CADRE THEORIQUE
Les concepts que nous allons utiliser pour étudier l’action de l’enseignant agissant au travers d’une articulation de différents canaux de communication ainsi que ses effets sur l’activité d’apprentissage de ses élèves, même si cette dimension restera secondaire pour notre étude, sont empruntés à des domaines de recherche différents. Nous tenterons de les présenter dans un premier temps pour tenter de les mettre en synergie dans un second moment. Ce travail apparait nécessaire pour expliquer les phénomènes didactiques à l’œuvre lors du recours, par l’enseignant, à tel ou tel type de communication. Ainsi, notre cadre théorique s’articule autour d’un système de notions empruntées à la didactique des mathématiques (Brousseau, 1998 ; Chevallard, 1992 ; Chevallard 1999) et à l’approchecomparatiste en didactique (Mercier et al. , 2002 ; Sensevy, Mercier, Schubauer-Leoni, 2000 ; Sensevy, 2001; Sensevy, Mercier, Schubauer-Leoni, Ligozat, Perrot, 2005). Ce travail va se compléter par des recours aux fondements théoriques de la didactique contextuelle, fera appel à des notions de linguistique (Culioli, 2002 ; Charaudeau et Maingueneau, 2002 ; Vernant, 1997), de sémiologie et sémantique, et donc imposera une incursion en didactique des langues (Coste, 2002 ; De Pietro Matthey & Py, 1989 ; Morrow, 1992). Enfin laréférence à certaines dimensions des sciences de l’intervention, qui débordera sur la psychologie de l’apprentissage sera également une ressource permanente.
Théorie de l’action conjointe en didactique
Ce sera pour notre étude le champ théorique dominant puisque la définition de l’objet se localise sur l’interaction in situ entre un enseignant qui donne des consignes sous des formes variées et des élèves qui tentent de les décoder, pour construire des réponses motrices sensées le faire progresser. Dans ce cadre, les deux protagonistes vont faire preuve d’activités d’ajustement mutuel. La problématique de l’action conjointe professeur-élèves a émergé au sein des recherches comparatistes en didactique (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2002 ; Sensevy & Mercier, 2007) qui, pointant les limites aux cadres des didactiques des disciplines, se voulait les faire évoluer. Elle s’est donc proposée de rendre compte du fonctionnement de l’interaction enseignant/apprenant en en élaborant une modélisation en trois dimensions. Le modèle tridimensionnel qui en résulte repose sur la notion clé de contrat didactique et en décrit la dynamique évolutive, sous l’action articulée des deux protagonistes (Sensevy et Mercier, 2007). Cette genèse tridimensionnelle est caractérisable à partir de trois descripteurs: la mésogenèse , la topogenèse et la chronogenèse, « catégories articulées qui sont postulées comme génériques ». Ces descripteurs témoignent du fonctionnement du contrat didactique, et autorisent des analyses didactiques dans toutes lesdisciplines scolaires. Les publications en didactique de la géographie (Chiesa-Millar, 2004), en didactique des apsa (Amade-Escot, Verscheure & Devos, 2002 ; Loquet, Garnier & Amade-Escot, 2002 ; Loquet, Roessle & Roncin, 2007), en didactique des arts plastiques etde la musique (Rickenmann, 2001 ; Mili & Rickenmann, 2004 ; Ferreira & Simon, 2007). Les travaux de Ligozat (2008) ont également montré que ce triplet constituait un outil permettant de rendre compte des phénomènes didactiques à différents niveaux : microscopique, mésoscopique et macroscopique. Nous plaçons nos travaux à l’échelle microscopique au regard de ces propositions. Certains travaux récents ciblent également le contexte communicationnel pour réalimenter le regard porté sur les trois catégories de genèse (Leutenegger, 2008). Il s’agit d’envisager les interactions enseignant/élève en terme de positionnement des élèves dans un système plus vaste que constitue le groupe classe et les sous groupes, ainsi que les échanges polylogaux dissymétriques représentés par le professeur, les élèves en position de locuteurs légitimes et autorisés et le reste de la classe. Cette approche va être au cœur de nos préoccupations en Eps puisque les élèves vont être dans des groupes différents et l’enseignant, nous l’avons vu en introduction, va multiplier les registres de locution pour se faire comprendre, tout en multipliant les échanges avec chacun des groupes etde certains élèves dans ces groupes. « La topogenèse définit ce qui a trait à l’évolution des systèmes