Théorie de Leininger : Pratique infirmière
PROBLÉMATIQUE
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (2016), une personne âgée est « une personne dont l’âge a passé l’espérance de vie moyenne à la naissance » (2016, p.262). Sachant que l’espérance de vie (à la naissance) est définie par « le nombre moyen d’années qu’un nouveau-né est censé vivre s’il est soumis au taux de mortalité selon l’âge au cours d’une période donnée » (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2016, p.260). « Dans les pays à revenus élevés, l’augmentation continue de l’espérance de vie est maintenant principalement due à la baisse de mortalité des personnes les plus âgées » (OMS, 2016, p.3). Cependant, il existe une diversité de définitions de la personne âgée. Selon Bolzman et al. (2014) : La notion de personne âgée ne correspond pas nécessairement à un âge précis qui serait le même partout. Il s’agit, en effet, d’une construction sociale qui peut être interprétée différemment selon les représentations collectives et les valeurs culturelles dominantes dans un contexte déterminé. Dans les sociétés où l’on se marie très jeune, comme dans certaines sociétés d’Afrique et d’Amérique Latine, les personnes peuvent être considérées très tôt comme personnes âgées en raison de leur statut de grands-parents (p.12). En Suisse, il s’agit plutôt d’une définition socio-institutionnelle correspondant à l’âge où l’on perçoit les rentes AVS. « Lorsque vous atteignez l’âge ordinaire de la retraite, vous avez droit à une rente de vieillesse. Cet âge est fixé à 65 ans pour les hommes et à 64 ans pour les femmes » (Office fédérale des assurances sociales, 2016, p.2). Selon l’OMS (2015), « entre 2015 et 2050, la proportion des 60 ans et plus dans la population mondiale va presque doubler, passant de 12% à 22% » et il y aura « d’ici à 2050, on s’attend à ce que la population mondiale âgée de 60 ans et plus atteigne 2 milliards de personnes, contre 900 millions en 2015….Aujourd’hui, 125 millions de personnes sont âgées de 80 ans et plus ». En effet, « il existe deux facteurs clés de vieillissement de la population. Le premier est l’augmentation de l’espérance de vie : en moyenne, les populations à travers le monde vivent plus longtemps […] La deuxième raison pour laquelle les populations vieillissent, est la baisse des taux de fécondité » (OMS, 2016, pp.51-55). Au cours de mes recherches, la notion de vieillissement est omniprésente, il convient donc de la définir. Ainsi, Les changements qui constituent et influencent le vieillissement sont complexes. Sur un plan biologique, le vieillissement est associé à l’accumulation d’une 13 importante variété de lésions moléculaires et cellulaires. Au fil du temps, ces lésions conduisent à une réduction progressive des ressources physiologiques, à un risque accru de diverses maladies, et à une diminution générale des capacités de l’individu. Ce processus aboutit finalement à la mort (OMS, 2016, p.29). Néanmoins, au-delà de cette définition biologique, il faut prendre en compte l’aspect social, qui correspond à différentes pertes pour les personnes âgées notamment : celle de l’emploi et le départ en retraite mais aussi quitter son domicile ou encore la perte du partenaire. En Suisse, les personnes âgées bénéficient de programmes politiques spécifiques. Selon le rapport de politique cantonale Vieillissement et Santé (2012) : Le vieillissement des sociétés occidentales comporte aussi de nombreux enjeux et des responsabilités : celles des seniors d’une part, qui ont un rôle essentiel à jouer dans le lien social et les solidarités entre générations ; celles de l’Etat d’autre part, qui doit s’assurer que les conditions de vie de personnes âgées vulnérables ou dépendantes prennent en compte leurs besoins et respectent leur dignité (p.6). Les établissements de soins sont définis selon l’OMS (2016), comme : Des institutions au sein desquelles sont fournis des soins de longue durée ; celles-ci peuvent inclure des centres communautaires, des résidences avec services de soutien, des maisons de repos, des hôpitaux et d’autres établissements de santé ; les établissements de soins ne sont pas définis uniquement par leur taille (p. 260). Selon l’OFS (2012) : Sur les 1,308 million de personnes de 65 ans et plus que compte la Suisse, environ 84’000 vivent dans un EMS pour un long séjour (6%). Le taux d’institutionnalisation augmente fortement avec l’âge : il passe de 1% chez les 65-74 ans à 28% des 85 ans et plus….Les femmes très âgées (dès 85 ans) composent près de la moitié de l’effectif des EMS (48%). Les personnes y vivent en moyenne 