Test statistique de l’analyse inter-classes
Le musée et les adolescents
Les adolescents ne sont pas réputés être de grands visiteurs de musées. Si près de 40 % des élèves du secondaire annonçaient avoir visité un musée l’année précédente en 1999 (Lemerise, 1999) et en 2012 (Ministère de la culture et de la communication, 2012), ces visites comptabilisent à la fois les visites « libres » (effectuées dans le cadre familial ou personnel) et les visites scolaires. On se doute qu’une forte proportion concerne des visites scolaires, et ne représente donc pas l’attrait « naturel » des adolescents pour le cadre muséal. Lemerise (1999) note également que les jeunes adolescents fréquentent un peu plus les musées que les 15-17 ans, et que les adolescents issus de « parents scolarisés » sont plus présents que les autres. Dans son rapport statistique, l’Association des Musées suisses (Association des musées Suisses, 2012) ne différencie pas les enfants des adolescents, pas plus que le nombre de visites libres.
On y apprend néanmoins que 22 % des visiteurs des musées suisses sont des enfants ou des adolescents. Ce chiffre est confirmé par Timbart (2013), qui mentionne également que les adolescents fréquentent assidûment les musées « souvent indépendamment de [leur] volonté ». Dans une étude menée auprès de professionnels des musées, Timbart note également que ces professionnels « ressentent une grande difficulté à attirer et à retenir les adolescents au musée » (Timbart, 2007). L’explication privilégiée est le sentiment que le musée est un monde d’adultes, qui ne se soucie pas des préoccupations des adolescents. Pour les adolescents, le musée représente une certaine valeur, principalement liée au passé, qu’ils ne rejettent pas. Par contre, ils semblent nombreux à se sentir perdus dans un musée, considérant qu’ils ne possèdent pas le bagage culturel indispensable à la fréquentation de ces lieux (Timbart, 2013).
Les professionnels estiment que les adolescents attendent des activités stimulantes et actives, là où le musée propose de la réflexion et une certaine passivité. Ce constat est partagé par les jeunes, qui attendent d’un musée à la fois la mise en scène d’éléments quotidiens, et des expériences pratiques qui leur permettent d’être actifs dans la construction de leurs savoirs (Leblanc, 1993). D’une manière générale, le musée n’est pas perçu de manière positive, car trop calme et non vivant (Illustration 1, p. 12), et représentant certaines contraintes (comme être obligé d’y aller et devoir se comporter d’une manière particulière). Lemerise (1999) a déterminé les facteurs-clés qui favorisent la présence des adolescents dans les musées : leur localisation géographique, la catégorie socioprofessionnelle des parents, les thèmes d’expositions associés à leur culture, et une publicité adaptée pour favoriser les visites libres.
Dimension naturelle de l’Anthropocène
Le mot « Anthropocène » est constitué de l’assemblage du préfixe « anthropos » (humain, en grec) et de « cène » (récent). Une mention de « l’ère anthropozoïque » est évoquée par le géologue italien Antonio Stoppani [1924-1891] quand il évoque « une nouvelle force tellurique qui peut être comparée aux plus grandes forces terrestres par sa puissance et son universalité » [notre trad., cité par Crutzen & Stoermer (2000). L’Anthropocèce est une notion qui s’est développée progressivement au cours du 20ᵉ siècle et qui apparaît nettement dans les années 1980, puis qui a été explicitée et popularisée au tournant du siècle, entre autres par Paul Crutzen5 (Crutzen, 2006) qui en donne sa signification actuelle : selon lui, l’impact des activités humaines est suffisamment important sur le globe pour constituer une nouvelle ère géologique. Le concept est maintenant bien théorisé (Ehlers & Krafft, 2006) et deux journaux peer reviewed sont exclusivement consacrés à ce thème: “Anthropocene” chez Elsevier et The Anthropocene Review chez SAGE publishing. Géologiquement, l’anthropocène est une époque qui daterait du début d’un impact humain important sur la géologie et les écosystèmes terrestres. Le changement climatique global, observé depuis la fin du 19ᵉ siècle en lien avec le cycle du carbone et les révolutions industrielles, en est l’une des composantes fondamentales (Mann et al., 2009).
La composante anthropogénique indiscutable de ces changements climatiques (IPCC, 2014) est en lien avec d’autres marqueurs qui ont également été considérés. Ils sont d’ordre biologique, comme l’effondrement de la biodiversité (Butchart et al., 2010), stratigraphique6 (Waters et al., 2016)), et même géomorphologique (Brown et al., 2013). Ces différents indicateurs ont été mentionnés ou pris en compte dans la définition de cette période. Néanmoins, ni l’existence d’une période géologique précise et distincte de l’Holocène7, ni même une date de début de cette période n’a été acceptée par la communauté scientifique, bien qu’un groupe de travail de l’union internationale de stratigraphie ait fait des recommandations en ce sens au Congrès géologique international du 29 août 2016 8.
