Temps du récit : les récits en rupture dans Dieu-le-Fit

Ordre du récit dans Dieu-le-Fit

   Qu’est ce qu’en effet qu’un ordre ? La notion d’ordre est tellement importante dans l’analyse des romans que tous les théoriciens en parlent, mais le plus insigne est incontestablement Gérard Genette. Pour ce dernier, cette notion d’ordre est capitale dans le processus de la compréhension d’un quelconque récit, et il la définit de la manière suivante : Étudier l’ordre temporel du récit, c’est confronté l’ordre de la disposition des événements ou segments temporels dans le discours narratif à l’ordre de succession de ces mêmes événements dans l’histoire.1 Id est, étudier le rapport entre la suite des événements telle qu’elle est présenté dans le récit (le texte) et l’ordre dans lequel ces événements se sont produits dans le monde raconté. Cette définition qu’en donne G. Genette concernant cette notion mène d’une manière logique vers une autre interrogation d’importance qui est la suivante : pourquoi parle-t-on d’un double aspect temporel du récit ? En observant les récits de plus près, G. Genette, découvre que le trait caractéristique d’un quelconque récit est sa dualité temporelle ; dans ce sens il écrit :Le récit est une séquence deux fois temporelle : il y a le temps de la chose racontée et le temps du récit.  Le temps de l’écriture et le temps des événements racontés ne se superposent que rarement ; le temps de la fiction excède le plus souvent celui de la narration. Le jeu sur la temporalité constitue donc l’un des ressorts essentiels de l’élaboration du récit. Pourquoi une telle dualité temporelle? Mis à part le choix esthétique de l’auteur de respecter la chronologie des événements ou de brouiller la ligne du temps, Jean Verrier estime que faire un récit, raconter une histoire, c’est représenter du temps ; la représentation de ce temps s’inscrit elle-même dans un autre temps ; représenter du temps prend du temps, et la réception de ce temps représenté également, ce qui conduit rationnellement vers un aspect double du temps.Peut-il exister un récit sans personnage ? Au cœur de tout récit, le personnage occupe une position stratégique. Il est le carrefour luminaire des lecteurs, des auteurs, des critiques. Mais, quel rôle le personnage peut-il jouer dans la suite chronologique d’un récit ? Dans Essais sur le roman, Michel Butor considère le personnage comme le point nodal de tout le système romanesque. Il écrit :Dès qu’il y a deux personnages importants, et qu’ils se séparent, nous serons obligés de quitter quelque temps les aventures de l’un pour savoir ce que l’autre a fait pendant la même période.Cette révélation de Butor trouve son pleine efflorescence dans le roman Dieu-le-Fit de Saadi Noureddine qui fait l’objet de notre présente étude. En effet, en lisant le ledit roman, une impression s’impose. Il semble que le roman se divise en deux histoires se déployant concomitamment ; une première qui se déroule dans le quartier complètement détruit et une autre se déroulant de côte des déportés. Les fils d’Ariane assurant la progression de ces deux histoires en questions sont respectivement : Bayda [une enseignante d’histoire habitant le quartier surplombant Dieu-Le-Fit, et que la destruction de ce dernier l’a jetée dans un état déplorable. Elle passe donc son temps à errer dans le quartier anéanti, cherchant ainsi quelque indice lui permettant de flaire le vent et de déceler le secret d’un tel acte de la part des autorités mais sans trouver un aboutissement à sa quête. Devenue insensée, Bayda se donna la mort en s’engouffrant d’un pont] et El Mawtar [un caporal zélé désigné par les autorités pour le maintien de la situation dans le convoi des déportés, un obsédé du temps, un vrai maniaque de l’heure qui se targue de sa bonne maîtrise de la situation et surtout de son temps] qui sont deux personnages principaux dans le roman.

