Théorie du frittage conventionnel
Définition du frittage
Le frittage a concerné historiquement principalement les céramiques, c’est pourquoi sa définition et les concepts développés pour décrire ce phénomène s’appliquent plus particulièrement à cette classe de matériaux. D’après Bernache Assollant [Bernache-Assollant 1993], « donner une définition simple et complète du frittage n’est pas aisé, car à ce terme sont associées plusieurs images : consolidation et densification d’un ensemble de grains, grossissement des grains… » (Le terme « grain » utilisé ici correspond au terme « particule de poudre» que nous employons dans notre travail).
Le même auteur donne néanmoins la définition suivante : le frittage consiste en la formation de liaisons entre particules de poudre à l’état solide, s’accompagnant ou non d’une densification. Ce phénomène peut se produire avec ou sans pression mécanique appliquée sur la poudre. On parle alors de frittage naturel et de frittage sous charge. Dans le cas général, au cours du frittage, la densité D du matériau, définie comme étant le rapport des masses volumiques entre le matériau poreux et le matériau dense, évolue de la densité à cru (D ≈ 0,5 – 0,6) à celle du matériau dense (D =1). Le processus de frittage est habituellement divisé en trois étapes séquentielles en fonction de D [Bernache-Assollant 1993, Rahaman 2003].
❖Stade initial, ou stade I (0,5 – 0,6 < D < ≈ 0,65). Cette étape correspond à la formation rapide des ponts entre les particules de poudre, par diffusion, évaporation-condensation, plasticité ou écoulement visqueux.
❖Stade intermédiaire, ou stade II (0,65 < D < ≈ 0,9). Dans cette étape, la porosité reste ouverte et s’élimine progressivement par rétrécissement des pores.
❖Stade final, ou stade III (0,9 < D < 1). Les pores sont ici isolés les uns des autres, cette étape correspond donc à l’élimination de la porosité fermée.
Dans le stade I, le matériau initialement granulaire acquière une cohésion. Les stades II et III correspondent quant à eux à des étapes pendant lesquelles la densification du matériau augmente. On parle donc respectivement de consolidation et de densification. Notre travail concernera uniquement les stades II et III de densification. Le terme « densification » sera donc par la suite généralement préféré au terme « frittage. » .
Mécanismes dans le cas des métaux
Les cinétiques de frittage par HIP de quelques métaux et alliages ont été étudiées, et analysées avec l’approche présentée précédemment. Les systèmes étudiés ont été Cu [Helle 1985], un acier à outils [Arzt 1983, Helle 1985], des alliages base NiAl [Duszczyk 1998, Panda 1988], et TiAl [Choi 1990]. Pour Cu et TiAl, les auteurs concluent que le mécanisme dominant de frittage est le fluage en loi puissance. Pour l’acier à outils, les études reportent que les mécanismes de fluage en loi puissance et la diffusion aux joints entre particules présenteraient des cinétiques proches. Pour Ni3Al-Cr [Duszczyk 1998] , le mécanisme de frittage serait le fluage en loi puissance pour les faibles durées de frittage, et des mécanismes diffusifs pour des durées plus importantes. Pour Ni0,64Al0,34 [Panda 1988], la composition non équimolaire augmentait les coefficients d’autodiffusion de deux ordres de grandeur, ce qui conduirait à des mécanismes diffusif dominants. Les mécanismes de frittage conventionnels envisagés dans le cas des métaux sont donc le fluage en loi puissance et les mécanismes diffusifs.
Présentation de la technique SPS
Ce paragraphe présente des généralités concernant le SPS. Il commence par un historique, qui permettra de constater que, malgré un engouement datant environ de la fin des années 1990, l’invention de la technique et les idées sur son fonctionnement sont beaucoup plus anciennes, les premières approches datant des années 1920. Le principe du SPS sera ensuite présenté, et la cinétique de frittage par cette technique comparée à celle des techniques conventionnelles. Enfin, les mécanismes de frittage habituellement avancés en présence d’un fort courant électrique seront détaillés.
Historique
L’historique du développement de la technique SPS a été présenté dans la revue d’Orru et al. [Orru 2009]. Nous en donnons ici un résumé. La première idée de densification de poudres d’oxydes par chauffage à l’aide d’un courant électrique traversant directement la poudre date d’un brevet américain de 1922. L’idée d’appliquer simultanément une pression mécanique uniaxiale et un courant électrique pour fritter des métaux est proposée par Hoyt en 1927 . Ce dispositif a été utilisé pour fritter un mélange de poudre WC/Co en quelques minutes.