Différentes dates ont été proposées pour définir le début de l’Anthropocène : les indices atmosphériques (température et composition chimique) suggèrent que cette période a pu débuter au cours de la révolution industrielle du 18ᵉ siècle (Steffen, Crutzen, & McNeill, 2007; Zalasiewicz et al., 2008). Certains suggèrent que la révolution agricole du Néolithique constitue le vrai début de la modification profonde et irréversible de la Terre par les Hommes (Glikson, 2013). La date du 16 juillet 1945 (date du premier essai nucléaire qui a significativement modifié la signature en éléments radioactifs de toute l’atmosphère) a également été proposée pour une deuxième période de l’anthropocène (la « Grande Accélération », (Steffen et al., 2007). Les dates significatives des impacts de l’Homme sur son milieu variant très fortement d’une région à une autre, certains auteurs suggèrent que la date puisse être variable en fonction de la géographie, des cultures et des environnements.
Les différentes postures épistémiques
La posture épistémique représente l’état, à un moment donné, des croyances d’un individu au sujet de la connaissance, des savoirs et de la vérité. Perry (1970), sur la base des travaux de Piaget (1967) a construit un modèle de développement épistémique qui rend compte des postures des élèves au cours de leur scolarité face à la connaissance. Cette épistémologie personnelle est définie par l’état de la compréhension individuelle de la connaissance et de la vérité (Hofer, 2004; Hofer & Pintrich, 1997; Sandoval, 2005). Certains auteurs ont opté pour une définition plus large, comprenant les processus d’apprentissage (Elby, 2001; Hammer, 1994; Schommer-Aikins, 2004). Ce rôle « subtil, mais critique » de la posture épistémique dans l’apprentissage est également souligné par Schommer (1994). À la suite de Perry, de nombreux autres modèles épistémiques ont été développés (Table 1): par exemple, Belenky et al. se sont penchés sur le développement épistémique des femmes, pour faire contrepoids aux travaux de Perry, exclusivement construits sur des hommes (Belenky, Clinchy, Goldberger, & Tarule, 1986). Baxter-Magolda (Baxter-Magolda, 1992) propose également différentes dimensions du développement épistémique qui aboutissent à quatre postures épistémiques :
1. Absolue (les connaissances sont détenues par l’enseignant, infaillible);
2.Transitoire (la connaissance est incertaine et les tenants du savoir sont vulnérables) ;
3. Indépendante (le savoir des étudiants vaut celui des enseignants) ;
4. Contextuelle (l’élève construit ses connaissances en fonction du contexte).
Notons que ce dernier stade, qui doit s’adapter au contexte se rapproche de ce que nous cherchons à définir ici, c’est-à-dire la relation épistémique à la complexité. Le travail de Boyes & Chandler (1992) propose également quatre stades, dont les deux premiers sont un stade réaliste (« réalisme naïf » et « réalisme »), le troisième une posture épistémique alternant entre dogmatisme et scepticisme, et un quatrième (« relativisme post-sceptique »).
Evolution de la perception de la complexité avec l’âge
À la suite de Piaget (1936), de nombreux auteurs ont proposé une évolution psychologique en « stades » successifs des enfants. Par exemple, Bruner (1996) décrit trois grandes étapes de représentations mentales chez l’enfant (que l’on retrouve comme mode de fonctionnement cognitif chez l’adulte), tout d’abord basées sur l’action, puis sur les objets, puis enfin les symboles. Dans ce cadre-là, la représentation de la complexité pourrait être une quatrième étape qui se développerait sur la pensée symbolique (« raisonnements hypothético- déductif et combinatoire » de Piaget). Cette étape se renforcerait chez l’adolescent puis chez l’adulte, en lien avec l’expérience vécue de la complexité, et serait autorisée par un développement cérébral de plus en plus complet en allant vers l’âge adulte. Néanmoins, cette vision d’un développement des enfants inéluctablement « en marches d’escalier » est remise partiellement en question (Siegler, 2001): ces étapes sont-elles liées à un âge précis et doivent-elles survenir dans un ordre précis ? Comment surviennent ces changements et quels en sont les mécanismes ?
De plus, les différents modèles de posture épistémiques ne sont pas forcément compatibles, et le développement intellectuel dans un système n’implique pas nécessairement un niveau de développement comparable dans un autre modèle. Par exemple, les théories de Piaget et de Perry sont mal corrélées, ce qui suggère qu’elles abordent différents aspects du développement cognitif (Perry Bruce et al., 1986). Dans le cas de la pensée complexe, ces questions sont d’autant plus criantes qu’il n’existe à notre connaissancepas de littérature qui documente l’évolution de la perception (ou de la compréhension) de la pensée complexe en fonction de l’âge, du niveau d’étude ou du milieu social (ou de tout autre facteur). De telles études conduiraient à intégrer la complexité dans les modèles de développement épistémique.
