Les phyllosilicates sont des minéraux d’importance dans l’industrie comme dans la compréhension pétrologique du métamorphisme. Parmi eux, les micas ont fait l’objet de nombreuses études, notamment à vocation thermobarométrique. Il est bien établi que leur composition varie avec les conditions de leur cristallisation : pression (P), température (T), mais aussi fugacité d’oxygène (fO2). Les micas sont utilisés fréquemment dans la reconstruction de chemins P-T-t. Les modèles thermodynamiques de ces minéraux sont désormais bien contraints et permettent de quantifier les réactions entre les minéraux.
Les argiles dioctaédriques alumineuses et les phengites ont des structures très semblables. Il est également connu depuis des décennies que les argiles sont les précurseurs directs des micas lors du métamorphisme prograde de métapélites. Or, il n’existe pas à ce jour de modèle thermodynamique permettant de rendre compte de la transformation des argiles en micas lors du métamorphisme prograde, et inversement du métamorphisme rétrograde des micas en argiles. Bien que les argiles soient parmi les minéraux les plus étudiés en terme de structure, la prédiction de leur comportement grâce à l’outil thermodynamique est considérablement plus complexe que pour les minéraux du métamorphisme de haut grade. Cela s’explique en partie par la difficulté de l’expérimentation sur ces phases minérales: cinétique lente des réactions, importance des fluides, difficultés à atteindre et renverser l’équilibre, complexité chimique et petite taille des phases ont brouillé les cartes au point que la stabilité mêmes des argiles à la surface de la Terre soit remise en cause (Jiang, 1990 ; Essene et Peacor, 1995). Des thermomètres empiriques, basés sur les variations observées de composition des argiles avec la température, ont été proposés pour les argiles (par exemple, Cathelineau, 1988 ; Battaglia, 2004) mais leur nature empirique limite leur application.
La méconnaissance des propriétés thermodynamiques des argiles a pour conséquence qu’en dessous de 350°C, le comportement des phases minérales dans la plupart des roches terrestres est plus difficilement prédictible qu’à haute température. Les reconstructions de chemins P-T-temps à l’aide de la thermodynamique macroscopique à l’équilibre sont très imprécises à basse température. De plus, les argiles sont communément utilisées dans les sites de stockage de déchets, et notamment de déchets nucléaires car les smectites présentent la propriété d’absorber les cations venus des solutions aqueuses (y compris les radionucléides : Millot, 1963 ; Brindley, 1980 ; Inoue, 1984 ; Newman, 1987 ; Fletcher et Sposito, 1989) dans leur espace interfoliaire. Or, il est observé que leur réactivité avec leur environnement (par exemple, un container en acier) est forte, et ce dès les basses températures (les expériences in situ de Stripa menées conjointement par le CEA et le SKB (Suède) dans les années 1984 – 1990 le démontrent clairement). Pouvoir prédire les réactions minéralogiques impliquant les argiles à moyen – long terme est donc un challenge aux applications nombreuses. Finalement, l’étude des corps célestes « froids » (météorites et planètes telluriques) montre que les phyllosilicates sont présents dans ces environnements, et l’importance de mieux connaître le lien qu’ils entretiennent avec l’eau est évidente.
Faciès et gradients métamorphiques
Le concept de faciès métamorphiques a été introduit par le pétrologue Eskola au début du siècle dernier. Comparant ses travaux à ceux de Goldshmidt qui étudiait une autre auréole de contact, il émit l’idée que les roches de composition similaires présentant des assemblages minéralogiques différents avaient pu connaître des conditions de pression (P) et de température (T) de cristallisation différentes. Sa vision plus globale que les concepts de l’époque, prenant en compte les assemblages minéralogiques (et donc les équilibres thermodynamiques entre plusieurs phases) et non plus exclusivement des minéraux indicateurs de l’intensité du métamorphisme, permit la définition des faciès métamorphiques. Ceux-ci sont l’expression de la relation entre l’assemblage minéralogique (la paragenèse, l’association de minéraux à l’équilibre) et la composition de la roche totale. Les faciès métamorphiques varient donc selon P et T . Ils ont été définis originellement pour des paragenèses de roches mafiques. Les limites entre les différents faciès peuvent donc être clairement représentées pour ces roches uniquement, et on pourrait définir un faciès pour chaque protolithe différent. Limiter le nombre de faciès en leur fournissant une définition dans l’espace PT a fait de ceux-ci des outils simples de communication.