de places de l’enseignant et des élèves à propos des objets de savoir. Elle spécifie notamment les caractéristiques asymétriques de la relation d’enseignement/apprentissage, la responsabilité des décisions à prendre revenant toujours à l’enseignant. Toutefois, à l’intérieur de ce cadre relationnel, une certaine dynamique concernant la nature des places de l’enseignant et des élèves est pourtant à envisager. Cela signifie que même si l’enseignant(par sa fonction institutionnelle) est celui à qui revient la mise en scène du savoir, tandis que l’élève se trouve (en général et par définition) dans une situation d’attente, les positions que ces acteurs vont occuper à l’intérieur du contexte de la classe sont censées évoluer lors du développement de l’activité d’enseignement/apprentissage. La topogenèse a donc trait au partage des tâches, voire la division du travail, qui s’effectue en classe ». « La chronogenèse rend compte de l’évolution au fil du temps des savoirs, enjeux du système étudié. Elle situe donc les savoirs, de manière successive, sur une ligne temporelle. Dans un contrat didactique, la chronogenèse dépend de l’enseignant à qui revient la gestion du temps didactique (Mercier, 1999), mais elle est également déterminée par les élèves participant à l’avancement de l’enseignement ». « La mésogenèse renvoie au système d’objets auquel l’élève est confronté en vue de modifier ses connaissances. Ces objets, pouvant être de nature différente (matériels, symboliques et langagiers), constituent l’élément médiateur de la relation didactique » : autrement dit, ils représentent un système de moyens, de médias pour apprendre. Cependant ce système d’objet médiateur exploité par l’enseignant se modifie au fil de l’avancée de savoirs, quantitativement en substituant des objets à d’autres, et qualitativement puisque le média vise un apprentissage qui, lorsqu’il est obtenu, induit un nouveau rapport à l’objet médiateur. Ainsi l’activité déployée par l’élève traduit un rapport au système de média initialement mis en place par l’enseignant, que l’enseignant va modifier pour induire un rapport adéquat à ce système. Le rapport aux objets est donc le fruit d’une coconstruction interactive enseignant/élève (Schubauer-Leoni, Leutenegger, Ligozat & Fluckiger, 2007). Ainsi en Eps, lors d’une proposition de situation d’apprentissage, l’intervention de l’enseignant doit permettre aux élèves de progressivement différencier leur rapport au milieu pour profiter des interactions qu’ils vont établir avec celui-ci, afin qu’ils en prélèvent les bonnes informations pour agir en contexte avec efficacité. Au cours de cette dynamique, les descripteurs topogénétiques et chronogénétiques se trouvent précisés du fait que les élèves, par « le jeu » de leur activité, vont tenir des places différentes affectant l’avancée des savoirs. Ces trois dimensions génétiques seront examinées pour caractériser « les types de rapport contrastés » au contrat didactique des différentes catégories d’élèves; nous nous centrerons sur des niveaux techniques parfaitement repérables.
Ces énoncés nous plongent au centre de nos préoccupations. Le descripteur mésogénétique implique un objet de transmission symbolique ou langagier ; l’intervention gestuelle ou verbale de l’enseignant est concernée. Le descripteur chronogénétique rendant compte de l’avancée temporalisée des savoirs nous renvoie aux contenus d’enseignement, à leur distribution dans le temps, à leur conception, à leur hiérarchisation. Le descripteur topogénétique sera sans doute moins concerné, puisque le contexte d’échange et de posture au bord du bassin sont prédéterminés : les uns sont dans l’eau et les autres hors de l’eau. Pour autant on pourrait repérer quels sont les élèves qui sont le plus sollicités et ceux qui le sont le moins par exemple. Cependant, la chronogenèse, bien souvent, ne peut se dérouler que différenciée puisque chaque enfant apprend « selon son propre rythme ». Et si la question des savoirs permet à l’élève d’établir un rapport particulier aux objets du milieu didactique, la mésogénèse ne peut que se différencier également. Le rapport au savoir évoluant de façon différenciée, les statuts des élèves au sein du groupe peut être amené à évoluer et certains élèves dit chronogènes vont se manifester, se qui vamodifier la topogénèse. Ce mécanisme amène les notions de contrat didactique différentiel et de trilogue (Shubauer Leoni, 1997).
