THEORIE SPINOZISTE SUR LA RELIGION-JUDEOCHRETIENNE

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La méthode d’Abn EZRA31

Après avoir critiqué ces deux exégètes (Maïmonide et Alpakhar), avec qui alors allons-nous comparer Spinoza ? En faisant le parcours du Traité Théologico-politique, nous avons rencontré aux chapitre VII et VIII le nom d’Abraham Abn Ezra, commentateur célèbre de l’Ecriture, dont Spinoza loue à maintes occasions la liberté d’esprit : « Abn EZRA, homme d’esprit assez libre, et d’une érudition non médiocre, le premier qui a une connaissance ; ait perçu ces préjugé »s32
Par le biais de cette louange, nous serions tentés de rapprocher la méthode de l’interprétation de l’Ecriture de Spinoza de celle d’Abn EZRA. Mais après avoir expliqué la pensée de son maître spirituel, Spinoza continue : Il s’en faut de beaucoup toutefois qu’il ait noté les plus importants ; Il y a beaucoup d’autres observations et de plus graves à faire sur ces livres33
Cela nous signifie que, malgré tout, Spinoza n’était pas entièrement d’accord avec son prédécesseur. Pourquoi ? Nous tâcherions ici de comprendre ce qu’a fait Abn EZRA.
D’abord, Abn EZRA critique les exégètes qui se livrent à des controverses sur des problèmes métaphoriques, physiques ou même médicaux. Sur ce, EZRA précise que : « La voie où ces exégètes s’engagent ne conduit nulle part, ceux qui veulent apprendre des sciences profanes n’ont qu’à consulter les savants profanes. D’autre part, l’Ecriture elle-même nous prévient que ce qui compte aux yeux de Dieu ce n’est pas l’étalage de connaissances vaines, mais une adhésion fervente à la parole de Dieu. »34
EZRA critique aussi sévèrement tous ceux qui sondent les mystères de l’Ecriture et n’y trouvent que des énigmes et des paraboles. On use de l’Ecriture à son gré : tantôt on y ajoute, tantôt on en retranche des mots, tantôt on améliore, tantôt on empire le texte, chacun selon ses pensées et selon le degré de son intelligence.
EZRA attaque également les caraïtes (attachés à la seule loi écrite), puisqu’il affirme la complémentarité de la Torah (loi écrite) et du Talmud (loi orale ou tradition).
Le dras (commentaire libre) est par rapport au psat (commentaire littérale) ce que le vêtement est par rapport au corps.35
Par conséquent, on peut dire qu’Abn EZRA est aussi particulièrement violent pour les exégètes fantaisistes qui, sans tenir compte du sens exact du mot et de la règle grammaticale trouvent dans les textes bibliques des prétextes pour faire des commentaires homilétiques afin de procurer aux auditeurs une satisfaction intellectuelle, spirituelle et morale.
Enfin, EZRA est contre l’interprétation allégorique de l’Ecriture, méthode utilisée par les théologiens chrétiens qui se proposent de prouver que les lois et les commandement dans la Torah sont devenus caducs et que les juifs ont tort de rester asservi au sens littéral de l’Ancien Testament, son vrai sens étant le sens figuré, tel que l’on peut dégager à partir de l’Evangile ou du Coran.
Spinoza contre Abn EZRA.
Malgré ses hardiesses, EZRA reste profondément juif orthodoxe, respectueux de la Torah et du Talmud. Tandis que Spinoza rejette entièrement la tradition de l’enseignement oral. C’est une invention purement humaine. Rare que Spinoza cite le Talmud. La méthode de Spinoza n’a rien à faire avec celle du Psat. Celle de Spinoza est une méthode critique et historique qui, comme la méthode expérimentale, fait appel à la fois à l’observation et au raisonnement. En effet il pense que « Pour interpréter l’Ecriture, il est nécessaire d’en acquérir une exacte connaissance historique. Cette méthode ne diffère en rien de celle que l’on suit dans l’interprétation de la Nature »36
Cette méthode a donc une signification polémique, ainsi il s’efforce, écrit Spinoza à Oldenburg de dévoiler les préjugés des théologiens et d’en débarrasser les esprits les plus avertis, car le sort de la liberté de philosopher est mis en jeu. Nous allons donc ci-après analyser cette méthode de Spinoza.

