Résistance aux antibiotiques
La majorité des entérites à Campylobacter ne nécessite pas de thérapie antimicrobienne (Allos, 1995). Cependant, dans les cas sévères ou de maladie récidivante, les tests de sensibilité sont importants pour assurer un traitement adéquat (Avrain, 2003 ; Rautelin et al., 2002). Les macrolides restent les antibiotiques de choix, la résistance à l’érythromycine reste très faible (Nachamkim et al., 2000). Les fluoroquinolones, très efficaces contre les bactéries entériques, sont utilisées pour traiter les diarrhées bactériennes graves, la ciprofloxacine étant largement utilisée chez les voyageurs (Gibreel et al., 1998). L’émergence de la résistance à ces molécules rend leur efficacité moins certaine. La résistance a été rapportée chez certains patients après un traitement aux fluoroquinolones (Bacon et al., 2000), et coïncidait avec l’introduction de ces molécules en médecine vétérinaire (Endtz et al., 1991 ; Aatestrup & Engberg, 2001). Cependant, un nombre croissant des souches de Campylobacter résistantes à ces antibiotiques sont actuellement isolées dans plusieurs pays, à la fois dans les échantillons humains et alimentaires. En effet, depuis les années 1990, la résistance aux macrolides et aux fluoroquinolones augmente, et est reconnue comme étant un problème émergent de santé publique dans plusieurs pays européens (Engberg et al., 2001). L’entrée des souches résistantes dans la chaîne alimentaire pourrait constituer une menace pour la santé humaine.
Sensibilité aux antibiotiques chez les Campylobacter spp.
Plusieurs méthodes parmi lesquelles la méthode de diffusion des disques, la méthode de dilution en milieu gélosé et le « Epsilometer-test (E-test®, AB Biodisk, Sweden) », avaient été développées pour déterminer les profils de sensibilité in-vitro des Campylobacter à une gamme d’antibiotiques (Engberg et al., 1999 ; Gaudreau & Gilbert, 1997). Plusieurs auteurs ont comparé la performance de ces méthodes, et ont rapporté une corrélation entre le E-test et la méthode de dilution en milieu gélosé (Ge et al., 2002). Le E-test, très pratique, relativement simple à utiliser, donne des CMIs légèrement inférieures à celles obtenues par la méthode de dilution en milieu gélosé (Ge et al., 2002). Une combinaison de ces méthodes permet d’évaluer correctement les CMIs. Les méthodes moléculaires sont une alternative aux tests de sensibilité. Pour les quinolones, de nombreuses méthodes ont été développées pour la recherche des souches résistantes à ces molécules puisque possédant le plus souvent la même mutation (thréonine-86-isoleucine) (Piddock et al., 2003 ; Zirnstein et al., 1999). Cependant, ces méthodes présentent un inconvénient : elles deviennent inopérantes en cas de présence d’un mécanisme inhabituel de résistance.
Surveillance de la résistance aux antibiotiques chez les Campylobacter spp.
La transmission de la résistance aux antibiotiques de l’animal à l’homme peut se faire via les aliments (Pezzotti et al., 2003 ; Putnam et al., 2003). Les animaux constituent un réservoir important des souches résistantes aux antibiotiques. L’utilisation des antibiotiques dans le domaine vétérinaire, à la fois pour traiter les infections et comme promoteurs de croissance, est une cause importante de l’émergence de la résistance. Les suppléments alimentaires contenant des antibiotiques constitueraient plus de la moitié des antibiotiques utilisés dans le monde (Wegener et al., 1999). Pendant plusieurs décennies, les antibiotiques du groupe macrolides-lincosamides ont été utilisés pour traiter les animaux d’élevage (contrôle de dysenteries et d’infections à mycoplasmes chez le porc). L’utilisation des macrolides comme promoteurs de croissance a été interdite en Europe en 1999. Les fluoroquinolones sont encore utilisées dans beaucoup de pays à cette même fin. Au Sénégal, les fluoroquinolones (enrofloxacine et norfloxacine) ont été introduites dans la filière avicole en 1996 pour traiter les infections intestinales et respiratoires (Cardinale et al., 2003). L’incidence des Campylobacter résistants à ces molécules atteindrait les 40% (Cardinale et al., 2003).
Mécanismes génétiques associés à la résistance aux antibiotiques chez les Campylobacter spp.
Les populations bactériennes peuvent répondre à l’action d’un antibiotique en développant un certain nombre de mécanismes de résistance (Rowe-Magnus et al., 2002). La pression sélective des antibiotiques aboutit au développement de déterminants de résistance spécifique à l’antibiotique soit par modification intrinsèque des cibles soit par acquisition de gènes. Par exemple, une sélection à la suite d’un traitement à l’enrofloxacine des poulets infectés par les Campylobacter (sensibles aux fluoroquinolones) aboutit à l’émergence des Campylobacter résistants à cet antibiotique, suggérant que cet organisme est hypermutable sous ces conditions (Luo et al., 2003). Les modifications intrinsèques des gènes (par mutations), transfert horizontal des déterminants de résistance (acquisition) et bien d’autres événements génétiques (gène qnr codant pour un pentapeptide répété qui protegerait la gyrase de l’action des quinolones) constituent les principaux mécanismes contribuant à la résistance bactérienne. (Voir partie quinolones pour les autres mécanismes).
