Revue de la littérature et intérêt de l’étude
Plusieurs travaux concernant l’analyse de SARL ont déjà été réalisés, notamment dans le monde anglo-saxon. Parmi ces études, trois catégories se distinguent de par la méthodologie adoptée : les analyses effectuées par des chercheurs à partir des outils proposés et des dis cours véhiculés par les sites (Loiseau & al., 2011 ; Potolia & al., 2011) ; les analyses effectuées par des chercheurs s’étant immergés dans un ou plusieurs SARL dans le cadre d’une approche ethnographique (Clark & Gruba, 2010 ; Chotel & Mangenot, 2011) ; les analyses de chercheurs ayant observé, à l’aide de différentes techniques, des apprenants utilisant un ou plusieurs SARL (Harrison & Thomas, 2009 ; Stevenson & Liu, 2010 ; Brick, 2011 ; Lloyd, 2012).
Les angles d’étude divergent également parmi ces travaux. La première catégorie s’intéresse principalement au rôle des utilisateurs, à la modélisation pédagogique et à l’horizontalité, critères pouvant révéler l’appartenance de ces SARL au « paradigme « web 2.0 » » (Loiseau & al., op.cit., n.p.).
Au sein de la deuxième catégorie, Clark & Gruba (op. cit.) ont choisi d’examiner le SARL Livemocha du point de vue de l’apprentissage des langues en se positionnant eux-mêmes comme apprenants de langue étrangère. Ils articulent leur discussion autour de trois thématiques ayant émergé de leur analyse : la motivation, la frustration et la démotivation ; ils suggèrent des pistes d’amélioration pédagogique pour encourager la motivation et remédier aux deux autres aspects. Pour leur part, Chotel & Mangenot (op. cit.) abordent Busuu et Babbel via la question de l’autoformation cognitive et sociale et montrent que ces deux SARL n’accompagnent pas réellement l’autonomie des participants mais la considèrent plutôt comme un pré-requis.
Dans la troisième catégorie, Harrison & Thomas (op. cit.) appréhendent le SARL Livemocha sous l’angle de l’identité en prenant comme cadre de référence la définition des « social networking sites » (SNSs) conçue par Boyd & Ellison (2007). Leur approche concerne moins l’apprentissage des langues en lui-même que la construction des relations et la médiation dans ce réseau social spécifique qu’est Livemocha. Ils concluent leur travail sur les potentialités pour la prise en main de l’apprentissage des langues par les apprenants et l’occasion de repenser les théories de l’apprentissage à l’aune des outils « web 2.0 ». Stevenson & Liu (op. cit.) se penchent sur l’utilisabilité technique et pédagogique de Palabea, Babbel et Livemocha. Leurs résultats et discussion abordent sept thématiques très variées allant du site le plus apprécié, à la critique des contenus en passant par les fonctionnalités interactionnelles et la comparaison avec des réseaux socionumériques généralistes. Si ces thèmes peuvent susciter des pistes de réflexion pour de futurs travaux, ils ne nous semblent pas avoir été réellement guidés par des questions de recherche précises auxquelles des réponses seraient apportées.
L’orientation de Brick (op. cit.) ressemble par certains aspects à celle de Stevenson & Liu.
Bien que le terme « utilisabilité » ne figure pas comme ligne directrice de son étude de Livemocha, les questions de recherche affichées s’en rapprochent. La discussion ouvre sur un bilan mitigé avec, d’une part, des critiques des contenus gratuits d’apprentissage et de la qualité des feedbacks fournis par les pairs, l’existence de « cyber flirting », le temps conséquent nécessaire à la construction d’un réseau de pairs approprié et, d’autre part, des avantages en termes d’interactions avec des natifs et la possibilité de corrections nombreuses et quasi-immédiates de la part des pairs. Situant son étude dans le contexte de coupes budgétaires dans l’éducation supérieure, Brick estime que les « social networking sites for language learning » pourraient jouer un rôle dans l’enseignement/apprentissage formel.