METHODE DE SPINOZA OU METHODE NATURELLE D’EXEGESE

REGLE UNIVERSELLE DE L’INTERPRETATION DE L’ECRITURE

Spinoza se propose de dissiper les préjugés des théologiens dont le plus tenace consiste dans l’idée que, d’une part, le canon de l’Ecriture est la parole même de Dieu et que le texte de l’Ecriture n’a subi aucune modification et que, d’autre part, l’interprétation de l’Ecriture par des sacerdoces élus ou par un pontife infaillible, puis l’explication vraie de l’Ecriture trouvent leur fondement dans la tradition dont les pharisiens prétendaient avoir une certitude supérieure. C’est pour cette raison que Spinoza a dû chercher une nouvelle méthode dont-il a formulée comme suit :
La règle universelle à poser dans l’interprétation de l’Ecriture est donc de ne lui attribuer d’autres enseignements que ceux dont l’enquête historique nous aura très clairement montré qu’elle a donnés. Et Spinoza ajoute : pour faire court, je résumerai cette méthode en disant qu’elle ne diffère en rien de celle que l’on suit dans l’interprétation de la Nature mais s’accorde en tout avec elle 37 Quant Spinoza applique à la méthode l’épithète de naturelle, il retrouve trois aspects :
1- Une méthode naturelle par opposition aux exégèses forcées que nous avons passées en revue (exégèse traditionnelle). C’est une méthode qui respecte la nature du texte.
2- Une méthode qui, laissant le texte tel qu’il est et refusant de le subordonner à d’autres instances que la sienne, se définit par l’expression : « sola scripta », l’Ecriture seul ou sans glose : sans glose de ferveur, sans glose de tradition, sans glose de spéculation métaphysique.
3- Une méthode qui traite le texte comme le savant traite la nature sans le maximum d’objectivité et de sérénité, dans l’attitude des savants désintéressés.
Par là, la méthode naturelle d’interprétation que Spinoza propose implique trois choses : une attitude, un style d’interrogation et une intention du savant.
– Une attitude qu’on pourrait formuler : « retour aux choses telles qu’elles sont », que ce soit les qualités sensibles que la ferveur du commentaire cordiale leur ajoute, ou que ce soit les normes culturelles religieuses dans le cas du commentaire théologique, ou que ce soit des normes rationnelles dans le cas du commentaire spéculatif.
– Cette attitude suggère par là même un style d’interrogation approprié. Ne demandons pas à l’Ecriture ce qu’elle ne saurait pas nous donner, ne lui posons pas de questions qui, pour elle, n’ont pas de sens. Ce style d’interrogation doit s’inscrire dans l’horizon précis du sens littéral tel qu’il s’offre en sa naïveté. Or, ce sens littéral c’est très exactement ce que dit l’Ecriture dans une langue spécifique : l’hébreu avec ses limites, ses lacunes, ses tours, ses ambigüités.
Enfin, ce style d’interrogation naturelle, c’est-à-dire conforme à la nature du texte, doit rejoindre le regard du savant qui étudie la Nature dans ses lois universelles.
C’est pourquoi, l’exégèse ne diffère en rien de l’herméneutique de la Nature. Pour Spinoza, il faut traiter les faits d’Ecriture comme les faits de Nature en ajoutant que l’Ecriture et la Nature, un peu comme mens et corpus sont une même réalité ou deux modes d’une même substance.
De même que la méthode d’interprétation de la Nature consiste dans une description exacte de la Nature à partir de laquelle nous concluons les choses, de même pour interpréter l’Ecriture, il est nécessaire d’en tisser une description objective en vue d’en tirer une conclusion légitime sur l’esprit des auteurs. On voit que les deux méthodes se rapprochent ici au point de se confondre : description aussi exacte que possible des définitions et des conséquences. D’où la nécessité de n’emprunter qu’à l’Ecriture ce que l’on dira de l’Ecriture comme l’on n’emprunte qu’à la Nature ce que l’on dira d’elle.38
Quand on s’en tient à ces impératifs de méthode, on est sûr que l’interprétation naturaliste de l’Ecriture ne peut être l’interprétation naturelle, Certes, ces enseignements moraux, universels, peuvent être démontrés à partir des notions communes mais quand il s’agit de l’Ecriture, nous devons mettre entre parenthèses ces préjugés et montrer à partir de l’Ecriture elle-même que ces enseignements sont effectivement les siens et que elle est effectivement divine.

