Les derniers rapports du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) sont alarmants. Les quatre dernières décennies ont été successivement les plus chaudes enregistrées depuis 1850. Le cinquième rapport d’évaluation « Changement climatique 2014 » établit clairement l’origine anthropique de cette augmentation des températures. Le rapport spécial « Réchauffement planétaire de 1,5°C » précise que ces activités humaines ont déjà entraîné un réchauffement entre 0,8 et 1,2°C par rapport à l’époque préindustrielle. Les scénarios de référence (si rien n’est fait pour limiter les émissions de gaz à effets de serre) conduisent à une trajectoire d’une augmentation de plus de 4°C à l’horizon 2100. Selon les projections, les impacts du changement climatique sont multiples : la santé, la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau, la sécurité des personnes, la croissance économique,… Ainsi, 195 pays signent en 2015 l’Accord de Paris sur le climat dans lequel les signataires s’engagent en particulier à « poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C ». Dans son rapport spécial, le GIEC présente différentes stratégies d’atténuation du changement climatique pour concrétiser une telle trajectoire. Tous ces scénarios passent par une réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, notamment dans les grands secteurs tels que les transports, le bâtiment, l’industrie, la production d’électricité ou l’agriculture.
Chaleur fatale
Disponibilité
La chaleur fatale (ou chaleur de récupération) est la chaleur produite par une machine, ou par tout autre procédé consommant de l’énergie, qui n’en constitue pas la finalité première. À de multiples échelles, les machines produisent en effet de la chaleur en plus du travail utile. À la plus grande échelle, la chaleur fatale représente la part de l’énergie primaire (provenant du pétrole, du gaz, du charbon, du nucléaire, du vent, du solaire,…) qui est rejetée dans l’atmosphère sous forme de chaleur plutôt que sous forme d’énergie utile. D’après le dernier World Energy Flow Chart du Lawrence Livermore National Laboratory, cette part de l’énergie, issue des pertes de conversion et rejetée, représentait en 2011 58% de l’énergie primaire.
Les centrales thermiques ou nucléaires transforment une partie de la chaleur produite par combustion fossile ou fission nucléaire en électricité par un cycle thermodynamique. Par conséquence des premier et deuxième principes de la thermodynamique .
Dans tous ces exemples, la valorisation de la chaleur fatale relève d’une logique d’économie circulaire, où tout produit d’un processus peut devenir une ressource. Selon le service industrie de l’ADEME, 10% de la chaleur fatale industrielle (12TWh/an) serait facilement valorisable. Aujourd’hui, seul 0,4% est pourtant exploitée. La valorisation de la chaleur fatale peut s’effectuer sous plusieurs formes [122],[136] :
1. L’alimentation en chaleur des industriels eux-mêmes. La chaleur issue des activités industrielles, ou de centres de données, est réinjectée en interne pour le chauffage des bureaux. La chaleur fatale (issue notamment des centres de données ou d’incinérateurs de déchets) peut aussi alimenter des réseaux de chaleur urbains. En dehors de ces deux applications, la chaleur fatale est peu valorisable sous cette forme. Il faut alors développer des techniques capables de transformer cette chaleur en énergie utile, telle que mécanique ou électrique.
2. En aval du processus induisant de la chaleur fatale, les machines à cycle organique de Rankine (ORC en anglais) utilisent le cycle thermodynamique de Rankine ([107]) qui transforme une partie de l’énergie thermique en électricité. Le cycle de Rankine consiste à chauffer puis vaporiser un fluide de travail par la source de chaleur. La vapeur est ensuite détendue par une pompe qui génère l’énergie mécanique, ensuite transformée en énergie électrique par un alternateur. La vapeur détendue est ensuite condensée pour fermer le cycle thermodynamique.
Le cycle de Rankine est utilisé dans les centrales thermiques traditionnelles à vapeur d’eau, à source chaude à haute température. Les machines ORC sont des modules décentralisés qui adaptent cette technologie avec un fluide organique utilisé comme fluide de travail. Les fluides organiques sont adaptés pour des températures de source chaude plus faibles. Le fluide utilisé est choisi en fonction de la gamme de température de travail : des liquides réfrigérants comme les hydrofluorocarbures pour les températures de source chaude inférieure à 200°C aux siloxanes pour les températures allant jusqu’à 300°C. L’écart entre la source chaude et source froide est plus faible que pour une centrale thermique traditionnelle, donc le rendement de Carnot limite encore davantage le rendement théorique de conversion de l’énergie thermique en énergie électrique par ce cycle thermodynamique. Les machines ORC ont un rendement typique de 40% de celui du rendement de Carnot, soit un rendement de 10 à 20% de conversion de chaleur en électricité. Les modules ORC sont donc en théorie beaucoup moins performants pour récupérer la chaleur fatale que les systèmes de réinjection de la chaleur dans des réseaux. Cependant, l’électricité est une énergie « de meilleurs qualité » que la chaleur. Elle peut-être transformable en lumière, énergie mécanique,… et plus facilement transportable (à faible coût et faibles pertes). La génération sous forme alternative de l’électricité la rend relativement facile à insérer dans un réseau électrique. Les machines ORC ne sont cependant pas adaptées pour des faibles différences de température, et pour des systèmes mobiles tels que les voitures.
La thermoélectricité s’inscrit dans cet aspect de la récupération de chaleur fatale. Les matériaux thermoélectriques sont capables de convertir l’énergie thermique en électricité. Ils produisent un courant et une tension continue à partir d’un flux de chaleur entre une source chaude et une source froide. Relativement peu efficaces par rapport aux ORC et plus coûteux, cette technologie n’est pas pertinente dans la plupart des stratégies de valorisation de l’énergie fatale. La thermoélectricité bénéficie cependant d’avantages par rapport aux autres stratégies dans certains cas. Elle n’a pas de pièces mobiles contrairement aux ORC ce qui la rend fiable à long terme. Plus discrets et faciles à insérer dans les équipements, les matériaux électriques sont plus adaptés pour des systèmes mobiles, isolés du réseau électrique. Ainsi, les sondes et satellites peuvent être alimentés grâce à cette technique. Les grandes entreprises automobiles déploient également des programmes de recherche et développement autour de la thermoélectricité pour valoriser la chaleur des gaz d’échappement tels que Nissan [67], BMW [101], General Motors [169] ou encore Fiat et Chrysler [105].
La valorisation de chaleur fatale sous forme de chaleur a des applications limitées. Lorsque la source chaude est de température moyenne (entre 150 et 300°C), les machines ORC sont adaptées pour la récupération de la chaleur fatale par la transformation de cette chaleur en électricité. Les stratégies de valorisations dépendent donc de la température de la source de chaleur fatale et des applications disponibles. Une stratégie dite de cogénération consiste à combiner les deux axes complémentaires de valorisation de chaleur fatale, en installant des modules ORC pour les fluides de sortie du processus industriel de plus haute température (de l’ordre de 300°C par exemple) et la réinjection de l’énergie thermique dans les réseaux de chaleur pour les fluides de température plus faibles.
Chaleur diffuse
La chaleur diffuse est l’appellation donnée à l’énergie directement présente dans la nature. Tandis que la chaleur fatale provient des activités humaines et met en jeu des différences de températures de l’ordre de 100 à 500K, la chaleur diffuse ne concerne que des faibles différences de température de l’ordre de quelques dizaines de Kelvins. Il peut s’agir par exemple de l’énergie provenant des rayons solaires qui chauffe la surface d’un matériau. On peut observer par exemple ces faibles différences de température entre la surface d’une étendue d’eau chauffée par le soleil et l’eau plus froide de profondeur. Il peut également s’agir de l’énergie issue de systèmes biologiques, qui génère des différences de température comme celle entre la peau du corps humain (environ 35°C) et l’air extérieur. Au repos, le corps humain libère une puissance d’environ 100W sous la forme de chaleur. Dans ces cas là, la thermoélectricité est la seule technique permettant de convertir une partie des flux de chaleur entre le côté chaud et le côté froid en électricité. Les faibles puissances mises en jeu peuvent néanmoins suffire pour trouver leurs applications spécifiques. Les montres Seiko-Thermic & Citizen-Eco-Drive Thermo utilisent la différence de température entre le poignet et l’air extérieur pour fonctionner. Des applications médicales peuvent également utiliser la thermoélectricité basée sur la chaleur du corps humain [94],[91].
Effet thermoélectrique
La thermoélectricité d’un matériau est le couplage hors-équilibre entre ses propriétés électriques et thermiques. Trois effets, connus depuis près de 200 ans, mêlent flux de chaleur et courant électrique au sein d’un matériau. Lorsqu’on applique une différence de température entre les deux extrémité d’un matériau, une tension se crée entre son côté chaud et son côté froid. C’est l’effet Seebeck. Lorsque ces deux extrémités sont reliées par un fil conducteur d’un matériau différent, un courant peut circuler. À l’inverse, lorsqu’un courant circule dans un matériau, il génère un flux de chaleur dans la même direction que la circulation du courant. C’est l’effet Peltier. Enfin, si un courant circule dans un matériau soumis à un gradient de température, un couplage s’opère entre les effets Seebeck et Peltier, mis en évidence par Thompson.
Effet Seebeck
Les premiers indices de l’effet thermoélectriques sont observés par Aepinius en 1762 puis Galvani et Volta entre 1786 et 1794 [121]. Ces derniers remarquent qu’un muscle de grenouille se contracte brusquement lorsqu’il est placé entre deux fils de métaux différents dont on a préalablement chauffé l’un des deux côtés [1]. Les deux physiciens n’apportent pas d’explications à leurs observations, qu’ils attribuent d’abord à un phénomène lié au tissus du muscle, qui réagit différemment aux deux métaux. En 1812, le physicien allemand Thomas Johann Seebeck remarque que l’aiguille d’une boussole est déviée lorsqu’elle est placée entre deux conducteurs différents connectés dont les jonctions sont portées à des températures différentes. Il effectue notamment cette expérience avec deux arcs de cuivre et de bismuth soudé en formant un cercle : Seebeck n’observe donc pas directement le courant et la tensions induites par la différence de température, mais plutôt le champ magnétique induit par ce courant. C’est d’ailleurs pour cela qu’il qualifiera en 1821 l’effet qu’il observe de thermomagnétisme[3]. C’est le physicien Danois Ørsted, qui, deux ans plus tard, apportera une explication. Il qualifie ce circuit formé de cuivre et de bismuth dont les jonctions sont portées à des températures différentes de circuit thermoélectrique ou thermélectrique. C’est cette appellation qui subsistera, à la place du premier terme proposé par Seebeck. Il déclare alors « on peut ranger les corps en série, d’après leur action thermoélectrique » [2]. Cette action est caractérisée par le coefficient Seebeck Se ou α. Dans un métal, on peut intuitivement comprendre l’origine de l’effet Seebeck en considérant un gaz d’électrons circulant librement parmi un réseau d’ions métalliques que l’on suppose fixe. L’agitation thermique des électrons dépend de leur température. Ainsi, si l’on applique un gradient de température au sein de ce métal, les électrons du côté chaud, se déplaçant rapidement du fait de leur plus grande agitation thermique, ont tendance à se déplacer vers le côté froid, où il s’y déplacent plus lentement. Ce flux de charges électriques du côté chaud vers le côté froid induit un champ électrique entre les deux côtés du matériau. Pour une différence de température restant relativement faible, il y a proportionnalité entre le gradient de température et le champ électrique induit. On définit le coefficient Seebeck (ou coefficient thermoélectrique), par l’opposé de ce rapport de proportionnalité
∆V = −Se · ∆T (1.2)
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Contexte
1.1.1 Chaleur fatale
1.1.2 Chaleur diffuse
1.2 Effet thermoélectrique
1.2.1 Effet Seebeck
1.2.2 Effet Peltier
1.2.3 Effet Thompson et relations de Thompson
1.3 Matériaux thermoélectriques
1.3.1 Rendement maximal théorique d’un matériau thermoélectrique
1.3.2 Matériaux thermoélectriques et facteurs de mérite
1.4 Thermoélectricité dans les liquides
1.4.1 Les liquides comme alternatives aux semiconducteurs
1.4.2 Mécanismes thermoélectriques dans les liquides
1.4.3 Cellule thermoélectrique
1.4.4 Liquides thermoélectriques
1.5 Conclusion
2 Fondements théoriques
2.1 Flux
2.1.1 Système
2.1.2 Relations de réciprocité d’Onsager-Casimir
2.1.3 Flux de chaleur
2.1.4 Flux de particules
2.2 Potentiel électrochimique
2.2.1 Composante chimique
2.2.2 Composante électrique
2.2.3 Dérivée par rapport à la température
2.2.4 Dérivée par rapport à la concentration
2.2.5 Gradient par rapport au champ électrique
2.2.6 Expression finale du flux de particules
2.3 Coefficients Seebeck
2.3.1 Coefficient Seebeck interne
2.3.2 Coefficient Seebeck thermogalvanique
2.4 Conclusion sur l’expression du coefficient Seebeck
2.5 Modèle électrique et chimique d’une cellule thermogalvanique
2.5.1 Introduction : le générateur thermoélectrique modélisé par un générateur de Thévenin
2.5.2 Conventions de notations utilisées et hypothèses
2.5.3 Bilan de matière
2.5.4 Concentration aux électrodes, courant de Faraday et potentiels
2.5.5 Caractéristique courant-tension
2.5.6 Exemple d’application numérique
2.5.7 Linéarisation des équations
2.5.8 Discussion
2.5.9 Limites du modèle
3 Entropie standard de réaction
3.1 Introduction
3.2 Modèle de Born
3.2.1 Présentation du modèle
3.2.2 De l’entropie de solvatation à l’entropie standard de réaction de Born
3.2.3 Au delà du modèle de Born pour les ions monoatomiques
3.3 Effet du solvant organique
3.3.1 Motivations
3.3.2 Protocole expérimental
3.3.3 Mesure du coefficient Seebeck du couple Co(bpy)3+/2+
3 dans les solvants organiques
3.3.4 Prise en compte semi-empirique de la couche de solvatation
3.4 Mélanges de liquides ioniques et de solvants
3.4.1 Résultats
3.4.2 Étude des interactions non-covalentes ion/solvant par spectroscopie Raman
3.4.3 Discussion
3.5 Puissance
4 Effets thermoélectriques dans les ferrofluides
4.1 Motivation
4.2 Résultats déjà obtenus dans les ferrofluides
4.2.1 Ferrofluides à base de DMSO
4.2.2 Ferrofluides aqueux
4.2.3 Ferrofluide à base de liquide ionique NEA
4.3 Ferrofluide à base de liquide ionique EMI-TFSI
4.3.1 Présentation des ferrofluides
4.3.2 Propriétés thermodiffusives des FF par mesures FRS
4.3.3 Mesure de la conductivité des ferrofluides
4.3.4 Coefficient Seebeck initial
4.3.5 Estimation de la contribution thermodiffusive
4.3.6 Origine de la variation du coefficient Seebeck initial
4.4 Puissance
4.5 Conclusion
5 Conclusion