Théories des situations didactiques: (Brousseau, 1998)
Nous retiendrons dans cette approche théorique la notion de contrat puisque c’est à partir de cette notion que le cadre antérieur c’est épistémologiquement fondé. La notion de contrat didactique, produite par Brousseau (1998) peut se décrire comme « un système d’attentes, à propos du savoir, entre le professeur et les élèves». Le contrat didactique peut donc être considéré comme « un système d’habitus ou un système de règles du jeu immanent à telle ou telle situation, dont les implications réciproques sont constamment redéfinies dans l’action ». Autrement dit, le contrat didactique est un système de règle implicite induisant des comportements que chacun des interactants suppose attendus de l’autre, mais ce système de règle, parce qu’il est implicite, se trouve devoir être réajusté en permanence en fonction de la situation construite par le professeur et de la spécificité de la connaissance visée. Organiquement liée à la notion de contrat didactique vient la notion de milieu. En effet, l’élève, dans son apprentissage, n’est pas simplement induit par le contrat didactique et ce qu’il suppose en termes d’attente, mais il est également piloté par le milieu construit par l’enseignant avec lequel il va devoir interagir. Nous sommes donc bien plongés, dans le cadre de notre étude, dans ce champ des « situations didactiques » puisque c’est l’interaction qui nous préoccupe, certes plus particulièrement appréhendée sous l’angle de l’enseignant, même si le milieu conditionne cette relation comme nous l’avons déjà évoqué plus antérieurement (cf. partie définition de l’objet d’étude) et qui rejoint les travaux également décrits sur le contexte communicationnel impactant sur le triplet de genèse.
Théorie anthropologique du didactique: (Chevallard, 1999)
Dans la mesure où notre objet est fondé sur un contenu d’enseignement qui nécessite pour l’enseignant l’articulation des deux pôles « logos » et « praxis », qui associe systématiquement théorie et pratique effective la convocation de cette théorie est incontournable ; d’autant qu’elle constitue le second fondement à la TACD. Nous considèrerons au cours de notre recherche que l’enseignement/apprentissage et les échanges qui s’y développent s’organisent plusieurs phases :la rencontre avec la tache ; l’exploration de la tache et émergence de la technique ; la construction du block technologico-théorique ; le travail de la technique ; l’institutionnalisation du savoir et l’évaluation. Ces phases seront explorées pour déterminées si elles ont une incidence sur l’articulation verbal/coverbal/gestuel en même temps que modélisées puisque on les retrouve dans les trois théories didactique (TSD, TAD, TACD). Cependant, pour notre étude, nous retiendrons quatre moments didactique : définition, dévolution, régulation, institutionnalisation (Sensevy, 2002). Cette classification, en plus de limiter de six à quatre le nombre d’analyseurs, permet de simplifier et d’intégrer les propositions de Chevallard : les deux premières phases se correspondent, la régulation intègre la construction du bloc théorico-technologique et la construction de la technique, l’institutionnalisation est présente chez les deux auteurs. Nous ferons donc simplement abstraction de la phase d’évaluation. Elle ne fait pas partie à notre sens de l’apprentissage effectif de l’élève mais rend compte du produit de l’apprentissage. Notre étude voulant se resserrer sur l’activité d’intervention de l’enseignant en vue d’obtenir des transformations de la conduite de l’élève, nous la jugeons moins pertinente.
Didactique contextuelle
Il est question ici d’identifier si les niveaux et les degrés de contextualisation (Anciaux, Forissier et Delcrois, 2013) vont avoir une influence sur l’articulation des différents canaux de communication. On peut facilement imaginer une pédagogie basée sur des effets de contextes sociocognitifs qui articulent de façon originale etsurprenante ces différents encodages. Les effets de contextes dans les épreuves de style perceptifs ont déjà fait l’objet de recherche (Marendaz, 1990) ; ce qui pourrait nous intéresser,c’est de cerner si certaines conditions de l’exercice du métier (travail en atelier, travail en groupe, en sous groupe…) impactent sur la logique distributrice des communications voire sur la logique des interactions (Gal-Petitfaux, 2001).
Théories de l’intervention/l’enseignement: les procédés en relation avec l’apprentissage
Certains auteurs ont fait des tentatives pour mettre en corrélation les différents modèles de l’apprendre et les procédés d’enseignement à envisager en Eps (Famose, 1987 ; Amade Escot, 1989 ; Leher, 2006). Il apparait que l’interventionde l’enseignant se différencie en fonction du type de tâche ou de situation qu’il propose ainsi qu’en fonction de la façon dont il conçoit l’apprentissage de l’élève. Les recours à la démonstration et aux énoncés verbaux trouvent une place de choix dans les théories cognitives dans les taches définies ou semi définies, dans les situations de solutions motrices ou de résolution de problèmes, mais sont absentes des théories non cognitives dans leur ensemble, des taches non définies ainsi que des mises en situations (ludique ou par aménagement du milieu). M Leher (2006) différenciera ainsi l’enseignement/apprentissage par modélisation et par l’action en référence à JF Richard (1997). Par modélisation, il regroupe les théories cognitives et par action les théories écologiques. Dans le procédé par modélisation, on yretrouve les instructions verbales du coté de l’enseignant et la verbalisation du coté de l’élève, mais également la démonstration du coté de l’enseignant ou de l’élève chronogène et l’observation du coté de l’élève qui apprend; l’enseignant dans le cadre des théories du schéma vaégalement manipuler les conditions de pratique et intervenir sur la disponibilité des informations, sans pour autant verbaliser des consignes (Bertsh et Le Scanff 1995). Son intervention sur les contraintes physiques et énergétiques s’exonère, dans les théories écologiques, de tout énoncé verbal ou coverbal (mésogénèse).
Ces modalités d’intervention se retrouvent chez un certain nombre d’auteurs sous diverses appellations : pédagogie des modèles autoadaptatifs, des modèles décisionnels, des modèles gestuels (Sarthou, 2003), pédagogie transmissive, appropriative, incitative (Champagnol, 1974 ; Charney, 1987), transmission-réception, investigation, investigation-structuration (Astolfi et Develay, 1989), pédagogie de la réponse, pédagogie du problème, pédagogie de la situation –problème (Meirieu, 1987), pédagogie de la réponse, pédagogie du problème, pédagogie de la résolution du problème, pédagogie de la problématisation (Fleury, 1996). Ces types de pédagogies traduisent une conception de l’apprendre, du savoir, de l’activité cognitive déployée par l’élève, des modalités d’intervention de l’enseignant (Fleury, 1996) et, au travers d’elles, des modalités d’articulation entre le gestuel, le verbal et le coverbal.
On voit donc clairement que la façon de concevoir son intervention en relation avec ce que l’on sait sur l’apprentissage conduit l’enseignant à organiser une articulation des modalités communicatives de façon anticipée et circonstanciée, allant de l’exclusion de la parole à l’exclusion de la gestuelle selon le cas, mais également à combiner les deux, voire les trois modalités, dans certaines circonstances. On voit aussi que ces constructions sont révélatrices de la conception des contenus d’enseignement. Les entretiens ante et post seront là pour débusquer ces représentations de l’apprendre de l’enseigner et des savoirs pour identifier le poids effectifs de ceux-ci dans la sélection plus ou moins organisée des modalités de communication de l’enseignant pour faire progresserles élèves.
Il convient d’insister également sur le fait que l’apprentissage et l’enseignement ont un décours temporel conjoint, et que dans la « direction de l’étude » d’un élève ou d’un groupe d’élève ou d’une classe, il sera nécessaire de bien identifier le moment initial de la transmission des contenus du moment de leur régulation (feed back) pour déterminer leur impact qualitatif (préférentiel) et quantitatif (proportion) sur le geste professionnel.
Théorie de la sémantique, sémiologie et sémiotique
La sémantique est une branche de la linguistique qui étudie les signifiés, soit, ce dont parle un énoncé. Dérivé du grec « semantikos » lui-même fondé à partir de « semaino » (signifier, indiquer) et de « sema » (signe, marque) (Chomsky 1975 ; Tamba 2005). Dans notre étude de l’articulation des différents canaux communication et de leur logique de mise en place, l’énoncé a toute sa place plus particulièrement dansla communication verbale et coverbale.
La sémiotique étudie les processus de signification, c’est-à-dire la production, la codification, et la communication des signes. Elle concerne tous les types de signes ou de symboles et non seulement les mots (Alin et Wallian 2010). Notre étude touchant la communication non verbale, les gestes kinétographiques et spatiographiques (à codage faible) ainsi que les gestes emblématiques (à codage fort) le recours à la sémiotique va nous être nécessaire. La sémiologie désigne un système de signes correspondant à l’inscription dans une langue, d’une pratique sociale concrète (Coursil, 2010). « On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par conséquent de la psychologie générale; nous la nommerons sémiologie. Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. Puisqu’elle n’existe pas encore, on ne peut dire ce qu’elle sera; mais elle a droit à l’existence, sa place est déterminée d’avance. La linguistique n’est qu’une partie de cette science générale… » (De Saussure, 1972). En tant que science en lien avec la psychologie et la psychologie sociale, la sémiologie va nous intéresser pour l’analyse des gestes de l’intervention professionnelle en Eps, discipline prenant pour objet d’enseignement des pratiques sociales.
Théorie de la communication
La notion de communication est souvent référée à un modèle, celui de l’ingénieur en télécommunications (Shannon, 1948), dans lequel lesphénomènes sont schématisés en termes d’émetteur, récepteur, message, canal et code. On retrouve un schéma comparable en linguistique dans les écrits de Roman Jakobson (1963) avec les termes de destinateur, destinataire, message, contact et code. Ce type d’approche va être partiellement remis en question par des chercheurs connus sous le nom générique d’« école de Palo Alto » (Winkin, 2000) qui en pointeront le réductionnisme « télégraphique ». Ces chercheurs (entre autres, Bateson & Ruesh, 1951 ; Watzlawick, 1967) engageront une démarche plus systémique et processuelle pour l’étude de ces phénomènes. On peut identifier un mouvement comparable, tendant à inclure les aspects sociaux et les attentes des protagonistes, chez des sociologues comme E. Goffmann (1973) et, également au sein de la linguistique, par exemple à travers la théorie des actes de langage pour laquelle « dire », c’est aussi « faire » (Austin, 1970). Cette nouvelle vision de la communication, qui ne la résume pas à la transmission d’un message, peut être qualifiée d’« orchestrale » (Winkin, ibid).
Théorie de l’action conjointe en didactique
Ce sera pour notre étude le champ théorique dominant puisque la définition de l’objet se localise sur l’interaction in situ entre un enseignant qui donne des consignes sous des formes variées et des élèves qui tentent de les décoder, pour construire des réponses motrices sensées le faire progresser. Dans ce cadre, les deux protagonistes vont faire preuve d’activités d’ajustement mutuel. La problématique de l’action conjointe professeur-élèves a émergé au sein des recherches comparatistes en didactique (Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2002 ; Sensevy & Mercier, 2007) qui, pointant les limites aux cadres des didactiques des disciplines, se voulait les faire évoluer. Elle s’est donc proposée de rendre compte du fonctionnement de l’interaction enseignant/apprenant en en élaborant une modélisation en trois dimensions. Le modèle tridimensionnel qui en résulte repose sur la notion clé de contrat didactique et en décrit la dynamique évolutive, sous l’action articulée des deux protagonistes (Sensevy et Mercier, 2007). Cette genèse tridimensionnelle est caractérisable à partir de trois descripteurs: la mésogenèse , la topogenèse et la chronogenèse, « catégories articulées qui sont postulées comme génériques ». Ces descripteurs témoignent du fonctionnement du contrat didactique, et autorisent des analyses didactiques dans toutes lesdisciplines scolaires. Les publications en didactique de la géographie (Chiesa-Millar, 2004), en didactique