L’idée de surchauffe locale aux ponts entre particules de poudre en raison de l’étranglement local des lignes de courant, ceci conduisant à une fusion locale ou à un soudage instantané, apparaît en 1944 par Cramer. Selon cette interprétation, seuls les ponts entre particules de poudre sont chauffés significativement, leur intérieur restant à une température beaucoup plus basse, ceci conduisant à suffisamment de plasticité au niveau des ponts pour permettre une densification à relativement basse contrainte. En 1945, Ross introduit l’utilisation d’un courant pulsé, dans l’idée de chauffer très localement les particules de poudres aux niveaux de leurs contacts, la matrice restant froide.
Dans les années 1950, l’idée de détruire les couches d’oxydes à la surface des particules de poudre dans des expériences de frittage résistif (resistance sintering) est avancée par Lenel. Les premières applications industrielles apparaissent dans les années 1960 : WC pour outils de coupe, roulements à billes en aluminium et oxydes d’Ag et Cd frittés sur Cu pour contacts électriques. Il est alors dit que les résultats obtenus par ce procédé n’auraient pu être obtenus par les procédés conventionnels. Sa versatilité est également mise en avant. En 1965, Degroat introduit le terme spark sintering, et propose les premières hypothèses concernant les mécanismes fondamentaux mis en jeu dans ce procédé. Il avance ainsi l’idée de l’importance du nettoyage des couches d’oxydes et autre contaminants par des arcs électriques entre particules de poudre et par claquage entre couches d’oxydes, et développe une théorie basée sur ces principes. En 1966, Inoue met en avant l’idée d’un frittage assisté par un courant sous faible charge (inférieure à 10 MPa), pour maintenir une résistance de contact élevée entre les particules de poudre, afin que l’essentiel de l’énergie électrique serve à la formation d’arcs électriques au lieu d’être dissipée par chauffage résistif. Il avance l’idée que les décharges électriques sont capables de générer une ionisation partielle du matériau constituant les particules, et développe également une théorie mettant en jeu une succession de phénomènes : décharge électrique, ionisation, claquage de couches d’oxydes, élévation de température et fusion aux ponts, etc. La forme du courant préconisée est la superposition d’une composante haute fréquence (0,1-100 MHz), pour générer les décharges électriques, et d’une composante basse fréquence (0,1-100 kHz) et/ou continue, pour le chauffage résistif. Le procédé d’Inoue a été développé industriellement à la fin des années 1960 par l’entreprise Lockheed pour produire des ailerons de missiles en béryllium. Ceci a stimulé l’investigation de l’élaboration de nombreux matériaux, et l’entreprise Lockheed a essayé d’établir un usage plus généralisé du procédé de spark sintering.
La revue historique systématique d’Orru s’arrête au début des années 1970, probablement en raison de la grande diversité de variantes de procédés développés à partir des idées précédentes. A la fin des années 1980, la société Sumitomo Coal Mining Co. Ltd. (Japon) développe un dispositif basé sur les brevets des années 1960, et le commercialise sous le nom de spark plasma sintering (SPS). L’apparition de cette troisième génération de machines marque le début du développement important du procédé SPS à travers le monde. Ce dispositif se répand très rapidement dans les années 1990 en Asie, puis dans les années 2000 en occident. Par la suite, la société allemande FCT Systeme GmbH a développé une gamme de machines, en gardant les mêmes concepts mais en modernisant l’équipement et en permettant de modifier la forme du signal électrique. D’autres compagnies développeront par la suite des machines utilisant des variantes des mêmes principes, sous des noms divers :
plasma activated sintering (PAS), pulse electric current sintering (PECS), field activated sintering technique (FAST), pour les plus communes.
Les promoteurs de ces différentes techniques mettent tous en avant l’influence du courant électrique sur les mécanismes de frittage, et avancent qu’ainsi des performances bien plus importantes qu’avec les procédés conventionnels sont obtenues en termes de rapidité de densification, de densité finale, de microstructures, etc. On peut constater à la lecture de cet historique que l’idée de l’influence d’effets électriques intrinsèques (hors effet Joule) sur la cinétique de frittage est postulée dès 1944, puis reprise et enrichie par la suite par de nombreux auteurs, mais sans aucune vérification expérimentale sérieuse.
