Théorie variationniste de Françoise Gadet (2007)

Théorie variationniste de Françoise Gadet (2007) 

Dans La variation sociale en français, F. Gadet (2007 : 13) explique que la variation est inhérente à toute langue : quelle que soit la langue donnée, les locuteurs l’utilisent sous des formes diversifiées ; W. Labov (1972), considère même qu’une langue sans variation intrinsèque serait dysfonctionnelle . L-J Calvet (1993), explique également que toute langue entraîne obligatoirement des diversifications de la part de ses locuteurs. Selon F. Gadet, on peut répertorier cinq types de variations ; elles sont classées dans le tableau suivant, repris de l’ouvrage (Gadet, 2007 : 23), qui résume les relations entre les variations.

F. Gadet définit les cinq types de variations, en explicitant les spécificités de chacune. Je ne m’intéresserai qu’aux variations diaphasique (liées à la situation et aux types de discours produits) et diamésique. Pour ce qui est de la variation diatopique (ou géographique), des limites techniques évidentes m’ont dissuadé de l’analyser (les élèves qui ont produit les phrases interrogatives et qui ont répondu aux questionnaires sont trop proches géographiquement); il en est de même pour la variation diastratique (ou sociale), car les échantillons d’élèves des écoles où j’ai effectué mes stages ne relèvent pas de catégories sociales très hétérogènes (en tout cas, n’avais-je pas les moyens d’aborder objectivement cet aspect des choses) ; enfin, la variation dans le temps est évidemment non pertinente.

La variation diaphasique, ou stylistique, à laquelle je m’intéresserai, est définie par F. Gadet (2007 : 172) comme la « capacité des locuteurs à moduler leur façon de parler en fonction de différents interlocuteurs et activités ». Le locuteur, en dehors de toute considération sociale, dispose d’un répertoire morphosyntaxique diversifié, répertoire qui lui permet d’utiliser telle ou telle variation, ou variante, selon son interlocuteur, le contexte, et l’objet de l’échange : on ne s’exprime pas de la même manière (que ce soit à l’écrit ou à l’oral) selon que l’on s’adresse à un familier, à un ami, ou encore à son professeur. La diaphasie prend donc en compte, non pas ce qu’est le locuteur, mais ce qu’il fait. Selon F. Gadet, tous les locuteurs, y compris les enfants, disposent de ces répertoires diversifiés, en fonction de la situation de communication et de la sphère d’activité : « La variation se manifeste très vite dans l’acquisition, les enfants devenant sensibles aux différences des façons de parler de leur entourage du fait que ce qu’ils entendent comporte de la variation » (2007 : 25). Ceci impliquerait donc que l’élève, suivant le lieu où il se trouve (en milieu scolaire, périscolaire, ou extrascolaire), n’emploie pas le même répertoire linguistique, puisque la situation de communication est sensiblement différente (les attentes institutionnelles ne sont pas les mêmes que les attentes familiales ou personnelles). Par ailleurs, F. Gadet explique que locuteur est perpétuellement pris en tension entre deux ‘pôles’ opposés (2007 : 26) : d’une part, la volonté de se plier aux règles d’unité et de prestige en communiquant ‘correctement’, et d’autre part, la tendance à utiliser des formes diversifiées (le langage entre pairs, l’oral…) : tout dépend de la situation. Ainsi, d’un point de vue morphosyntaxique, l’on dira par exemple à son supérieur hiérarchique « Demain, je ne viendrai pas au travail », alors que l’on s’adressera à un proche de cette manière : « J’vais pas au travail demain » .

