Territorialisation et historicisation de la transition énergétique bas carbone

Territorialisation et historicisation de la transition énergétique bas carbone 

Les transitions énergétiques bas carbone à la croisée de l’espace et du pouvoir

Avec les impératifs de transition énergétique, nous assistons aujourd’hui à « une territorialisation croissante des systèmes énergétiques et à une montée en puissance des acteurs locaux, à la faveur d’un triple mouvement de décentralisation économique (libéralisation), politique (décentralisation proprement dite) et technologique » (p.57, Deshaies et MérenneSchoumaker, 2014).

Ces dynamiques nous invitent à penser la transition énergétique à travers sa conceptualisation spatiale mais aussi politique. Derrière la territorialisation de l’énergie se cachent des enjeux de redéfinition des concepts des Transition Studies. Ce mouvement n’est pas non plus sans conséquence sur la définition de ce que pourrait être une ressource énergétique locale et son rôle dans un processus de transition énergétique bas carbone. Les rapports de forces et les jeux d’acteurs qui s’exercent à différentes échelles définissent l’orientation des transitions à l’échelle territoriale et la constitution même de l’énergie comme ressource locale. Cette dernière est perçue (selon nos hypothèses) comme un vecteur des politiques énergie-climat pour les villes devenues des entités à part entière de la gouvernance du climat.

C’est ici que nous tentons de croiser une approche spatiale et politisée des transitions à l’échelle urbaine pour faire émerger la notion de ressource énergétique locale comme facteur d’entrée en transition bas carbone.

Un tournant spatial pour les analyses de transition ?

La transition énergétique ne dispose pas toujours de référence scalaire (Duruisseau, 2014 ; Smil, 2010 ; Rogey, 2008). Certains auteurs comme Bigot (2013) ou Bouchard (2009, in Duiruisseau, 2014) l’imaginent respectivement à l’échelle nationale ou régionale. D’autres auteurs comme Emelianoff (2010 a et b), Theys ou Vidalenc (2013) accordent une attention toute particulière à l’échelle et aux acteurs locaux de l’énergie intégrés dans une approche multiscalaire. Une tendance de la géographie amène à diversifier ses approches et ses sujets de recherche pour aborder les « transitions de durabilité » (« sustainability transitions ») en intégrant de nouveaux acteurs (entreprises multinationales, acteurs politiques, ONG…) sur diverses échelles afin de « transcender la forte tendance du secteur à privilégier l’échelle nationale en raison de son incapacité à conceptualiser et à comprendre correctement le rôle des relations transnationales, des forces globales et des processus et acteurs sous-nationaux dans l’évolution des systèmes sociotechniques » (p.64, Truffer et al., 2015). Pour Truffer et Coenen (2012 in Truffer et al., 2015), la géographie des transitions doit aborder trois champs spécifiques : l’enracinement socio-spatial (conditions territoriales spécifiques favorables ou non à l’émergence d’une transition vers la durabilité), l’approche multiscalaire et les questions de pouvoir (qui peuvent entraîner des déséquilibres entre territoires). Truffer et al. (2015) affirment ainsi que « des interconnexions multi-scalaires ont lieu en même temps pendant les processus de transition et se renforcent souvent mutuellement » (p.70). Cet appel à l’approche multiscalaire, nous amène à nous intéresser aux différentes échelles spatiales existantes pour l’étude de la transition énergétique.

Des concepts des Transition Studies en manque d’espace

La « Multi-Level-Perspective »

Certains concepts des Science and Technology Studies ont été déclinés par des approches spatiales : c’est le cas de la Multi-Level-Perspective (MLP) élaborée par Geels (2002) sur la base des travaux de Rip et Kemp (1998, in Geels, 2002) sur les systèmes sociotechniques. Jaglin et Verdeil (2013) définissent ces systèmes comme des « dispositifs relativement stables associant des éléments matériels (infrastructures, équipements), des acteurs sociaux (fabricants de matériel, producteurs et fournisseurs de services, décideurs publics, usagers…), des cadres réglementaires, des normes mais aussi des valeurs et des représentations intériorisées par les différents acteurs » (p.9, Jaglin et Verdeil, 2013). Pour Geels (2002), des transitions technologiques surgissent dans les systèmes sociotechniques des sociétés en les réajustant, voire en les transformant sous la pression et la réorganisation de trois niveaux d’interactions : les niches d’innovation, le régime et le paysage. Le paysage se situe à une échelle macroscopique : « Peu malléable et assez statique, matériellement comme du point de vue des représentations, le paysage est ‘la toile de fond technique, physique et matérielle qui soutient la société’ [traduit de l’anglais, p. 403, Geels, 2002], et sur laquelle les acteurs du système ont peu de prise à court terme » (p.58, Bognon, 2014). Le paysage représente ainsi un environnement sociétal qui progresse lentement et de manière autonome (Avelino et Rotmans, 2009). Le régime est un modèle dominant sur lequel la trajectoire sociotechnique de la société évolue (Bognon, 2014). Il est rigide et constitué de routines. Les régimes attribués à l’énergie sont composés de diverses règles, législations et normes qui incarnent une structuration dominante. Les niches sont des lieux où s’inscrivent des innovations pouvant perturber le régime dominant et fonctionnant de manière indépendante à celui-ci. «Lorsque des interactions inhabituelles ont lieu entre les trois niveaux [provenant de pressions issues du paysage ou de perturbations provenant des niches] d’un système sociotechnique, une transition vers un nouveau système est potentiellement à l’œuvre » (p.58, Bognon, 2014).

