Écrire, une activité motrice
Geste graphique et corps
D’après Sage (2010), « l’écriture est une compétence psychomotrice faisant appel simultanément à la motricité, à la cognition et à la conation ». En effet, l’écriture est dépendante du corps et donc du système moteur. L’élève doit coordonner certaines parties de son corps (épaule, bras, poignet) et maîtriser sa kinesthésie, c’est-à-dire la perception de leurs déplacements. Deux types d’articulations sont alors en jeu : proximales (l’épaule et le coude) et distales (le poignet et la main). Les articulations proximales sont requises pendant des productions écrites qui demandent de grands mouvements de la droite vers la gauche et du haut vers le bas. Quant aux articulations distales, elles sont utilisées pour des gestes plus précis pour former les lettres. Morin, Bara et Alamargot (2017) soulignent la relation entre l’écriture et la motricité, notamment la motricité fine. Ils affirment que «des mouvements fins des doigts sont nécessaires pour tracer les lettres ».
Qui plus est, un bon contrôle des doigts et articulations est nécessaire au bon guidage et à la bonne tenue de l’outil scripteur. Les mouvements des doigts qui ne se coordonnent pas peuvent altérer la tenue du crayon, sa maîtrise et la fluidité de l’écriture (Lavoie, Morin, Coallier & Carrier, 2016). Dans son article, Sage relate les réflexions de Pailllard (1990) et Van Galen (1991) qui analysent les mouvements corporels lors des activités graphiques : « les doigts permettent de tracer les traits verticaux », « le poignet permet de réaliser les traits horizontaux » et « l’épaule permet un déplacement du membre de façon continue le long de la ligne d’écriture ». Ainsi, les membres supérieurs du corps sont engagés pleinement dans le geste graphique. Sur le portail numérique institutionnel Eduscol, Le Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2018) énumère, parmi les variables de la graphomotricité, les points d’appui suivants : « rôle de la deuxième main, rôle du bras qui fait levier, appui du poignet, autonomie des articulations (épaule, coude, poignet, phalange) ». En outre, ce même article désigne la position de l’élève comme un autre effet sur l’écriture.
Tenue corporelle, une nécessité dans le geste graphique
La posture est essentielle dans l’apprentissage de l’écriture. Morin, Bara et Alamargot (2017) déclarent que : « l’apprentissage de l’écriture suppose une maîtrise adéquate de la posture, de la tenue du crayon, de la position de la main et du bras, des déplacements du bras, de la gestion de l’espace, et de la coordination visuo-motrice ». Ainsi, la posture est un paramètre notoire dans l’acquisition du geste graphique. En effet, elle est même nécessaire pour contrôler forme et taille des lettres mais aussi pression qu’exerce le crayon sur le support (Baraud, Bril & Acioly-Régnier, 2018). Par conséquent, sans une posture adéquate, l’individu ne peut apprendre à écrire. En outre, Sage (2010) déclare : « Pour libérer le membre scripteur, les appuis se font du côté du membre supérieur dominé, c’est-à-dire sur l’avant-bras du membre non scripteur, et sur l’ischion du même côté ». Ainsi, une bonne posture permet au corps de se stabiliser et d’amener une amplitude dans les mouvements d’écriture. La posture est coordonnée à l’équilibre. Pour contrôler les mouvements, nous devons connaître la position de notre corps et ses futurs déplacements dans l’environnement. Sage développe trois systèmes sensoriels qui agissent sur l’équilibre dit «postural » : « système proprioceptif », « système visuel » et « système vestibulaire ». Le système proprioceptif se réfère aux récepteurs articulaires, musculaires ou encore tendineux afin de notifier notre corps et anticiper des mouvements. En outre, le système visuel permet à l’homme d’imaginer ses gestes en prélevant des informations extérieures. Le système vestibulaire, quant à lui, concerne principalement la position et le maintien de la tête. En somme, ces trois systèmes ont les mêmes rôles : le traitement d’informations extérieures et la planification de futurs mouvements. Un bon fonctionnement de ces systèmes est nécessaire à l’apprentissage de l’écriture. Ce dernier requiert une perception visuelle. En effet, la vue permet à l’élève de discriminer la forme des lettres et d’anticiper le guidage de la main grâce à la prise d’indices. Ainsi, l’individu doit entretenir un bon contrôle postural. Le contrôle postural se définit par la contraction des muscles du tronc, de l’épaule, de l’omoplate et de la hanche (Lavoie, Morin, Coallier & Carrier, 2016). Ainsi, toutes les parties du corps se coordonnent dans le geste graphique. Les fonctions du contrôle postural sont nombreuses. Vasseur (2015) énumère ses rôles : « Assurer le redressement antigravitaire et l’équilibre, choisir un référentiel stable pour l’organisation de la posture et du mouvement et anticiper les conséquences du mouvement par les ajustements posturaux ». A fortiori, un bon contrôle postural permet à l’élève de bien maîtriser ses mains et ses doigts dans les activités graphiques. Par conséquent, les changements corporels et posturaux que connaît l’enfant dans son développement vont influencer la qualité de son geste graphique.