La notion de gradient métamorphique s’est imposée sur l’observation de terrain du métamorphisme régional spatialement croissant. Reportés dans l’espace P-T, on observe une ligne, évolution régulière reliant les pics de métamorphisme rencontrés par les roches. En résumé, les trois gradients principaux (HP/BT, MP/HT, HT/BP) correspondent chacun à un contexte géologique différent, respectivement de subduction, d’épaississement crustal puis de métamorphisme de contact ou d’amincissement crustal. Dans l’espace P-T, les gradients métamorphiques sont limités par les conditions physiques régnant actuellement sur Terre : il y a une limite inférieure au gradient de HP/BT, environ 5°C/km, tout comme il y a des températures et pressions maximales que les roches terrestres n’ont aucune chance de franchir en conditions naturelles.
Les variables du métamorphisme
Les réactions métamorphiques ont lieu lorsque les roches sortent de leur environnement d’origine. Nous devrons nous intéresser aux environnements initiaux et finaux pour comprendre ces réactions. On pensera tout d’abord à la composition de la roche. Les minéraux bien sûrs, dont la structure est aussi importante que la composition, mais également les fluides, dont le rôle est difficile à apprécier lorsqu’ils ne sont pas connus. La composition de la roche totale et des fluides et autres éléments volatils interagissant avec elle définiront le système chimique, permettant ou non à certains minéraux de se développer. Cette notion fondamentale est très simple à illustrer par un exemple : le métamorphisme d’un carbonate pur, quel qu’en soit l’intensité, ne permettra pas l’apparition du moindre silicate.
Les contraintes externes appliquées au système sont d’importance prépondérante. Parmi elles, P et T sont très souvent citées, mais l’état de contrainte et particulièrement la contrainte déviatorique peuvent agir de façon non négligeable. Les autres variables couramment utilisées, telles que fugacité d’oxygène ou activité d’eau, dépendent des précédentes. Si l’on connaît tous les éléments cités plus haut et leurs effets, alors l’on devrait être en mesure de prédire l’évolution des roches ou d’en retracer l’histoire, comme nous le verrons plus loin. L’outil thermodynamique est pour cela très précieux. Toutefois, une dernière variable, outil majeur ou obstacle difficile à surmonter, est d’importance dans l’étude du métamorphisme : le temps (t). Quand bien même tous les processus et variables définissant l’équilibre seraient connus et correctement décrits, il n’en resterait pas moins que les roches à la surface de la croûte terrestre sont majoritairement constituées de minéraux bien loin de leurs conditions de formation et d’équilibre. La faute aux cinétiques des réactions chimiques, aux très faibles vitesses de diffusion à basses températures, aux barrières énergétiques difficiles à franchir qui empêchent les minéraux de réagir pour amener entre les mains du géologue des roches n’ayant pas subi de changement notable depuis le manteau qu’elles connurent des dizaines de millions d’années plus tôt. Pour cette raison, la thermobarométrie et la création de chemins P-T-t sont possibles à basse température, mais plus compliquées qu’à haute température, au point que la stabilité même des argiles soit questionnée (Jiang et al., 1990 ; Essene et Peacor, 1995).
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Table des matières
Introduction
PARTIE I : Thermodynamique à l’équilibre et techniques d’analyse
Chapitre I : Apports de la thermodynamique à la compréhension des processus métamorphiques
1. Introduction
2. Faciès et gradients métamorphiques
3. Les variables du métamorphisme
4. Etude des métapélites et chemins P-T-t
5. Le métamorphisme à basse température
6. Concepts fondamentaux de thermodynamique
6.1. Premier principe de la thermodynamique et définition de l’enthalpie
6.2. Variation d’enthalpie lors d’une réaction chimique
6.3. Second principe de la thermodynamique, entropie et équilibre
6.4. Troisième principe de la thermodynamique, entropie absolue et entropie de réaction
6.5. Energie libre et équilibre
6.6. Notion de potentiel chimique
7. Thermodynamique des solutions solides
7.1. Les solutions solides idéales
7.2. Les solutions solides non idéales
7.3. Modèle moléculaire, modèle ionique et solutions solides réciproques
8. Estimation des conditions P-T de cristallisation d’une paragenèse: minimisation d’énergie et multi-équilibres
8.1. Géothermomètres et géobaromètres
