L’étude du blanchiment d’argent est intéressante dans la mesure où cette notion se trouve actuellement au centre des sujets de l’actualité politique et économique aussi bien à Madagascar que sur le plan international. En effet, depuis la fin du XXe siècle, on a assisté à un accroissement progressif de la vitesse et du volume des capitaux d’origine criminelle en circulation dans le monde. Selon le rapport publié en 2010 par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), « les criminels, plus particulièrement les trafiquants de drogue, ont pu blanchir environ 1,6 trillions de Dollars américains, soit 2,7 % du PIB mondial en 2009 » . En l’absence de toute régulation internationale, la mondialisation des échanges et la libéralisation des mouvements de capitaux internationaux offrent actuellement des moyens faciles pour blanchir de l’argent acquis illégalement dans des activités diverses, entre autres : trafic de drogues, vente d’armes, prostitution, corruption, etc. Les progrès des techniques bancaires et le développement accéléré des moyens de télécommunication permettent en outre à l’argent de circuler facilement et rapidement par les transactions électroniques.
Le développement de cette délinquance financière représente aujourd’hui un sérieux danger pour l’économie en touchant de plus en plus de nouveaux pays ; c’est pourquoi il est nécessaire de lutter contre ce fléau. Toutefois, en pratique, ce phénomène demeure sous-estimé par les acteurs financiers les mieux placés pour le détecter, reste très difficile à prouver et n’est finalement que très rarement et faiblement sanctionné sur le plan pénal.
Origine de l’expression « blanchiment d’argent »
L’expression « blanchiment d’argent » vient du fait que l’argent acquis illégalement est considéré comme de l’ argent « sale » ou « noir » et provient souvent de la commission d’un crime ou d’un délit ; par exemple, de trafics de stupéfiants, fraudes fiscales, corruption ou de toutes autres activités criminelles. À proprement parler, le blanchiment permet de dissimuler l’origine illicite de cet argent en le transformant en argent « propre » ou « blanchi », c’est-àdire de faire en sorte que les capitaux acquis de manière illégale paraissent acquis de manière légale.
Par ailleurs, selon les rumeurs, l’expression « blanchiment d’argent » viendrait de l’expression anglaise « money laundering » apparue aux États-Unis dans les années 20. C’était l’époque où les « gangs » cherchaient à dissimuler les revenus issus de leurs activités mafieuses afin d’échapper à des poursuites pour fraude fiscale. Pour ce faire, les gangs créèrent des entreprises de services dont les opérations se faisaient en espèces. Le but était de fusionner l’argent illicite et licite et d’en déclarer la totalité comme étant le bénéfice de l’entreprise (qui servait en fait de couverture). À l’instar d’Al Capone, les mafieux utilisaient des chaînes de laveries automatiques, d’où le jargon utilisé « blanchiment ». En réalité, l’expression « blanchiment d’argent » est apparue au cours des années 1970 autour de l’ « affaire du Watergate » aux États-Unis et il faut attendre 1982 pour qu’elle soit utilisée dans une affaire judiciaire .
Même si l’expression « blanchiment de l’argent » est apparue au cours de la fin du XXe siècle, le blanchiment n’est pas un fait nouveau, puisque le fait en lui-même existe depuis longtemps. Il ne fait aucun doute que cela a été pratiqué, sous une forme ou une autre, dès qu’il a été nécessaire, pour des raisons politiques, commerciales ou juridiques, de cacher la nature ou l’existence de transferts financiers. Quand, au Moyen Âge, l’Église catholique interdit l’usure en en faisant non seulement un crime (un peu comme le trafic de drogues aujourd’hui) mais également un péché mortel, les marchands et les prêteurs souhaitant recevoir des intérêts sur des sommes prêtées inventèrent de nombreuses pratiques, qui anticipaient les techniques modernes de dissimulation, de transfert et de blanchiment d’argent d’origine criminelle. L’objectif était soit de faire disparaître les intérêts prélevés (en cachant leur existence), soit de leur donner une autre apparence (en dissimulant leur nature) .
Définition du blanchiment d’argent
Le mot « blanchiment » vient du verbe « blanchir ». Dans son sens littéral, le dictionnaire Le Grand Robert définit le verbe « blanchir » comme le fait de « donner une existence légale à des fonds d’origine illégale ou frauduleuse, en faisant disparaître, par des opérations financières, la preuve de leur origine (blanchir des capitaux, de l’argent) ». « Le blanchiment de l’argent illicite consiste en une série d’actes permettant d’introduire les fonds provenant du crime dans les circuits financiers réels ou fictifs par des procédés faisant perdre la trace de l’origine criminelle de l’argent ».
