors des premières étapes de la glycolyse, ou à partir de métabolites du glucose (lactate, pyruvate) par glycéronéogenèse. La disponibilité du G3P dans la cellule est un régulateur majeur car il contrôle à la fois le taux d’estérification des AG et la ré-estérification partielle des AG issus de la lipolyse. La biosynthèse des TG, qui a lieu dans le réticulum endoplasmique, consiste en l’estérification successive des groupements alcool du G3P par différentes enzymes151.
Lipolyse
La lipolyse se fait en plusieurs étapes successives d’hydrolyse du TG, d’abord en diacylglycerol (DAG) puis en monoacylglycerol (MAG) et enfin en glycérol, chaque étape s’accompagnant du relargage d’une molécule d’AG. Trois enzymes sont responsables, respectivement ATGL (Adipose Tissue Triglyceride Lipase), HSL (Hormone-Sensitive Lipase) et MAGL (Monoacylglycerol Lipase)154. Les adipocytes possédant une très faible activité de la glycérol kinase, le glycérol est relargué dans la circulation et disponible pour être utilisé dans d’autres tissus. A l’inverse, les AG peuvent soit être relargués dans la circulation, soit être ré-estérifiés155.
La lipolyse est principalement régulée par l’activité de l’enzyme HSL. HSL est une sérine protéase qui peut à la fois hydrolyser les TAG et les DAG mais avec une activité préférentielle sur les DAG. La lipolyse est stimulée par les catécholamines, à travers les récepteurs β-adrénergiques qui activent la voie de signalisation adénylate cyclase / AMPc / PKA. La PKA va pouvoir phosphoryler HSL qui, du cytoplasme, va venir se localiser à la membrane de la gouttelette lipidique et exercer son activité de lipase. La périlipine 1 est une protéine localisée à la surface des gouttelettes lipidiques des adipocytes qui joue un rôle majeur dans la coordination du stockage et de l’utilisation des lipides. A l’état basal, elle séquestre la protéine CGI-58 (Comparative Gene Identification 58) et l’empêche de jouer son rôle d’activateur d’ATGL. Suite à une stimulation β-adrénergique, la périlipine 1 est phosphorylée par la PKA, se dissocie de CGI-58 qui va interagir avec ATGL et l’activer. Plus récemment, une autre voie d’activation de la lipolyse a été découverte qui implique les peptides natriurétiques156. A l’inverse, la lipolyse peut être inhibée par les catécholamines, à travers leurs récepteurs α-adrénergiques, ainsi que par l’insuline, qui est la principale hormone anti-lipolytique155.
Les acides gras, toxiques et insolubles dans le cytosol, ils sont ensuite pris en charge par des protéines de transport appelées FABP (Fatty Acid Binding Protein) 4 et 5157.
Sécrétions
Au-delà de son rôle de réservoir d’énergie, le tissu adipeux est maintenant largement reconnu comme un organe endocrine dont les sécrétions sont regroupées sous le terme d’adipokines150. La leptine a été la première adipokine à être découverte (avec le TNFα), en 1994158, révolutionnant la vision que l’on avait du TA comme un simple réservoir d’énergie relativement inerte. Elle est principalement (mais pas exclusivement) sécrétée par les adipocytes et le TA en est la source majeure dans l’organisme. Elle joue un rôle clé dans la régulation du métabolisme. En effet, elle contrôle le poids en régulant les sensations de faim et de satiété au niveau de l’hypothalamus.
L’adiponectine est une adipokine exclusivement sécrétée par le tissu adipeux et c’est la plus abondante en terme de quantité159. Elle a des propriétés anti-athérogènes en inhibant l’adhésion des macrophages aux cellules endothéliales, la transformation des macrophages en cellules spumeuses et l’activation des cellules endothéliales160,161. Elle participe au maintien d’un microenvironnement anti-inflammatoire en induisant la sécrétion de grandes quantités d’IL10 par les macrophages162. Elle augmente également l’insulino-sensibilité des muscles et du foie en augmentant la β-oxydation et diminuant la production hépatique de glucose150.
Le TNFα est la première cytokine pro-inflammatoire sécrétée par le tissu adipeux qui a été découverte163. Tout comme l’IL6, une autre cytokine pro-inflammatoire importante sécrétée par le tissu adipeux, elle est sécrétée par de nombreuses cellules dont les adipocytes, les cellules immunitaires ou encore les fibroblastes. Elles ont un rôle pro-athérogène en augmentant l’inflammation des vaisseaux et pro-diabétique en inhibant les voies de signalisation de l’insuline164,165.