En ce qui concerne la variation diamésique, F. Gadet (2007 : 17) donne cette explication : « Les usagers ne parlent pas comme ils écrivent, et inversement ». La diamésie renvoie donc aux variations relatives aux différences de canal, par exemple canal oral (lorsque l’on parle), et canal écrit (lorsque l’on écrit). On peut dégager de la définition de diamésie deux remarques : la première, c’est que la diaphasie (voir définition ci-dessus) et la diamésie ne sont pas deux variations ‘étanches’ l’une à l’autre. En effet, la variation diaphasique est une variation qui se perçoit souvent à l’oral (car la diversité des situations de communication et des interlocuteurs se présente plus à l’oral), et que l’on peut donc corréler à la variation diamésique. D’ailleurs, F. Gadet explique que « La diversité de canal, oral ou écrit, peut aussi être rapportée au diaphasique » (2007 : 17). La seconde remarque, c’est que tout locuteur, selon le canal (écrit ou oral), ne va pas s’exprimer de la même manière (certaines formes se trouvent plus à l’écrit, comme « Il m’eut déplu que vous m’imputassiez cette erreur ») ; d’autres formes, en revanche, se trouvent plus facilement à l’oral, comme « alors, le cinéma, on y va ? », des détachements (« En vacances, les livres, j’en lis trois par semaine »), ou encore des structures binaires (« La cantine, y a pas à se plaindre » ). Mais il y a un autre sens à la citation « Les usagers ne parlent pas comme ils écrivent, et inversement », c’est que la situation (distance à l’autre, lieu, moment, etc), est différente.

Enfin, F. Gadet explique que toutes ces variations sont forcément la conséquence de la mise en place d’une norme, car s’il y a variation, c’est forcément par rapport à une norme (plus encore dans le cadre scolaire, nous le verrons ultérieurement) : « La standardisation ayant pris la forme d’une réduction de la variation, elle fonctionne sur des exclusions tendant à n’admettre qu’un seul usage comme correct » (2007 : 114).

La notion de « norme » et de « standard » selon Françoise Gadet (2007) 

Voyons d’une part la définition de ‘norme’, et d’autre part celle de ‘standard’, données par F. Gadet. En ce qui concerne la norme, F. Gadet distingue, deux sens (2007 : 28) : la norme objective et observable, qui renvoie à l’idée de fréquence d’usage et de tendance (l’adjectif lié à ‘norme’ est ‘normal’), et la norme subjective, qui renvoie à l’idée de jugements de valeur et de conformité (l’adjectif lié à ‘norme’ est alors ‘normé’ ou ‘normatif’). La norme subjective impose aux locuteurs une contrainte collective à laquelle ils adhèrent fortement, qui donne lieu à des jugements de valeurs constitutifs de leur attitude courante, quelle que soit leur propre façon de parler. J. Billiez, et D. De Robillard, défendent ce point de vue, où le système de norme régit et hiérarchise les différentes manières de parler. La notion de norme interroge celle de standard. En ce qui concerne le français standard, F. Gadet le considère comme étant une idéologie, plus qu’un usage effectif du français. Le français standard se caractérise par une uniformité et une unicité dans les formes, qu’elles soient syntaxiques ou morphologiques (2007 : 114). L’auteur précise en outre que le français en lui-même est une langue très ‘idéologiquement’ marquée par la norme et l’uniformité, dont l’écrit est la forme la plus achevée : « La standardisation soumet les locuteurs à une idéologie du standard qui valorise l’uniformité comme état idéal pour une langue, dont l’écrit serait la forme parachevée » (2007 : 27). Mais si les locuteurs français sont « soumis à l’idéologie du standard », ils n’y recourent pas forcément en toute situation de communication. Toute forme qui s’écarte de ce ‘standard uniformisé’ est perçue comme une variation, et donc une forme hors-norme considérée comme incorrecte : « La standardisation ayant pris la forme d’une réduction de la variation, elle fonctionne sur des exclusions tendant à n’admettre qu’un seul usage comme correct […] En grammaire, peu de divergences est acceptée, et si une forme n’est pas standard, elle est regardée comme une faute (encore plus en morphologie qu’en syntaxe) » (2007 : 114). En bref, toute divergence, sur les plans morphologique et syntaxique, serait vue comme une faute (le terme de ‘faute’ sera défini dans notre troisième partie). Voyons à présent comment est traitée la question de la variation dans le cadre scolaire, à l’aide d’ouvrages pédagogico-didactiques.