Mise en oeuvre de cette méthode

Comment cette méthode peut-elle être concrètement mise en oeuvre ? Spinoza avance qu’il faut procéder à une description aussi complète que possible des données scripturaire, à une collation des sentences d’un livre sur un sujet déterminé pour en noter les divergences, les obscurités, les ambigüités, voir les contradictions, et ceci dans la seule préoccupation du vrai sens et non du sens vrai : « ne pas confondre le sens d’un discours avec les vérités des choses. »39
Spinoza précise qu’on premier lieu, on doit comprendre la nature et les qualités de la langue dans laquelle furent écrits les livres de l’Ecriture de l’Ancien Testament qui sont écrits en langue hébraïque, mais le Nouveau Testament, bien qu’ayant été rependu dans d’autres langues, il est plein d’hébraïsmes.
Pour bien mettre en évidence cette nature et ces propriétés de la langue, Spinoza a pris comme illustration ces paroles de Moïse : « Dieu est un feu » ou « Dieu est jaloux ». Il faudra en premier lieu chercher si cette unique parole « Dieu est un feu » admet un sens autre que littéral c’est-à-dire si le mot « feu » signifie autre chose que le feu naturel. Si l’usage de la langue ne permettrait pas de lui attribuer un autre sens, il n’y aurait aucun moyen d’interpréter la phrase autrement, bien que le sens littéral soit contraire à la raison. Mais au contraire, comme le mot « feu » se prend aussi pour « colère » et « jalousie », 40 il est facile à concilier entre elles les phrases de Moïse et nous arrivons légitimement à cette conclusion que des propositions « Dieu est un feu, Dieu est jaloux » ne sont qu’une interprétation métaphorique si bien quelles ne sont qu’une et même énonciation41.
Il faut aussi déterminer le contexte du livre qui rapporte toutes les circonstances particulières : vie et moeurs de chaque auteur, son but, le destinataire, le lieu et le temps de rédaction il faut rapporter aussi les fortunes propres à chaque livre : mode de recueil, par qui, où, quand, pour qui, nombre de leçon…
Enfin, procéder du plus général au plus particulier comme dans l’investigation de la nature dont on établit d’abord des lois générales. Ce qui signifie « chercher d’abord dans l’Ecriture ce qui est le plus universel, ce qui est la base et le fondement de toute l’Ecriture, ce qui enfin est recommandé par tous les prophètes comme une doctrine éternelle et de la plus haute utilité pour tous les hommes »42
Cela consiste à s’attacher d’abord à la découverte des choses les plus universelles, communes à toute la nature entière, à s’élever ensuite aux autres choses moins universelles. Cette étude permet de distinguer de ces éléments universels les particularités spéculatives qui ne sont pas des constants de l’Ecriture.
Cet universel fondamental est aussi le plus clair, le plus constant élément de l’Ecriture, les choses claires, facilement perceptibles pour tous, tels les enseignements moraux. C’est aussi ce qu’il y a de plus solide, ce qui a le mieux résisté aux injures du temps. Il ya là une sorte de loi historique disant que : « Plus un texte est universel et clair, plus il est transmissible et communicable, plus il a de la chance d’échapper aux distorsions de l’interprétation subjective. »43
L’exemple des éléments l’Euclide est significatif et très pertinent. On les a reproduits en bien de langues, leur clarté leur a assuré une pérennité. Les enseignements moraux constituent donc cette partie osseuse du texte scripturaire, les autres parties sont plus exposées à la corruption.
En effet, Spinoza fait remarquer que : « Pour ce qui est du domaine de la spéculation, la voie est plus étroite »44

