La déficience visuelle, causes et types
La déficience visuelle est une forme de handicap qui affecte fortement l’autonomie et la vie quotidienne des personnes qui en sont atteintes. Selon l’OMS [177], on comptait en 2010 : 39 Millions de personnes aveugles à travers le monde (2.7M en Europe) et 246M présentant une déficience visuelle sévère (25M en Europe). Les causes de cécité sont diverses. La cataracte (opacification du cristalin) est à elle seule la cause de 51% des cas de cécité à travers le monde (principalement dans les pays en voie de développement) alors qu’en Europe elle est principalement due aux maladies de la rétine [146]. L’OMS distingue 4 niveaux de déficience visuelle qui vont de la déficience légère à la cécité totale. En France, la cécité légale est définie par une acuité visuelle inférieure à 1/20 pour le meilleur œil après correction. Pour autant l’importance du handicap subi n’est pas complètement corrélée avec l’importance de la déficience. En effet d’autres facteurs jouent des rôles importants, en particulier l’ancienneté du handicap, l’apprentissage de techniques compensatoires de locomotion ou le rôle des proches.
Augmentation sensorielle
De nombreux dispositifs visant à pallier les difficultés liées aux handicaps visuels ont été développés en lien avec les évolutions technologiques, et aujourd’hui, les applications de synthèse vocale sur téléphone portable font partie du quotidien des personnes aveugles autant que la canne blanche. Les chercheurs ont cherché à suppléer à la déficience visuelle pour les différentes tâches impactées par le handicap, qu’il s’agisse des déplacements, de la reconnaissance d’objets ou de la communication écrite. En parallèle aux évolutions technologiques, les recherches en sciences cognitives et en psychologie expérimentale ont conduit à développer le concept de substitution sensorielle [16] qui vise à remplacer un sens par un autre (par exemple, substituer la vue par le toucher ou l’audition) en utilisant la capacité des personnes à s’adapter à ces nouvelles modalités. Cette approche, qui à conduit à de nombreuses études et développements, a également montré ses limites [141] et aujourd’hui peu de dispositifs d’aides aux personnes déficientes visuelles utilisant ce principe ont été adoptées par les utilisateurs. Une approche différente, dite d’augmentation sensorielle consiste à extraire l’information utile et à la traduire avant de la transmettre à l’utilisateur. L’information peut alors être captée par toute forme de technologies (caméra, capteurs de distances, GPS, etc.), traitée, analysée et transmise via une modalité adaptée.
Guidage sonore
Cette approche d’augmentation sensorielle connaît aujourd’hui un développement important, mais la question du mode de transmission de l’information reste fondamentale. Dans cette thèse, nous faisons l’hypothèse que les indices de localisation sonore constituent un moyen efficace pour fournir des informations de direction adaptées aux tâches de guidage. En effet, les personnes déficientes visuelles utilisent régulièrement leurs capacités à localiser et à suivre des sources sonores dans la vie quotidienne. C’est le cas, lorsqu’elles doivent s’orienter vers une personne pour lui parler, ou lorsqu’il s’agit de suivre les bruits de pas d’une personne pour se déplacer dans la rue. C’est donc une tâche pour laquelle elles sont, a priori, entraînées. Cette capacité est d’ailleurs déjà utilisée pour la pratique sportive puisque des sportifs non voyants pratiquent déjà le roller ou la course à pied avec un guidage sonore. L’athlète suit alors son guide en s’orientant grâce au bruit de ses pas, de ses rollers, ou via un haut-parleur. Dans un dispositif d’augmentation sensorielle pour le guidage, on peut alors envisager de reproduire de tels sons en les spatialisant par filtrage binaural. Il s’agit ainsi de reproduire les propriétés de l’écoute naturelle par filtrage numérique, ce qui permet à l’utilisateur de percevoir des sources sonores virtuelles dans l’espace, à l’aide d’un casque audio stéréo conventionnel. Le son spatialisé présente alors le double avantage de correspondre à une pratique habituelle, limitant le besoin d’apprentissage, et de fortement limiter la latence de transmission de l’information. Cette technique est donc proche d’un contexte écologique préservant les boucles perception-action naturelle et proposant une représentation spatiale égo-centrée. Les techniques de guidage par son binaural semblent alors bien adaptées à la pratique sportive où la recherche de performance autant que le confort sont des considérations prépondérantes.