Les innovations créées dans les niches peuvent s’accroître et devenir des challengers du régime dominant, voire construire un nouveau régime sociotechnique (Duruisseau, 2014). Ce concept a été utilisé pour conceptualiser des études empiriques menées par Geels notamment sur les objets et systèmes techniques. Pour Duruisseau (2014), les « strates » utilisées dans ce concept peuvent être associées à des échelles géographiques spécifiques afin de modéliser les interactions multiscalaires du processus de transition. Pour lui, « le niveau macro [correspond] à l’échelle mondiale (contraintes énergie-climat) ; le niveau meso à l’échelle régionale et nationale (politiques énergie-climat européennes et nationales, modes de production, mentalités, etc) ; et le niveau micro à l’échelle locale (technopôle, SPL , etc) » (p.29).

Pour Coenen et al. (2012), l’échelon local est laissé de côté et le concept n’a rien de géographique dans sa nature. Une échelle géographique peut être un niveau territorial où les interactions entre acteurs se font de manière horizontale, par des dynamiques propres qui peuvent se distinguer d’une connexion avec des échelles supérieures. Le concept de MLP pour aborder les transitions sociotechniques ne fait pas l’unanimité et a souvent été débattu au sein de la communauté scientifique . La MLP ne fonctionnerait pas pour étudier des transitions territorialisées et aussi profondes que celles de l’énergie. Elle apparaît comme largement explicative pour l’avènement d’objets techniques mais moins percutante pour des objets de recherche multidimensionnels comme les transitions énergétiques.

Les « Technological Innovation Systems »

L’approche des Technological Innovation Systems (TIS) constitue un autre angle d’analyse des transitions socio-techniques. Initialement développée pour expliquer les divergences des systèmes d’innovations entre les pays, elle est construite sur des analyses comparatives des structures institutionnelles et sur des échelles variées (nationales, régionales…). Les TIS montrent les « facteurs influençant les capacités à générer de nouvelles technologies, produits et services à un rythme plus rapide et avec une qualité supérieure » (p.969, traduit de l’anglais, Coenen et al., 2012). Les transitions de durabilité émergeraient alors par l’introduction de nouveaux produits et technologies « verts » sur le marché.

Néanmoins pour Coenen et al. (2012), les TIS ne permettent pas de faire émerger une analyse spatiale des transitions sociotechniques : la dimension spatiale aurait été confondue avec une échelle géographique, à l’image d’un support commun ou d’une échelle identique de comparaisons, de même que les institutions seraient floues dans leur définition.

Carlsson et Stankiewicz (1991) ont cependant affirmé que des systèmes d’innovations étaient associés à des territoires spécifiques disposant de ressources locales nécessaires à l’émergence de ces innovations. Ce sont ces spécificités locales qui conditionnent ces innovations sociotechniques : elles dépendent alors d’interactions spécifiques entre, par exemple, des « prédispositions culturelles, compétences professionnelles, installations de recherche et d’enseignement » qui sont différentes d’un endroit à un autre et qui peuvent être le résultat « de l’histoire de chaque région ou nation, de la structure économique, des préférences culturelles et ainsi de suite » (traduit de l’anglais, p.970, Coenen et al., 2012). La prise en compte de ces contextes spatiaux complexifie ainsi l’identification des facteurs de succès ou des obstacles aux innovations sociotechniques.

L’enrichissement spatial du concept de TIS conduit à accroître le pouvoir explicatif des innovations sociotechniques. Coenen et al. (2012) appellent en conséquence à conceptualiser la géographie différenciée des processus de transitions notamment à travers deux approches : l’avantage institutionnel comparatif et l’épaisseur institutionnelle. Considérés respectivement comme des environnements institutionnels propices aux innovations sociotechniques et comme un réseau d’acteurs ou d’organe de gouvernance capables de coopérer vers des objectifs définis conjointement, ces deux concepts sont liés aux territoires régis par des institutions. Dans une approche multiscalaire, ils révèlent aussi la capacité des acteurs à créer une « interlocalisation » (« interlocalization ») en intervenant sur de multiples échelles géographiques et institutionnelles (ibid.). De cette manière, Coenen et al. (ibid.) proposent une perspective relationnelle pour aborder les transitions « en tant que processus interdépendants entre des réseaux territorialisés, locaux et trans-locaux dans un contexte de structures institutionnelles multi-scalaires (changeantes) » (p.976).

