La maladie thromboembolique (MTE) veineuse, constituée principalement par la thrombose veineuse profonde (TVP) et l’embolie pulmonaire (EP), est l’une des principales complications potentielles de la réanimation. Sous-diagnostiquée et sous-traitée de façon préventive , sa survenue est une complication potentiellement grave, associée à un risque de mortalité augmenté . L’étude multicentrique prospective PROTECT retrouve une prévalence de 5% de TVP et de 2% d’EP chez des patients de réanimation bénéficiant d’une anticoagulation préventive. La physiopathologie de la MTE veineuse est complexe, classiquement décrite par la triade de Virchow, qui associe l’hypercoagulabilité, la lésion endothéliale et la stase veineuse comme principaux inducteurs de thrombose.
La maladie thromboembolique artérielle, moins fréquente et plutôt liée à des emboles secondaires à des troubles du rythme cardiaque, est également favorisée par l’hypercoagulabilité et la lésion endothéliale artérielle chronique telle que la plaque athéromateuse. Un ralentissement du flux artériel (par une hypovolémie, une vasoplégie ou une diminution du débit cardiaque) favorise la survenue d’une thrombose artérielle aigüe.
On connait désormais davantage l’interaction coagulation-inflammation, notamment l’activation de ces deux systèmes qui est conjointe et mutuelle. La survenue d’un Syndrome de Réponse Inflammatoire Systémique (SIRS [Systemic Inflammatory Response Syndrome]), indirectement responsable de lésions endothéliales, est fréquente chez les patients de réanimation. Cette réaction inflammatoire systémique peut être entretenue et même décuplée par des événements intercurrents notamment infectieux. La mise en place d’un corps étranger intravasculaire, comme un cathéter artériel , veineux central, de dialyse ou une canule d’ECMO, peut spécifiquement engendrer des thromboses liées au cathéter comme décrites au départ par Chastre et al . Les patients de réanimation présentent fréquemment des histoires de maladies compliquées avec des états de choc et donc de bas débit artériel, d’immobilisation prolongée sous sédation et ventilation mécanique et donc de stase veineuse et diminution du retour veineux. Ils cumulent ainsi une multitude de facteurs de risque généraux et spécifiques à la réanimation de MTE.
Ceci est encore plus marqué chez les patients brûlés graves chez qui le SIRS particulièrement intense et prolongé Leur prise en charge comporte de nombreuses prises en charge chirurgicales et l’évolution, lente et longue, est parsemée d’épisodes septiques. Dans l’hypothèse que la brûlure et ses conséquences, physiopathologiques et thérapeutiques, majorent le risque thromboembolique, nous avons souhaité étudier la prévalence de la MTE, les facteurs de risques associés, le pronostic et ses caractéristiques chez les patients brûlés graves.
COAGULATION ET INFLAMMATION
La coagulation et l’inflammation sont deux grands systèmes de défense de l’organisme qui permettent la reconnaissance, la contenance et la destruction des agents pathogènes. Ceci aboutit à la limitation des dommages tissulaires lors d’une agression. Leur activation est conjointe et mutuelle, par les mécanismes détaillés ci dessous. L’accent est mis, dans le cadre de notre hypothèse, sur l’activation par l’inflammation de la coagulation.
Activation de la coagulation par l’inflammation
L’inflammation active la coagulation via trois mécanismes :
– l’induction de l’expression du facteur tissulaire
– la dysrégulation de l’anticoagulation
– l’inhibition de la fibrinolyse
Le facteur tissulaire (Tissue Factor – TF) est une protéine transmembranaire exprimée sur de nombreuses cellules qui ne sont, pour la majorité d’entre-elles, pas en contact avec le flux sanguin. L’inflammation est responsable d’une dysfonction endothéliale avec perte de l’intégrité des jonctions qui aboutit à une exposition du TF présent sur les cellules de la couche adventitielle des vaisseaux. Par ailleurs au cours de l’inflammation, les cytokines proinflammatoires (interleukine 6 – IL-6 principalement), ainsi que la molécule d’adhérence Psélectine (P-sel) présente sur les plaquettes activées et les cellules endothéliales, provoquent une synthèse de TF par les monocytes. Ceux-ci relarguent des micromolécules (MP) portant le TF. Les MP fusionnent avec d’autres cellules inflammatoires qui expriment alors le TF à leur surface. Celui-ci se lie au facteur VIIa circulant et déclenche la voie du facteur tissulaire (« extrinsèque »). Les MP peuvent se lier aux plaquettes activées via le ligand glycoprotéique P-sélectine (P-selectin glycoprotein ligand – PSGL) présent à leur surface et concentrer ainsi le TF au niveau d’une lésion. L’action pro-coagulante des MP est renforcée par la présence de phosphatidylsérine (phospholipide anionique) à leur surface, qui facilite l’amarrage et l’activation en cascade des complexes tenase (facteur IXa – facteur VIIIa – phospholipide – calcium) et prothrombinase (facteur Xa – facteur Va – phospholipide – calcium).
Le dysfonctionnement de l’anticoagulation lors de l’inflammation, indirectement responsable d’une augmentation de la coagulation, est lié à une synthèse hépatique diminuée, une consommation accrue et une dégradation par les élastases leucocytaires des facteurs de l’anticoagulation (complexe protéine S – protéine C / Tissue factor pathway inhibitor TFPI / antithrombine AT). Le système anticoagulant est également perturbé sur le plan qualitatif. En effet des glycosaminoglycanes endogènes (tel que l’héparane sulfate), normalement présents à la surface endothéliale et potentialisant l’activité inhibitrice de l’AT, sont synthétisés en quantité moindre lors de l’inflammation. La protéine C est normalement activée par la thrombomoduline, liée à l’endothélium et elle-même activée par la thrombine. Une fois activée, la protéine C agit avec son co-facteur la protéine S. Le récepteur endothélial de la protéine C (endothelial protein C receptor – EPCR) accélère l’activation de la protéine C mais également son action. Au cours de l’inflammation, les niveaux du zymogène (protéine C), de thrombomoduline, d’EPCR sont abaissés. La protéine S libre est également diminuée, à cause d’une augmentation par l’inflammation de sa protéine de liaison, la protéine de liaison C4b (C4bBP – C4b Binding protein).
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Table des matières
1ère PARTIE : Données générales et Enjeux
I – INTRODUCTION
II – COAGULATION ET INFLAMMATION
Activation de la coagulation par l’inflammation
Activation de l’inflammation par la coagulation
Propriétés anti-inflammatoires des facteurs de l’anticoagulation
III – HEPARINE ET INFLAMMATION
IV – INFLAMMATION ET BRULURE
Inflammation systémique
Défaillance hémodynamique
Immunosuppression
Infections nosocomiales
Prise en charge chirurgicale
V – COAGULATION ET BRULURE
Profils de coagulation
Incidence et facteurs de risque des événements thromboemboliques
Thromboprophylaxie
2ème PARTIE : Etude
VI – OBJECTIFS
VII – PATIENTS
VII – METHODES
IX – RESULTATS
Caractéristiques des patients
Facteurs de risque de thromboses
Caractéristiques des thromboses
Association des thromboses avec le pronostic
X – DISCUSSION
Principaux résultats
Problématiques soulevées
Stratégies d’amélioration
Cohérence externe
Limites de notre étude
XI – CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
SERMENT D’HIPPOCRATE
RESUME