Principe du SPS
Comme indiqué précédemment, le principe du SPS consiste à densifier une poudre sous l’effet d’une pression et d’un courant électrique de très forte intensité. Les appareillages les plus répandus se présentent sous la forme d’une presse à chaud, dans laquelle les pistons transmettant la pression jouent également le rôle d’électrodes . La poudre à fritter est introduite dans des moules en matériau conducteur d’électricité, généralement en graphite. Ces moules sont constitués d’une matrice, cylindre percé d’un alésage dans le sens longitudinal, dans lequel coulissent deux pistons transmettant la pression et le courant électrique, et entre lesquels est positionnée la poudre. Une feuille de graphite est généralement disposée entre les pistons et la matrice, ainsi qu’entre la poudre et les pistons, pour assurer des fonctions d’étanchéité, de lubrification et permettre un démoulage aisé, tout en permettant le passage du courant. Les expériences se déroulent généralement sous un vide primaire. Lors du frittage, la pression est appliquée sur la poudre grâce à une presse hydraulique. Le chauffage de l’échantillon est assuré par le courant électrique intense, qui chauffe le moule en graphite par effet Joule, ainsi que l’échantillon, si celui-ci est conducteur. Cette manière de chauffer l’échantillon constitue l’originalité du SPS. La production de chaleur étant réalisée à l’intérieur ou à proximité immédiate de l’échantillon, un chauffage très rapide de celui-ci est obtenu. Typiquement, des vitesses de chauffage de 100°C/min sont utilisées, mais il est possible dans certains cas de monter à 1000°C/min. Les vitesses de refroidissement sont également élevées, car il n’y a que l’échantillon et la matrice à refroidir, et non un ensemble constitué d’électrodes de chauffage et de matériau réfractaire comme dans un four classique. Cette vitesse dépend du volume des échantillons et des moules, et elle décroît quand la température diminue, mais pour des expériences de laboratoire, elle est typiquement de l’ordre de 50 à 500°C/min. Ces grandes vitesses de chauffage et de refroidissement permettent des durées de cycles très courtes, de l’ordre de 30 minutes à une heure.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I Revue bibliographique
I.1. Introduction
I.2. Théorie du frittage conventionnel
I.2.1. Définition du frittage
I.2.2. Mécanismes microscopiques de densification
I.2.3. Mécanismes dans le cas des métaux
I.3. PrésentationdelatechniqueSPS
I.3.1. Historique
I.3.2. Principe du SPS
I.3.3. Cinétique du SPS – Comparaison avec d’autres techniques
I.3.4. Mécanismes de frittage par SPS habituellement invoqués
I.3.5. Conclusions
I.4. Influence d’un courant électrique sur les mécanismes métallurgiques
I.4.1. Electromigration – Effets électriques sur les mécanismes réactionnels
I.4.2. Electroplasticité
I.4.3. Conclusions
I.5. Métallurgie des poudres de TiAl
I.5.1. Elaboration des poudres par atomisation par gaz
I.5.2. Frittage par les techniques conventionnelles
I.5.3. Frittage par SPS
I.6. Conclusions – Objectifs de l’étude
Références bibliographiques
Chapitre II Poudre et techniques expérimentales
II.1. Introduction
II.2. Préparation de lames minces dans des échantillons poreux
II.2.1. Travaux préliminaires
II.2.2. Technique du faisceau d’ions focalisé (FIB)
II.2.3. Elaboration de composites TiAl-Ti
II.3. Caractérisation microstructurale
II.3.1. Microscopie électronique en transmission (MET)
II.3.2. EBSD
II.4. Préparation des poudres
II.5. Calibration des températures mesurées par le SPS et le HP
II.6. Essais de compression à chaud
Références bibliographiques
Chapitre III Mécanismes activés lors de la densification par SPS
III.1. Introduction
III.2. Caractérisation de la poudre TiAl initiale
III.3. Evolution du taux de compaction
III.4. Evolution de la taille des grains des particules
III.5. Caractérisations par MET des ponts et centres des particules
III.5.1. Zones prélevées par FIB
III.5.2. Vue générale des grains
III.5.3. Microstructure de déformation
III.6. Discussion et conclusion
Références bibliographiques
Chapitre IV Etude macroscopique des cinétiques de densification par SPS et par HP
IV.1. Introduction
IV.2. Bibliographie
IV.3. Conditions expérimentales
IV.3.1. Poudre initiale et échantillons
IV.3.2. Géométrie des matrices
IV.3.3. Cycles de densification
IV.4. Dépouillement des données fournies par le SPS et le HP
IV.5. Résultats
IV.5.1. Analyse des cycles de densification par SPS et par HP
IV.5.2. Cinétiques isothermes à différentes contraintes
IV.5.3. Cinétiques isothermes à différentes températures
IV.5.4. Cinétiques anisotherme
IV.6. Analyse des résultats
IV.6.1. Contrainte et déformation équivalente lors d’une densification par SPS à 100°C/min
IV.6.2. Détermination de l’exposant de contrainte n
IV.6.3. Détermination de l’énergie d’activation Q
IV.7. Discussion et conclusion
Références bibliographiques
Chapitre V Mécanismes de déformation à haute température dans le TiAl massif
Conclusion générale