La distorsion temporelle

  « Les structures chronologiques sont d’une complexité tellement vertigineuse que les schémas les plus ingénieux utilisés soit dans l’élaboration de l’ouvrage, soit dans son exploration critique, ne pourront jamais être que de grossières approximations » écrit Butor. Donc, l’élaboration d’un quelconque ouvrage, qui semble de première vue d’un air facile, est d’une extrême ambiguïté qui laisse perplexe les auteurs les construisant ainsi que les critiques cherchant des explorations et approfondissement analytiques.Dans ses études sur les récits, G. Genette considère que les différentes relations qu’entretiennent les temps du récit avec ceux de l’histoire se résument en deux types principaux :
– relation de parfaite coïncidence entre le temps du récit et le temps de l’histoire ; cela suppose que le récit s’élabore au fur et à mesure que l’histoire se déroule sans digression, sans pause descriptive, sans répétition. Cela signifierait non seulement que les deux ordres chronologiques seraient parfaitement superposables mais aussi que le temps que dure l’événement et le temps de le raconter seraient identiques. Donc, une telle coïncidence est impossible à établir, elle relève plus d’une hypothèse que d’une réalité.
– relation de discordance entre le temps du récit et le temps de l’histoire. G. Genette propose d’appeler ces différentes formes de discordances « anachronies » qu’il définit de la manière suivante :
Toute anachronie constitue par rapport au récit dans lequel elle s’insère sur lequel elle se greffe – un récit temporellement second, subordonné au premier. Raconter, en conséquence, des événements selon une chronologie rigoureuse, en s’interdisant tout retour en arrière, c’est, en quelque sorte, tenter l’impossible ; le cas échéant, cela amène, d’après Butor :À des constatations surprenantes : toute référence à l’histoire universelle devient impossible, toute référence au passé des personnages rencontrés, à la mémoire, et par conséquent toute intériorité. Les personnages sont alors nécessairement transformés en choses. On ne peut les voir que de l’extérieur, et il est même presque impossible de les faire parler.Mais, d’une manière opposée, il ajoute : Dès que l’on fera intervenir une structure chronologique plus complexe, la mémoire apparaîtra comme un de ses cas particuliers A cet effet, les anachronies sont donc la pierre angulaire de toute distorsion temporelle dans les récits à laquelle les auteurs, particulièrement les auteurs contemporains, tiennent à cœur. Que peut-on dire de Dieu-le-Fit ? Dans ce roman à dominance temporelle, la constatation la plus apparente est la discontinuité temporelle du récit. Donc dans le susdit roman, le fil du temps est rompu et la rupture chronologique est flagrante. L’auteur de Dieu-le-Fit a utilisé, dans l’élaboration de son œuvre, une technique créatrice qui est au goût du jour chez les auteurs contemporains. Cette technique consiste en la juxtaposition de blocs de récits à temps différents, autrement dit, une technique de l’intermittence, de discontinuité et de saut nous voulant faire bien sentir les ruptures. Donc le roman est érigé par une périodicité, autrement dit, un contraste entre deux scènes de temps différents. La première scène est celle de la transportation des déportés qui est la principale et une seconde qui est celle où l’on décrit ce qui se passe dans Dieu-Le-Fit, et c’est tout le roman qui est ficelé sur ce canevas. A chaque fois qu’on fait un pas en avant dans l’espace et dans le temps : Mustaphail et Lazreg poursuivaient leurs échanges et semblaient particulièrement s’attarder sur une période joyeuse. Et ils enjolivaient leurs récits de frasques, de beuveries au Pays-au-delà-des-Mers, d’amours réinventés où ils les attristaient de ces moments de misère et de chômage, de rafles qu’il fallait contourner durant le couvre-feu qui frappait les Wallaches, de scènes de racisme et d’ostracisme, de la peur de l’expulsion, du froid.

La disjonction du système spatial

  Qu’est-ce qu’un espace ? L’espace apparaît dans le dictionnaire sous la définition suivante :Milieu idéal, caractérisé par l’extériorité de ses parties, dans lequel sont localisées nos perceptions, et qui contient par conséquent toutes les étendues finies. Ainsi, la notion d’espace est strictement liée à la faculté cognitive et sensationnelle de l’être humain, autrement dit c’est l’homme qui confère à l’espace, par son pouvoir de perception, son sens plénier. Dans une œuvre littéraire, la notion d’espace désigne le milieu où se manifeste l’histoire raconté. L’espace est donc, selon Christiane Achour : La dimension du vécu, c’est l’appréhension des lieux où se déploie une expérience. L’espace, dans une œuvre, n’est pas la copie d’un espace strictement référentiel, mais la jonction de l’espace du monde et de celui de créateur. De ce fait, « dans un texte, l’espace se définit comme l’ensemble des signes qui produisent un effet de représentation ». Cet espace représentatif n’est, pour H. Poincaré, « qu’une image de l’espace géométrique, image déformée par une sorte de perspective  ».Dieu-le-Fit, c’est la bifurcation du système spatiale. Le roman en question met en scène deux types d’espace que l’on peut jugé de contradictoire. D’un côté, il y a l’espace du quartier calciné, un espace clos, limité, chambardé, qualifié de verrue et d’excroissance : Voilà tant d’années qu’ils logeaient ici, surplombant de loin le bidonville terré au flanc de la colline, et il avait fallu qu’il soit livré au feu pour qu’elle le remarquât. Elle avait certes suivi négligemment, par ces coups d’œil fugaces qu’on lance parfois de la fenêtre, l’étalement des taches successives, le scintillement des tôles ondulées aux cippes du cimetière mais elle n’avait guère accordé d’intérêt à ce paysage si commun aux alentours de la ville. On s’habitue si vite à ne plus prêter attention à une verrue sur un visage. […] A travers le quinconce d’ifs, plantés là comme rempart contre la mort ou l’avance du bidonville ?, elle dévisagea longuement, comme l’enfant fixe l’ampoule électrique pour lutter contre le sommeil, l’amas de ruines contorsionné sous les flammes. Dans le passage ci-dessus, il est mis au devant de la scène l’aspect sinistre de bidonville. Le narrateur décrit Dieu-Le-Fit, ce quartier de vallée de misère, comme étant une contrée sans âme qui baigne dans le marasme et la débine. En effet, cette description nous donne une image d’un territoire fermé qui inspire le dégoût, la répulsion, sinon l’écœurement. Pour mettre en évidence l’allure noirâtre de l’espace décrit, le narrateur a utilisé dans sa description un arsenal de qualificatif très significatif. Par conséquent, les mots terré, feu, cimetière, verrue, l’amas de ruines, taches successives, scintillement de tôles, rempart, la mort, l’avance de bidonville, etc., ne sont là que pour faire savoir au lecteur que l’espace en question relève beaucoup plus d’un espace démoniaque, satanique, voire même méphistophélique que d’un espace céleste et vital.

La binarité spatiale à l’œuvre de la distorsion temporelle

  Les deux entités d’espace et de temps sont tellement liées que même la simple idée de les départager serait une illusion. Ainsi, note Bergson : L’erreur de Kant a été de prendre le temps pour un milieu homogène. Il ne paraît par avoir remarqué que la durée réelle se compose de moments intérieurs les uns aux autres, et que lorsqu’elle revêt la forme d’un tout homogène, c’est qu’elle s’exprime en espace. Ainsi la distinction même qu’il établit entre l’espace et le temps revient, au fond, à confondre le temps avec l’espace, […]. Dans la pensée aristotélicienne, on ne peut parler de l’idée du temps sans l’associer à celle de mouvement. Dans ce sens, il écrit :Le temps n’existe pas sans le changement ; en effet, quand nous ne subissons pas de changements dans notre pensée, ou que nous ne les apercevons pas, il ne nous semble pas qu’il se soit passé du temps. Donc pour ce philosophe, la notion du temps et étroitement liée à l’idée du changement quel qu’il soit, et que sans le changement et le mouvement le temps ne peut avoir lieu ; il ajoute donc : « Voici ce qu’est le temps : le nombre du mouvement selon l’antérieur-postérieur.» Quel est le rapport entre temps et mouvement ? Pour répondre à une telle interrogation, il nous faut au premier lieu comprendre ce que veux dire le mot mouvement. Dans les dictionnaires, mouvement apparaît sous la définition suivante : Changement de position dans l’espace, déplacement, en fonction du temps,par rapport à un système de référence.Donc mouvement c’est le déplacement dans un espace quelconque par rapport à un temps quel qu’il soit, ce qui fait que le rapport unissant temps et mouvement, c’est la spatialité ; par conséquent, ces trois entités à savoir temps, espace et mouvement constituent un ensemble unique indissociable.Dans le roman Dieu-le-Fit, l’histoire se déroule dans deux espaces tout à fait différents.De cette manière, le récit oscille entre l’espace des déportés et celui du quartier détruit. Ce mouvement oscillatoire entre ces deux espaces, ne se produit pas tout seul mais implique une autre oscillation, mais cette fois elle concerne la temporalité du roman. Le narrateur est maintenant auprès de convoi des déportés, il suit avec un soin scrupule tout ce qui s’y passe. Donc, ce qui va être livré, comme informations sur l’histoire, aux lecteurs dans ce moment précis ne concernera qu’un espace S bien déterminé (celui du convoi) qui impliquera son propre temps t :Au milieu du brouhaha et des clameurs, les plus méfiants, les plus timorés ou les plus aigris, qui pensaient qu’il valait mieux poursuivre la route au risque d’aggraver les choses, se taisaient ou ruminaient leur amertume très vite débordée par la foule en liesse. Et peu à peu, sans qu’on sût qui initia l’idée, les hommes s’élancèrent vers les camions et en un tour de main matelas, couvertures, tablettes, plateaux de cuivre, coussins, peaux de mouton ou de chèvre, tapis aux couleurs bigarrées couvrirent le sol chatoyant sous le crépuscule. On eût cru la reconstitution de Dieu-Le-Fit.

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Table des matières

REMERCIEMENT
DEDICACE
INTRODUCTION GENERALE
PREMIER CHAPITRE : Dieu-le-Fit : une étude spatio-temporelle
Prise de vue
I : De l’anachronie narrative à l’anachronie spatiale
1 : La structure narrative du roman
1 – a : Ordre du récit dans Dieu-le-Fit
1 – b : La distorsion temporelle
2 : La disjonction du système spatial
3 : La binarité spatiale à l’œuvre de la distorsion temporelle
Conclusion
II : La temporalité romanesque
1 : Le temps narratif du roman
1 – a : La manifestation du temps dans Dieu-le-Fit
1 – b : Temps du récit : les récits en rupture dans Dieu-le-Fit
2 : Les temps verbaux et leurs rôles dans l’univers romanesque
3 : Les relations temporelles dans le roman
Conclusion
Conclusion du premier chapitre
DEUXIEME CHAPITRE : Histoire et Mémoire
Prise de vue
I : L’analepse à l’œuvre de la mémoire
1 : Le sémantisme de la mémoire
2 : La mémoire du personnage
3 : La mémoire collective
Conclusion
II : La temporalité à l’œuvre de l’Histoire
1 : Le passé mémoriel
2 : Dieu-le-Fit : de référent anthroponymique au référent toponymique
3 : Le rapport à l’Histoire
Conclusion
Conclusion du deuxième chapitre
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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