La pragmatique
Définition
D’un point de vue étymologique, le terme pragmatique vient du grec « pragma », « praxis » et signifie « action ». La pragmatique est une discipline de la linguistique qui « étudie le langage du point de vue de la relation entre les signes et leurs usagers » (CNRTL, 2012). En d’autres termes, la pragmatique est définie comme étant l’étude sociale, culturelle et cognitive du langage (Verschueren, 1999) et a pour objet d’étude l’usage du langage (Bernicot et al., 2002). Cette discipline s’intéresse à l’utilisation fonctionnelle du code linguistique et des codes de communication, permettant de communiquer diverses intentions, de répondre aux besoins de l’auditeur en matière de communication et de participer à une conversation et à un discours cohérent. C’est en ceci qu’elle se différencie de la linguistique générale qui étudie la langue et les relations entre signifiants et signifiés.
D’autres définitions, comme celle proposée par Bar-Hillel en 1954, mettent l’accent sur les facteurs extralinguistiques. De fait, la pragmatique concerne la dépendance essentielle, dans un contexte de langage naturel, entre la communication, les différents locuteurs, les contextes linguistique et extralinguistique, la disponibilité de la connaissance de certains fondamentaux pragmatiques (comme les informations contextuelles), la rapidité à obtenir cette connaissance fondamentale et l’intention communicative volontaire des participants à l’acte communicatif. La notion de contexte est donc l’une des préoccupations principales de la pragmatique (Guidetti, 2006). Paradoxalement, il semblerait qu’il existe un consensus définitoire, mais des conceptions différentes dans le domaine d’application de la pragmatique (Kleiber, 1982). De fait, il n’existe pas une pragmatique mais « des pragmatiques ».
La pragmatique entretient des rapports avec d’autres disciplines comme la linguistique, la philosophie, la psychologie, l’anthropologie, la neurologie et la psychiatrie (Bernicot, 2005 ; Guidetti, 2006). Depuis quelques années, le domaine de la psychopathologie en psychologie et en orthophonie s’intéresse également à l’étude des marqueurs pragmatiques pour expliquer certains dysfonctionnements observés chez les patients. On tente ainsi de comprendre les processus mentaux sous-jacents à l’utilisation du langage et de la communication (Guidetti, 2006).
Théorie fondatrice des actes de langage
Les premiers travaux de pragmatique ont été menés par les philosophes du langage. Parmi les précurseurs, on peut citer Austin (1962), qui a développé la théorie des actes de langage, précisée par Searle à partir de 1969. Elle consiste en une description et classification des actes selon leur effet sur l’interlocuteur. Ainsi on distingue les actes assertifs, directifs, promissifs, expressifs et déclaratifs (voir l’ouvrage de Searle, 1973, « Les actes de langage »). La typologie des actes de langage a été conçue pour l’analyse des énoncés linguistiques produits isolément par les sujets adultes. Elle est difficilement applicable en tant que telle au langage du jeune enfant. Elle nécessite d’être adaptée à des comportements non linguistiques par exemple. En effet, chez l’enfant, en l’absence d’un langage tout à fait fonctionnel, la force illocutoire d’un geste peut être équivalente à ce qui peut être exprimé par des mots chez l’enfant plus âgé ou chez l’adulte (Guidetti, 2011).
La pragmatique développementale
L’étude pragmatique du langage a été appliquée au développement de l’enfant pour la première fois en 1977, dans l’ouvrage d’Ervin-Tripp et Mitchelle-Kernan : « Child Discourse ».
La pragmatique développementale s’est ensuite développée au carrefour entre pragmatique, linguistique et théories interactionnistes du développement (Bernicot dans Guidetti, 2006). L’objet d’étude de la pragmatique développementale est de « savoir comment l’enfant devient sensible aux relations qui peuvent exister entre la forme des énoncés et les contextes de communication » (Guidetti, 2011). En d’autres termes, l’étude du développement de la pragmatique porte sur la manière dont les enfants acquièrent les connaissances nécessaires à un emploi approprié, efficace et prenant en compte certaines règles sociales de la parole, dans des situations interpersonnelles.
Compte-tenu de la diversité des conceptions de la pragmatique, il semblerait que la plupart des auteurs n’aient pas cherché à établir une définition unique de la pragmatique mais plutôt de fournir des listes énumérant les différents domaines d’investigation chez l’enfant. Ainsi, en 1996, Ninio et Snow (voir l’ouvrage « Pragmatic development ») proposaient une liste de thèmes généralement abordés dans la littérature pour étudier le développement des habiletés pragmatiques chez l’enfant :
• L’acquisition des intentions communicatives
• Les capacités conversationnelles, c’est-à-dire la capacité à co-produire un dialogue
• Le développement linguistique, représenté par la cohésion du discours
• Le rapport entre forme linguistique et fonction sociale
• Les règles culturelles, comme les règles de politesse notamment
• L’emploi de termes déictiques, permettant la fonction de référence du langage
• Les facteurs pragmatiques influençant l’acquisition du langage, comme par exemple l’étayage ou le langage adressé à l’enfant .