Transformations corporelles et posturales
Taille de l’élève et contestabilité du mobilier
Depuis 2016, Le Centre de Recherche Épidémiologie et Statistique Sorbonne Paris Cité crée les courbes de croissance, par genre, d’enfants âgés de 1 à 18 ans (Illustrations 3 et 4). Présentes dans les carnets de santé, ces représentations donnent une moyenne de la taille d’un enfant selon son âge. A 6 ans, un garçon doit mesurer entre environ 108 cm et 127 cm, selon les courbes. Quant à la fille, sa taille doit être comprise entre 106 cm et 126 cm. Ainsi, la taille est légèrement différente selon le sexe. Qui plus est, certains enfants peuvent connaître un retard de croissance et même un trouble musculosquelettique. A l’école, le mobilier scolaire n’est pas personnalisé. Il peut même occasionner des tensions corporelles. En effet, l’équipement scolaire peut parfois ne pas être adapté à l’élève, soit trop petit ou soit trop grand. Par conséquence, on peut noter des discordances entre la taille de l’élève et le mobilier dont il dispose. Dorion (2020) affirme que : « les tâches d’écriture et de lecture sont plus touchées par la discordance. ». Qui plus est, les sièges et les pupitres utilisés pour ces exercices sont souvent conventionnels et ne conviennent pas à tous. Les chaises sont généralement d’une même taille, ce qui n’est pas idéal pour tous (Dorion, 2020). Le matériel scolaire peut gêner l’élève et même altérer les acquisitions. De plus, Dorion affirme que : « Lorsque le mobilier est trop grand, les douleurs sont ressenties davantage dans la ceinture scapulaire puisque l’élève est obligé de poser ses avant-bras sur une surface trop haute pour lui ». Pourtant, la position académique recommandée stipule que l’avant-bras doit être « en appui sur le pupitre ». L’avant-bras est essentiel à l’écriture. Sage (2011) soutient : « l’avantbras scripteur opère une rotation autour du coude afin de provoquer la translation de la main le long de la ligne d’écriture ». De ce fait, si l’élève ne peut poser correctement son avant-bras sur son bureau, il ne pourra bien écrire.
Également, un mobilier trop petit peut entraîner des douleurs. En effet, dans ce cas-ci, l’élève se penche vers la table, ce qui peut entraîner des gênes au niveau des vertèbres cervicales et dorsales (Dorion, 2020). Pourtant, de nouveau, le Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse (2018) conseille d’avoir : « Les fesses (sont) » et « Le dos (est) appuyé sur le dossier ou légèrement penché en avant ». Ainsi, le matériel scolaire et le corps de l’enfant peuvent différer et ne pas s’accommoder. Baillargeon (2012) écrit : « Cette discordance entre l’enfant et son poste de travail peut le contraindre à adopter une position qui se présente avec une augmentation de la flexion du cou et du dos ainsi qu’avec une diminution de l’angle tronc-cuisse ». Le mobilier n’est pas approprié à l’élève s’il doit s’étendre pour obtenir une position convenable. Or cet ajustement entraîne des troubles musculosquelettiques.