Typage moléculaire
La caractérisation de lignées de bactéries résistantes aux antibiotiques mais aussi la surveillance globale des épidémies nécessitent une comparaison directe des souches de différentes localités. Malheureusement beaucoup de méthodes actuelles de typage (PFGE par exemple) sont mal adaptées pour ce type de comparaison car elles exigent une standardisation dans chaque laboratoire et dépendent de réactifs spécialisés. Les méthodes basées sur les séquences d’ADN sont plus convenables car elles permettent une comparaison directe des souches typées dans différentes régions du monde (Maiden et al., 1998). C’est le cas de la « Multilocus Sequence Typing (MLST)» qui est la méthode la plus récente.
Multilocus Sequence Typing (MLST)
La MLST est un nouveau système de typage basé sur les séquences d’ADN. Cette méthode nécessite le séquençage de 7 régions internes (d’environ 500 paires de base chacune) de gènes, et a été développée pour plusieurs bactéries pathogènes dont Campylobacter spp (Dingle et al., 2001 ; Dingle et al., 2005).
Quinolones, fluoroquinolones et topoisomérases
Quinolones et fluoroquinolones
Structure chimique
Les quinolones sont des molécules obtenues par synthèse chimique, qui dérivent d’acides carboxyliques hétérocycliques diversement substitués. Toutes les quinolones actuelles présentent une structure bicyclique, avec un azote en position 1, un carboxylate en position 3 et un carbonyle en position 4. Les fluoroquinolones, ainsi appelées car contenant un atome de fluor en position 6, dérivent de la quinoléine. Les fluoroquinolones de première génération portent en position 7 un cycle à 6 atomes. Celles de deuxième génération présentent dans la même position un cycle plus petit diversement substitué . En plus de l’acide nalidixique, la première molécule de la classe des quinolones ne contenant pas de fluor, plusieurs autres molécules sont actuellement utilisées en médecine clinique (Hopper, 1999).
Cible des quinolones
Les quinolones ont pour cibles deux enzymes de la classe des topoisomérases : la gyrase et la topoisomérase IV.
Les topoisomérases
Ce sont des acteurs de la régulation de la topologie de l’ADN. Elles sont capables de catalyser l’interpénétration de simple brin ou de double brin d’ADN. Elles peuvent ainsi changer l’indice d’enlacement d’une molécule d’ADN, mais aussi les décaténer et les dénouer. Depuis la mise en évidence de la première topoisomérase en 1971 (Wang, 1971), ces enzymes ont été identifiées chez tous les organismes vivants. Elles sont en effet essentielles à la viabilité de la cellule (Froelich-Ammon & Osheroff, 1995). L’action simultanée des différentes topoisomérases au sein d’un même organisme, assure le maintien du degré de superenroulement, la séparation des chromosomes et empêche la formation des nœuds.
Clivage de l’ADN
Modifier l’état d’enroulement de l’ADN en effectuant le passage d’un simple brin ou d’un double brin à travers un autre nécessite un clivage d’au moins l’un des deux brins dans la molécule. Quelles que soient les topoisomérases, la réaction de cassure s’effectue par une attaque nucléophile d’un oxygène d’une tyrosine de l’enzyme sur un groupement phosphate du squelette de l’ADN (Wang, 2002). Ainsi, il se forme une liaison phosphodiester covalente temporaire entre l’enzyme et l’ADN (Figure 3). A l’issue de la réaction d’isomérisation, le sens de cette transestérification est inversée et permet de retrouver l’intégrité du squelette de l’ADN.
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Table des matières
INTRODUCTION
GENERALITES
I. Campylobacter
1. Historique
2. Taxonomie
3. Caractères bactériologiques
3.1. Morphologie
3.2. Culture
3.3. Caractères biochimiques
3.4. Caractères antigéniques
4. Epidémiologie
4.1. Réservoir de la maladie
4.2. Contamination humaine
4.3. Données épidémiologiques dans le monde et au Sénégal
5. Pathologies associées aux Campylobacter
5.1. Entérites
5.2. Septicémies
5.3. Post-infection
6. Diagnostic bactériologique
6.1. Conditions et milieux de culture
6.2. Morphologie des colonies
6.3. Identification
6.3.1. Examen direct
6.3.2. Tests biochimiques
6.3.3. Tests sérologiques
6.3.4. PCR
7. Résistance aux antibiotiques
7.1. Tests de sensibilité aux antibiotiques chez Campylobacter
7.2. Surveillance de la résistance aux antibiotiques chez Campylobacter
7.3. Mécanismes génétiques associés à la résistance aux antibiotiques
8. Typage moléculaire
MLST
II. Quinolones, fluoroquinolones et topoisomérases
1. Quinolones et fluoroquinolones
1.1. Structure chimique
1.2. Cible des quinolones
2. Les topoisomérases
2.1. Clivage de l’ADN
2.2. Classification
2.2.1. Topoisomérase de type I
2.2.2. Topoisomérases de type II
2.2.2.1. Gyrase
2.2.2.2. Topoisomérase IV
3. Mécanismes d’action des quinolones
3.1. Pénétration dans la bactérie
3.2. Action intracellulaire
4. Mécanismes de résistance
4.1. Résistance due à une altération dans les enzymes cibles
4.1.1. La gyrase
4.1.2. La Topoisomérase IV
4.1.3. Altération des enzymes cibles et résistance aux quinolones
4.1.4. Interaction des mutations de la résistance
4.2. Résistance par réduction de la perméabilité
4.2.1. Porines
4.2.2. Lipopolysaccharides (LPS)
4.2.3. Efflux
4.3. Intégrons
4.4. Plasmides et « qnr »
PARTIE EXPERIMENTALE
Présentation du travail de thèse
ETUDE 1 : Mécanismes de résistance aux quinolones
1. Matériel et méthodes
1.1. Matériel
1.1.1. Souches bactériennes
1.1.2. Milieux de culture
1.1.3. Réactifs de PCR
1.1.4. Antibiotiques
1.1.5. Kits de purification
1.1.6. Réactifs d’électrophorèse horizontale
1.1.7. Réactifs d’extraction des LPS
1.1.8. Réactifs d’électrophorèse verticale (SDS-PAGE)
1.1.9. Autres matériels et consommables
1.1.10. Appareillage
1.2. Méthode
1.2.1. Récolte des échantillons
1.2.2. Recherche et isolement des Campylobacter
1.2.3. Identification par PCR multiplexe
1.2.3.1. Repiquage des souches
1.2.3.2. Extraction d’ADN
1.2.3.3. PCR multiplexe
1.2.3.4. Analyse des produits PCR
1.2.4. Sensibilité aux antibiotiques
1.2.4.1. Méthode de diffusion des disques
1.2.4.1.1. Préparation de l’inoculum
1.2.4.1.2. Ensemencement et application des disques
1.2.4.2. Détermination des CMI par E-test®
1.2.4.2.1. Préparation de l’inoculum
1.2.4.2.2. Ensemencement et application des bandelettes E-test®
1.2.4.3. Détermination des CMI par la méthode de dilution en milieu gélosé
1.2.4.3.1. Culture des souches sur gélose au sang
1.2.4.3.2. Culture des souches en bouillon Brucella
1.2.4.3.3. Antibiotiques
1.2.4.3.4. Préparation des suspensions bactériennes
1.2.4.3.5. Lecture et critères d’interprétation des CMI
1.2.4.3.6. Contrôle de qualité et validation des résultats
1.2.5. Mécanismes de résistance aux quinolones
1.2.5.1. Recherche des mutations dans les topoisomérases
1.2.5.1.1. Recherche des mutations dans le gène gyrA
1.2.5.1.1.1. Extraction d’ADN
1.2.5.1.1.2. Amplification par PCR du QRDR du gène gyrA
1.2.5.1.1.3. Amplification par PCR de la région C-terminale du gène gyrA
1.2.5.1.2. Recherche de mutations dans le gène gyrB
1.2.5.1.3. Recherche de mutations dans le gène parC
1.2.5.2. Recherche d’intégrons de classe1
1.2.5.3. Analyse des produits PCR
1.2.5.3.1. Purification des produits issus de la PCR
1.2.5.3.2. Séquençage
1.2.5.3.3. Analyse des séquences
1.2.5.4. Analyse des composants membranaires : LPS
1.2.5.4.1. Extraction des LPS
1.2.5.4.2. Electrophorèse des LPS en gel de polyacrylamide en présence du SDS
1.2.5.4.2.1. Montage du système d’électrophorèse
1.2.5.4.2.2. Préparation des gels
1.2.5.4.2.2.1. Gel de résolution à 12,5%
1.2.5.4.2.2.2. Gel de regroupement à 3%
1.2.5.4.2.3. Préparation des échantillons
1.2.5.4.2.4. Dépôt et migration des échantillons
1.2.5.4.2.5. Détection des bandes de LPS par coloration au bleu brillant
1.2.5.4.2.5.1. Coloration au bleu brillant
1.2.5.4.2.5.2. Décoloration
1.2.5.4.2.5.3. Séchage du gel
2. Résultats
2.1. Phénotypes de résistance et CMIs
2.2. Mutations du QRDR de la protéine GyrA
2.3. Mutations des gènes gyrB, parC, et hors QRDR du gène gyrA
2.4. Recherche des intégrons de classe 1
2.5. Composants membranaires
3. Discussion
4. Conclusion
CONCLUSION