Progressivement, la pragmatique développementale s’est vu élargir ses champs d’étude pour passer d’une définition purement linguistique à une conception plus large. Ainsi, cette notion a évolué pour prendre en compte l’étude des domaines suivants :
• Les concepts socio-cognitifs, correspondant aux différents types de situations sociales
• Les habiletés procédurales, comme la prise du tour de parole dans la conversation
• Les connaissances culturelles, qui sous-tendent le principe de pertinence sociale
• Les habiletés sociales individuelles, nécessaires à une utilisation appropriée et efficace du langage dans différentes situations sociales (Ninio et Snow, 1996) .
• Les comportements non-linguistiques (Guidetti, 2006)
• La cognition-sociale et notamment la théorie de l’esprit (Hyter, 2017)
• Les compétences sociolinguistiques comme la présupposée et la capacité à faire des inférences (Adams, 2002 ; Landa, 2005 ; Roth et Spekman, 1984 ; Hyter, 2017)
• La régulation des affects (Hyter, 2017)
• Les fonctions exécutives (inhibition et flexibilité mentale) (Hyter, 2017) .
Le champ d’étude de la pragmatique développementale ne se limite donc pas à l’analyse linguistique mais concerne également les stratégies utilisées par l’enfant pour structurer son action sociale, pour contrôler et réaliser ses comportements de communication.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
1. La pragmatique
1.1. Définition
1.2. Théorie fondatrice des actes de langage
1.3. La pragmatique développementale
2. Les habiletés pragmatiques chez l’enfant
2.1. Définition
2.2. Repères développementaux
2.3. Troubles pragmatiques
3. L’évaluation des habiletés pragmatiques chez l’enfant
3.1. Intérêt et objectifs
3.2. Généralités concernant l’évaluation
3.3. Comportements à évaluer
3.3.1. Modèle de Roth et Spekman (1984)
3.3.2. Modèle de Dewart et Summers (1995)
3.3.3. Modèle d’Adams (2002)
3.3.4. Modèle de Hyter (2017)
3.3.5. Apports des théories des fonctions de communication
3.3.6. Apports des théories multimodales de la communication
3.4. Choix de la méthode d’évaluation chez l’enfant de 3 à 5 ans 11 mois
3.5. Fiabilité de la mesure
4. L’évaluation des habiletés pragmatiques en milieu naturel à travers une observation critériée
4.1. L’évaluation critériée
4.2. Contextes d’observation
4.3. Critères de cotation
5. Problématique et objectifs
6. Hypothèses
PARTIE PRATIQUE
1. Méthode
1.1. Phase de conception de l’outil d’évaluation critériée
1.1.1. Etude qualitative préliminaire
1.1.2. Etablissement d’un cahier des charges
1.1.3. Proposition de modélisation théorique de référence
1.2. Phase d’élaboration de l’outil d’évaluation critériée
1.2.1. Rédaction des items
1.2.2. Construction des critères de notation
1.2.3. Rédaction des consignes
1.2.4. Mise en forme et choix de présentation
1.3. Phase de prétest : étude préliminaire de faisabilité
1.3.1. Méthodologie envisagée
1.3.2. Population de recherche
1.3.3. Etablissement du protocole de recueil de données
1.3.4. Déroulement des passations
1.3.5. Méthodologie d’analyse des données recueillies
2. Résultats de l’étude préliminaire de faisabilité
2.1. Fidélité inter-observateurs selon le niveau d’expertise
2.2. Fidélité inter-observateurs selon le profil de l’enfant évalué
2.3. Compréhensibilité des items et niveau d’entendement des enseignants
2.4. Acceptabilité du format de l’instrument de mesure
2.5. Différences inter-individuelles en fonction du profil et du niveau scolaire
2.6. Capacité des enseignants à observer et retranscrire les lacunes pragmatiques
DISCUSSION
1. Rappel des objectifs
2. Interprétation des résultats de l’étude préliminaire de faisabilité
2.1. Fidélité inter-observateurs selon le niveau d’expertise
2.2. Fidélité inter-observateurs selon le profil de l’enfant évalué
2.3. Compréhensibilité des items et niveau d’entendement des enseignants
2.4. Acceptabilité du format de l’instrument de mesure
2.5. Différences inter-individuelles en fonction du profil et du niveau scolaire
2.6. Capacité des enseignants à observer et retranscrire les lacunes pragmatiques
3. Analyse critique de l’étude : limites et perspectives d’amélioration
3.1. Méthodologie de la constitution du modèle théorique de référence
3.2. Elaboration de l’instrument de mesure
3.3. Constitution de l’échantillon
3.4. Méthode employée dans l’étude de faisabilité
4. Apports de cette étude dans la pratique orthophonique
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES