Théories de l’argumentation : de l’antiquité à nos jours
Depuis le début du XXème siècle, l’intérêt pour la rhétorique n’a fait qu’augmenter. Cela est dû au développement des moyens de communication, du marketing et du besoin de persuader qui domine plusieurs secteurs de notre société. Que ce soit dans la presse, dans les discours politiques ou religieux, jamais le discours persuasif n’a été aussi exploité. Cette conscientisation nous ramène à l’Antiquité pour comprendre les concepts qui entourent la rhétorique et son rapport avec l’analyse du discours.
L’homme, a l’exclusivité de posséder l’aptitude à la parole et la rendre efficace, en plusieurs situations : que ce soit devant un grand auditoire ou un petit, défini ou pas, composite ou homogène, le discours a toujours le même but, celui d’avoir un impact sur ses auditeurs. Amossy (2006) a posé ces questions : comment la parole se dote-t-elle du pouvoir d’influencer son auditoire ? Par quels moyens verbaux, par quelles stratégies programmées ou spontanées s’assure-t-elle de sa force ? Ces questions sont au cœur de la rhétorique et on essayera d’y trouver les réponses dans les chapitres qui suivront.
Au fil des années, cette discipline a reçu une connotation péjorative puisque dans la Grèce antique, il y avait des hommes éloquents qui se souciaient de bien parler, ils ne s’attachaient pas cependant à la vérité pour persuader le public, mais seulement à tout ce qu’ils pouvaient faire avec leur discours pour le rendre plus convaincant. En général, évoquer la rhétorique, c’était l’associer à une utilisation exagérée des figures du langage et à la fausseté de la manipulation, ce qui menait le locuteur à penser à une argumentation peu naturelle. Toutefois, la rhétorique de nos jours a repris son sens premier, le même que chez Aristote : « la faculté de considérer, pour chaque question, ce qui peut être propre à persuader », c’est-à-dire que chaque sujet a ses points faibles et forts et la rhétorique serait cette capacité d’identifier ces points, dans le but de persuader. Dans La Rhétorique, Aristote souligne l’importance du logos, de l’ethos et du pathos, en montrant qu’ils sont les preuves inhérentes au discours. Il centre ses analyses sur l’ethos et le pathos qui sont respectivement axés sur le locuteur et l’auditeur. L’importance du caractère de l’auditeur (l’ethos) et de la disposition de l’auditoire (pathos) est primordiale chez Aristote : il insiste sur la primauté de l’ethos et consacre un livre entier au pathos.
La rhétorique contemporaine a une grande notoriété grâce aux travaux du philosophe Chaim Perelman qui a écrit en collaboration avec Olbrechts le Traité de l’argumentation, œuvre qui met en évidence une rhétorique centrée sur l’auditeur : «C’est, pensons-nous, en se basant sur la considération des auditoires sous leur aspect concret, particulier, multiforme, que notre étude sera féconde » (PERELMAN & OLBRECHTS 1976 : 34). Ils définissent l’argumentation comme « les techniques discursives permettant de provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment ». Perelman et Olbrechts réorientent la rhétorique sur un champ interactionnel où le locuteur doit s’adapter à ceux auxquels il s’adresse en tenant compte de ses croyances, valeurs, opinions et convictions, donc, des éléments qui font partie de leur bagage culturel.
Ces auteurs ne font pas la distinction entre rhétorique et argumentation. Pour lui, les deux mots évoquent la même chose : que l’auditeur adhère à la thèse présentée. Pourtant, cette indistinction ne fait pas l’unanimité : « le terme rhétorique est souvent réservé à un art de la séduction aux vertus manipulatrices, alors que l’argumentation désigne les tentatives raisonnées de convaincre l’auditoire par des arguments valides » (AMOSSY 2006 : 2)
Amossy (2006) a remarqué que les buts de Perelman et Olbrechts et leur méthode n’étaient pas tout à fait linguistiques, mais plutôt philosophiques. En effet leur nouvelle rhétorique ne prend pas en compte les processus langagiers, et échappe donc au domaine de la linguistique. Elle est néanmoins une source pour l’analyse du discours, dans la mesure où elle met en valeur « l’importance de l’auditoire, le caractère fondateur des prémisses et des points d’accord dans l’interaction argumentative, et les lieux communs qui balisent l’argumentation » (Amossy 2006 : 16). Dans ce chapitre concernant la rhétorique d’Aristote à Perelman et Olbrechts, je m’attacherai à éclaircir les chemins de l’argumentation, chemins que la subjectivité du langage rend parfois difficiles à la compréhension.
La rhétorique d’Aristote
« C’est à lui [Aristote] que nous devons les meilleures règles de la poétique et de la rhétorique ».
Voltaire, Dialogues et entretiens philosophiques
La rhétorique est une création de l’Antiquité occidentale, en tant que première école de l’argumentation qui a pour but l’art de persuader à travers le discours. Cet art vise à mettre à la disposition du locuteur les moyens d’organiser un discours capable de persuader ses auditeurs. Les concepts fondamentaux de cet art se trouvent dans la rhétorique d’Aristote. Aristote, né en 384 avant JC. et mort en 322 avant JC., élève de Platon, fondateur de sa propre école, tuteur d’Alexandre le Grand, a été le premier à mettre en évidence la recherche systématique des disciplines de l’art et de la science. À l’âge de dix-huit ans, il a été repéré comme l’un des meilleurs élèves et une mission très importante lui a été confiée : le jeune Aristote a été choisi par Platon pour donner des cours de rhétorique, science qui analyse l’art de persuader.
