Tension entre SI structurants et situations d’usage opérationnel inédites
La rétrospective de Reix et Rowe (2002) sur la recherche en SI nous fournit les repères permettant de positionner notre questionnement en sciences de gestion. Avec le courant ingénierique, il s’agissait de créer des SI bons techniquement, rendant plus efficients les processus de prise de décision et de communication. Les années 80 voient la prise de conscience du rôle stratégique des technologies de l’information en termes d’avantage concurrentiel (Porter et Millar, 1985). Il s’agit alors de créer des SI, sources de création de valeur. Des recherches notamment liées à l’alignement stratégique se sont développées (Henderson et Venkatraman, 1993). Face aux difficultés de mise en œuvre des SI, les problématiques de recherche, initialement centrées sur la dimension purement technique, se sont intéressées à la conduite de projet à l’aspect managérial s’inscrivant plus largement en changement organisationnel. Les questions s’orientent alors notamment vers la notion d’impact des technologies dans une perspective initialement déterministe puis émergente faisant ressortir le rôle des acteurs organisationnels (Markus et Robey, 1988 ; Reix et Rowe, 2002 ; Reix, 2005).
Organisation et SI : entre robustesse et une certaine rigidité
La littérature traite abondamment de la relation entre SI et organisation selon plusieurs perspectives (Kéfi et Kalika, 2004 ; Reix et Rowe, 2002). Les travaux montrent que les SI se sont développés sous l’influence de la cybernétique, de la systémique, de l’histoire des organisations.
A travers les perspectives déterministes et globalement sociotechniques
La littérature aborde le lien entre SI et organisation selon plusieurs perspectives (Markus et Robey, 1988 ; Reix, 2005 ; Rowe et Struck, 1995, cité par de Vaujany, 2009a ; Sampler, 1996, cité par Kéfi et Kalika, 2004).
Visions déterministes
Déterminisme technologique
Cette vision remonte aux travaux en théorie des organisations (Barabel et Meier, 2010a ; Milano, 2009). Dans les années soixante, l’apport majeur de la théorie de la contingence met en évidence le lien, entre la structure de l’organisation et les facteurs de contingence, impactant la performance. Remettant en cause le « one best way », le seul et meilleur moyen pour l’organisation et le management de l’entreprise des théories classiques, des travaux se sont notamment intéressés à la technologie comme facteur de contingence (Perrow, 1967 ; Woodward, 1958 cité par Milano). Selon Bria et Phillips (2013), Woodward montre en fin de compte qu’il n’y a pas de structure organisationnelle unique mais une structure plus adaptée selon le système de production. « De tels résultats pourraient être compris comme une ‘one best way’ technologique » d’après Livian (2008a, p. 62). Perrow a quant à lui finalement reconnu que les structures s’ajustaient aux technologies sans lien déterminant. Ces travaux se situent toutefois dans une vision déterministe (Milano). Dans ce que Markus et Robey (1988) nomment l’impératif technologique, cette approche aborde le lien entre la technologie et l’organisation dans une relation de cause à effet, ou la technologie est la variable indépendante, explicative, et les composantes organisationnelles sont la variable dépendante, expliquée. « La technologie est une force exogène qui détermine ou contraint fortement le comportement des individus et des organisations » . L’action résulte de contraintes externes sur lesquelles l’acteur a peu de contrôle et de connaissance. Les effets sont déterminés et prévisibles. Cette approche consiste à démontrer des lois et ne reconnait pas l’incertitude (Reix, 2002). Huber (1990) propose, à partir de différents travaux, un cadre intégrateur des effets des technologies de l’information dont l’usage facilite l’accès à l’information, ce qui impacte la structure organisationnelle, l’ensemble améliorant le processus de décision en termes de délais et de qualité, mais avec des résultats contradictoires (de Vaujany, 2009a). Les prévisions de Leavitt et Whisler (1958) en termes d’impacts des SI sur le fonctionnement des organisations se sont vérifiées concernant la suppression de niveaux hiérarchiques et de tâches routinières mais le résultat des travaux diverge concernant la centralisation du pouvoir et du contrôle organisationnel. Notamment, les SI rendent l’information accessible aux niveaux hiérarchiques inférieurs leur permettant de prendre directement « les décisions qui s’imposent pour capter, satisfaire et retenir les clients » (Sampler, 1996, cité par Kéfi et Kalika, 2004, p. 27-28). Dans la vision du déterminisme, « l’usage des technologies de l’information a des effets systématiques (voulus ou non voulus) sur les caractéristiques de l’organisation » (Reix, 2005, p. 61). Les impacts concernent notamment la coordination, l’autonomie, le contrôle, avec peu de résultats incontestés, ainsi que la formalisation et la standardisation, les deux résultats les plus probants de la littérature selon l’auteur, sans qu’il y ait pour autant de « déterminisme technologique strict » (Reix et Rowe, 2002, p. 10). En s’intéressant à l’ambiguïté de la définition des outils de gestion autour des concepts de technologie et de technique, Pesqueux (2009, p. 8) revient sur la vision Outre-Atlantique de la mise en œuvre des techniques, autrement dit la technologie, en termes d’engineering renvoyant non seulement au fait d’appliquer les techniques mais également à la nécessité de s’organiser pour cela, de recourir à des méthodes. Pesqueux présente l’organisation scientifique du travail (O.S.T) de Taylor, comme étant représentative de cette approche dans la relation technologie – organisation, une organisation utilisant des techniques, des méthodes et une structure organisationnelle. Un « système taylorien (est) complet, reproductible et transposable au point qu’il a équipé la plupart des entreprises ». Selon l’auteur, cette vision pose la question du déterminisme technique, voire de la perspective ingénierique (déterminisme organisationnel) dans le sens où la technique est un moyen au service de la stratégie recherchée par les concepteurs qui détermine la structure organisationnelle, dans « une approche normative de la conception des organisations ».
