L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’environ 3,5 milliards d’individus à travers le monde sont affectés par des parasitoses intestinales et que 450 millions d’entre eux développent une pathologie en lien avec ces infections (OMS, 2010). Dans ce contexte global, même si l’impact des seules protozooses digestives dans la population humaine reste difficile à estimer avec précision, elles sont très probablement responsables de centaines de millions de cas par an en faisant ainsi une des premières causes de morbidité, de malnutrition et de mortalité dans le monde. Leur prévalence est principalement liée au péril fécal (transmission féco-orale) et de ce fait, les pays en voie de développement sont les plus concernés par ces parasitoses en lien avec des conditions sanitaires précaires. Cependant, ce péril s’est accru dans les pays développés en particulier à travers les séjours de leurs populations dans des pays à risque et les flux migratoires. A côté des protozoaires les plus connus comme Entamoeba et Giardia, d’autres unicellulaires parasites entériques comme Blastocystis et Cryptosporidium ont été identifiés mais demeurent généralement négligés par les autorités sanitaires. C’est donc sur ces deux protozoaires dont l’écologie et la physiopathologie restent encore très mal connues que se concentrent les travaux de mon équipe d’accueil (BDPEE).
Ma thèse s’est quant à elle focalisée sur Blastocystis sp. qui, brièvement, est un parasite cosmopolite identifié dans le tube digestif de l’Homme et de nombreux groupes d’animaux. Il est à ce jour le parasite eucaryote unicellulaire le plus fréquemment retrouvé dans les selles humaines puisque sa prévalence peut atteindre les 20% dans les pays développés et largement dépasser les 50% dans les pays en voie de développement. Dans son blog dédié à Blastocystis sp. (http://www.blastocystis.net/), Rune Stensvold du Statens Serum Institute de Copenhague au Danemark avance le nombre de 1 milliard d’individus qui pourraient être infectés par ce parasite à travers le monde. Un tel chiffre amène naturellement à la question de l’impact réel de Blastocystis sp. en santé publique. D’ailleurs, la dernière décennie a vu un intérêt croissant porté à ce protozoaire qui s’est traduit par l’augmentation significative du nombre annuel de publications sur ce parasite, la création de la Blastocystis Research Foundation (BRF) aux Etats-Unis (http://www.bhomcenter.org/) et l’ajout en 2006 par l’OMS de Blastocystis sp. sur la liste des parasites d’origine hydrique.
Jusqu’à récemment, le pouvoir pathogène de Blastocystis sp. restait controversé du fait d’un portage asymptomatique très fréquent. Cependant, un large faisceau de données récentes qu’elles soient in vivo, in vitro, cliniques et génomiques tendent à démontrer le potentiel pathogène de ce protozoaire et plusieurs molécules et mécanismes impliqués dans la physiopathologie du parasite ont été proposés. Blastocystis sp. serait ainsi responsable de symptômes digestifs non spécifiques tels que des diarrhées et des douleurs abdominales. D’autre part, ce parasite pourrait aussi jouer un rôle majeur dans une pathologie intestinale fréquente dans les pays industrialisés, le syndrome de l’intestin irritable (SII), dans l’apparition de lésions cutanées comme l’urticaire et serait fréquemment retrouvé chez les patients immunodéprimés en faisant ainsi un parasite opportuniste de tout premier plan. En outre, une large diversité génétique a été observée au sein du genre Blastocystis avec l’identification de nombreux sous-types (STs) dont les fréquences sont très variables dans la population humaine. Quelques études récentes, en particulier in vitro, suggérent une virulence variable de ces différents STs mais cette hypothèse reste encore à confirmer.
Vu l’impact potentiel majeur de Blastocystis sp., différents axes de recherche ont été développés par l’équipe BDPEE sur ce parasite (Figure A1) qui ont la particularité de combiner « études de terrain » et « recherche de laboratoire ». En résumant, ils visent à clarifier l’épidémiologie moléculaire de ce parasite, sa circulation dans les populations humaine et animale comme dans l’environnement (recherche de facteurs de risque de transmission) et sa physiopathologie tout en identifiant les molécules et mécanismes impliqués dans sa pathogénie. La finalité de ces travaux est de pouvoir proposer des stratégies de contrôle et de lutte contre cette parasitose.