2,7 ans (p.5). Parmi cette population âgée, se trouve des personnes issues de l’immigration. En effet, « en février 2017, la population étrangère résidante permanente était composée à 68.5% de ressortissants de l’UE 28/AELE2 . Les ressortissants d’Etats tiers représentaient une part de 31.5% » (Secrétariat d’Etat aux Migrations [SEM], 2017, p.3). Selon Hungerbüler (2012) : D’après les chiffres les plus récents de l’Office fédéral de la statistique (OFS), les personnes nées hors de Suisse représentent environ un cinquième de la population résidente permanente âgée de 65 ans et plus .En 2020, le quart des personnes âgées de 65 à 79 ans et environ le cinquième des 14 personnes de plus de 80 ans seront des personnes d’origine étrangère. Le groupe de migrants âgés le plus important est, de loin, constitué par les personnes originaires d’Italie, avec 57000 personnes de plus de 65 ans, dont 9500 de plus de 80 ans. Les personnes d’origine espagnole sont également nombreuses : 7000 ont plus de 65 ans, dont 1200 dépassent les 80 ans. Environ 3700 personnes de plus de 65 ans sont originaires de Serbie, 1400 de Bosnie-Herzégovine et 1300 de Croatie. Le grand âge – c’est-à-dire les personnes de 80 ans et plus – est marqué par une surreprésentation des femmes. Ce constat, qui vaut pour la population suisse, s’applique aussi à la population migrante, quel que soit le pays d’origine (p.198). De plus, « la population migrante âgée présente une grande hétérogénéité. Fin 2010, on comptait 135 000 ressortissants étrangers de plus de 65 ans, provenant de 161 pays et présentant une grande diversité de classes sociales, d’appartenances religieuses, de motifs migratoires et de statuts de séjour » (Hungerbüler, 2012, p.199). Cette population migrante âgée s’auto-évalue aussi en moins bonne santé que la population Suisse : Parmi les personnes de nationalité suisse âgées de 51 à 62 ans, seuls 5% déclarent se sentir en mauvaise ou très mauvaise santé. Cette proportion s’élève à 14% chez les personnes d’origine italienne et se situe entre 30 et 40% chez celles qui viennent d’ex-Yougoslavie, du Portugal ou de Turquie. Dans la tranche d’âge comprise entre 63 et 74 ans, seuls 4% des Suisses décrivent leur état de santé comme mauvais ou très mauvais, tandis que cette proportion est de 25% en moyenne dans la population étrangère (Hungerbüler, 2012, p.199). Même la population issue de l’immigration qui n’est pas encore à l’âge de l’AVS mais qui s’en approche, se situe aussi en moins bonne santé que la population autochtone. Ainsi, nous serons donc amenés à prendre en soins de plus en plus de personnes âgées issues de l’immigration même si « la part de la population migrante parmi les pensionnaires des institutions pour personnes âgées demeure faible, environ un dixième. De plus, les ressortissants étrangers qui résident dans ces institutions sont, dans l’ensemble, plus jeunes. Cette situation est toutefois appelée à changer ces prochaines années » (Hungerbüler, 2012, p.200). Dans de nombreuses cultures, les enfants ont quelque part un devoir de s’occuper de leurs parents âgés. Cependant, à l’heure actuelle, ces mêmes enfants ont des vies professionnelles chargées. De ce fait, « l’offre institutionnelle de prise en charge et de soins aux personnes âgées apparaîtra ainsi de plus en plus comme une option socialement acceptable, y compris pour la population migrante » (Hungerbüler, 2012, p.200). Or les institutions et les professionnels de ce domaine ne se sont guère préparés aux besoins spécifiques de ce groupe, l’hypothèse ayant longtemps été que les migrants retourneraient dans leur pays d’origine à l’âge de la retraite. Aujourd’hui que cette hypothèse s’avère en grande partie invalidée, ces professionnels se 15 doivent de prêter davantage attention à une clientèle qu’ils connaissent souvent mal et de développer des modèles de prise en charge et de soins adaptés à ses besoins spécifiques (Hungerbüler, 2012, p.200). La majorité des personnes âgées entrent en EMS pour des raisons médicales. Elles ont des besoins en soins spécifiques dus à une multimorbidité. En effet, selon l’OFS (2012), La multimorbidité est très prégnante en EMS : 86% des personnes ont plusieurs maladies diagnostiquées, 23% en ont même cinq ou davantage. 78% ont une pathologie somatique et 69% une maladie psychique. 