des apsa (Amade-Escot, Verscheure & Devos, 2002 ; Loquet, Garnier & Amade-Escot, 2002 ; Loquet, Roessle & Roncin, 2007), en didactique des arts plastiques etde la musique (Rickenmann, 2001 ; Mili & Rickenmann, 2004 ; Ferreira & Simon, 2007). Les travaux de Ligozat (2008) ont également montré que ce triplet constituait un outil permettant de rendre compte des phénomènes didactiques à différents niveaux : microscopique, mésoscopique et macroscopique. Nous plaçons nos travaux à l’échelle microscopique au regard de ces propositions. Certains travaux récents ciblent également le contexte communicationnel pour réalimenter le regard porté sur les trois catégories de genèse (Leutenegger, 2008). Il s’agit d’envisager les interactions enseignant/élève en terme de positionnement des élèves dans un système plus vaste que constitue le groupe classe et les sous groupes, ainsi que les échanges polylogaux dissymétriques représentés par le professeur, les élèves en position de locuteurs légitimes et autorisés et le reste de la classe. Cette approche va être au cœur de nos préoccupations en Eps puisque les élèves vont être dans des groupes différents et l’enseignant, nous l’avons vu en introduction, va multiplier les registres de locution pour se faire comprendre, tout en multipliant les échanges avec chacun des groupes etde certains élèves dans ces groupes. « La topogenèse définit ce qui a trait à l’évolution des systèmes de places de l’enseignant et des élèves à propos des objets de savoir. Elle spécifie notamment les caractéristiques asymétriques de la relation d’enseignement/apprentissage, la responsabilité des décisions à prendre revenant toujours à l’enseignant. Toutefois, à l’intérieur de ce cadre relationnel, une certaine dynamique concernant la nature des places de l’enseignant et des élèves est pourtant à envisager. Cela signifie que même si l’enseignant(par sa fonction institutionnelle) est celui à qui revient la mise en scène du savoir, tandis que l’élève se trouve (en général et par définition) dans une situation d’attente, les positions que ces acteurs vont occuper à l’intérieur du contexte de la classe sont censées évoluer lors du développement de l’activité d’enseignement/apprentissage. La topogenèse a donc trait au partage des tâches, voire la division du travail, qui s’effectue en classe ». « La chronogenèse rend compte de l’évolution au fil du temps des savoirs, enjeux du système étudié. Elle situe donc les savoirs, de manière successive, sur une ligne temporelle. Dans un contrat didactique, la chronogenèse dépend de l’enseignant à qui revient la gestion du temps didactique (Mercier, 1999), mais elle est également déterminée par les élèves participant à l’avancement de l’enseignement ». « La mésogenèse renvoie au système d’objets auquel l’élève est confronté en vue de modifier ses connaissances. Ces objets, pouvant être de nature différente (matériels, symboliques et langagiers), constituent l’élément médiateur de la relation didactique » : autrement dit, ils représentent un système de moyens, de médias pour apprendre. Cependant ce système d’objet médiateur exploité par l’enseignant se modifie au fil de l’avancée de savoirs, quantitativement en substituant des objets à d’autres, et qualitativement puisque le média vise un apprentissage qui, lorsqu’il est obtenu, induit un nouveau rapport à l’objet médiateur. Ainsi l’activité déployée par l’élève traduit un rapport au système de média initialement mis en place par l’enseignant, que l’enseignant va modifier pour induire un rapport adéquat à ce système. Le rapport aux objets est donc le fruit d’une coconstruction interactive enseignant/élève (Schubauer-Leoni, Leutenegger, Ligozat & Fluckiger, 2007). Ainsi en Eps, lors d’une proposition de situation d’apprentissage, l’intervention de l’enseignant doit permettre aux élèves de progressivement différencier leur rapport au milieu pour profiter des interactions qu’ils vont établir avec celui-ci, afin qu’ils en prélèvent les bonnes informations pour agir en contexte avec efficacité. Au cours de cette dynamique, les descripteurs topogénétiques et chronogénétiques se trouvent précisés du fait que les élèves, par « le jeu » de leur activité,vont tenir des places différentes affectant l’avancée des savoirs. Ces trois dimensions génétiques seront examinées pour caractériser « les types de rapport contrastés » au contrat didactique des différentes catégories d’élèves; nous nous centrerons sur des niveaux techniques parfaitement repérables.