Pour nous, c’est à la croisée de ces échelles spatiales, du local et du global, que se forment les chemins de transition énergétique. Les systèmes énergétiques sont enchâssés dans diverses échelles et interagissent entre eux au même titre que les acteurs institutionnels qui les gouvernent ou les contrôlent. C’est une approche multiscalaire, interactive entre les échelles et les acteurs dans laquelle nous nous positionnons ici pour étudier les transitions bas carbone. Les enjeux de la transition énergétique bas carbone apportent aussi une nouvelle territorialisation des systèmes énergétiques (Duruisseau, 2014). Notre approche spatiale de la transition énergétique bas carbone est également conçue à travers cette territorialisation en tant que facteur d’une diversité des transitions.

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Table des matières

Introduction générale
Aux racines d’une recherche
Démarche de la recherche
Terrains d’études
Généalogie de la question de recherche et des hypothèses
Une autre thèse
Méthodologie
Architecture de la thèse
Première partie Territorialisation et historicisation de la transition énergétique bas carbone
Chapitre 1 Les transitions énergétiques bas carbone à la croisée de l’espace et du pouvoir
1. Un tournant spatial pour les analyses de transition ?
2. Approches dynamiques et relationnelles des transitions urbaines
3. Vers une définition de l’énergie comme ressource locale
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 L’histoire comme marqueur des trajectoires de transition
1. Evolution thématique de l’histoire environnementale
2. L’énergie dans l’histoire de l’environnement urbain
3. Conception évolutive de l’énergie comme ressource locale et des transitions bas carbone
Conclusion du chapitre 2
Conclusion de la partie 1
Deuxième partie Etre une Stadtwerk : naissance et vicissitudes d’une gestion territorialisée de l’énergie au service des villes
Chapitre 3 Genèse des ressources énergétiques locales : le pouvoir urbain dans les relations franco-allemandes et l’électrification
1. Les ressources naturelles dans le giron de Metz et de Sarrebruck
2. Territoires ambivalents au gré de l’évolution des relations franco-allemandes
3. Metz : l’électrification d’une « ville française » sous annexion allemande
4. Sarrebruck : se frayer un chemin dans le secteur énergétique face à la concurrence urbaine et industrielle
5. Les premières géopolitiques entrelacées des minerais et des canaux
Conclusion du chapitre 3
Chapitre 4 La gestion locale de l’énergie dans les nouvelles échelles de conception et le changement d’appartenance des systèmes énergétiques
1. La régionalisation du secteur et l’interconnexion des réseaux : des processus communs aux impacts variés sur le pouvoir local
2. Dans les allers-retours franco-allemands de 1918 à 1940 : des tentatives de diminution du pouvoir urbain ?
Conclusion du chapitre 4
Chapitre 5 Exister dans la reconstruction et les crises énergétiques : l’énergie comme ressource locale sous pression
1. Survivre : les combats municipaux face au centralisme français
2. Pacifier les relations européennes : un autre rôle politique des ressources
3. Sécuriser le rôle des villes dans le secteur énergétique
4. Diversifier les ressources comme conséquence des géopolitiques internationales de l’énergie
Conclusion du chapitre 5
Conclusion de la deuxième partie
Troisième partie Raisons et apories des transitions énergétiques bas carbone en milieu urbain : un processus non linéaire
Chapitre 6 A l’heure des pionniers : des politiques énergétiques et environnementales aux premières politiques climatiques
1. Deux écologies politiques et urbaines
2. Sarrebruck, l’époque d’un leadership
3. Metz, atone dans la mouvance climatique des villes
Conclusion du chapitre 6
Chapitre 7 Les Stadtwerke et ELD prises dans la tourmente de la libéralisation
1. Sarrebruck, des stratégies oscillantes dans des contextes incertains
2. A Metz, les activités historiques malmenées
Conclusion du chapitre 7
Chapitre 8 Les renouvelables dans les nouveaux jeux d’acteurs et d’échelles
1. Metz, une recomposition des proximités
2. Sarrebruck, le temps des regrets
3. Des acteurs locaux et transfrontaliers : des pistes à exploiter pour la transition énergétique bas carbone ?
Conclusion du chapitre 8
Chapitre 9 Les politiques énergétiques au service de la planification urbaine et climatique
1. Des engagements climatiques différenciés
2. Urbanisme et climat : les projets phares
Conclusion du chapitre 9
Conclusion de la troisième partie
Conclusion générale

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