Difficultés présentées par cette méthode

Une nouvelle théorie, une nouvelle méthode doit affronter beaucoup de difficultés pour pouvoir battre ou dépasser celles qui étaient antérieures. Mais la méthode de l’interprétation de l’Ecriture de Spinoza présente quelques difficultés, non des difficultés, d’opposition ou de controverses de deux systèmes ou de deux théories, mais des difficultés qui empêchent la meilleure connaissance de l’Ecriture, à savoir la connaissance de la langue, la connaissance historique, l’inexistence des textes en langue originale, et enfin les manière de voir des auteurs.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: PRINCIPE DE LA METHODE SPINOZISTE DE L’INTERPRETATION DE L’ECRITURE
CHAPITRE PREMIER : FORMES TRADITIONNELLES D’EXEGESE
I. 1. 1. Le commentaire cordial ou « psat »
I. 1. 2. Le commentaire théologique.
I. 1. 3. Le commentaire spéculatif
CHAPITRE DEUXIEME : LES METHODE CRITIQUEES PAR SPINOZA
I. 2. 1. La méthode de Maïmonide
I. 2. 1. 1 Elle est nuisible
I. 2. 1. 3. Elle est absurde
I. 2. 1. 5. Elle est dangereuse
I. 1. 3. La méthode d’Abn EZRA
CHAPITRE TROISIEME : METHODE DE SPINOZA OU METHODE NATURELLE D’EXEGESE
I. 3. 1. REGLE UNIVERSELLE DE L’INTERPRETATION DE L’ECRITURE
I.3. 2. Mise en oeuvre de cette méthode
I.3.3. Difficultés présentées par cette méthode
I. 3. 3. 1. En ce qui concerne la connaissance de la langue
I.3.3. 2. Une autre difficulté dans cette méthode
I.3.3.3. Une troisième difficulté que présente l’interprétation
I. 3. 4. Rôle de la raison dans cette méthode
I. 3. 4. 1. Des provenances
I.3.4.2. Des répétitions
I.3.4.3. des invraisemblances
I.3.4.4. Des confusions chronologiques
I.3.4.5. Des divergences et des contradictions
DEUXIEME PARTIE : THEORIE SPINOZISTE SUR LA RELIGION-JUDEOCHRETIENNE
CHAPITRE PREMIER : DE LA PROPHETIE
II. 1.1. Conception de la prophétie
II. 1. 1. 1- Définition
II. 1. 1. 2. Conception de Maïmonide et du vulgaire.
II. 1.1.2.1. Mode et division de la prophétie
II. 1. 1. 2. 2. Esprit prophétique
II.1. 1. 2. 3. Caractères de l’esprit prophétique
II. 1. 2. Des prophètes
II.1. 2. 1. Qui sont ces prophètes ?
Nous allons commencer par l’éliminer ceux qui ne sont pas des prophètes
II.1. 2. 2. La certitude prophétique
II. 1. 2. 3. Charisme prophétique et vocation du peuple élu
II. 1. 2. 3. 1- L’idée d’élection
II. 1. 2. 3. 2. Le contenu de l’idée d’élection
II.1. 2. 3. 3. Le charisme prophétique est-il réservé à l’Israël
II.1. 2. 3. 3. L’idée d’élection chez Spinoza
CHAPITRE DEUXIEME : DES LOIS ET DES CEREMONIES
II. 2. 1. Définitions et caractéristiques
II. 2. 2. Cérémonies et leur utilité
II. 2. 3. Point de vue de Spinoza
CHAPITRE TROISIEME : DES MIRACLES
III. 3. 1. Définition
II. 3. 2. L’impossibilité des miracles
II-3-3- Utilité des miracles
TROISIEME PARTIE : APPLICATIONS POLITIQUES ET RELIGIEUSES
CHAPITRE PREMIER :APPLICATIONS RELIGIEUSES
III. 1. Authenticité de l’Ecriture
III. 1. 1. L’Ancien Testament
III. 1. 1. 1. Qui a rédigé ces différents livres ?
III. 1. 1. 2. Moïse n’a-t-il- laissé aucun écrit ?
III. 1. 1. 3. Qui a canonisé l’Ancien Testament ?
III. 1. 2. Nouveau Testament :
III. 1. 2. Nature et contenu de l’Ecriture
II. 1. 2. 1. Nature de l’Ecriture comme parole de Dieu
III. 1. 2. 2. Le contenu essentiel de l’Ecriture
III-1-2-2-1 Théorie des noms de Dieu.
III-1-2-2-2. Le tétragramme YHWH
III 1-3-1 Essence de la foi.
III – 1-3-2 Les dogmes
III.1. 3. 3. Rapport théologie-raison
CHAPITRE DEUXIEME APPLICATIONS POLITIQUES
III-2-1 Genèse de la politique
III. 2-1-1 Motivation
III-2-1-2 Le pacte dans son essence
III-2-1-3 Le pacte et ses conséquences
III-2-2 La société démocratique
III-2-2-1 Définition
III-2-2-2 La souveraineté démocratique en tant que souverain pouvoir
III. 2. 3 Réflexion sur la politique des Hébreux
III. 2.3.1 Les faits
III. 2. 3. 2 L’action sur les princes
III. 2. 3. 3 L’action sur les sujets
CHAPITRE TROISIEME : RAPPORT ENTRE LA THEOLOGIE ET LE POLITIQUE
III. 3. 1 Thèse de Spinoza sur le rapport du pouvoir politique et du pouvoir religieux
III. 3. 1.1. Formulation de la thèse
III. 3. 1. 1. 1. La thèse de Spinoza
III. 3. 1. 2. Les conséquences de la thèse
III. 3. 2. Fondements de la thèse
III. 3. 2. 1. Droit naturel et religion
III. 3. 2. 2. Christianisme et politique
III. 3. 2. 3. Lutte du sacerdoce et de l’empire
III. 3. 3. Enseignements politiques tirés de l’Ecriture
III. 3. 3. 1. Régime populaire fondé sur le principe d’égalité
III. 3. 2. 3. Séparation du pouvoir du clergé et du pouvoir politique
III. 3. 1. 3. Respect de la liberté de penser
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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