Etat des lieux sur la prise en compte de la variation linguistique à l’école 

Le français en milieu scolaire suit une tradition monolingue, rejetant toute variété 

Dans l’ouvrage Quel français à l’école ? Les programmes de français face à la diversité linguistique, M-M. Bertucci (2004 : 5) explique que le français tel qu’il est enseigné est un français monolingue, monovariétal, qui rejette toute variation. L’enseignement du français dans les écoles françaises suit une tradition monolingue, qui perdure depuis l’époque de Jules Ferry. Ce ‘monolinguisme’ est la base idéologique de l’école, c’est-à-dire que la ‘politique’ linguistique de l’enseignement est une politique d’uniformité, qui écarte et stigmatise toutes les variations dans le cadre scolaire.

Dans son article Quelle langue parler à l’école ? Propos sur la norme du français, E. Genouvrier tient le même discours à propos du ‘monolinguisme’ véhiculé par l’enseignement (1972 : 35) : « Une école ouverte à la langue française, opaque aux usages autres que celui qu’elle s’est donné ou imposé ». L’école tend à uniformiser l’usage du français, alors que les élèves possèdent et utilisent tous des variations et variantes spécifiques à chacun. Cette uniformisation de la langue passe par une activité normative très surveillée, l’école étant le lieu par excellence de la norme linguistique. De ce fait, dans le cadre scolaire, conclut l’auteur : « Langue normalisée et langue de classe se rejoignent ainsi : l’organe de normalisation se confond avec l’organe du pouvoir, dont la langue demeure l’un des principaux instruments » (1972 : 44).

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Table des matières

Introduction
1) Cadre de recherche
I) Cadre théorique : théories sociolinguistiques et approches pédagogicodidactiques
a. Théorie variationniste de Françoise Gadet (2007)
b. La notion de ‘norme’ et de ‘standard’ selon Françoise Gadet (2007)
c. Etat des lieux sur la prise en compte de la variation linguistique à l’école
i. Le français à l’école : tradition monolingue, rejet des variétés
ii. L’école dans l’erreur : un français trop ‘abstrait’ : de la nécessité de contextualiser les usages
iii. L’adaptabilité linguistique de l’élève : une prescription de l’école
iv. Le paradoxe du français ‘scolaire’ et le concept de double bind
II) Cadre institutionnel : ‘norme scolaire’ dans les textes officiels
a. Le Bulletin Officiel et les progressions de 2012
b. Le socle commun
c. Documents d’accompagnement des programmes
III) Cadre conceptuel : terminologie liée aux notions de ‘norme’ et de ‘variation’
a. La variation diaphasique
b. La variation diamésique
c. La norme scolaire et les écarts en morphosyntaxe
2) Cadre pratique
IV) Analyse de la variation diamésique : recueils de productions écrites
a. Méthodologie générale
b. Analyse des corpus
i. Situation d’interview
ii. Situation de dialogue
iii. Situation d’exposé
iv. Enregistrement oral
c. Commentaires et conclusions partielles
V) Analyse de la variation diaphasique
a. Méthodologie générale
b. Analyse des corpus
c. Commentaires et conclusions partielles
3) Application didactique
a. Contexte, progression, et finalités de notre séquence
b. Corpus écrits et oraux
i. Les prises de notes de la première séance
ii. Transcription des interactions des élèves lors de la première séance
iii. L’article de presse
iv. Transcription des interactions des élèves lors de la deuxième séance
c. Analyse des données
d. Commentaires
Conclusions générales
a. Synthèse globale
b. Limites
c. Intérêts de la recherche en terme de formation
Bibliographie
Table des annexes
Annexes

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