Selon la définition donnée par le Groupe d’action financière international (GAFI), créé en 1989, « le blanchiment de capitaux consiste à retraiter les produits d’origine criminelle pour en masquer l’origine illégale ». Autrement dit, il s’agit de faire revenir les fonds illicites vers ceux qui les ont générés afin qu’ils puissent en jouir en toute tranquillité comme s’ils étaient licites. Juridiquement, le délit de blanchiment consiste à participer, à un stade quelconque, à ces mécanismes complexes de dissimulation de la provenance des fonds illicites. Il faut toutefois de noter que, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2004-020 du 19 août 2004, le délit de blanchiment est général, c’est-à-dire qu’il peut être commis à partir de n’importe quel type de crime ou délit, dit « délit d’origine ». (cf. infra) Après avoir cerné la définition du terme « blanchiment », il convient maintenant de voir un à un les éléments constitutifs de la définition, à savoir l’argent illicite (1) et le délinquant-blanchisseur .
L’argent illicite
Les fonds illicites sont souvent qualifiés d’argent « noir » ou d’argent « sale ». Selon certains auteurs , il faudrait distinguer les fonds qui proviennent d’activités légales mais non déclarées (par exemple, l’évasion fiscale) de ceux qui résultent d’activités criminelles (telles que les malversations financières ou le commerce de produits prohibés, dont la drogue ou les armes). « Toujours est-il que « noir » ou «sale », ce n’est pas « blanc » et l’intérêt juridique de cette distinction n’est pas évident ! ».
Cependant, il convient de préciser de quoi est constitué l’argent « sale ». On comprend par l’argent d’origine illicite les capitaux issus de nombreuses activités criminelles. À titre d’exemple, on peut citer le commerce illégal et les activités de la criminalité organisée : le trafic de stupéfiants, les ventes d’armes, la contrebande de produits prohibés, les réseaux de prostitution, la traite d’êtres humains, le trafic illégal d’organes, la pédophilie, la pornographie, l’escroquerie, la corruption, les fraudes fiscales, le kidnapping, la fabrication de fausse monnaie, le vol de bovidés, etc.
Le délinquant-blanchisseur
Le sujet qui commet le délit de blanchiment, personne physique ou morale (puisque la loi n° 2004-020 du 19 août 2004 reconnaît la responsabilité pénale des personnes morales), est celui qui :
– procède à « la conversion ou au transfert de biens, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite des biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la commission de l’infraction principale à échapper aux conséquences juridiques de ses actes » (article 1er de la loi précitée);
– ou bien effectue ou « participe » à une opération de l’une des trois phases de blanchiment (placement, dissimulation ou conversion) ;
– ou encore « organise » un réseau de blanchiment.
Par ailleurs, les opérations de blanchiment recouvrent presque toujours une grande variété d’actes effectués par toute une série de personnes. Ces actes peuvent être simples ou complexes. Quoiqu’il en soit, comme le relèvent deux auteurs , les actes de blanchiment, qu’ils soient simples ou complexes, « sont des actions qui pratiquées dans un autre contexte seraient parfaitement légales ».
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE THÉORIE GÉNÉRALE SUR LE DÉLIT DE BLANCHIMENT D’ARGENT
TITRE I LES CONDITIONS D’EXISTENCE DU DÉLIT DE BLANCHIMENT D’ARGENT
Chapitre 1 Les éléments constitutifs du délit
Chapitre 2 Les conditions et particularités du délit
TITRE II LES OPÉRATIONS DE BLANCHIMENT D’ARGENT
Chapitre 1 Les phases du processus de blanchiment
Chapitre 2 Les procédés du blanchiment
DEUXIÈME PARTIE LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX
TITRE I ORGANISATION DE LA DÉTECTION ET DE LA PRÉVENTION
Chapitre 1 Les structures de lutte contre le blanchiment
Chapitre 2 Les obligations de vigilance et de déclaration de soupçon
TITRE II LA MISE EN ŒUVRE DES MESURES DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
Chapitre 1 La répression du délit de blanchiment d’argent
Chapitre 2 Le point sur la mise en œuvre des mesures à Madagascar
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE