Au collège Alfred de Musset à Ecommoy, la salle où se déroule la majorité des cours de français que je dispense est disposée en îlots, et la collègue qui a fait ce choix ne cesse d’en vanter les mérites. Cependant, pour le professeur-stagiaire que je suis, loin d’être une disposition géographique facilitante, l’îlot s’est au contraire rapidement imposé comme une difficulté quotidienne. Très vite, les bavardages sont devenus trop nombreux, facilités par le face-à-face des élèves entre eux. Dès lors, j’ai décidé de modifier la disposition de la salle quand j’y avais cours.
Théorie du travail de groupe
Pourquoi travailler en groupe ?
Tout d’abord, il faut rappeler que les compétences sociales font partie du « Socle commun des connaissances et des compétences » à acquérir pour les élèves, et qu’à ce titre travailler en groupe est une modalité à mettre en œuvre en classe. En effet, nous pouvons lire par exemple dans la description du domaine 2 intitulé « les méthodes et outils pour apprendre » du cycle 4, que « l’apprentissage du travail coopératif et collaboratif sous toutes ses formes » est concerné, tout comme « la capacité à exprimer sa pensée, à justifier ses choix, à s’insérer dans des controverses en respectant les autres ; la capacité à vivre et travailler dans un collectif » que l’on peut lire dans le description du domaine 3 « la formation de la personne et du citoyen ». Le travail de groupe a donc toute sa place en classe au collège.
Mais, au-delà de l’injonction des programmes, le travail de groupe apporte de nombreux bénéfices au regard du travail individuel. Selon Michel Barlow , deux types d’avantages peuvent être distingués : les avantages quantitatifs et les avantages qualitatifs. L’avantage quantitatif concerne le temps de prise de parole des élèves. Alors que dans un cours magistral, les élèves ne prennent que très peu la parole et n’interagissent quasiment pas entre eux, en situation de groupe, ces possibilités de prise de parole sont sensiblement multipliées grâce aux échanges créés entre eux. Entre pairs, ils osent davantage exposer leur point de vue et prennent ainsi confiance en eux. Cela est notamment intéressant pour les « petits parleurs » qui sont rassurés en petits groupes et peuvent ainsi s’exprimer plus librement, sans craindre le jugement du professeur ou de la classe entière .
Les avantages qualitatifs dégagés sont nombreux. Premièrement, la multiplication des échanges entraine un brassage des connaissances et des méthodologies des élèves. Ensemble, ils se rappellent les leçons, ils mutualisent leurs savoirs pour être plus complets. Les activités peuvent donc être plus complexes, plus longues, ou les attendus du professeur plus élevés. Travailler à plusieurs, c’est s’entrainer à reformuler pour être compris par les autres, ce qui constitue une mise au clair de ses propres connaissances, mais également une vérification de ses acquis. Expliquer aux autres, c’est aussi et avant tout clarifier son propos, donc travailler ses compétences orales et mettre à l’épreuve sa propre compréhension : le travail en groupe induit un approfondissement et une vérification des acquis de l’élève.
Ce partage de connaissances que l’élève fait au sein du son groupe en permet donc une validation, mais aussi une confrontation avec ses camarades : il s’agit du conflit socio-cognitif décrit par Philippe Meirieu dans Outils pour apprendre en groupe . En échangeant avec les autres, l’élève doit les convaincre ; il apprend ainsi à raisonner et à justifier son point de vue. Or, d’après Maurice Merleau-Ponty et Jean Piaget , sur lesquels s’appuie Philippe Meirieu, c’est en confrontant ses idées avec ses camarades que l’élève apprend le mieux, car il doit se convaincre d’abord lui-même pour convaincre les autres.
Enfin, le groupe se fait le relai du professeur, qui est ainsi déchargé de son rôle toutpuissant au sein de la classe : les élèves deviennent des « répétiteurs » des connaissances, permettant ainsi à leurs pairs d’entendre à nouveau des notions, et des « moniteurs » lorsqu’ils sont en train de montrer aux autres la réalisation d’une tâche. Les élèves apprennent ainsi de leurs pairs des connaissances, des méthodes, des divergences de points de vue. En regardant, en écoutant l’autre, l’élève expérimente. Or, c’est dans le cadre d’une pédagogie active que l’élève construit le mieux ses apprentissages. Pour Dominique Natanson, Jacques Natanson et Isabelle Andriot , cela permet également de modifier la relation enseignantélèves, duelle et autoritaire dans le cadre d’un cours magistral. A l’inverse, dans le cadre d’un cours en groupe, les élèves bénéficient d’une plus grande liberté qui les guide vers l’autonomie et décentre l’enseignant d’un rôle dans lequel il doit donner les réponses. Les élèves sont acteurs de leurs savoirs et l’enseignant peut circuler dans la classe. C’est le principe même des « pédagogies coopératives » de Sylvain Connac : l’élève peut spontanément décider d’aller aider ses camarades en se déplaçant dans la classe, ou au contraire aller chercher de l’aide auprès d’un camarade qu’il aura repéré comme étant un « tuteur » dans une tâche spécifique. En déléguant ses compétences pédagogiques à d’autres élèves par le biais du groupe, l’enseignant peut se consacrer aux élèves ou aux groupes ayant des besoins plus importants. Cela lui permet donc de différencier au sein de la classe.
Par ailleurs, des difficultés diverses et variées vont survenir au cours du travail de groupe, difficultés qui vont être activement levées par les camarades. En effet, une incompréhension peut être plus facilement avouable au sein d’un groupe où l’on se sent en confiance, et une explication donnée par un autre élève avec ses propres mots peut être plus efficace que lorsqu’elle est donnée par un professeur. Enfin, le travail en groupe met à l’épreuve les compétences du vivre-ensemble des élèves. Dans son livre Apprendre avec les pédagogies coopératives , Sylvain Connac revient sur les compétences sociales qui y sont mises en jeu: ce-dernier permet d’habituer les élèves à collaborer avec leurs pairs et en même temps les guide vers plus d’autonomie. Autant de compétences qui constituent les fondamentaux de la vie en société : écouter les autres, donner son avis et défendre son point de vue, peut-être entrer en conflit, mais aussi se soutenir et s’entraider. A l’intérieur du groupe, les élèves ont en effet tout intérêt à coopérer pour avancer et mener à terme leur tâche. Or, cet esprit de coopération est une valeur à encourager autant que possible pour préparer chaque élève à une insertion réussie dans la société. Les élèves deviennent également plus autonomes, travaillant entre pairs et sans prendre appui systématiquement sur l’enseignant.
On l’aura compris, le travail de groupe permet que les élèves soient acteurs en classe, qu’ils s’autonomisent et apprennent à travailler en coopération en profitant des échanges avec leurs camarades. Reste à penser l’organisation du travail en groupe afin qu’il se déroule convenablement.
Comment mettre en place un travail de groupe ?
Avant toute chose, il semble nécessaire de préciser qu’un travail de groupe s’anticipe et se prépare, peut-être encore plus qu’un cours magistral, et notamment s’il est utilisé pour les premières fois. Nature de la tâche, constitution des groupes, évaluation, mise en commun… autant d’éléments qui sont à repenser lorsqu’un enseignant souhaite mettre en place un travail de groupe.
La constitution des groupes
Evoquons tout d’abord le cas du nombre d’élèves par groupe, qui, bien qu’il soit variable et qu’à cause des effectifs des classes il atteigne souvent les sept élèves, ne devrait pas excéder cinq voire six élèves maximum pour travailler efficacement (si l’on considère les différents dispositifs évoqués par Michel Barlow, qui comptent jusqu’à six élèves) . Il existe ensuite de nombreuses façons de constituer des groupes de travail : hétérogènes ou homogènes, choisis par les élèves eux-mêmes, de façon aléatoire ou par le professeur… autant de variables qui doivent être ajustées en fonction de l’objectif pédagogique visé mais aussi de la classe. Nous nous appuierons sur la classification de Michel Barlow pour rendre compte des modes de constitution des groupes.
La constitution décidée par le professeur
Une fois que le professeur connait sa classe, les groupes peuvent être formés de façon hétérogène pour créer une émulation, du soutien et un système de monitorat, ou au contraire être homogènes pour regrouper les élèves selon leurs besoins (travail d’une compétence particulière, remédiation suite à une évaluation, retour sur les bases d’une notion..). Il est toutefois nécessaire pour ce choix de regroupement de ne pas systématiser les groupes de niveau au risque de stigmatiser les élèves les plus faibles. L’enseignant peut également constituer les groupes en fonction du vécu affectif des élèves dans la classe, limitant ainsi les conflits et mettant en confiance les élèves. Un sociogramme peut éventuellement être utilisé pour constituer de cette manière les groupes : en amont, les élèves précisent deux ou trois élèves avec lesquels ils souhaiteraient travailler, et deux ou trois autres avec lesquels il leur semble impossible de travailler. Le sociogramme peut être un support utile lorsque des conflits persistent dans une classe, que des élèves se retrouvent rejetés ou non choisis lors d’une constitution par affinités.
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Table des matières
Introduction
Remerciements
I. Théorie du travail de groupe
1. Pourquoi travailler en groupe ?
2. Comment mettre en place un travail de groupe ?
a) La constitution des groupes
b) La place du professeur
c) La mise en commun du travail de groupe
d) L’évaluation du travail de groupe
e) Les difficultés du travail de groupe
II. Une expérimentation de travaux de groupes en classe de quatrième
1. Représentations initiales des enseignants et des élèves
a) Représentations initiales des enseignants sur le travail en groupes
b) Représentations initiales des élèves sur le travail en groupes
2. Des travaux de groupe en classe de quatrième
a) Présentation de la classe
b) Une expérience avec des groupes constitués par les élèves
i. Le protocole
ii. Les réussites des groupes constitués par les élèves
iii. Les limites des groupes constitués par les élèves
c) Une expérience avec des groupes hétérogènes ou homogènes
i. Le protocole
ii. La dictée négociée avec des groupes hétérogènes
Réussites des groupes hétérogènes
Limites des groupes hétérogènes
iii. La dictée négociée avec des groupes homogènes
Réussites des groupes homogènes
Limites des groupes homogènes
d) Groupes ayant en charge des tâches différentes
i. Le protocole
ii. Réussites des groupes ayant des tâches différentes
iii. Limites des groupes ayant en charge des tâches différentes
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Résumé