En tant qu’enseignants, nous travaillons le plus souvent avec des causalités uniques (« c’est juste parce que… »), et il est pour l’instant difficile de comprendre l’évolution des processus cognitifs entre le jeune enfant rassuré par cette causalité unique et « l’adulte angoissé par les causalités multiples » (Cyrulnik, 2011). Les capacités d’abstraction croissantes avec l’âge, décrites par les pédagogues (Barth, 2013), les psychologues (Rozencwajg, 2007) et les neuroscientifiques (Dumontheil, 2014)), sont indispensables, mais insuffisantes, à la conception d’une pensée complexe. Est-ce là dire que les enfants et les adolescents sont incapables de pensée complexe ? Certainement pas : certaines tâches quotidiennes complexes, comme reconnaître des visages ou interpréter des interactions sociales sont effectuées par de très jeunes enfants (Bayet, Pascalis, & Gentaz, 2014). Néanmoins, nous pouvons suivre Fabienne Serina-Karsky quand elle affirme que « c’est par l’éducation, quand elle s’attache à tisser ensemble les différents éléments qui constituent un tout, que l’on peut entrer dans la dimension globale de la connaissance qui fait sens. C’est par elle également que l’on peut apprendre à reconnaître l’erreur et l’illusion, à intégrer l’incertitude. Autant de notions complexes nécessaires à appréhender, dès le plus jeune âge, pour avancer ensemble sur le chemin de l’éducation » (Serina-Karsky, 2017). Cette construction se poursuivra pendant toute la scolarité, et probablement toute la vie ; la pensée complexe est sans doute le sommet de la pyramide intellectuelle que construisent les enfants, les adolescents et les adultes au cours de leur éducation et de leur formation.
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Table des matières
Liste des figures
Liste des Tables
1. Introduction
2. Problématique
3. Cadre conceptuel
3.1 Le jeu
3.1.1 Les « jeux-sérieux »
3.1.2 Le jeu dans le musée
3.2 Le musée
3.2.1 le cadre muséal en général
3.2.2 Le musée et les adolescents
3.3 L’Anthropocène
3.3.1 Dimension naturelle de l’Anthropocène
3.3.2. Dimension humaine de l’Anthropocène
3.3.3 L’Anthropocène et le Plan d’Étude Romand (PER)
3.3.4 L’Anthropocène système complexe
3.4 La complexité
3.4.1 La complexité en tant que notion épistémologique
3.4.2 Les différentes postures épistémiques
3.4.3 Évolution de la perception de la complexité avec l’âge
4. Analyses à priori
4.1 Le jeu Pearl Arbor
4.1.1 Le projet PLAY
4.1.2 Description du jeu
4.1.3 La complexité dans le jeu
4.2 Le public cible : les adolescents
4.3 Le musée de la nature de Sion
4.4 Analyse des questionnaires utilisés dans l’étude
4.4.1 Analyse à priori du questionnaire utilisé avant le jeu
4.4.2 Analyse à priori du questionnaire utilisé après le jeu
4.4.3 Analyse différentielle des questionnaires
5. Analyse des questionnaires
5.1 Généralités
5.1.1 Élèves de 9CO
5.1.2 Élèves de 11VP et de 3e année du Collège
5.1.3 Analyse du taux de réponse exprimées (9CO)
5.2 Caractérisation de la posture épistémique des élèves avant le jeu
5.2.1 Analyse de la posture épistémique des 9CO avant le jeu
5.2.2 Analyse de la posture épistémique d’élèves plus âgés
5.2.4 Comparaison des postures épistémiques en fonction de l’âge
5.3 Caractérisation de la posture épistémique des élèves de 9CO après le jeu
5.3.1 Les visites
5.3.2 Analyse des scores au second questionnaire (après le jeu)
5.3.3 Analyse différentielle des réponses aux deux questionnaires
SOMMAIRE (suite)
6. Discussion
7. Conclusion
Références
ANNEXES
ANNEXE I : Résultat du test statistique de l’analyse inter-classes
ANNEXE II: Questionnaire sur le développement de la posture intellectuelle
ANNEXE III : Questionnaire à remplir AVANT la visite du musée de la Nature de Sion
ANNEXE IV : Questionnaire à remplir APRÈS la visite du musée de la Nature de Sion.
ANNEXE V : Énigmes pour la phase 2 du jeu (état actuel)
ANNEXE VI : Proposition de questions complémentaires pour le jeu Pearl Arbor
ANNEXE VII : Rapport général – Questionnaire pré-musée
ANNEXE VIII : Rapport général – Questionnaire post-musée
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