Sport et handicap
En France, en 2017, sur 28 684 licenciés à la Fédération Française Handisport, 1 841 étaient des Déficients Visuels (DV) [75] (à comparer aux 932 000 français atteint de déficience visuelle sévère). Le taux de pratique sportive en club est donc très faible chez les personnes DV. Ces chiffres peuvent en partie être expliqués par la difficulté à trouver des clubs permettant la pratique sportive et la nécessité d’être accompagné individuellement. En effet, la plupart des sports nécessitent un guide (athlétisme, roller, etc.) pour être pratiqués par les personnes DV. D’autres sports nécessitent des aménagements ou des équipements spécifiques (vélo, tandem, tir). En outre certains sports ont été spécifiquement développés pour les pratiquants DV comme le Goalball, le Torball, le Showdown ou encore le cécifoot. L’OMS recommande [178] pour tous les adultes de moins de 65 ans de pratiquer au moins 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modéré par semaine. Les personnes qui pratiquent davantage d’activité physique ont une espérance de vie supérieure par rapport aux personnes moins actives. Si les bienfaits du sport d’un point de vue physique, psychologique et sociaux sont bien connus, on peut également mettre en avant un intérêt spécifique pour les personnes déficientes visuelles. En effet le sport permet de stimuler la sensibilité proprioceptive et en conséquence de développer la motricité et la perception des membres dans l’espace lors des mouvements, ce qui est susceptible d’avoir un impact direct sur l’autonomie. Dans le sport de compétition, les personnes DV sont désignées par la lettre B (Blind) et classés en 3 catégories distinctes, suivant l’acuité visuelle et le champ visuel de : B1 (considéré comme non-voyant) à B3 (mal voyant). Aux JO 2024, les disciplines suivantes seront ouvertes aux personnes DV : Cécifoot, GoalBall, Athlétisme, Aviron, Cyclisme, Judo, Natation et Triathlon. Là encore, la question du guide est primordiale. Le guide doit être capable de jouer son rôle sans ralentir l’athlète, ce qui implique une très bonne coordination (et donc un entraînement en commun) et des capacités sportives adaptées. De ce fait, au plus haut niveau, les guides sont également des athlètes de premier plan, dont les disponibilités sont forcément très limitées. Dans le sport de loisir, comme en sport de compétition, la question de la disponibilité du guide est donc primordiale et constitue souvent un frein au développement de ces activités.
Objectifs
Aujourd’hui, mises à part les application GPS sur smartphone, très peu d’appareils sont réellement utilisés par les personnes déficientes visuelles. Sur le terrain, de nombreux projets de laboratoire perdent leur intérêt par manque d’ergonomie ou parce qu’ils interfèrent avec les autres activités de l’utilisateur. Ils peuvent nécessiter une formation longue ou augmenter sensiblement la charge cognitive. Sans surprise, les appareils les plus populaires actuellement sont des accessoires spécifiques, dédiés à des tâches bien identifiées, comme par exemple la détection d’obstacles proches (on pense à la canne blanche électronique développée par l’équipe de R. Farcy [74]). Par conséquent, l’objectif du dispositif électronique pour le guidage des personnes déficientes visuelles que nous cherchons à développer n’est pas de remplacer la vision dans son ensemble. Nous nous concentrons plutôt sur l’amélioration de la qualité de l’aide pour une tâche spécifique, à savoir orienter une personne sur un parcours en se focalisant sur la pratique sportive en environnement maîtrisé. Le son binaural comme indication d’orientation est utilisé pour fournir uniquement l’information essentielle selon un principe de parcimonie. La thématique binaural/Son 3D fut introduite au CMAP il y a plusieurs années par les travaux de François Alouges et Matthieu Aussal et a conduit à la conception d’outils de spatialisation sonore temps-réel efficaces sur lesquels ce travail s’appuie largement. Toutefois, dans le but de pouvoir guider une personne grâce à un son spatialisé situé en amont et lui indiquant le chemin à suivre, nous devons d’abord localiser précisément l’utilisateur dans l’espace et créer la ou les sources virtuelles spatialisées en temps réel qui lui serviront de guide. Le dispositif devra enfin être extrêmement réactif pour pouvoir être utilisé en contexte sportif. Enfin, le dispositif complet doit pouvoir être embarqué par l’athlète. Ce travail s’articule donc autour de trois axes, qui constituent les trois parties distinctes du manuscrit :
— le développement de techniques et d’outils pour la localisation précise ;
— le développement des moteurs binauraux embarqués et l’étude de la perception des sources sonores en mouvement ou pas ;
— l’intégration de ces éléments dans des prototypes utilisables pour l’expérimentation et le guidage.