Polymorphisme, cycle biologique et culture de Blastocystis
L’une des caractéristiques majeures de ce protozoaire est son polymorphisme. En effet, pas moins de quatre formes majoritaires ont été décrites dans la littérature sur la base d’observations microscopiques de selles fraîches et de culture in vitro. Ces formes, qui rendent difficile l’assignation d’une forme spécifique au parasite, sont vacuolaire, granulaire, amiboïde et kystique (1,3,12) (Figure 1). Près de 90% du volume de la forme vacuolaire, dont la taille est généralement comprise entre 8 et 25 µm, sont occupés par une vacuole centrale qui aurait un rôle de stockage et qui repousse en périphérie le cytoplasme et les organites cellulaires ; son identification est ainsi assez aisée. La forme granulaire, de plus petite taille, est pour sa part morphologiquement très proche de la forme vacuolaire si ce n’est la présence de granules très hétérogènes dans la vacuole centrale. Pour certains auteurs, elle serait même plutôt une forme vacuolaire au contenu cellulaire particulier plutôt qu’un stade parasitaire distinct (3). En général, les formes vacuolaires et, à un moindre degré, les formes granulaires sont prédominantes dans les échantillons de selles fraîches et en culture in vitro (Figure 1). La forme amiboïde, dont le diamètre varie de 3 à 8 µm est, quant à elle, plus fréquemment observée dans les cultures in vitro que dans les selles fraîches, même si une excrétion prédominante de la forme amiboïde a été rapportée dans les selles de quelques patients symptomatiques (13). Enfin, la forme kystique, de petite taille (3 à 5 µm), est principalement constatée dans les échantillons de selles et rarement en culture in vitro.
A partir de toutes ces données, un cycle biologique hypothétique de Blastocystis a été proposé. L’ingestion de kystes, par consommation d’eau ou d’aliments contaminés, initierait l’infection de l’hôte humain ou animal (1,12,14). En effet, ils représentent la forme de résistance et de transmission du parasite. Ils peuvent survivre au moins 19 jours dans l’eau à température ambiante et résistent aux procédés les plus courants de désinfection de l’eau (1). Dans l’intestin de l’hôte, ces kystes se transformeraient en formes vacuolaires représentant les stades trophiques du parasite et qui pourraient s’y diviser. Certaines formes vacuolaires pourraient alors se transformer en formes granulaires ou amiboïdes, mais le rôle de ces deux dernières formes reste encore à clarifier. Puis, un certain nombre de ces formes vacuolaires s’enkysteraient lors de la traversée du côlon avant excrétion des formes vacuolaires et kystiques dans les selles et dissémination dans l’environnement. Les formes kystiques excrétées pourront à leur tour contaminer un nouvel ou le même hôte.
Différents milieux monophasiques ont été décrits pour cultiver en anaérobiose Blastocystis. L’Iscove’s Modified Dulbecco’s Medium (IMDM) supplémenté en sérum de cheval est aujourd’hui couramment utilisé dans différents laboratoires sous forme liquide ou solide par addition d’agar (15).
Taxonomie et diversité génétique de Blastocystis
Découverte de Blastocystis et émergence au sein des eucaryotes
Blastocystis a été décrit pour la première fois au début du XXème siècle par Alexeieff, qui l’a alors considéré comme un nouveau genre de champignon du groupe des Ascomycètes (16). Il fut nommé Blastocystis enterocola avant que Brumpt ne remplace le nom d’espèce enterocola par celui de hominis pour les organismes retrouvés dans les selles humaines (17). Ce n’est qu’en 1967 que Blastocystis sera classé parmi les protozoaires à partir de critères morphologiques et physiologiques tels que l’absence de croissance sur des milieux fongiques, une sensibilité à des molécules utilisées contre les protozoaires et une résistance aux fongicides (18). L’essor des approches moléculaires, permettant l’analyse et la comparaison des séquences de certains gènes utilisés comme marqueurs phylogénétiques, a par la suite permis de clarifier la taxonomie et les relations de parenté du genre Blastocystis. En 1996, une phylogénie reposant sur les séquences complètes du gène de l’ARN ribosomique (ARNr) 18S a révélé l’émergence de ce parasite au sein du groupe des straménopiles (19). Ce groupe complexe, appelé aussi hétérokontes, regroupe à la fois des organismes unicellulaires et pluricellulaires, hétérotrophes ou phototrophes, qu’ils soient libres comme les diatomées et les algues brunes ou parasites comme les oomycètes. Dans l’arbre phylogénétique présenté sur la Figure 2, Blastocystis émerge au sein des straménopiles hétérotrophes et est phylogénétiquement proche de Proteromonas lacertae, un endosymbionte flagellé de l’intestin de lézards et d’amphibiens. Ces deux microorganismes ont en commun la capacité de coloniser le tube digestif des vertébrés et de présenter un stade de résistance (kyste) qui est aussi le stade de transmission. A ce jour, Blastocystis est le seul straménopile connu pouvant infecter l’Homme, ce qui suggérerait un processus évolutif récent d’adaptation au parasitisme.