8.2. Minimisation d’énergie
9. La technique des multi-équilibres
9.1. Introduction
9.2. Critère d’équilibre et incertitudes
Chapitre II : Cartographie élémentaire à la microsonde électronique
1. Principe de fonctionnement d’une microsonde électronique
2. Cartes élémentaires, précision et conditions optimales d’analyses
3. Quantification des images élémentaires
3.1. Création des masques de phases
3.2. Application de l’équation de Castaing adaptée
3.3. Premières applications pétrologiques
4. Application de la technique des multi-équilibres aux images RX
Partie II : Approche macroscopique de la thermodynamique des phyllosilicates
Chapitre I : Stabilité, déshydratation et évolution minéralogique des smectites di- et trioctaédriques en fonction de P, T, et de l’activité d’eau
1. Les minéraux argileux
2. Article #1 : THERMODYNAMIC MODELLING OF CLAY DEHYDRATION,
STABILITY AND COMPOSITIONAL EVOLUTION WITH
TEMPERATURE, PRESSURE AND H2O ACTIVITY
2.1 Abstract
2.1. Introduction
2.2. Considered range of composition and hydration
2.3. Thermodynamic formalism
2.4. Estimation of standard state thermodynamic properties and Margules parameters
2.4.1. Cp(T), V(P,T) functions and entropy
2.4.2 Formation enthalpy
2.4.3 Margules parameters
2.5. Results
2.5.1. 2.5.1. Dehydration and volume variation of smectite with a(H2O)or temperature
2.5.2. Comparison of ambient and high pressure dehydration experiments
2.5.3. Phase relations and compositional evolution of clays as a function of temperature and pressure
2.5.4. Rock volume and water-content variations associated to clay dehydration
2.6. Conclusion
2.7 References
Chapitre II : Un modèle thermodynamique unique pour les phyllosilicates dioctaédriques alumineux prenant en compte l’hydratation des minéraux argileux : implications sur les estimations thermobarométriques.
1. Article #2: DEHYDRATION OF DIOCTAHEDRAL ALUMINOUS
PHYLLOSILICATES: THERMODYNAMIC MODELING AND IMPLICATIONS FOR THERMOBAROMETRIC ESTIMATES
1.1. Introduction
1.2. Toward a modelling of the compositional variation of dioctahedral mica, illite and smectite with temperature
1.3. Thermodynamic modelling of clay hydration, interlayer site repartition and water content
1.4. Thermodynamics of the Musc-Bt-Cel-Prl-Prl(m+1)H2O solid solution
1.4.1. Standard state properties of the hydrated pyrophyllite end- members
1.4.2. Margules parameters on A1 and M1
1.5. Results and discussion
1.5.1. P-T-water content calculations and clay-Qtz-water equilibrium
1.5.2. From low-temperature, low-pressure illite to high-pressure Kdeficient phengite
1.6. Further evidence for the incorporation of water in low temperature, high pressure phengite
1.7. Conclusion
1.8. References
1.9 Appendix
Chapitre III : Applications thermobarométriques du modèle de solution solide des phyllosilicates dioctaédriques alumineux
1. Application thermobarométrique de l’équilibre phengite – quartz – eau pour la mylonite du Nevada
2. Application thermobarométrique de l’équilibre phengite – quartz – eau pour la métapélite de Sambagawa
3. Compatibilité de notre modèle avec les équilibres de haute pression – basse température
4. Comparaison des estimations thermobarométriques avec la cristallinité de l’illite
5. Conclusion
Chapitre IV : Mesure et cartographie in situ de l’eau interfoliaire dans les phengites de basse température
1. Technique d’analyse
2. Résultats
3. Comparaison des résultats et discussion
4. Conclusion
Partie III : Méthodes d’estimation par le calcul des propriétés thermodynamiques
Chapitre I : Estimation des propriétés standard des minéraux
1. Les méthodes de sommation d’oxydes
2. Applications du modèle − z+ HO M2δ aux solutions solides – exemple de muscovite
– paragonite
3. Améliorations possibles du modèle de − z+ HO M2δ
4. Utilisation de GULP, the General Utility Lattice Program
5. Exemples d’application de la méthode du − z+ HO M2δ combinée à des structures optimisées par GULP
6. Conclusions sur l’estimation de l’enthalpie standard de formation par le calcul
Chapitre II: Order, disorder and atomistic modelling of solid solutions
1. The Js method: step 1, calculation of the Js exchange vector
2. The Js method: step 2, Monte Carlo simulation
3. Mg-Fe2+ substitution in carpholites: a case study
4. Estimation of excess enthalpy due to the pyrophyllitic substitution
5. Conclusions on the atomistic modelling along solid solutions joints
conclusion générale
Références bibliographiques
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