Il commence sa carrière en analysant la rhétorique, exactement comme Socrate l’avait fait. Ce dernier s’était rendu compte que les orateurs et les politiciens arrivaient à persuader les personnes même quand il s’agissait de choses qui n’avaient aucun sens. Socrate s’est limité à montrer que ces idées n’avaient aucun sens en dépit d’être fortement persuasives. Aristote, dès sa jeunesse, va aller plus loin. Il commencera à chercher les causes de cette persuasion et, à partir de là, à créer la science de la rhétorique comme une vraie psychologie de la communication.
Si on cherche des œuvres importantes à propos de la technique oratoire, on en trouvera deux sous le nom d’Aristote : Rhétorique à Alexandre et Art rhétorique. La première reflète la doctrine aristotélicienne et la deuxième permet d’étudier les raisons pour lesquelles Aristote s’oppose aux techniciens qui l’ont précédé, y compris son propre maître Platon. Concernant l’Art rhétorique, il y a des doutes quant à son authenticité. Cet ouvrage a été composé en trois livres et les savants sont unanimes pour reconnaître que les deux premiers livres sont véritablement l’œuvre d’Aristote. Toutefois, certains considèrent le troisième comme un condensé de deux traités antérieurs. Les deux premiers livres donnent un relief à la théorie de l’argumentation, tandis que le troisième étudie les différentes façons d’expression et la place qu’elles occupent dans le discours, c’est-à-dire l’étude de la forme. De cette façon, la techné d’Aristote est complète. On peut comprendre la techné par la faculté de créer ; la techné guide et soutient sa méthode, notre faculté créatrice. Il faut tenir compte du fait que l’Art rhétorique ne s’oppose pas seulement aux manuels empiriques et imparfaits de ses prédécesseurs. Le maître Aristote expose une conception personnelle de la techné, plus indépendante, plus étendue et plus efficace que celle de Platon.
D’après Aristote, la rhétorique, comme la dialectique , peut persuader l’auditoire qui possède une opinion contraire. Il estime essentiel de discerner la manière de contredire tout argument, afin d’anticiper ce qui pourra être réfuté pour combattre avec plus d’efficacité : De plus, il faut être apte à persuader le contraire de sa thèse (…) non certes pour faire indifféremment les deux choses (car il ne faut rien persuader d’immoral ), mais afin de n’ignorer point comment se posent les questions, et, si un autre argumente contre la justice, d’être à même de le réfuter. (Rhétorique, livre I, I, 1355a) .
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Table des matières
I – INTRODUCTION
1. Justification de la recherche
2. Positionnement théorique
3. Hypothèses
II – CADRE THÉORIQUE
1. Théories de l’argumentation : de l’antiquité à nos jours
1.1 La rhétorique d’Aristote
1.2 La « nouvelle rhétorique »
2. Le discours
2.1 L’hétérogénéité de l’analyse du discours
2.2 Les courants de l’analyse du discours
2.3 L’argumentation
2.4 La sémiolinguistique
2.5 L’hypothèse d’une sémantique linguistique
3. L’énonciation
3.1 Disparités et ressemblances entre : discours/énonciation et énoncé/phrase
3.2 Benveniste et les problèmes (ou solutions) de linguistique générale
3.3 La subjectivité dans l’énonciation
4. La pragmatique
4.1 Généralités
4.2 Les actes de langage
4.3 Actes de langage et cognition
4.4 La deixis
5. La linguistique cognitive
5.1 Aperçu théorique
5.2 La théorie des espaces mentaux
5.3 Les fonctions pragmatiques
5.4 Les espaces mentaux
5.5 Les modèles cognitifs idéalisés
5.6 L’intégration conceptuelle – Le « blending »
5.7 La métaphore : un phénomène important pour la linguistique cognitive
5.8 La théorie des actes de langage sous l’aspect cognitif
III – CADRE MÉTHODOLOGIQUE
1. Préambule : le protestantisme
2. Le recueil de données
2.1 Un corpus religieux
2.2 Le choix d’un corpus informatisé
3. Les transcriptions
3.1 Le logiciel utilisé pour les transcriptions
3.2 Les difficultés rencontrées lors de la transcription
4. Ce qui n’a pas été pris en compte dans l’analyse du corpus
5. Les éléments analysés dans le corpus
6. Le traitement du discours religieux par d’autres chercheurs
6.1 La manipulation dans le discours religieux
6.2 L’influence de l’argumentation et de la prosodie dans le discours religieux
6.3 La construction de l’ethos et du pathos dans le discours religieux
IV – L’ANALYSE
1. Le discours religieux : un discours riche
1.1 Le choix lexical
1.2 Les métaphores dans le discours religieux
2. Les caractéristiques du discours religieux
2.1 L’intertextualité
2.2 Le discours religieux, un discours autoritaire
2.3 Les marqueurs discursifs
3. Quelques techniques mises en œuvre
3.1 L’acte perlocutoire, l’acte de la persuasion
3.2 L’empathie dans le discours, un rapprochement cognitif
3.3 La valorisation de l’auditeur
4. L’acte de langage et ses quatre acteurs : de la rhétorique à la sémiolinguistique
5. L’interaction dans le discours
5.1 L’énallage des déictiques de personne
5.2 Dialogue, polysémie et intégration conceptuelle
5.3 L’énallage de temps
V – CONCLUSION
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