La résistine est une adipokine sécrétée par les adipocytes chez la souris et par les macrophages chez l’Homme166. Son rôle est controversé du fait que la plupart des études aient été réalisées chez la souris qui ne semble pas un bon modèle d’étude pour cette protéine. Chez la souris, elle participe à l’insulino-résistance chez les sujets obèses alors que chez l’Homme, étant principalement sécrétée par les monocytes circulants et corrélée aux taux d’IL6, l’hypothèse d’un rôle pro-inflammatoire est privilégiée166.
De nombreuses autres adipokines ont été décrites, en particulier PAI-1 (Plasminogen Activating Inhibitor-1), l’angiotensinogène, RBP-4 (Retinol Binding Protein-4), …167 Au-delà de leur action systémique, les adipokines peuvent jouer un rôle autocrine ou paracrine dans le TA car les adipocytes présentent plusieurs récepteurs dont ceux de la leptine, de l’adiponectine, de l’IL6 et du TNFα167.
On comprend l’importance physiologique du TA quand on observe des modèles murins de diabète lipoatrophique168. En effet, en général on associe le diabète à l’obésité mais ces souris qui n’ont pratiquement pas de TA blanc présentent des caractéristiques similaires aux formes sévères de diabète lipoatrophique chez l’Homme : insulino-résistance, hyperglycémie, hyperlipidémie et stéatose hépatique. La greffe de TA chez ces souris reverse ce phénotype en normalisant la glycémie, améliorant l’insulino-sensibilité, diminuant les TG sériques et les dépôts adipeux dans le foie et les muscles168. On peut donc conclure que le TA est absolument essentiel dans le maintien de l’homéostasie énergétique.
Non pas un, mais des tissus adipeux
Les dépôts viscéral et sous-cutané ont des phénotypes et des rôles différents dans le stockage des lipides. Le TA sous-cutané représente le réservoir physiologique où s’accumulent les excès d’acides gras. Quand les capacités de stockage de ce TA sous-cutané sont dépassées ou qu’il perd sa capacité à former de nouveaux adipocytes à partir de précurseurs, les AG vont s’accumuler ailleurs, dans des dépôts qu’on appelle « ectopiques ». Au sens primaire du terme, ces dépôts ectopiques correspondent à une accumulation d’AG dans des cellules qui ne sont pas des adipocytes (en particulier hépatocytes, cellules musculaires, …). De façon plus large, on peut étendre cette définition d’accumulation ectopique de graisse à toute accumulation d’AG dans des dépôts adipeux qui ne sont pas sous-cutanés, associée à différentes pathologies. Ils comprennent donc en particulier le TA viscéral, le TA médullaire, péricardique, péri-rénal, périprostatique, …169.
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Table des matières
INTRODUCTION
Introduction générale
Partie I – Le cancer de la prostate
I – La prostate : anatomie et physiologie
1. Localisation et fonction
2. Développement
3. Anatomie zonale
4. Organisation cellulaire
5. Rôle physiologique de la testostérone sur la prostate
II – Epidémiologie du cancer de la prostate
III – Diagnostic du cancer de la prostate
IV – Classifications des cancers de la prostate
V – Traitements
VI – Facteurs de risque et d’agressivité du cancer de la prostate
1. Facteurs de risque
2. Facteurs d’agressivité
Partie II – Le tissu adipeux physiologique et pathologique
I – Généralités
1. Le TA blanc
2. Le TA brun
3. Composition du TA blanc en conditions physiologiques
a) Composants cellulaires
b) Matrice extracellulaire (MEC)
4. Adipogenèse
II – Rôles du tissu adipeux (blanc)
1. Stockage des lipides
2. Lipolyse
3. Sécrétions
III – Non pas un, mais des tissus adipeux
1. Adipogenèse
2. Lipolyse
3. Composition
4. Sécrétions
IV – Modifications du tissu adipeux en situation physiopathologique
1. Obésité
2. Vieillissement
3. Dépôts ectopiques
a) Effet systémique : cas des patients Metabolically Unhealthy Normal Weight
b) Effet local : l’exemple du TA péricardique
Partie III – Tissu adipeux périprostatique et cancer de la prostate
I – Microenvironnement tumoral
II – Tissu adipeux périprostatique (TAPP)
1. Anatomie
2. Influence des androgènes
3. Composition
III – Tissu adipeux périprostatique et cancer de la prostate
1. Sécrétions du TAPP entier
2. Composants cellulaires
IV – Tissu adipeux périprostatique, obésité et cancer de la prostate
V – Un nouveau concept : le TAPP abondant
RESULTATS
I – Rôle du tissu adipeux périprostatique dans la dissémination du cancer de la prostate
II – REVUE – Dissémination locale du cancer de la prostate : un chemin pavé de gras
III – Le tissu adipeux périprostatique abondant : caractérisation et rôle dans la dissémination locale du cancer de la prostate
CONCLUSION & PERSPECTIVES
REFERENCES
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