Ces énoncés nous plongent au centre de nos préoccupations. Le descripteur mésogénétique implique un objet de transmission symbolique ou langagier ; l’intervention gestuelle ou verbale de l’enseignant est concernée. Le descripteur chronogénétique rendant compte de l’avancée temporalisée des savoirs nous renvoie aux contenus d’enseignement, à leur distribution dans le temps, à leur conception, à leur hiérarchisation. Le descripteur topogénétique sera sans doute moins concerné, puisque le contexte d’échange et de posture au bord du bassin sont prédéterminés : les uns sont dans l’eau et les autres hors de l’eau. Pour autant on pourrait repérer quels sont les élèves qui sont le plus sollicités et ceux qui le sont le moins par exemple. Cependant, la chronogenèse, bien souvent, ne peut se dérouler que différenciée puisque chaque enfant apprend « selon son propre rythme ». Et si la question des savoirs permet à l’élève d’établir un rapport particulier aux objets du milieu didactique, la mésogénèse ne peut que se différencier également. Le rapport au savoir évoluant de façon différenciée, les statuts des élèves au sein du groupe peut être amené à évoluer et certains élèves dit chronogènes vont se manifester, se qui vamodifier la topogénèse. Ce mécanisme amène les notions de contrat didactique différentiel et de trilogue (Shubauer Leoni, 1997).
Théories des situations didactiques: (Brousseau, 1998)
Nous retiendrons dans cette approche théorique la notion de contrat puisque c’est à partir de cette notion que le cadre antérieur c’est épistémologiquement fondé. La notion de contrat didactique, produite par Brousseau (1998) peut se décrire comme « un système d’attentes, à propos du savoir, entre le professeur et les élèves». Le contrat didactique peut donc être considéré comme « un système d’habitus ou un système de règles du jeu immanent à telle ou telle situation, dont les implications réciproques sont constamment redéfinies dans l’action ». Autrement dit, le contrat didactique est un système de règle implicite induisant des comportements que chacun des interactants suppose attendus de l’autre, mais ce système de règle, parce qu’il est implicite, se trouve devoir être réajusté en permanence en fonction de la situation construite par le professeur et de la spécificité de la connaissance visée. Organiquement liée à la notion de contrat didactique vient la notion de milieu. En effet, l’élève, dans son apprentissage, n’est pas simplement induit par le contrat didactique et ce qu’il suppose en termes d’attente, mais il est également piloté par le milieu construit par l’enseignant avec lequel il va devoir interagir. Nous sommes donc bien plongés, dans le cadre de notre étude, dans ce champ des « situations didactiques » puisque c’est l’interaction qui nous préoccupe, certes plus particulièrement appréhendée sous l’angle de l’enseignant, même si le milieu conditionne cette relation comme nous l’avons déjà évoqué plus antérieurement (cf. partie définition de l’objet d’étude) et qui rejoint les travaux également décrits sur le contexte communicationnel impactant sur le triplet de genèse.
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Table des matières
I-INTRODUCTION
II- DEFINITION ET OBJET D’ETUDE
III- CADRE THEORIQUE
IV- PROBLEMATIQUE-HYPOTHESES
V- METHODOLOGIE
VI- PRESENTATION ET DISCUSSION DES RESULTATS
VI.1- Entretiens ante
VI.2- Entretien d’autoconfrontation et autoconfrontation croisée
VI.3- Entretien des élèves
VI.4- Séquences vidéo
VI.4.1- Résultat d’étape 1
VI.4.2- Résultat d’étape 2
VI.4.3- Résultat d’étape 3
VI.4.4- Résultat d’étape 4
VII- CONCLUSION ET PERSPECTIVES
VIII-BIBLIOGRAPHIE
IX-ANNEXES
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