54% des résidentes et résidents souffrent à la fois d’au moins une pathologie somatique et d’une maladie psychique. Les problèmes cardiovasculaires (49%) et l’hypertension (47%) sont les deux diagnostics physiques les plus fréquents. Les deux maladies mentales les plus fréquentes sont la démence (39%) et la dépression (26%) (p.6). A noter que cette multimorbidité augmente avec l’âge seulement chez les femmes, « chez les hommes, on ne constate pas de différence significative selon l’âge. En revanche, chez les femmes, la moyenne du nombre de diagnostics passe de 2.9 pour les 65-74 ans à 3.4 pour les 75 ans et plus » (OFS, 2012, p.31). De plus, « plus de la moitié des résidentes et résidents d’EMS présentent au moins un trouble cognitif (59%). Cette proportion ne varie pas en fonction de l’âge, ni du sexe. Le fait d’avoir une capacité décisionnelle modérément (24%), voire fortement altérée (30%) est le trouble le plus fréquent » (OFS, 2012, p.26). Tout cela affecte leurs modes de vie, en effet, « il n’est pas étonnant que la majorité des personnes en EMS connaissent des limitations d’activité en raison de problèmes de santé : la moitié sont limitées (50%) et un tiers le sont fortement (33%). On ne constate pas de différence d’âge ou de sexe » (OFS, 2012, p.13). Parmi eux, se trouve des personnes issues de l’immigration. En effet, selon ChristenGueissaz (2013), « contrairement aux anticipations politiques et économiques, et comme dans bien des pays européens, beaucoup de ces migrants sont restés dans le pays d’accueil, même au-delà de leur prise de retraite » (p.13) et « ils [les migrants âgés] vivent avec des moyens modestes et souffrent souvent de problèmes de santé datant déjà de la dernière décennie de leur carrière professionnelle….certains d’entre eux vivent aujourd’hui dans des structures d’hébergement pour personnes âgées dépendantes d’aide et de soin, les établissements médico-sociaux »
ETAT DES CONNAISSANCES
Dès lors pour apporter des réponses à cette question de recherche, il convient de partir sur des bases communes. Entendons par là, de partir sur un langage commun en définissant les principaux mots clés de cette revue de littérature. Des notions comme la personne âgée et les EMS ont été développés lors du précédent chapitre. 2.1. L’interculturalité Selon Brigitte Tison (2007), Le mot « interculturel » a son histoire. Il a été inventé en France, il y a plus de trente ans. Dans les années 1970, le Conseil de l’Europe fait de l’interculturel une base de travail alors qu’il essaie de répondre au traitement de l’immigration. Le sens qui en est alors donné porte sur l’idée d’échange, d’interaction, de relationnel. « L’inter-culturalité », dira Claude Clanet, est « l’ensemble des processus psychiques, relationnels, groupaux, institutionnels…générés par les interactions de cultures, dans un rapport d’échanges réciproques et dans une perspective de sauvegarde d’une relative identité culturelle des partenaires en relation » (p.33). La culture « correspond à une construction sociale dynamique des modèles de comportements, de croyances, des valeurs, des modes de vie et coutumes qui oriente la vision du monde, guide les processus de pensée et les modes de décisions d’un groupe de personnes » (Leininger, 1991, cité par Voyer, 2013, p.634). 2.2. Immigration « La migration peut être définie comme l’action et l’effet de passer d’un pays à un autre pour s’y établir. C’est un évènement sociologique qui s’inscrit dans un contexte historique et politique » (Ferradji, 2010, p.28). Les raisons sont souvent d’ordre multidimensionnel (politiques, économiques,…). Le terme immigration est défini tel quel mais dans cette revue de littérature, il est à prendre dans le sens où les personnes âgées sont issues d’une première immigration de leur pays d’origine à la Suisse mais une fois installée en EMS, il s’agit plutôt de voir le terme dans le sens d’une culture différente à la population autochtone. Selon l’OFSP (2008), On entend par personnes d’origine migrante l’ensemble des personnes résidant en Suisse qui étaient de nationalité étrangère à leur naissance, indépendamment du lieu de naissance, que ce soit en Suisse ou à l’étranger. Ce terme englobe donc la première et la deuxième génération de la population étrangère résidant 18 en Suisse ainsi que les personnes naturalisées. En 2000, le recensement indiquait que la part de la population étrangère représentait 20,5 % de la population résidant en Suisse, dont 7,4 % de personnes naturalisées (p.9). 