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Table des matières
INTRODUCTION
ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
1. Blastocystis, un protozoaire entérique émergent (Article 1)
I. – Introduction
II. – Polymorphisme, cycle biologique et culture de Blastocystis
III. – Taxonomie et diversité génétique de Blastocystis
A) Découverte de Blastocystis et émergence au sein des eucaryotes
B) Classification du genre Blastocystis
IV. – Détection de Blastocystis dans les échantillons biologiques
A) Diagnostic microscopique
B) Diagnostic par culture du parasite
C) Recherche de copro-antigènes
D) Diagnostic moléculaire
E) Sous-typage des isolats
V. – Prévalence de Blastocystis dans la population humaine
VI. – Distribution des STs de Blastocystis dans la population humaine
VII. – Prévalence et distribution des STs dans la population animale et potentiel zoonotique de Blastocystis
VIII. – Modes de transmission de Blastocystis
IX. – Molécules et mécanismes impliqués dans la pathogénicité de Blastocystis
A) Génomes et prédiction de protéines impliquées dans l’interaction hôte parasite
B) Physiopathologie de la parasitose
X. – Impact de Blastocystis en santé humaine
A) Blastocystose et troubles digestifs
B) Blastocystose et immunodépression
C) Blastocystose et urticaire
D) Corrélation entre STs de Blastocystis et pathogénicité
XI. – Traitement de la blastocystose
XII. – Conclusion
2. Blastocystis sp. et le microbiote intestinal
3. Génomes nucléaire et « mitochondrial » de Blastocystis sp
I. – Le génome nucléaire
II. – Le génome « mitochondrial »
4. Modèles animaux de blastocystose
RESULTATS
1. Epidemiologie moléculaire de Blastocystis sp. dans la population humaine et identification de facteurs de risque de transmission du parasite
I-. Enquêtes épidémiologiques au Liban
A) Dans la population générale
a. Introduction
b. Résultats
c. Conclusion
Article 2
B) Dans une population d’écoliers au Liban
a. Introduction
b. Résultats
c. Conclusion
Article 3
II-. Enquête épidémiologique dans une population d’enfants au Sénégal
a. Introduction
b. Résultats
c. Conclusion
Article 4
III-. Enquête épidémiologique dans la population française
a. Introduction
b. Résultats
c. Conclusion
Article 5
2. Evaluation du potentiel zoonotique de Blastocystis sp
Enquête épidémiologique chez les animaux de zoos en France.
a. Introduction
SOMMAIRE
b. Résultats
c. Conclusion
Article 6
3. Physiopathologie de Blastocystis sp. et facteurs de virulence
I. Cas clinique d’appendicite liée à une colonisation par Blastocystis sp
a. Introduction
b. Résultats
c. Conclusion
Article 7
II. Microbiote intestinal et colonisation par Blastocystis sp.
a. Introduction
b. Résultats
c. Conclusion
Article 8
III. Développement d’un modèle animal de blastocystose
A) Introduction
B) Matériels et méthodes
a. Cultures et contrôle de l’axénisation
b. Autorisations de projets pour l’expérimentation animale
c. Choix des animaux et contrôles avant infection
d. Infections expérimentales par Blastocystis sp.
C) Résultats
a. Infection expérimentale avec un isolat de Blastocystis sp. de ST4 par voie orale
b. Infection expérimentale avec des isolats de Blastocystis sp. de ST7 et ST8 par voie orale.
c. Infection expérimentale avec un isolat de Blastocystis sp. de ST7 par voie intracaecale
D) Conclusion
IV. Etude de génomique comparative
a. Introduction
b. Résultats
SOMMAIRE
c. Conclusion
Article 9
DISCUSSION
CONCLUSION
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