Lloyd (op. cit.), le dernier auteur retenu dans cette catégorie, adopte un angle différent des autres travaux présentés. Il montre qu’il existe une corrélation entre d’un côté, le type et la fréquence des interactions auxquelles les sujets observés ont participé, et de l’autre, la personnalité des sujets, leur « désir de communiquer » (op. cit., n.p.) et leur degré de familiarité avec les applications de médias sociaux. Si, comme Brick, Lloyd considère que les SARL peuvent être intégrés dans un contexte d’apprentissage formel, il précise qu’il l’envisage sous la forme de projets de télécollaboration de groupe via les SARL.
Dans cette brève revue de littérature, nous avons tenté de mettre en lumière les apports de différents travaux s’intéressant à l’apprentissage des langues sur les SARL. Toutes les analyses convergent vers l’identification des mêmes forces et faiblesses ergonomiques et/ou pédagogiques de ces environnements et certaines adoptent des orientations plus précises telles que les caractéristiques web 2.0, l’identité dans les SARL, l’autoformation ou la personnalité des apprenants. Toutefois, aucune étude n’a jusqu’à présent –à notre connaissanceappréhendé l’apprentissage des langues sur un SARL de façon holistique et systémique et ce, du point de vue des apprenants. De par notre problématique, notre cadrage théorique et la démarche méthodologique choisie , nous estimons que ce mémoire peut contribuer à une meilleure compréhension de l’activité d’apprentissage sur les SARL et à l’avancée de la réflexion sur les potentialités de ces environnements pour l’apprentissage des langues.
Contexte d’apprentissage et démarche méthodologique
Pour répondre à notre problématique et à nos questions de recherche, nous avons élaboré une expérimentation avec trois étudiants chinois de Télécom SudParis, école d’ingénieur dans laquelle nous travaillons. Précisons que nous utilisons le terme « expérimentation » au sens d’« étude » et afin d’éviter la confusion avec le terme « expérience », au sens du « vécu ». Le vocable « expérimentation » n’a ici aucun lien avec la démarche expérimentale. Cette expérimentation a consisté en quatre heures de connexion individuelle sur le SARL Busuu, réparties sur une durée de six semaines environ, sans consignes pédagogiques particulières concernant l’utilisation des contenus et des fonctionnalités du site.
L’expérimentation a été mise en place dans un contexte d’apprentissage non formel dans la mesure où elle n’a pas eu lieu dans le cadre d’un cours, n’a débouché sur aucune qualification et relève de l’auto-apprentissage (Mangenot, 2011). Nous distinguons les contextes d’apprentissage formel, non formel et informel en nous basant sur les définitions données par la Commission Européenne, que nous détaillerons dans la partie 3.2. Pour résumer, l’apprentissage formel émane d’une institution d’enseignement, se déroule dans un cadre structuré et donne lieu à une qualification. L’apprentissage non formel peut être planifié et organisé mais relève d’organismes différents de ceux de l’enseignement institutionnel et ne débouche pas nécessairement sur une qualification. Enfin, l’apprentissage informel dépend des activités quotidiennes, n’est pas organisé et peut ne pas être intentionnel.
Nous inscrivant dans le domaine de l’ALAO, nous pouvons spécifier davantage ce contexte d’apprentissage non formel en nous référant à Dooly & O’Dowd (2012). Ces auteurs identifient trois formes d’interactions en ligne et d’échanges en enseignement/apprentissage des langues : les échanges en classe, les échanges de type télécollaboration entre classes et les échanges entre la classe et le monde extérieur. Ces derniers « impliquent des apprenants de langues qui utilisent leur langue cible pour entrer en contact avec des individus ou des groupes dans le « monde réel » sans que ce contact ait été organisé au préalable par l’enseignant » (op. cit. : 19, notre traduction). Notre expérimentation se situe précisément dans ce cas.
Pour observer et comprendre l’activité d’apprentissage des apprenants dans le contexte écologique que nous venons de présenter, nous faisons le choix d’une méthodologie descriptive et qualitative basée sur plusieurs techniques de prélèvement des données que nous détaillerons dans la partie ad hoc.
Théorie de l’activité, approche instrumentale et analyse des interactions en ligne : une approche systémique de l’activité d’apprentissage des langues sur un SARL
L’élaboration de notre cadre théorique s’est faite progressivement, au fur et à mesure de nos lectures et de la prise de connaissance de notre corpus. A la recherche d’un modèle susceptible de prendre en compte les relations personne-personne, personne-machine et personne-activité pédagogique, nous nous sommes tout d’abord intéressée au modèle de la médiation en CMO pour l’apprentissage des langues, présenté par Lamy & Hampel (2007 : 33). Ce modèle fait se croiser les interactions entre participants, les tâches et les outils technologiques. Afin de conférer à celui-ci une dimension dynamique, la notion d’affordance nous a paru pertinente. Toutefois, à la lecture des travaux d’Engeström sur la théorie de l’activité et de Rabardel sur l’approche instrumentale, ces modèles théoriques nous ont semblé plus à même de faire cohabiter davantage d’éléments du contexte tout en plaçant le sujet au cœur de l’activité humaine instrumentée. Nous avons également intégré la CMO et l’approche interactionnelle au modèle général de la théorie de l’activité pour appréhender les interactions médiatisées. Ces artefacts conceptuels se sont ainsi révélés adéquats pour tenter de comprendre l’activité d’apprentissage des trois sujets observés sur Busuu à travers l’analyse des relations dynamiques entre ces apprenants de FLE, les différents artefacts et les autres membres du SARL.
Dans un premier temps, nous présenterons donc la théorie de l’activité qui nous servira de cadre systémique et dynamique pour mieux comprendre l’activité humaine et, dans notre cas, l’activité d’apprentissage dans un SARL. En nous basant sur cette théorie, notamment inspirée des travaux en psychologie autour des recherches socioculturelles, nous nous référerons à l’approche instrumentale, ancrée dans l’ergonomie cognitive, afin de cerner les enjeux des « situations d’activités instrumentées » (Rabardel, 1995 : 52). Nous proposerons ensuite une modélisation de l’activité d’apprentissage sur un SARL et nous nous focaliserons sur trois triades, ou sous-triangles d’analyse, nous permettant d’appréhender de façon synchronique et diachronique les actions d’apprentissage des apprenants sur le SARL Busuu. Deux de ces trois triades seront notamment orientées vers les questions d’interactivité et de médiatisation des interactions.
En ce qui concerne les interactions médiatisées, qui constituent le cœur de la troisième triade, nous nous appuierons sur la communication médiatisée par ordinateur (CMO), l’approche interactionniste acquisitionnelle et l’analyse des conversations exolingues afin d’étudier les interactions par chat auxquelles les apprenants ont participé sur Busuu.
Nous convoquerons ainsi des disciplines complémentaires dans le but d’aborder l’activité d’apprentissage d’un point de vue anthropocentré.
La théorie de l’activité : un cadre systémique et dynamique
Historique et aperçu de la théorie de l’activité
Engeström (1987) retrace la genèse de la théorie de l’activité (Activity Theory) en remontant au 19ème siècle. Pour notre part, nous ne reprendrons ici que les trois évolutions principales de cette théorie, qu’Engeström qualifie de générations. Elles apportent un éclairage sur l’activité humaine en tant qu’activité médiatisée, culturelle, collective et évolutive, devant être considérée sous un angle systémique pour embrasser toutes ses dimensions.
La première génération de la théorie de l’activité s’articule autour du concept de « médiation » de Vygotsky et repose sur l’idée que les actions humaines sont médiatisées par des artefacts culturels symboliques ou physiques qui permettent à l’homme d’agir sur son environnement humain et matériel. L’approche de Vygotsky, qui fait du sujet un véritable acteur, pâtit cependant de sa focalisation au niveau de l’action de l’individu.