2.3. Qualité de vie et bien-être La définition de la qualité de vie, largement utilisée dans la littérature est celle de l’OMS (1998), La qualité de la vie est la façon dont les individus perçoivent leur position dans la vie, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels ils vivent et en relation avec leurs buts, attentes, normes et préoccupations. Il s’agit d’un concept large, qui incorpore de façon complexe la santé physique d’une personne, son état psychologique, son degré d’indépendance, ses relations sociales, ses convictions personnelles et sa relation avec des éléments importants de l’environnement. Cette définition met en évidence l’idée que la qualité de la vie relève d’une évaluation subjective, qui a des dimensions à la fois positives et négatives et est enracinée dans un contexte culturel, social et environnemental. L’OMS a défini six grands domaines qui décrivent les aspects essentiels de la qualité de la vie dans une perspective transculturelle : un domaine physique (énergie et fatigue, par exemple), un domaine psychologique (sentiments positifs, par exemple), un degré d’indépendance (mobilité, par exemple), des relations sociales (soutien social concret, par exemple), l’environnement (la possibilité d’obtenir des soins de santé, par exemple) et les convictions et la spiritualité personnelles (sens de l’existence, par exemple). Le domaine de la santé et celui de la qualité de la vie sont complémentaires et se recouvrent partiellement (p.30). Cette définition s’accorde parfaitement avec les concepts clés de la théorie de Leininger développés dans le chapitre suivant. En effet, la prise en soin infirmière de la personne âgée se fait dans une vision dite holistique. Ainsi, La qualité de vie ne se limite pas seulement à la santé mais implique aussi le jugement qu’un individu porte sur son bien-être et sur son statut social. Cette évaluation subjective se fait en fonction des valeurs culturelles de la société dans laquelle la personne vit et dans laquelle elle a grandi (Bolzman, 2014, p.7). Il s’agit donc d’une définition qui a aussi un caractère très subjectif. Pour mesurer cette qualité de vie, il est ainsi nécessaire d’utiliser des instruments de recherche qui prennent en compte cette importante caractéristique. Il existe de nombreux questionnaires et autres échelles de mesure utilisés en fonction du but de la recherche scientifique. Dans la littérature scientifique, de nombreuses études ont montrés que les personnes âgées avaient identifiées des domaines qu’ils identifient comme important pour leur qualité de vie. Ces domaines incluent les suivants : la santé, le bien-être psychologique, les relations sociales, le bien-être émotionnel, les activités, la maison et le voisinage, les 19 circonstances financières et la spiritualité ainsi que la religion (Adra et al., 2015, traduction libre, pp.308-309). Le bien-être aussi est un concept subjectif tant il existe de définitions. Il a aussi un caractère multidimensionnel. Dans la littérature, on parle souvent de bien-être physique et psychologique. Ses déterminants sont identifiés dans un des articles retenus dans l’un des chapitres suivants. Pour partir sur une base commune, la définition suivante peut être retenue, selon Florin & Préau (2013), « la notion de bien-être est multiforme. Elle peut être appréhendée comme une dimension du progrès social, être présentée comme un phénomène complexe, pluridimensionnel, qui recouvre aussi bien les conditions de vie matérielles, la santé, l’éducation, le travail, que la participation à la vie politique, les liens et les rapports sociaux, l’environnement, l’insécurité..
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Table des matières
Résumé
Liste des abréviations
Liste des tableaux
Liste des figures
Table des matières
Introduction
1. Problématique
1.1. Définitions des concepts clés et population cible appuyées par des données épidémiologiques, sociopolitiques et législatives
1.2. Question de recherche initiale
2. Etat des connaissances
2.1. L’interculturalité
2.2. Immigration
2.3. Qualité de vie et bien-être
2.4. Interventions infirmières
3. Modèle théorique
3.1. Ancrage théorique sur le modèle théorique de Leininger
3.2. Théorie de Leininger : Pratique infirmière
3.3. Question de recherche finale
4. Méthode
4.1 Tableau n°1: PICO
4.2 Sources d’informations et stratégie de recherche documentaire
4.2.1 Tableau n°2 : Mots clés/Mesh terms
4.2.2 Tableau n°3: Les équations de recherche
4.2.3 Diagramme de flux
5. Résultats
5.1. Analyse critique des articles retenus
5.2 Tableau n°4 : Comparaison des résultats
6. Discussion
6.1. Principales thématiques et théorie de Leininger
6.2. Réponses à la question de recherche : Interventions infirmières proposées en lien avec les thématiques principales
7. Conclusion
7.1. Apports et limites du travail
7.2. Recommandations
8. Références bibliographiques
9. Annexes
9.1. Annexe n°1
9.2. Annexe n°2
9.3. Annexe n°3
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