Déterminisme organisationnel
Cette perspective s’appuie sur les travaux en conception d’organisation. La technologie est un moyen parmi d’autres de répondre aux objectifs organisationnels en maintenant un équilibre entre les besoins et les capacités en traitement de l’information (Galbraith, 1973 ; Tushman et Nadler, 1978). Elle permet d’améliorer les mécanismes de coordination. Elle facilite la compréhension de l’information pour faire face à l’incertitude et à l’équivocité grâce à différents moyens de communication classés selon leur richesse (Daft et Lengel, 1986). Mais la richesse de communication est abordée comme une propriété intrinsèque et ne considère pas les acteurs ni le contexte d’utilisation (Reix, 2005). Dans cette vision inverse de la précédente, avec l’impératif organisationnel (Markus et Robey, 1988), la perspective ingénierique (Reix, 2005), ce sont les choix managériaux, organisationnels qui déterminent les choix technologiques. Les caractéristiques organisationnelles sont les variables explicatives et la technologie est la variable expliquée. « Les technologies de l’information sont un instrument maitrisable au service d’un changement planifié de l’organisation » (Reix, 2005, p. 57), pour atteindre les objectifs prévus en se basant sur une approche rationaliste. La non atteinte des objectifs et les effets non voulus ne sont pas envisagés (Reix, 2002). Peaucelle (2007, p. 105) nous semble rejoindre cette vision en disant que « la technologie est (ainsi) malléable en fonction des vues organisationnelles de ses dirigeants ». De même Abecassis-Moedas et Benghozy (2007, p. 103) pour lesquels la bureaucratisation n’est pas due à la technologie en soi mais « la manière dont ses dirigeants ont façonné les outils techniques dans une perspective de contrôle et d’automatisation des process de gestion ». Selon Reix (2002), la réingénierie de processus est caractéristique de ce type de déterminisme, où la technologie est le support au changement de processus. Pour Hammer et Champy (1993), la logique processus est la solution face à l’exigence clients, à la concurrence accrue et au rythme du changement notamment technologique. En cause, la division des tâches à la « taylorienne », les procédures, le contrôle qui ne permettent pas de s’adapter aux changements. Notre propos n’est pas ici de retracer l’histoire ni le principe de la réingénierie, mais de faire ressortir le rôle de la technologie en tant que levier de réorganisation. Les auteurs insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’automatiser l’existant, mais d’une refonte totale en exploitant les possibilités technologiques pour atteindre de nouveaux objectifs.
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Table des matières
INTRODUCTION
De l’intuition de départ à l’objet de cette recherche
Design de la recherche
Structure de la thèse
Chapitre 1. Tension entre SI structurants et situations d’usage opérationnel inédites
Introduction du chapitre 1
1.1 Organisation et SI : entre robustesse et une certaine rigidité
Introduction de la section
1.1.1 A travers les perspectives déterministes et globalement sociotechniques
1.1.2 A travers les définitions et les dimensions du SI
Conclusion de la section
1.2 SI structurant face à des situations d’usage opérationnel inédites
Introduction de la section
1.2.1 Imprévu ou inédit, gestion ou confrontation face à l’aspect structurant
1.2.2 Inédit opérationnel en SI
Conclusion de la section
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2. Tension entre singularités des utilisateurs et organisation dans l’alignement des usages face à l’inédit
Introduction du chapitre 2
2.1 De la nécessité de « faire face » à l’inédit à l’apport de l’individu et notre intérêt pour les singularités individuelles
Introduction de la section
2.1.1 Nécessité de « faire face » avec efficience à l’inédit
2.1.2 L’individu dans le « faire face » avec efficience à l’inédit
2.1.3 Les singularités individuelles des utilisateurs dans le « faire face »
Conclusion de la section
2.2 Apport et prise en compte ou non des singularités individuelles dans l’alignement des usages SI face à l’inédit
Introduction de la section
2.2.1 Alignement stratégique et alignement des usages
2.2.2 Modèle d’alignement des usages retenu pour préciser notre questionnement
2.2.3 Les singularités positives, des « capacités activables » au niveau des usages et appropriations : questionnement pour prolonger la réflexion
Conclusion de la section
Conclusion du chapitre 2
Chapitre 3. Tension entre singularités des utilisateurs et organisation dans l’apprentissage pour surmonter l’inédit et contribuer à l’alignement
Introduction du chapitre 3
3.1 Prise en compte ou non des singularités individuelles et de l’inédit selon la vision de l’individu, de l’inédit, de l’apprentissage, pour contribuer à l’alignement
Introduction de la section
3.1.1 A travers l’évolution du lien entre formation, management, organisation
3.1.2 Dans la conception des apprentissages
3.1.3 Dans la réalisation des apprentissages
Conclusion de la section
3.2 Apports de l’approche Freinet pour faire progresser notre réflexion
Introduction de la section
3.2.1 Pourquoi s’intéresser à l’approche Freinet parmi d’autres ?
3.2.2 Grille de lecture Freinet
Conclusion de la section
3.3 Justification de l’intérêt de notre questionnement et ciblage pour l’appréhender au niveau empirique
Introduction de la section
3.3.1 Un sujet qui intéresse les entreprises
3.3.2 Une revue de littérature qui fait ressortir l’intérêt d’un questionnement non traité
3.3.3 Ciblage dans notre approche empirique
Conclusion de la section
Conclusion du chapitre 3
Conclusion
CONCLUSION