En outre, un mobilier inadapté à la morphologie de l’élève peut altérer ses compétences cognitives. Lorsque l’élève gesticule sans cesse sur son siège, il ne peut se concentrer. De plus, sa graphomotricité pourrait être détériorée (Lavoie, Morin, Coallier & Carrier, 2016). Comme on l’a vu précédemment, l’apprentissage de l’écriture nécessite une perception visuo-motrice. Mais, si l’élève est constamment en train de se repositionner, il ne se focalisera pas son attention sur ses apprentissages. Également, Lavoie, Morin, Coallier et Carrier (2016) révèlent : « La hauteur de la chaise et du pupitre peut affecter la performance en écriture et l’attention de l’élève». De plus, le mobilier inadéquat peut atteindre les tracés graphiques. Morin, Bara et Alamargot (2017) expliquent : « Dans l’activité motrice d’écriture, l’enfant doit trouver le geste le plus efficace et la posture la plus adaptée pour assurer rapidité et lisibilité du tracé ». En somme, une mauvaise posture provoque des douleurs corporelles qui peuvent nuire à l’apprentissage de l’écriture.
Évolution de la posture de l’élève
Par ailleurs, le mobilier conforme ne peut être adapté à tous car la posture évolue. Cette évolution est le résultat notamment d’une maturation plus tonique. La posture de l’élève évolue au fur et à mesure de l’apprentissage de l’écriture. En effet, petit à petit, alors que la tête et le tronc se relèvent, l’appui du tronc, de l’avant-bras et du poignet s’amoindrissent sur la table (Bonnet, 2017). Au début de l’apprentissage, l’élève a besoin d’un fort contrôle visuel de sa production et de stabiliser ses articulations, afin d’assurer un meilleur contrôle de ses gestes. L’élève réussit au fur et à mesure à rester immobile et à obtenir une position plus tonique. Ses pieds parviennent à atteindre le sol, ses fesses s’équilibrent sur la chaise et son dos se met plus droit contre le dossier.
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Table des matières
Introduction
1.Cadre théorique
1.1.Écrire, une activité motrice
1.1.1.Geste graphique et corps
1.1.2.Tenue corporelle, une nécessité dans le geste graphique
1.2.Transformations corporelles et posturales
1.2.1.Taille de l’élève et contestabilité du mobilier
1.2.2.Évolution de la posture de l’élève
1.3.Posture assise, entre avantages et inconvénients
1.3.1.Posture assise et écriture
1.3.2.Inconvénients de la posture assise
1.4.Place de la posture dans l’enseignement et dans les classes flexibles
1.4.1.Stratégies pédagogiques en écriture
1.4.2.Aménagement flexible et effets physiques
1.4.3.Aménagement flexible et apprentissages
2.Problématique et hypothèses
2.1.Diversifier l’équipement scolaire : une volonté de l’école
2.2.Hypothèses
3.Méthodologie
3.1.Contexte de l’étude : élèves, classe, enseignants
3.1.1.Élèves
3.1.2.Classe
3.1.3.Enseignants
3.2.Modalités et contenu de la démarche expérimentale
3.2.1.Questionnaire à destination des enseignants
3.2.2.Colorier et écrire
3.2.3.Explicitation
3.2.4.Entretien des élèves
4.Résultats et analyse
4.1.Enseignants et posture des élèves
4.2.Douleurs après un travail graphique
4.3.Analyse qualitative des cahiers d’écriture
4.4.Mise en place d’une prise de conscience corporelle
4.4.1.Les élèves : acteur de l’apprentissage corporel
4.4.2.Nécessité des appuis
4.4.3.Différentes postures pour différents corps
4.5.Résultats de l’explicitation
4.5.1.Écouter son corps et connaître ses besoins posturaux
4.5.2.Mobilier inadapté pour certains
4.5.3.Construction réflexive sur son corps
4.6.L’entretien des élèves
5.Discussion et conclusion
Index des illustrations
Index des tables
Références Bibliographiques
Annexe 1 : Questionnaire des enseignantes
Annexe 2 : Production d’un élève de l’activité graphique ritualisé
Annexe 3 : Guide d’entretien des élèves
Annexe 4 : Grille d’évaluation des compétences en écriture au CP et possibilités de remédiation dans le cadre de la classe
4ème de couverture