La deuxième génération, centrée sur les recherches de Leontiev, différencie justement l’individu et le collectif et apporte une vision plus précise en distinguant les niveaux de l’activité, de l’action et de l’opération. L’activité, considérée comme l’unité d’analyse, est le niveau supérieur et est orientée vers une finalité dépendant d’un contexte. L’atteinte de celleci suppose la participation d’autres personnes ou groupes de personnes, qui s’organisent pour se répartir le travail. L’activité est segmentée en plusieurs actions, dont les objectifs peuvent être distincts de la finalité de l’activité, au point même de paraître irrationnelles. Les opérations correspondent enfin au niveau le plus élémentaire et relèvent d’actes automatiques que les sujets réalisent fréquemment, en réaction aux conditions extérieures, dans le cadre d’actions.
La troisième génération de la théorie de l’activité est celle des systèmes d’activité interdépendants, dont les finalités se croisent et s’entrecoupent. Les travaux d’Engeström (1987, 2001, 2012) portent principalement sur l’analyse de ces réseaux d’activité et de leurs contradictions (ou blocages) en vue de la modification de l’activité.
Pour la présente recherche, nous nous appuierons sur les apports de la première et de la deuxième générations dans la mesure où notre objet d’étude, l’apprentissage des langues sur un SARL, est circonscrit à une activité impliquant des actions, voire des opérations. Bien entendu, cette activité d’apprentissage retentit elle-même avec d’autres activités auxquelles participent les sujets mais ceci n’est pas notre propos. De plus, l’objectif de ce travail est l’analyse d’une activité et non la transformation de celle-ci.
Une modélisation systémique de l’activité humaine
Modélisation de l’activité humaine
Une des contributions notables d’Engeström (1987) est sa modélisation de l’activité humaine au-delà du schéma tripolaire habituel sujet-instrument-objet, que l’on retrouve, selon Rabardel (1995), tant dans l’approche technocentrée, que dans l’approche anthropocentrique de Norros (1991) ou dans les approches psychologiques centrées sur le sujet. Etant donné les divers ancrages théoriques revendiquant cette triade, précisons que, par « objet », nous entendons ici de façon très générale « l’objet vers lequel l’action à l’aide de l’instrument est dirigée (matière, réel, objet de l’activité, du travail, autre sujet…) » (Rabardel, op. cit. : 52).
Nous remarquons d’ailleurs que, dans le cadre de sa revue théorique, Rabardel ne semble pas faire de nette distinction entre activité et action.
Dans ce modèle, nous retrouvons le triangle formé par le sujet -qui peut s’incarner dans un ou plusieurs individus-, les instruments -matériels et symboliques- et l’objet. La terminologie d’Engeström distingue la finalité d’une activité, qu’il nomme « object », de l’objectif d’une action, qu’il nomme « goal ». La finalité de l’activité a une portée plus vaste que la somme des objectifs des actions qui composent l’activité.
Pour atteindre la finalité de l’activité, le sujet recourt certes à des instruments mais s’appuie aussi sur le concours de communautés dans la mesure où toute activité est directement ou indirectement (par les héritages historico-culturels) sociale. Le terme anglais « community » est ambigu ; nous pouvons en effet le comprendre dans un sens assez restreint, avec des caractéristiques précises telles que l’interdépendance et l’implication des membres, l’existence d’une micro-culture, une organisation sociale spécifique, une sélection des membres et une croissance organique, une certaine longévité et un espace d’échanges (Dillenbourg & al., 2003). Ces spécificités apparaissent à des degrés divers dans des communautés allant, par exemple, des communautés d’intérêt aux communautés d’apprentissage en passant par les communautés de pratique. Avec Mangenot (2011, n.p.), nous pouvons aussi nous poser la question de savoir si « ce terme [communauté] n’est […] pas à interpréter de manière moins stricte, plus proche du sens qu’il a chez les Américains, pour qui le voisinage est une communauté ». Nous penchons pour cette deuxième option, qui considère la communauté comme un groupe d’individus, dans la mesure où la première semble trop restrictive pour analyser les activités humaines.
Explicitons enfin les deux derniers pôles du modèle. Grâce à la division du travail, les participants de l’activité organisent leurs actions en sorte de pouvoir atteindre collectivement la finalité de l’activité. Par ailleurs, la réalisation de l’activité est régie par des règles qui s’appliquent aux relations entre les différents pôles.
Remarques conclusives sur les interactions médiatisées par chat
Pour conclure notre travail sur les interactions médiatisées par chat, nous allons mettre en regard nos résultats et ceux obtenus dans les études présentées dans le cadre théorique.
Du point de vue de l’entrainement aux interactions orales, si nous reprenons les dimensions définies par Noet-Morand (2003), il résulte que les conversations sur Busuu ont permis aux apprenants de pratiquer les salutations/adieux et les prises de parole, de gérer quelques situations de négociation de sens, de procéder à des autocorrections et à des changements de topic dans la conversation. Nous supposons que ces pratiques ont participé d’un travail sur l’aisance communicative même si le degré de difficulté des échanges ne s’est pas toujours situé dans la zone proximale de développement des apprenants.
En termes d’incitation à l’interaction, nous n’avons aucun élément de comparaison par rapport à une situation en face-à-face par exemple. Toutefois, les chats enregistrés font état d’un nombre de TP important (principalement dans les conversations de Huilong) démontrant une activité interactive forte et d’une structuration globalement équilibrée des tours de parole.
Le fait que les buts des échanges aient été avant tout communicationnels a certainement motivé les apprenants et participé de leur implication dans les interactions.
L’attention portée à la forme par les apprenants ne s’est pas pleinement traduite dans les chats dans la mesure où ces derniers ont plutôt eu recours à des aides logicielles qu’humaines pour résoudre des difficultés de compréhension ou d’expression écrites. Cependant, si nous nous focalisons sur l’utilisation de ces aides logicielles, nous remarquons que des activités cognitives de recherche de signification ou de traduction ont été réalisées. Si quelques épisodes de négociation du sens entre les interactants ont été décelés, ils sont peu nombreux pour les raisons que nous venons de citer mais aussi par manque de collaboration des locuteurs forts, orientés davantage vers la communication que l’apprentissage. L’absence de mise en place de contrat didactique entre les locuteurs ne favorise pas la focalisation sur la forme. Nous pouvons nous demander si le fait de récompenser les locuteurs forts jouant un réel rôle de « soutien à l’apprentissage » inciterait à la négociation de ce type de contrat. Cette reconnaissance pourrait prendre la forme d’une note attribuée aux locuteurs forts par les locuteurs faibles comme cela est le cas pour l’évaluation de l’utilité des corrections proposées.
Les trois apprenants ont été en contact avec des inputs spécifiques à la communication écrite quasi-synchrone et avec des registres de langue autres que standard à travers les messages de leurs interlocuteurs. La production de ces spécificités a toutefois été plus sporadique chez les locuteurs faibles. Plusieurs phénomènes de variation sont apparus chez les apprenants, principalement chez Huilong, qui a fait montre de l’utilisation de marques issues de la norme « scripto-conversationnelle » en langue française. Il en est de même pour le registre de langue familier, dont seul Huilong s’est parfois servi.
Enfin, les interlocuteurs ont introduit des références culturelles et personnelles dans leurs discussions, qui ont conduit à des découvertes et échanges interculturels et interpersonnels.
Même si ceux-ci n’ont pas nécessairement été beaucoup approfondis par les interactants, ils leur ont néanmoins permis d’entrevoir quelques traits du pays/langue/culture de leur partenaire.
Nous retrouvons ainsi dans nos conclusions la plupart des aspects déjà repérés dans les études précédentes, même si cela peut être à des degrés divers. Une nette différence réside, rappelons-le, dans le contexte d’apprentissage de notre expérimentation, qui, contrairement à ces travaux, était non formel.
Conclusion
A travers cette conclusion, nous allons résumer et mettre en perspective les résultats obtenus dans notre étude. Nous insisterons notamment sur la dimension épistémologique de ce travail. Nous soulignerons les limites de la présente recherche, en partie liées au dispositif méthodologique. Enfin, nous proposerons des pistes en vue d’une recherche-action qui pourrait faire l’objet d’une thèse de doctorat.
Dans ce mémoire, nous nous sommes efforcée de décrire et d’analyser l’activité d’apprentissage de trois étudiants chinois sur le SARL Busuu. Grâce aux apports de la théorie de l’activité, nous avons pu cerner et comprendre les actions des apprenants en les réélaborant à l’aune d’un cadre systémique et évolutif, impliquant plusieurs paramètres contextuels. Ce modèle a constitué pour nous un socle théorique riche nous permettant de faire interagir les éléments qui nous semblaient fondamentaux dans l’activité d’apprentissage. Dans la lignée de la théorie socioculturelle et de l’approche instrumentale, nous avons fait le choix d’une perspective anthropocentrée à partir de laquelle nous avons saisi les activités instrumentées de façon individuelle et collective. Même si nous nous sommes également référée aux notions connues et utilisées en ALAO que sont l’interactivité et l’interaction, nous les avons intégrées dans ce système global qui confère, de notre point de vue, une autre dimension à l’analyse de l’activité d’apprentissage.
Outre ce cadrage théorique spécifique, nous estimons que nos choix méthodologiques ont contribué à mieux percevoir les actions des apprenants en ligne. En effet, malgré les défauts soulignés, le recours à des enregistrements de captures d’écran dynamiques nous a donné accès à des informations que nous n’aurions pu obtenir via les techniques employées dans les travaux recensés portant sur les SARL. Ces captures nous ont incitée à formuler des hypothèses sur les « clics » des apprenants, qu’il s’agisse de questions ergonomiques et/ou d’évolution des actions sur Busuu. Dans une certaine mesure, ces aspects ont pu être abordés avec les apprenants lors de l’entretien d’explicitation commun ou individuel. De plus, par l’intermédiaire des vidéos, nous avons observé le discours des apprenants en construction dans les chats et l’utilisation d’outils destinés à soutenir la compréhension et la production écrites.
Concernant plus précisément les résultats issus de notre analyse, nous avons identifié trois profils distincts chez les trois apprenants, allant d’une focalisation sur l’interactivité à une focalisation sur les interactions. Nous avions pourtant supposé qu’il existerait une certaine homogénéité entre les actions de ces étudiants, ces derniers ayant d’une part des objectifs d’apprentissage et un niveau en français relativement similaires et provenant d’autre part de la même formation universitaire en Chine et en France. En contexte écologique, il est compliqué de justifier ces différences ; toutefois, nous avons tenté de suggérer des éléments de réponse grâce aux indices repérés. Lorsque cela s’est révélé trop complexe, nous nous sommes contentée de poser des questions ou d’élaborer des suppositions.
Mettons à présent en regard nos résultats et les hypothèses formulées en introduction de ce travail afin de voir si celles-ci ont été infirmées ou confirmées.
– Hypothèse 1 : les apprenants privilégient les interactions à l’interactivité en raison des contenus pédagogiques behavioristes de Busuu.
Comme nous venons de le souligner, cette hypothèse ne s’est pas confirmée pour tous les apprenants. Même si échanger avec d’autres personnes constituait l’objectif principal des trois apprenants, seul Huilong a réellement réussi à l’atteindre. En dépit du peu d’intérêt des exercices structuraux, reconnu par les apprenants eux-mêmes, Lin et Yang (dans une moindre mesure) leur ont consacré un temps important. Il semble qu’une rencontre malheureuse pour Lin et que des difficultés ergonomiques, voire un manque de chance, pour Yang aient partiellement compromis leur visée originelle. Nous ferons par la suite des propositions pour remédier à ces problèmes.
– Hypothèse 2 : les outils disponibles pour les interactions facilitent les échanges synchrones textuels, audio et vidéo et les échanges asynchrones par forum.
Pour les échanges synchrones, seule la modalité écrite du chat a été utilisée par les apprenants. Lin s’est refusée à échanger par webcam avec un inconnu. Yang et Huilong n’ont pas proposé d’autres modalités d’interaction à leurs interlocuteurs et vice-versa. Si Yang n’a pas expliqué ce choix, en revanche Huilong a estimé que le caractère quasi-synchrone du chat était plus adéquat que la synchronie de l’oral. En effet, cela lui a permis de bénéficier de temps pour comprendre et produire des messages. Quant aux échanges asynchrones, Huilong seulement a testé le forum mais cette fonctionnalité lui a paru peu intéressante en raison du manque de dynamisme des échanges.
Cette hypothèse a donc été totalement infirmée puisque les apprenants ne se sont essentiellement servis que d’un seul outil de communication et d’une seule modalité. Rappelons que le chat écrit fait par ailleurs pleinement partie de la culture d’usage des apprenants hors contexte d’apprentissage. Nous n’avons pas d’information à ce sujet pour les échanges via webcam, excepté pour Lin qui les réserve à des interactions avec des proches.
– Hypothèse 3 : Les possibilités démultipliées d’interactions au sein d’un réseau social composé de nombreux membres engendrent un « papillonnage » d’un interlocuteur à l’autre.
Cette hypothèse s’est effectivement vérifiée à travers les nombreuses propositions d’interaction émanant de Yang et Huilong, celles-ci trouvant plus ou moins de réponses favorables de la part de leurs interlocuteurs. Néanmoins, ce « zapping » ne semble pas tant dû aux multiples potentialités d’interaction qu’à la difficulté de rencontrer des partenaires appropriés pour un apprentissage mutuel français-chinois. D’ailleurs, aucune interaction (sauf une avortée pour Huilong) n’a eu lieu dans cette perspective. Le manque de personnes « en ligne » parlant le français et apprenant le chinois lors des connexions des étudiants a eu un impact non négligeable sur cette quête laborieuse. Une autre raison réside probablement dans la question du soutien à l’apprentissage, posée dans l’hypothèse suivante.
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Table des matières
Chapitre 1 : Introduction
1.1 Contexte de l’étude
1.2 Motivations pour le sujet de l’étude
1.3 Cadre théorique, problématique et questions de recherche
1.4 Revue de la littérature et intérêt de l’étude
1.5 Contexte d’apprentissage et démarche méthodologique
1.6 Plan du mémoire
Chapitre 2 : Théorie de l’activité, approche instrumentale et analyse des interactions en ligne : une approche systémique de l’activité d’apprentissage des langues sur un SARL
2.1 La théorie de l’activité : un cadre systémique et dynamique
2.2 Analyse de la relation sujet-instruments-(objet) sous l’angle de l’approche instrumentale
2.3 La théorie de l’activité adaptée à l’apprentissage des langues sur un SARL
2.4 Les interactions sujet-communauté médiatisées par chat écrit
Chapitre 3 : Méthodologie
3.1 Démarche descriptive et qualitative en situation écologique
3.2 Contexte de l’expérimentation
3.3 Techniques de recueil des données
3.4 Corpus recueilli pour l’analyse
3.5 Instruments d’observation construits en vue de l’analyse
3.6 Brève présentation des sujets sélectionnés
Chapitre 4 : Analyse et interprétation de l’activité d’apprentissage des apprenants sur Busuu
4.1 Caractéristiques techno-sémio-pragmatiques du site d’apprentissage et de réseautage en langues Busuu
4.2 Relations dynamiques entre les apprenants et les fonctionnalités interactives et interactionnelles de Busuu
4.3 Analyse des interactions médiatisées par chat écrit
Chapitre 5 : Conclusion
6 Bibliographie
7 Sitographie
8 Table des matières
9 Annexes
Annexe 1 : Consignes pour l’expérimentation
Annexe 2 : Grilles d’observation des actions des apprenants
Annexe 3 : Questionnaires de début et de fin d’expérimentation
Annexe 4 : Journaux d’apprentissage
Annexe 5 : Transcription de l’entretien d’explicitation de mi-parcours
Annexe 6 : Analyse thématique des interactions
Annexe 7 : Exemple d’enregistrement de capture d’écran dynamique (sur CD)
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