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Table des matières
INTRODUCTION
I Localisation en temps réel
1 Principes et méthodes en localisation
1.1 Proximité
1.2 Latération et angulation
1.2.1 Latération : approche circulaire
1.2.2 Latération : approche hyperbolique
1.3 Reconnaissance de motifs et vision par ordinateur
1.4 Navigation à l’estime (Dead reckoning)
2 Technologies
2.1 GNSS
2.1.1 Constellations
2.1.2 Précision et source d’erreurs
2.1.3 GNSS augmenté
2.1.4 Discussion : GNSS et guidage piéton
2.2 Technologies pour la mesure de distances
2.2.1 Télémétrie
2.2.2 Technologies radiofréquence : Wi-fi, ZigBee, BlueTooth
2.2.3 UWB
2.3 Centrale inertielle, capteur d’orientation
2.3.1 Les différents capteurs : modélisation et calibration
L’accéléromètre
Le gyroscope
Le magnétomètre
2.3.2 Estimation de l’orientation
2.4 Autres techniques, empreintes
3 Vers un système de localisation pour le guidage des sportifs non voyants
3.1 Localisation par réseau de capteurs UWB
3.1.1 Positionnement temps réel par filtre de Kalman et calibration par méthode des moindres carrés
(LSE – Least square Estimation)
3.1.2 Calibration
3.1.3 Filtrage temps réel
Mise en œuvre
Algorithme
L’exactitude
Robustesse
Nombre minimal de balises
3.1.4 Conclusion
3.2 Localisation par réseau de capteurs radar Doppler hyperfréquence
3.2.1 Estimation de la vitesse et de la distance
3.2.2 Estimation de la distance utilisant le RSS
3.2.3 Filtre particulaire pour la localisation en temps réel
3.2.4 Mise en oeuvre et tests
3.2.5 Conclusion
3.3 Flot optique et localisation piétonne
3.3.1 Odométrie piétonne par flot optique
Capteur de flot optique
Déplacement d’un capteur dans le plan parfaitement parallèle au sol
Capteur en conditions réelles
3.3.2 Exemples de localisation par flot optique
Fusion AHRS et flot optique
3.3.3 Conclusion
II Synthèse Binaurale
4 Écoute spatialisée et localisation sonore
4.1 Système auditif
4.2 Référentiel
4.3 Indices de localisation
4.3.1 Différence Interaurale de temps (Interaural Time Difference ou ITD)
4.3.2 Différence Interaurale de niveau (Interaural Level Difference ou ILD)
4.3.3 Cônes de confusion
4.3.4 Indices dynamiques et spectraux
4.4 Capacités humaines de localisation sonore
4.4.1 Perception de la direction de la source sonore
4.4.2 Perception de la distance
4.5 Perception sonore chez les personnes aveugles
4.5.1 Perception de l’intensité et de la fréquence
4.5.2 Localisation sonore chez la personne Déficiente Visuelle (DV)
4.5.3 Echolocalisation
4.5.4 Des performances supérieures aux personnes valides ?
5 HRTF et son spatialisé
5.1 HRTF
5.2 Décomposition ITD + filtre à minimum de phase
5.3 Son spatialisé : Enregistrement et synthèse binaurale
6 Filtrage binaural
6.1 Implémentation
6.1.1 Algorithme
6.1.2 Choix technologiques
6.2 Latence d’un moteur audio
6.2.1 Latence audio
6.2.2 Temps de traitement des buffers audio
6.2.3 Mesure des latences système
6.2.4 Latence du head-tracker
6.3 Auralisation temps réel pour le guidage audio
Implémentation et performances
6.4 Conclusion
CONCLUSION
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