Historique
C’est en 1931, et pour la première fois, que Cambi et al. remarquèrent un comportement magnétique « anormal » dans une série de composés de Fe(III) à base de ligand dithiocarbamate [22]. Presque trente ans plus tard, ce phénomène, attribué à une conversion de spin de certains complexes de coordination, fut observé par Baker et Bobonich pour l’ion métallique Fe(II) dans le composé Fe(phen)2(NCS)2 à l’état solide [23]. La même année, Ewald et al. en s’appuyant sur la théorie de champ de ligands, suggérèrent qu’un « croisement » de spin est possible lorsque l’énergie du champ de ligand est du même ordre de grandeur que l’énergie d’appariement des électrons des orbitales 3d du centre métallique [24]. Le phénomène de conversion de spin a été observé dans les complexes possédant des centres métalliques de configuration électronique 3d 4 − 3d7 , tels que les ions Fe(III) [25, 26, 28, 27, 29], Mn(II) [38, 39], Mn(III) [40, 41], Co(II)[29, 32, 33, 34], Co(III) [35, 36, 37], Cr(II) [42, 43], et finalement l’ion le plus étudié à ce jour Fe(II).
Théorie de champ cristallin et de champ de ligands
Exemple du Fe(II)
La théorie de champ cristallin offre la possibilité de comprendre le phénomène de la conversion de spin, tout en se basant sur des modèles qualitatifs basés sur des considérations d’électrostatiques. Ces travaux soulignent l’importance de la symétrie des ligands entourant les centres métalliques. Le spectre en énergie des orbitales 3d d’un centre métallique, l’ion Fe(II) par exemple, dépend de la symétrie des ligands (voir Fig.I.1). En effet, les niveaux d’énergies d’un ion libre sont dégénérés. De même, la présence d’un potentiel électrostatique à symétrie sphérique a pour effet de décaler de manière globale le spectre en énergie d’une valeur ∆E sans induire de levée de dégénérescence, car aucune orbitale n’est favorisée ou défavorisée par rapport à une autre par un tel potentiel Esph = Elib +∆E, où Elib est l’énergie des niveaux de l’ion libre ou isolé. Dans les complexes à transition de spin, les centres métalliques sont coordinés par six ligands formant une cage octaédrique, cette dernière abaisse la symétrie du cation et entraine une levée partielle de dégénérescence où les orbitales dxy, dyz, dzx sont favorisées au détriment des orbitales dz 2 et dx2−y 2 . Les niveaux d’énergies antiliantes (de hautes énergies) et non-liantes (de plus basse énergie) sont respectivement la base pour les représentation irréductibles eg et t2g, leur énergie valant respectivement Et2g = Esph − 2 5∆0 et Eeg = Esph + 3 5∆0, où ∆0 est la différence d’énergie entre les niveaux non-liantes et anti-liantes. Cet écart vaut 10Dq, où Dq est un paramètre de force du champ cristallin, qui dépend de la nature du ligand et de l’ion métallique. Si ∆0 est plus petit que l’énergie d’appariement des électrons (champ cristallin faible), l’occupation des orbitales est alors déterminée par la règle de Hund qui stipule que les électrons occupent un maximum d’orbitales conduisant à un moment de spin total S=2 dans le cas de l’ion Fe(II) (Fig.I.2). Cet état paramagnétique se nomme l’état haut-spin (HS) ou 5T2g en terme spectroscopique. Au contraire, dans le cas d’un champ cristallin fort, les électrons minimisent leurs énergies et occupent les niveaux les plus bas, violant ainsi la règle de Hund. Cet état diamagnétique de spin électronique S=0 se nomme l’état bas-spin (BS) ou 1A1g en terme spectroscopique.
La théorie du champ cristallin donne une vision relativement simple et pratique de la conversion de spin, et explique d’une manière qualitative la levée de dégénérescence des niveaux électroniques. Cependant, cette théorie, basée sur des modèles électrostatiques, ne peut s’appliquer qu’au cas de ligands chargés. Pour mieux prendre en compte le cas des ligands non chargés, en particulier, les liaisons covalentes faibles de type σ et π entre le métal et les ligands, il est nécessaire d’utiliser la théorie du champ de ligands. Cette approche plus générale donne des résultats similaires à ceux trouvés par la théorie de champ cristallin [67]. Le diagramme de Tanabe-Sugano représente l’énergie des termes spectroscopiques d’un ion d 6 dans une cage octaédrique des ligands, correspondant aux niveaux fondamentaux et excités en fonction de l’intensité du champ de ligands. Lorsque le champ de ligand est égale à zéro, l’état fondamentale de l’ion métallique selon la règle de Hund est 5D. L’application d’un champ de ligand sépare l’état 5D en deux états, 5T2g et 1A1g. Au dessous d’un champ de ligands ∆crit, l’état fondamental est 5T2g (état HS), tandis que l’état 1A1g est l’état excité. Au delà de cette valeur critique, l’état 1A1g (état BS) devient l’état le plus stable et 5T2g sera l’état excité. Le phénomène de conversion de spin est alors possible autour de cette valeur critique du champ de ligands.
Diagramme configurationnel
La transition de spin de l’état bas spin (BS) à l’état haut spin (HS), implique une augmentation de la distance Fer-ligands. Il s’agit d’une occupation des orbitales antiliantes eg par deux des six électrons de la couche d dans l’état HS, provoquant une répulsion des ligands et ainsi une augmentation de volume de la molécule. Dans le cas d’un octaèdre FeN6, les longueurs des liaisons Fer-ligands valent approximativement rBS = 1.95−2.00 Å dans l’état bas spin et rHS = 2.12−2.18 Å dans l’état haut spin. Les deux états moléculaires peuvent être représentés dans un diagramme configurationnel, comme illustré sur la figure I.4, par deux puits de potentiels adiabatiques décalés d’une distance ∆rHB ≈ 0.2 Å, correspondant à la différence de distance Fer-ligands entre les deux états de spin [67]. De plus, les concavités des deux puits sont différentes, ce qui est principalement attribué à un changement des fréquences de vibration de l’octaèdre lors de la transition de spin.
Thermodynamique de la transition de spin
On considère tout d’abord le cas d’un système dilué, i.e. d’un système constitué d’un grand nombre de molécules qui interagissent faiblement entre elles . Ce système est en contact avec un bain thermique et un barostat correspondant à l’ensemble de Gibbs (T, P, N). Le potentiel thermodynamique pertinent à minimiser est alors l’enthalpie libre. La variation de cette quantité peut s’écrire sous la forme :
∆G = GHS − GBS = ∆H − T ∆S; (I.2)
où H est l’enthalpie, T la température, S l’entropie du système, ∆S = SHS − SBS et ∆H = HHS − HBS. La température d’équilibre entre les deux phases est déterminée lorsqu’il y a autant de molécules BS que de molécules HS, c’est-à-dire pour ∆G = 0 :
Teq = ∆H/∆S (I.3)
Grâce à l’équation précédente, nous pouvons discuter de la stabilité des phases des systèmes dilués à transition de spin : (1) Quand la température est inférieure à la température d’équilibre des deux phases, T < Teq, donc ∆H > T ∆S, le terme enthalpique est dominant et l’état le plus stable est l’état BS (GBS < GHS). (2) Quand la température est supérieure à la température d’équilibre des deux phases, T > Teq, donc ∆H < T ∆S, le terme entropique est dominant et l’état le plus stable est l’état HS (GHS < GBS). (3) Quand la température est égale à la température d’équilibre des deux phases, T = Teq, les termes enthalpique et entropique sont égaux (∆H = T ∆S) et les deux phases sont présentes dans le système en même proportion. D’après cette approche, il est clair que l’entropie peut être vue comme le moteur de la transition de spin thermo-induite en favorisant l’état HS. Pour donner une meilleure compréhension de la stabilité des phases des matériaux à transition de spin, il est indispensable de détailler les contributions contenues dans chaque terme apparaissant dans l’expression de la température d’équilibre Teq. Le terme enthalpique est généralement la somme des contributions électroniques et vibrationnelles [91], et peut s’écrire de la manière suivante :
∆H = ∆Hvib + ∆Hel ; (I.4)
La contribution électronique à l’enthalpie est souvent dominante, donc ∆H ≈ ∆Hel. De même, l’entropie se décompose en plusieurs termes de la manière suivante :
∆S = ∆Sel + ∆Svib + ∆Strans + ∆Srot + ∆Sconf ; (I.5)
L’entropie de translation ∆Strans, et de rotation ∆Srot, sont négligeables dans la plupart des composés à transition de spin, car généralement les molécules se trouvent dans un milieu solide, ce qui empêche leurs déplacements par translation ou rotation. De même, l’entropie de configuration ∆Sconf est souvent négligeable. Cependant, une exception peut être faite dans le cas du composé Fe(pyrazine)[Pt(CN)4], où les ligands tournent autour d’un axe de rotation avec une vitesse dépendante de l’état de spin. Dans ce cas, la différence d’entropie de rotation n’est plus négligeable [109]. De plus, il a été reporté dans le composé [Fe(DAPP)(abpt)](ClO4)2 que l’entropie configurationnelle n’est pas négligeable, en raison de la présence de désordres induits par les ligands DAPP et l’ion ClO−4 , contribuant alors légèrement à la différence d’entropie totale du système [108].
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Table des matières
Introduction générale
I Introduction
I.1 Historique
I.2 Théorie de champ cristallin et de champ de ligands
I.2.1 Exemple du Fe(II)
I.2.2 Diagramme configurationnel
I.2.3 Thermodynamique de la transition de spin
I.2.4 Molécules dans un solide massif : Notion de Coopérativité
I.2.5 Les différentes transitions de spin
I.3 Approche macroscopique et mésoscopique
I.3.1 Les modèles thermodynamiques
I.3.2 Modèles élastiques
I.3.3 Approche microscopique de la transition de spin : les modèles de type d’Ising
I.3.4 Modèles microscopiques élastiques
I.4 Effet de la réduction de la taille : présentation générale
I.4.1 Effets de surfaces
I.4.2 Effets de confinement
I.4.3 Conséquences possibles sur la transition de spin des nanomatériaux
I.5 Nanomatériaux à transition de spin : les constatations expérimentales
I.5.1 Cas des nanoparticules à transition de spin
I.5.2 Cas des films minces à transition de spin
I.5.3 Comparaison avec d’autres matériaux
I.6 Modélisation des effets de la réduction de taille dans les matériaux à transition de spin
I.6.1 Modélisation des effets de surface solide-vide
I.6.2 Modélisation des effets d’interface solide-solide
I.6.3 Modélisation de l’influence des effets de surface et d’interface sur les courbes de transition de spin
I.7 Dynamique de réseau des nanomatériaux à transition de spin
I.7.1 Effets de taille sur la dynamique de réseau : Études expérimentales
I.7.2 Modélisation de la dynamique de réseau
I.8 Problématiques et objectifs de thèse
II Étude numérique de la dynamique de réseau des nanomatériaux à transition de spin
II.1 Introduction
II.2 Méthode numérique (DM) pour calculer la (vDOS)
II.2.1 La fonction d’autocorrélation des vitesses et la densité d’états vibrationnels
II.2.2 Intégration de positions et vitesses par la méthode de Verlet
II.2.3 Thermostat-barostat de Nosé-Hoover
II.2.4 Extraits de propriétés thermoélastiques
II.3 Application à une structure cubique à motifs octaédrique
II.3.1 Effet du potentiel angulaire sur l’élasticité du système
II.3.2 Modification du champ de forces : choix du potentiel intermoléculaire
II.3.3 Propriétés vibrationnelles du matériau massif
II.3.4 Densité d’états vibrationnels dans le cas des films minces
II.3.5 Étude en taille des quantités thermodynamiques
II.3.6 Densité d’états vibrationnels dans le cas de nanoparticules
II.4 Étude de la dynamique de réseau des nanomatériaux à transition de spin par des méthodes de matrice dynamique
II.4.1 Application à une structure octaédrique bidimensionnelle
II.4.2 Étude des effets de taille par la matrice dynamique
II.5 Conclusions
III Étude quantitative des énergies et contraintes de surface dans les nanomatériaux SCO
III.1 Introduction
III.2 Approches théoriques des surfaces et des interfaces
III.2.1 Aspects thermodynamiques et stabilité des phases
III.2.2 Estimation de ∆S et ∆H du système massif
III.2.3 Énergie de surface
III.2.4 Élasticité d’interface
III.3 Énergie de surface : Estimation d’ordre de grandeur
III.4 Application à la structure cubique à motifs octaédriques
III.4.1 Calculs des propriétés mécano-thermodynamiques du matériau massif
III.4.2 Modélisation des énergies de surfaces (100) .
III.4.3 Calcul des contraintes d’interface HS/BS dans le cas d’un faible désaccord de paramètre de maille
III.5 Conclusions
Conclusion générale